Quelques jours seulement s'étaient écoulés depuis qu'il avait accompli une mission qu'il avait cru sortant un peu de l'ordinaire. Elle avait été bien au delà, la rendant plus qu'inédite et qui marquera notre homme dans son esprit, marqué à un point qu'il ne s'était pas encore remis de ce qu'il s'était passé, de ce qu'il avait dû faire et ce qu'il avait manqué de commettre surtout, avant de trouver la bonne opportunité pour que s'accomplisse l'objectif qui lui avait été confié. Il n'y avait pas eu d'effusion de sang, il n'y avait pas eu de mort... Il avait évacué un frère du Mur, qui maintenant, volait vers leur mère patrie. En somme, il avait réussi. Et pourtant, il n'avait pas cette satisfaction au coeur du travail bien fait et mené comme il se devait à son terme. Non, quelque chose lui laissait une boule au ventre, un goût amer dans sa gorge. Quelque chose le poussait à être dépité....

Il était revenu à Liomada, pour régler ses dernières affaires avant de se rendre dans un autre Duché, histoire de se faire un peu oublier dans le coin. Oh, il ne risquait peut être pas grand chose, mais Donovan Frâlan était un homme qui avait des affaires sérieuses à gérer et ne pouvait donc rester bien longtemps au même endroit. Surtout après son passage à l'Ecole du Professeur, après tout ce qu'il avait appris. Bon, là, vêtu en simple mercenaire tout en capuche et en cape, à la mine déconfite et à la barbe un peu broussailleuse, il passait plus pour un homme qui avait besoin de se soûler que d'un gentilhomme avide d'apporter les informations acquises auprès de l'Ecole à son commanditaire ; ça, c'était pour Donovan, pour répondre à la couverture. Là, en cette fin de journée bien avancée, puisque le crépuscule se pointait déjà, Artane cherchait effectivement une taverne, autant pour y passer la nuit avant de partir le lendemain, que pour se rincer le gosier et essayer d'oublier ce qui le taraudait. Car, même si la mission était une réussite d'au delà ses espérances... il avait besoin de noyer ce qui le perturbait. Donc, il cherchait une taverne et il l'avait trouvé, se trouvant un peu à l'écart de l'Ecole déjà et assez éloigné des grands axes de la ville...

Aux premiers abords, elle ne payait pas de mine cette taverne, avec son enseigne tellement dépeinturée qu'on peinait à voir ce qu'elle représentait. La façade aurait bien méritée un grand coup de fraîcheur en terme de peinture ou d'enduit ocré pour lui redonnant une allure plus joyeuse encore. Car, à attendre les éclats de voix endiablés, les clients de ce début de soirée étaient joyeux. Tant mieux, on lui foutra la paix. Il s'était donc approché de la porte, laissant deux clients discutant gaiement sortir en premier. Puis, au moment de pousser la porte, il sentit sa main gauche trembler. Diantre, ca recommençait. il ferma le poing, faisant craquer le cuir des gants qui couvraient ses mains. Bon, après plusieurs chopes, il aura calmé ses nerfs... Il était temps d'entrer maintenant

Beldurande marchait à côté de Jauriel tandis qu’il l’accompagnait jusque chez lui. Depuis que ce jeune elfe prodigieux d’à peine 19 ans avait quitté l’orphelinat de Ramaïl pour rejoindre l’École des Visionnaires Beldurande le surveillait attentivement. Les notes fantastiques qu’il avait obtenu à l’Académie de Commerce de la deuxième ville portuaire de Liomaida en faisait un élément prometteur mais comme le gamin vivait seul, le Professeur passait pas mal de temps avec lui non seulement pour s’assurer qu’il vive convenablement malgré la solitude et qu’il puisse s’intégrer, mais aussi pour lui donner une figure paternelle à laquelle se rattacher en cas de besoin. Ce soir après la présentation que l’élève avait tenu sur les techniques de doubles investissements ils avaient discutés tout en faisant route vers la petite maison en périphérie de la ville dans laquelle l’élève avait trouvé refuge grâce à un loyer abordable.

Ils avançaient maintenant au milieu de la rue en silence, l’un appréciant la compagnie de l’enseignant, l’autre perdu dans ses pensées en contemplant les maisons de roturiers mal famées dont la tristesse des façades faisaient écho à la mélancolie qu’il ressentait ces derniers jours. L’ me avait eu beaucoup de mal à se remettre des évènements dramatiques qui l’avaient confronté il y a trois jours et depuis il n’avait eu de cesse d’y réfléchir. Himir avait tout de même réussi à le convaincre de libérer quelques uns des hôtes de pierre et s’était occupé de leur forger des pièces d’identité frauduleuses pour leur permettre d’échapper à leurs poursuivants d’antan. Il avait de même eu à occir ceux qui n’auraient aucun échappatoire, poursuivi par des vampires immortels ou des elfes qui les surpasseraient en âge, ça faisait bien longtemps qu’il n’avait pas eu à tuer, il aurait préféré ne pas se rappeller de cette sensation mais le visiteur qu’il avait rencontré quelques jours plus tôt avait raison, il ne pouvait pas s’enfouir éternellement dans le déni.

Il regardait les rares personnes qui arpentaient encore les rues à cette heure là, des passants qui cherchaient des activités nocturnes pour pimenter leur vie, des honnêtes travailleurs rentrant chez eux après une journée de labeur, des jeunes individus qui peut-être allaient retrouver leur amant à la faveur de la nuit… un homme rentrant dans une taverne, deux clients déjà ivre qui en sortaient… L’homme. Il avait une carrure particulière avec sa cape et son accoutrement lourd comme un mercenaire, c’était plutôt un quartier résidentiel par ici et les merco venaient rarement par là, simplement parce que c’était souvent trop calme. Ce passant qui ressortait simplement du décor agrippa soudainement toute l’attention de l’Essence lorsqu’il retira sa capuche. Il ressemblait à s’y méprendre au Lieutenant Nordan! Beldurande fixait maintenant l’individu tandis que lui et Jauriel passaient devant la taverne, il secoua la tête quand l’élève le ramena à la réalité:

”Monsieur d’Élusie, ça va? Vous avez l’air bizarre.”

Le gamin avait raison, il était tellement perturbé qu’il voyait le soldat d'Eïlynster partout maintenant. Il devait vraiment manquer de repos, il ne se sentait plus exactement dans son assiette.

”Oui… Je suis juste un peu fatigué la journée a été longue, je vais te laisser là et je te souhaite une bonne nuit Jauriel, et n’oublie pas que si tu as besoin d’argent tu peux me demander d’accord? N’hésite pas.”

”Oui Monsieur, mais prenez soin de vous d’accord? Ça ira pour moi, mon parrain devrait m’envoyer une rente cette semaine, il a fait de bonnes affaires à Ramaïl”

”Bonne nouvelle ça, je suis content pour toi, bonne nuit champion.”

Alors que le jeune elfe continuait le chemin, Beldurande se retourna et il jeta un coup d’oeil à l’homme dans le cadre de la porte de la taverne, il se tenait debout depuis un petit moment, semblant hésiter à avancer. Dans la lumière faiblarde qui émanait du pub il voyait maintenant plus nettement les traits sur son visage, cette barbe hirsute, ces favoris, ces… cicatrices? Bordel mais c’était réellement lui! Le Professeur restait interdit, il ne savait pas quoi faire… La solution facile serait de l’ignorer et de repartir, il ne l’avait visiblement pas vu donc l’Essence pouvait prétendre qu’il en était de même pour lui et s’éclipser… Il y avait quelque chose qui le retenait pourtant, il devait savoir si Sargas était rentré sain et sauf, et il avait également fait une proposition à M.Frâlan qu’il n’aurait sans doute jamais la possibilité d’honorer plus tard. Il s’approcha donc doucement derrière le Lieutenant, en tentant de faire le moins de bruit possible pour s’arrêter à quelques mètres de lui. Il voyait l’Estien serrer le poing et baisser la tête pour regarder sa main gauche, impossible de voir son expression de là. C’est à ce moment qu’il prit la parole:

”Je n’ai jamais mit les pieds ici. Mais je peux parier que la qualité de leur breuvage ne vaut pas les tavernes que je fréquente habituellement.” Il fit quelques pas pour se mettre à hauteur du Lt.Nordan. ”Je vous avais promis un bourbon à la brasserie qui le produit, n’est-ce pas? À moins que… Vous comptiez vous rendre là dedans pour des raisons professionnelles?”

Il désigna la porte de la piètre taverne d’un coup de tête. Il n’avait pas un ton jovial mais plutôt neutre au possible. Il ne savait pas comment son interlocuteur réagirait alors il restait prudent.

Quand on est physionomiste comme Beldurande, on ne pouvait pas louper l'être qu'était l'Estien. Autant son visage couturé de quelques cicatrices assez caractéristiques que son allure... elle aussi était très singulière. Et c'est ce qui se produisit quand le Professeur, dans le plus pur des hasard, se retrouva dans l'instant, au même endroit qu'Artane, croisant sa route, pendant que ce dernier se préparait à rentrer dans la taverne. L'humain était à cent lieux de se douter que le Destin s'amusait déjà à ses dépens. Là, il essayait de trouver la motivation de pousser la porte et d'entrer dans la taverne. De son poing gauche gantée, il avait espéré que le tremblement cesse... et cela n'avait pas été le cas. Grommelant intérieurement, il se retenait de prendre celui-ci dans sa main droite. Il aurait l'air de quoi à se comporter de la sorte juste en entrant ? Il passerait déjà pour un soulard en manque... C'était le genre d'image qui n'était pas bon à dévoiler quand on entrait dans un lieu qui n'était que débit de boissons à toute heure.

Inspirant profondément, il essaya de chasser le tremblement qui persistait dans cette main. A se demander pourquoi cela le prenait maintenant.... Il faut dire que cela avait été la main qui avait rudement frappé le Lieutenant Sargas, pour le pousser à l'inconscience, pendant que l'autre main tenait sa lame pour l'aider à trépasser avec honneur..... Une main qui avait permis la sauvegarde de la vie et qui pourtant était marqué d'infamie... Cette contradiction paraissait bénigne, mais sa subtilité malsaine avait refait surface.... Là où était marqué un passé troublé avait permis la sauvegarde de la vie d'un de ses frères du Mur. Cette contradiction ne pouvait pas avoir lieu... et pourtant, elle était naissante d'un conflit intérieur. Artane le sentait. Bien qu'il savait dans les grandes lignes ce qui se passait, il peinait à calmer les tremblements... est ce que c'était par le fait qu'il avait manqué de tuer un de ses pairs du passé pour préserver leur patrie ? Tuer un frère d'arme, peu importait d'où et quand il venait, ce n'était pas rien ! Etait-ce cela qu'il le torturait ?

Une voix familière le tira brutalement de ses songes, le faisant sursauter. Il se tendit, et presque sur la défensive, sut reconnaître instantanément la silhouette typique du Professeur. Sur le coup, il demeura immobile, surpris de le voir là, à ses côtés, alors que rien ne laissait présager une quelconque rencontre avec sa personne.

''Professeur... si je m'attendais à vous croiser...''

Quelle réplique bateau pour le coup. Il s'était mis instinctivement dans la peau de Donovan Frâlan, alors qu'il en avait pas du TOUT l'allure et le vestimentaire... Bon, tant pis, il fera avec. Et puis, Beldurande avait entendu son nom et son grade la dernière fois, alors à quoi bon jouer de faux semblant ?

''Disons que je... prévoyais juste de passer dans cet établissement pour boire un verre. Rien d'autres d'important.... Mais comme vous parlez de promesse, je ne vais pas refuser votre proposition de dégustation. Est ce loin d'ici ? ''

Quitte à se mettre une bonne murge, autant le faire convenablement non ? Il n'avait pas oublié la promesse faite part Beldurande, donc cela se présentait à point nommé

Un dernier coup d’oeil derrière lui assura au Professeur que le jeune élève s’éloignait, il ne voulait pas qu’il se mêle de ce qui ne le regardait pas, surtout quand il s’agissait d’affaires aussi graves que les récents évènements. En faisant face au Lieutenant Nordan Beldurande s’était attendu à n’importe quelle réaction et il fut soulagé de constater que celle ci était pour le moment calme, l’homme était raisonnable et il en faisait preuve une fois de plus. Sa première réponse sonnait un peu machinale tandis que ses traits exprimaient la surprise de le voir, il lui expliqua ensuite qu’il ne faisait que chercher un endroit où se détendre un peu, Beldurande lui répondit:

”Ahem, il y a un endroit que j’apprécie fortement vers le centre ville, c’est plus fréquenté qu’ici pour sûr mais la salle à l’étage est réservée aux réguliers, c’est aussi là bas que j’achètes mes bouteilles.”

Il tendit le bras droit vers la rue pour inviter le Lt.Nordan à lui emboiter le pas. Il marchait silencieux au début, il ne savait pas vraiment quoi dire et il se sentait un peu gêné, il hésitait à briser le silence parce qu’il sentait bien que c’était à lui de le faire. Il pourrait commencer par demander des nouvelles de Sargas… non il fallait qu’il mette les choses au point en premier lieu, la question c’était comment? Un peu d’empathie ne ferait déjà pas de mal. Ils se rapprochaient du centre ville de Liomaida en revenant par un boulevard habituellement remplis d’étales d’artisans mais à cette heure ci vide, seule les bannières et les banderoles encore en place témoignaient de l’activité diurne qui animait la rue, ça lui donnait un air de désertion un peu mélancolique qui renforçait l’émoi du Professeur. Il tourna la tête vers le soldat pour enfin prendre la parole:

”Lieutenant No… Enfin, comment devrai-je vous appeler? Donovan? M.Frâlan?” Il se rendait compte qu’il ne savait même pas comment l’adresser proprement.

Il baissait naturellement la tête pour pouvoir regarder son interlocuteur dans les yeux, les gens de manière générale remarquaient donc peu quand le Professeur le faisait par honte ou caractère évasif.

”Je… Je souhaiterai d’abord vous dire merci.” Ses yeux en amandes fixaient non plus Nordan mais le sol pavé devant celui-ci. ”Je serai mal avisé d’en vouloir à Eïlynster, après tout ce qu’ils m’ont apporté par le passé. Bien au contraire c’est une nation envers laquelle j’ai toujours été reconnaissant, mais je place les gens au devant des patries. J’ai protégé ceux que j’ai pu… En faisant ce que je pouvais faire. Je me suis égaré en chemin et je vous remercie de m’avoir… remis les pendules à l’heure. ”

Ils arrivèrent à un carrefour qui faisait le croisement entre leur boulevard et la rue qui accueillait la taverne Aux Trois Éperons, elle se tenait encore à quelques dizaines de mètres mais Beldurande marquait une halte pour demander au Lieutenant l'air inquiet, ne sachant pas s'il redoutait la réponse ou l'absence de celle-ci:

”Et… Et vous, comment vous sentez vous?”

Artane avait espéré pouvoir fréquenté l'établissement qui lui tendait déjà les bras, justement parce un peu à l'écart et des gars dans son genre passeraient assez inaperçus. Mais c'était sans compter l'arrivée du Professeur. Et sa proposition se présentait parfaitement bien. Trop bien même peut être ? Après tout, il n'était question que de boire un bon coup et au vue de ce que venait de décrire le grand Elementaire, il y trouvera la quiétude recherché pour parfaire une bonne prise d'alcool pour noyer ce qui le taraudait. Si l'étage était réellement réservé pour les réguliers, selon ses mots, personne ne se posera de question quand au drôle de camarade qui l'accompagnera. Beldurande n'avait pas tardé d'ailleurs à tendre son bras droit dans la direction à prendre. Artane esquissa un léger sourire.

''La qualité promet d'être en rendez-vous, à ce que je peux entendre. Je vous suis''

Et cela dit, il le suivit, sans broncher, sans afficher une quelconque méfiance ou autre comportement proche. Malgré ce qu'ils avaient vécu récemment tous les deux, l'Estien ne pressentait pas de danger. Bien que Beldurande en savait assez sur lui, notre estimait qu'il n'y aura pas de piège ou autre acte vicelard du genre... et à entendre que le silence à peine brisée par chacun de leur part, s'il ne se trompait pas, quelque chose pesait au coeur du Professeur. Peut être était-ce mieux de rester dans le mutisme, pour l'instant, tant qu'il ne sera pas en face d'un verre pour noyer ses propres tourments.

Au détour de la rue, ils arrivaient au centre ville, qui était bien vide à cette heure. Cela ne perturbait guère Nordan, dans la mesure où il profitait de l'obscurité pour certaines de ses... missions. Mais ce soir, il ne l'était pas, et cela ne le dérangeait pas plus que cela. Force d'habitude peut être ? Il gardait l'oreille attentive, bien que moins concentré. Sans doute parce qu'il était en la présence de Beldurande. Tiens, d'ailleurs, celui-ci prit la parole. Artane tourna lui aussi sa tête pour accepter d'engager la conversation.

''Donovan suffira''dit-il simplement et sans la moindre hésitation, bien que Beldurande eut manqué de lâcher son véritable nom. Il ne lui en voudrait pas pour cela, non pas qu'il y avait personne autour d'eux, mais parce que lui aussi ne semblait pas dans son assiette. La raison venait elle de ce qui vint à la suite de la conversation ?

Artane l'écoutait, pendant qu'il visualisait ce qu'il avait manqué de commettre envers son Frère de Mur, pour préserver Eïlynster. Sa mâchoire se crispa quelque peu, avant de trouver quoi répondre au Professeur. IL s'était presque confessé à lui, tout en le remerciant. Il n'arrivera pas à faire comme lui.

''Vous n'avez pas à remercier Professeur. Je vous ai un peu bousculé dans cette affaire, mais c'est vous qui avez su retrouver votre chemin. Vous agissiez en pensant bien faire. Quel être vivant ne commet pas d'erreur en pensant agir de manière juste ? ''

La question prévalait pour lui aussi. Il préféra la chasser immédiatement de son esprit, avant qu'elle ne s'ancre de trop. Puis, les deux hommes reprirent leur marche silencieuse en direction de la taverne, avant qu'une halte ne soit faite au dernier carrefour. A la question de l'Elémentaire, Artane gardait son visage en direction de la Taverne. Elle n'était qu'à une dizaine de mètres seulement. Bientôt, il sentirait la brûlure de l'alcool franchir ses lèvres....

''Indéfinissable... et j'ai vraiment besoin de vider un verre pour faire passer cela''Murmura-t-il. Au ton de la voix, nul doute qu'il était pris de tracas.

''Un bon remontant me sera nécessaire. ''

Le malaise était palpable et devant l’état de délavement du Lt.Nordan Beldurande ne se montra pas plus insistant. L’alcool serait un bon médicament pour l’affliction dont il semblait souffrir.

”Pardon oui, rentrons à l’intérieur.” Ils parcoururent ensemble la distance qui les séparaient de l’entrée et pénétrèrent à l’intérieur sans plus attendre.

L’établissement Aux Trois Éperons était une bonne taverne du centre ville. La salle principale était aménagé avec des meubles joliment robustes pour quand même résister aux usagers et le comptoir surtout arborait un superbe bois sombre vernis qui reflétait la lueur agréable et chaleureuse des bougies d’ambiance. L’établissement était plutôt animé avec une bonne douzaine de clients qui discutaient bruyamment en vidant leurs gobelets avec joie, il y avait un peu de tout mais surtout des gens aisés. Le Professeur connaissait un petit peu les habitués qui fréquentaient cet endroit, il reconnaissait ce marchand de textiles étrangers, ce tuteur qui enseignait au fils d’un Compte, ce créancier qui avait sa propre banque… Beldurande prit les devants et s’avança jusqu’aux tabourets rembourrés pour s’adresser au tenancier, un homme complètement chauve dans la cinquantaine avec un chemisier bleu et un pantalon blanc immaculé qui installait un nouveau baril de bière dans la tireuse du comptoir. Celui-ci à la vue du Professeur le salua d’un signe de tête.

”Salut Guilloh, tu vas bien?”

”Aussi bien que mon commerce. Qu’est-ce que je te sers?”

”La clé.”

Le propriétaire haussa un sourcil.

”L’étage est déjà prit, y’a un capitaine d’une troupe de mercenaire avec ses lieutenants qui ont payé pour privatiser les lieux pour la soirée.” À voir la mine déconcertée de son client il rajouta. ”Je peux vous préparer l’arrière boutique. Donne moi cinq minutes.” Il rabattit le clapet de la tireuse et engagea le baril dedans puis disparu dans la porte derrière lui.

Beldurande se retourna pour rejoindre le Lieutenant, celui ci conservait son air morose et il commençait à se sentir mal pour lui.

”On va aller s’installer à l’arrière boutique, le tenancier nous prépare juste la salle.” Il ne chercha pas à mener de conversation plus loin, respectant le souhait de son interlocuteur.

Lorsque Guilloh rouvrit la porte en leur faisant signe, ils passèrent derrière le comptoir pour le rejoindre, l’arrière boutique servait de remise pour la taverne. Une fois passé l’entrée, ils pouvaient voir l’escalier qui montait jusqu’à l’étage depuis lequel on entendait des rires et des éclats étouffés parvenir jusqu’en bas, procurant un fond sonor agréable mais pas invasif. En face d’eux sur le mur du fond étaient rangés des tonneaux de bière et de vins d’entrée de gamme, prêt à être déballés et utilisés. Au sol une trappe menait à la cave dans laquelle Guilloh et le Professeur descendaient parfois pour faire son choix de liqueur pour sa réserve personnelle et contre le mur de droite de nombreux outils étaient rangés dans des étagères pour l’entretien des machines du bar et le nettoyage du bâtiment. À côté figuraient également des tables, des chaises et des tabourets de rechange, empilés les uns sur les autres pour gagner de la place. Cette salle qui pourtant ne voyait qu’occasionnellement l’apparition d’un client était à l’image du reste de la taverne, bien propre. Au milieu de la salle, trois petites bougies posées sur une table fraîchement dressée donnaient une lueur tamisée au tout et Guilloh leur déballa deux chaises.

”On va commencer par deux bourbons ‘77 s’il-te-plaît.”

Quelques minutes plus tard, assis l’un en face de l’autre, chacun un verre devant eux remplis au tier de l’alcool brun qui projetait une ombre colorée sur la table, ils étaient tout deux plongés dans leurs pensées. Beldurande attendait simplement que son camarade de table prenne la parole, et en attendant il profitait de l’odeur de son breuvage préféré avant de porter le bord du verre au bord de sa bouche.

Artane réajusta sa capuche, comme pour se plonger plus dans l'ombre qu'offrait déjà cette dernière. Puis, sans rien rajouter de plus, il suivit le Professeur pour rejoindre l'entrée principale de l'établissement. Une fois à l'intérieur, Artane observait à peine les lieux, pour ne pas donner l'air d'être un parfait étranger à ce genre de lieu, qui, il devait l'avouer, était assez coquet en son genre. On sentait à quel genre de clientèle cela s'adressait. L'Estien ne connaissait que de nom cet endroit et désormais, il avait une ordre d'idée de son intérieur et du type de clients qui y fréquentaient. Pour ses prochaines missions, ou magouilles, il pourrait toujours passer par ici... et à condition de pas croiser Beldurande en même temps.... Sentant qu'il laissait son esprit réagir un peu trop professionnellement, il chassa déjà toutes ces habitudes, préférant avoir l'esprit vide de toute observation et de raisonnement quand à tout ce qu'il pourrait faire rien qu'avec cette taverne.

Il passa ses mains gantées dans la ceinture, pour les caler quelque part, le temps que Beldurande termine de converser avec le tavernier. Plongé dans sa morosité, il ne l'avait même pas vu partir devant pour prendre possession de sa salle habituelle. Sauf que là, visiblement, ce n'était pas possible pour ce soir. Il en eut rapidement la confirmation quand le Professeur revint et lui expliqua où ils allaient pouvoir discuter. L'arrière boutique ? Bah, c'était mieux que rien et cela serait même peut être plus discret. Enfin normalement. Et toujours plongé dans un froid mutisme, il suffit les deux compères. On entendait les occupants de l'étage, qui paraissaient être dans de bonnes dispositions pour la soirée. Tant qu'ils demeuraient là-haut, songea Artane, il sera tranquille avec Beldurande. Puis, il regarda ici et là les éléments qui composaient la salle que sera leur le temps de se rincer en volume le gosier. Chose certaine était que le proprio tenait à garder un rangement ordonné et pratique. Là aussi, c'était un détail que l'officier estien aurait noté immédiatement. Mais comme l'esprit n'y était pas.

Il serra les dents. Il se mettait en position de faiblesse en demeurant dans cet état. Oh et puis diantre ! Pour ce soir, il n'y accordera pas d'importance. Son regard se posa sur les trois bougies qui chassaient la pénombre de la pièce, apparaissant comme un phare dans les ténèbres. La connaissance du Professeur sortit deux chaises de son rangement, et une fois la commande alcoolisée commandée, il ne restait plus que l'Elémentaire et l'humain, qui fixait silencieusement le contenu de son verre. De très légers effluves arrivèrent à monter jusqu'au nez de notre individu, amplifié par le mouvement d'air qu'il avait créé en repoussant sa capuche en arrière. Artane crut un instant que la boisson brunie avait le goût d'une pâtisserie akkatonienne qu'on imbibait d'un alcool très fin, pour parfaire le goût sucré. Comprenant que ses sens le fourvoyaient, il attrapa le verre et porta le bourbon à ses lèvres, prenant déjà une gorgée quelque peu... généreuse. Clairement, son odorat devait être aux fraises pour l'avoir trompé. Les saveurs étaient vraiment tout autre, et qui pouvait largement s'adresser à une autre finesse culinaire de l'Empire. Mais là aussi, il ne saurait dire laquelle. Soupirant d'aise en appréciant la saveur qui persistait dans le palais, il joua quelques minutes encore avec ce qui restait. Il aurait préféré plus fort, histoire de bien se cramer la gorge. Mais il ne fera pas son difficile. Ce bourbon méritait quand même d'être plus savamment dégusté....

''Merci pour le verre....''

Il regardait toujours son verre.

"je présume que vous souhaitez avoir des nouvelles de notre connaissance commune.... Il se dirige vers sa contrée natale, en toute sécurité....''

Il demeurait évasif et non sans raison. Même si la taverne était correcte, les murs avaient toujours des oreilles.

''Je devrai me sentir heureux pour lui... et pourtant, j'y arrive pas. Pas encore du moins... Saviez que lors de la conclusion de cette affaire, mon idée première était de le tuer ? Autant pour son bien que pour celle de la nation ? ''

Rien que de savoir qu'il avait manqué de pourfendre un frère du Mur, qui n'avait rien demandé, qui avait fait son devoir... tout cela pour préserver justement Eilynster et que ce lieutenant serait demeuré dans l'oubli....Ses tripes se nouèrent douloureusement

Tandis qu’il observait silencieusement Artane du coin de l’oeil, Beldurande se trouvait légèrement inconfortable dans la situation particulière où il se trouvait. Dans le simple but de s’occuper les mains il fouilla dans la poche de sa veste et chercha du bout des doigts sa poche à tabac dont il testa l’humidité en en pinçant une petite touffe entre les doigts. Il l’avait légèrement humecté ce matin et il avait eu le temps de sécher maintenant donc il commença à sortir sa pipe, sa bourre et la poche pour préparer l’outil. Guilloh revint au bout de quelques minutes avec les boissons, déposant dans un petit gobelet à part des glaçons. Beldurande n’en avait jamais l’usage ce qui faisait que le tavernier avait arrêté de lui en servir mais ce soir il n’était pas venu seul… Le Professeur releva la tête, attendant que le tabac s’aère un peu maintenant qu’il l’avait enfoncé dans la chambre de la pipe, et il observait le visage d’Artane, espérant y déceler des moues qui lui indiqueraient un peu mieux l’état d’esprit dans lequel il se trouvait. Il ne voyait pas grand chose se passer sur la face de l’estien qui regardait calmement la table… Beldurande commençait à se sentir presque nerveux jusqu’à ce qu’il porte la main au verre et le monte à ses lèvres. Il but plusieurs gorgées du liquide et semblait l’apprécier, prenant son temps avant d’en boire le reste, il reposa le verre sur la table et prit enfin la parole… juste pour le remercier de l’invitation.

L’Âme ne savait pas trop quoi dire, il avait enfin rompu le silence mais ce n’était pas exactement source de conversation, cependant il sentait quand même que c’était maintenant à lui de continuer, il réfléchissait le plus vite possible à quoi dire, par où commencer la conversation mais il ne parvint pas à trouver un angle de discussion qui le satisfaisait. Heureusement pour lui il n’eut pas à le faire, après avoir marqué cette pause le Lt.Nordan continua en lui donnant des nouvelles de Sargas. Il restait très vague sur les détails, mais le Professeur savait lire entre les lignes avec Eïlynster et il comprenait que même s’il le voulait il ne pouvait pas en dire plus.

”C’est une bonne chose.” Lui aussi resta bref car il sentait dans le ton de son interlocuteur que ça ne s’arrêterait pas là.

Le Lieutenant commença à s’ouvrir un petit peu plus et avec le dialogue l’Essence se sentait donc plus à l’aise. Il prit quelques instants pour réfléchir à la formulation de ses phrases, ce qu’il avait l’habitude de faire mais normalement c’était pour choisir les mots les plus empathiques ou les tournures les plus diplomates, là c’était pour faire attention à ne pas lâcher de détails compromettant si une oreille mal intentionnée traînait quelque part.

”Vous voulez dire, après avoir quitté les lieux? Je… Je comprends. ” Il devait faire attention à ce qu’il dirait. Le sujet était sensible autant pour Artane que pour Bel.

”Vous savez… J’ai été à Eïlynster par le passé et même si je n’y suis pas resté c’est tout de même un pays que j’affectionne. J’ai pu en les côtoyant voir de moi même l’amour qu’ils portent à leur nation. Toute la ferveur et la foi qui les animent est ostensible quand on y vit pendant quelques jours seulement, alors moi qui y ait passé quelques années j’ai pu en apprendre beaucoup.” Il jouait avec sa pipe entre ses doigts pendant qu’il sélectionnait ses mots. ”Une chose que je n’oublierai pas, c’est leur loyauté et leur fidélité à toute épreuve. Lorsque j’ai connu Sargas, maintes fois il m’a impressionné en faisant sacrifice de lui même pour le plus grand bien de son pays et de ses frères. En face de toutes les décisions difficiles qu’il a eut à prendre il a toujours agit en faisant ce qu’il pensait être la meilleure décision, parfois il se trompait et le prix était lourd. Ça m’a toujours fasciné. Je me demandais pendant très longtemps comment est-ce qu’il pouvait continuer à assumer ses responsabilités avec autant de poids sur ses épaules, autant de gens qui comptaient sur lui.”

Il marqua une brève pause pour soupirer et se détendre un peu. Il frotta violemment une allumette contre la table et parcouru les bords du tabac pour faire un petit disque de braise incandescentes et il porta la pipe à sa bouche. Tirant une grande première bouffée et en goûtant la saveur au jasmin dans son palais. Il cherchait à exprimer les doutes qui accablant Artane tout haut en traçant le parallèle avec son ami. Il reprit:

”Un jour on s’est retrouvé avec très peu de nourritures pour continuer une mission, il y avait des civils qui souffraient également de la faim à cause de mauvaises récoltes. On pouvait continuer notre objectif ou s’arrêter là et venir en aide à la population. Je ne vous dirai pas ce qu’il a décidé, mais quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu qu’il ne cherchait pas à savoir s’il avait prit la bonne ou la mauvaise décision, il ne se concentrait que sur une seule et unique chose: faire ce en quoi il croyait.”

Il leva la tête et regarda le Lt.Nordan dans les yeux en prononçant les phrases suivantes:

“C’est cette foi qui habite tout les frères d’Eïlynster et qui les guide. Sargas était un Lieutenant, je ne doute pas que pour arriver à ce grade il faut au moins être mu d’intentions aussi pures que celles de toujours faire de son mieux, de toujours faire ce en quoi on croit pour le bien de son pays.”

Artane fixait toujours son verre, pendant que son interlocuteur élémentaire préparait sa pipe en vue d'apporter à ses sens une autre saveur, autre que l'alcool qui emplissait encore son verre et dont le contenu était encore bien supérieur à celui qu'on retrouvait en face de l'humain. On était sur un moment où le Professeur venait d'ordinaire dans ces lieux, pour prendre un peu de temps serein, à apprécier les choses simples que pouvait offrir cet établissement. Mais là, aujourd'hui, ce n'était pas vraiment le cas. Il était en la compagnie d'un Estien qui paraissait ronger par des troubles personnels, après avoir exécuté une mission pour laquelle une décision avait été lourde à réfléchir et à prendre. Même si dans un sens, elle était réussi pour l'homme, elle paraissait encore lui vriller l'esprit et la conscience. Pourtant, des missions où il avait du faire un choix, il en avait plus d'une fois depuis qu'il se trouvait derrière le Mur.... Mais là.... Diantre, pourquoi était-ce si difficile à accepter d'avoir eu cette voie de recours !

Beldurande paraissait comprendre le choix du faux Donovan. Pourtant, Artane apporta une petite précision, pour être certain que ses propres décisions ne se fourvoyaient pas d'elles-même. L'esprit pouvait tellement se mentir à lui-même.

''Quand j'évoquais la conclusion, c'est lors du choix à appliquer quand il avait accepté de cesser de vivre dans un dernier geste d'honneur. Non, une fois mis sur la voie du retour vers sa nation de naissance et de toujours, là, je n'avais plus aucun doute quand au choix de le laisser vivre. Non, je parlais de l'instant où la lame devait l'occire. Je me suis dérobé à la dernière minute pour l'assommer et non le tuer....Pardonnez moi, je n'avais pas exprimé cela correctement. ''

Il avait gardé le verre dans sa main pour faire tourner à nouveau le délicieux nectar retenu par les parois arrondis du verre. L'odeur l'invitait à y tremper à nouveau les lèvres pour en capter la moindre subtilité sucrée et fermentée. Mais au lieu de cela, il avait relevé le regard pour fixer Beldurande, pendant que ce dernier narra une tranche de sa vie en la compagnie de Sarkas. il l'avait ensuite replongé dans le verre, comme pour en chercher le fond.

"Agir pour le bien de la nation, quoi qu'il en coûte....il y a des fois des décisions qu'on croit prendre pour le bien commun et il s'avère que le prix à payer est largement plus lourd à porter sur les épaules....et il y a l'abnégation, que visiblement, notre ami a de bien plus au coeur que moi...''

Un frisson parcourut une partie de sa colonne verticale, tiraillant une ou deux surfaces de cicatrices qui marqueraient à vie son dos. Etait-il encore capable de l'abnégation qu'avait fait preuve son frère de Mur, même si venant d'un passé révolu ?

''Il a répondu comme tout homme de son acabit doit le faire. Et comme il fallait le faire. Quand à la montée dans l'échelle, vous avez vu juste.""

Quoi de plus normal, après tout, vu que le Professeur avait vécu quelques années en Eirlynster, et même combattu aux côtés de ses Frères de Mur de l'époque.

Une nouvelle fois, Artane quitta la morne contemplation de son fond de verre pour plonger son regard dans celui de Beldurande.

''Cette foi a été telle que j'avais pris la décision de mettre à la vie du Lieutenant pour préserver la nation. J'ai pris cette décision avant de changer brutalement de choix, malgré la longue réflexion qui pesait le pour comme le contre de lui offrir la continuité de son existence. Je savais qu'en retournant chez lui, il serait confronté à la dure réalité d'avoir tout perdu, ami, famille... alors que tout était là avant son ''départ''. Ca et un long chemin vers la réhabilitation de sa propre vie, de sa propre âme....cette même foi qui fait qui nous sommes, ce que nous sommes pour préserver les nôtres... mais derrière, peut se montrer cruelle en terme de prix à payer...''

Il attrapa son verre et vida d'une traite ce qu'il restait. Il reposa le verre.

''J'ai déjà tué des ennemis dans ma vie... mais tuer son propre frère d'armes.... C'est un choix que j'ai eu en premier, avant de me rétracter sur une autre que j'ai jugé au final, plus avec ce je crois...."

Pendant que son compagnon de beuverie commençait enfin à s’ouvrir un petit peu et à parler ce qui le tourmentait exactement, Beldurande écoutait en silence en tirant sur sa pipe. L’Estien semblait effectivement en prise avec sa propre conscience, mais il avait l’air lucide sur sa propre situation. En général la clé était de parler et de laisser le temps permettre d’internaliser les réflexions, le Professeur voyait donc que son interlocuteur allait avoir surtout besoin de simple compagnie et de distraction plutôt que de conseils à proprement parler. Il hocha la tête lorsque celui ci précisa le fond de ses pensées, il ne pouvait pas vraiment répondre à quelque chose avec lequel il était foncièrement d’accord, aussi murmura-t’il simplement:

”Vous avez raison.”

Donovan vida son verre avant de conclure sa réflexion. Beldurande le soutint:

”Si vous avez suivi vos valeurs, alors vous avez prit la bonne décision et c’est ce qui importe. Bien sûr il est paralysant de penser à ce qui aurait très bien pû être l’alternative, mais si nous faisions cela à chaque choix, il nous serait bien vite impossible d’avancer en quoi que ce soit.”

L’Essence finit tranquillement son verre de bourbon en laissant le silence faire son travail d’introspection et détendre peu à peu le Lt.Nordan. Il regardait lascivement les mains de l’Estien pour en observer les gerçures, témoins de travails difficiles et d’une vie faite à la force des bras. Cependant lorsque le Lieutenant s’était rendu à l’École il y a quelques jours, ce n’était pas ça qui l’avait frappé lors de leur rencontre mais plutôt sa capacité à parler avec calme et sérénité. Ce devait être un homme dont la langue broyait autant de travail que les mains. À ce moment là, lorsqu’ils avaient failli s’engager dans le jardin de l’École et que le Professeur avait mentionné les douleurs du passés, le regard qu’il avait surpris sur le visage du Lt.Nordan n’avait pas l’air de faire parti de son jeu d’acteur, il n’avait pas dû en avoir besoin, c’était un regard qui semblait sincère. L’empathie du Professeur à son égard partait de là et c’est qui le poussait désormais à vouloir en apprendre un petit peu plus sur son interlocuteur. Mais d’abord il devait briser le silence.

”Vous fumez?” dit-il en tendant la pipe faiblement incandescente vers son partenaire. ”N’inhalez pas la fumez, gardez la bouche et goûtez la avant de la souffler.”

Le tabac blanc, en dépit de son appelation et de son apparence sous forme de petites feuilles blanc-cassées jaunâtres qui lui donnait un aspect fleuri, est un tabac rustre et agressif qui ferait tousser les inhabitués et pleurer les non fumeurs. Même s’il aimait la finesse dans l’alcool, Beldurande cherchait dans ses choix de tabacs des sensations étonnamment âpres.

”Quels sont vos goûts en matière de passe-temps?”

Guilloh revint ensuite avec deux petites planchettes de bois agrémentées de petits verres de faible contenance remplis chacun d’un liquide de couleurs différentes. En tout il devait y avoir une dizaine de canons alignés sur chaque planche, certains étaient purs, d’autre des mélanges. Beldurande était surpris de l’initiative du tenancier et regardait Guilloh avec un air inquisiteur. Celui ci lui répondit:

”Nouveaux arrivages, il faut bien les tester et c’est cadeau de la maison pour m’excuser de la salle d’en haut. Et de toute façon vous n’avez pas l’air dans votre assiettes vous deux.” Sur ce il rabatta sa serviette sur son épaule et rejoint la pièce principale en les laissant à nouveau seuls.

Beldurande contempla avec admiration les liqueurs en en reniflant quelques unes et en les inspectant devant la flamme d’une des bougies:

”Celle là doit être une sorte de gin non? Et le rouge là c’est un apéritif que je ne connais pas, ça sent étrange… Quitte à avoir des canons, est-ce que vous souhaiteriez en faire un jeu?”

Artane regardait le fond de son verre désormais vidé. Il y avait bien quelques gouttes qui demeuraient au fond, qui venaient de se réunir pour former qu'une ridicule quantité guère digne de remplir une cuillère à café. Il était regrettable de déjà plus avoir à boire, car ainsi, il aurait été plus à même d'apprécier l'écoute de l'élémentaire vis à vis de sa confidence ; si on pouvait appeler cela ainsi. L'Estien n'était pas du genre à libérer par les mots ce qui lui rongeait l'esprit, comme cela arrivait de temps à autre. Il préférait être seul, à broyer du noir et à se soûler jusqu'à mériter une bonne gueule de bois au lendemain. Mais là, ce soir, c'était différent. Sa mission avait été totalement inédite, ayant été confronté à une situation qu'aucun Eilysterien sans doute avant lui n'avait eu... Et là, il causait de ce qui lui pesait sur le coeur avec un individu végétalisé, qu'il ne connaissait que depuis guère longtemps à bien y regarder. Même avec des extérieurs au Mur qui étaient devenus pour certains de bons amis en plus d'être des contacts n'avaient pas eu la chance de ce soir d'entendre le Lieutenant converser de la sorte. Artane ne s'en offusquait pas... peut être parce que le Professeur avait été dans les troupes de Sarkas ? Qu'il avait combattu contre Teïder à ses côtés ? Il y avait peut être un peu de cela. Là pour l'instant, il n'avait pas aucun regret à partager ses ressentis.

Beldurande termina sereinement son verre, laissant volontairement un certain silence s'installer, le temps de terminer de s'occuper de sa pipe. Au moins, cela permettait de laisser un peu de champ ouvert à la réflexion pour l'humain, qui fixait toujours le fond de son verre. Puis, la conversation passa à un autre sujet. Artane avait levé la tête, regardant un instant la pipe déjà tendue vers lui.

''D'ordinaire non.... Mais je pense que je peux faire une exception....''

Il prit délicatement la pipe de son interlocuteur et la porta à ses lèvres, appliquant les conseils du Professeur. N'ayant guère habitué à ce genre d'activités, il en tira un peu trop peut être. Car, au moment de la souffler, pour terminer d'apprécier le côté sec et aigre à la fois de la fumée épaisse qui s'était quelque peu humectée au contact de ses parois buccales, il en avala juste la dose suffisante pour avoir une quinte de toux. Bien entendu, il tourna la tête pour épargner le désagrément à Beldurande, essayant de se retenir un peu.

''Excusez moi.... Manque d'habitude. ''dit-il en ravalant un raclement de gorge. ''au force de la force de la saveur, je comprends pourquoi vous accompagnez cela avec du bourbon.....''

Il retendit la pipe au Professeur, pendant que celui-ci lui demanda ce qu'appréciait Artane comme passe-temps... euh...Qu'est ce qu'il allait lui répondre ?

''Prendre un peu de temps en d'excellentes présences féminines.... ca compte ? ''dit-il en faisant un sourire un poil contrit. Il ne se voyait pas étaler toutes ses occupations hors missions à Beldurande, il manquerait peut être d'avoir un air réprobateur de sa part. Se préparant à trouver des activités ''potables'' à énoncer, le tavernier arriva. Il déposa deux plateaux supportant chacun une dizaine de petits verres, emplis chacun d'un alcool différent à voir la couleur différente dans chacun d'eux.

Artane les détailla, écoutant d'une oreille à demi attentive la raison de sa venue et le pourquoi de ces petits canons savamment bien remplis. Lui qui voulait s'en mettre une bonne, il pourrait être servi. Beldurande n'avait pas perdu de temps pour humer quelques liqueurs au passage, et en les mettant devant les bougies pour apprécier la couleur des breuvages.

''Certains de ces verres font être la surprise du chef, comme le dit l'expression. Autant faire votre jeu...Je ne sais pas ce qui nous est réservé dans chacun de ses verres, mais cela à l'air de promettre. Attention avec les bougies, ca pourrait s'enflammer d'un coup à cause des vapeurs... Je ne crois pas que votre ami serait ravi de gérer un incendie dans ces lieux...''

Artane rapprocha un peu sa chaise, marquant un intérêt certain quand au jeu à venir.

Le Professeur regardait les verres avec envie tandis que les effluves des liqueurs commençait à embaumer un peu plus la pièce. Il se gardait quand même de trop se laisser distraire par ces boissons envoûtantes et de conserver une oreille à la disposition de Donovan qui avait répondu à sa question sur ses occupations occasionnelles:

”Bien sûr que ça compte!” Il esquissait un léger sourire. ”La chair est un plaisir noble, auquel certe je ne m’adonne guère mais nos conditions sont différentes sur ce point… Le plaisir permet à certains de se sentir vivant, d’autre l’utilisent pour oublier, il y a une multitude de raisons et aucune d’entre elles ne sont pas pertinentes.”

Il n’élaborait pas plus sur ce sujet, non pas parce qu’il ne souhaitait pas en parler ou que le sujet le dérangeait, mais parce qu’il y avait devant eux quelque chose de plus intéressant dans l’immédiat qu’une discussion sur le sexe. Les canons.

”Tout ça m’a l’air très fameux. Alors!” Il se leva de manière un peu théâtrale, fit le tour de sa chaise et en saisit le dossier comme s’il allait faire une déclaration sérieuse, il voulait aussi faciliter le changement d’humeur que la soirée s’apprêtait à prendre. ”La dernière fois qu’on a ‘joué’ ensemble, les circonstances étaient un peu différentes. Que diriez vous donc de ceci: je vais vous raconter une histoire, quelque chose qui a pu ou pas m’arriver. Quand j’aurai terminé, à vous de me dire si ce que je vous ai raconté est vrai ou faux. Si vous trouvez juste, je bois, sinon vous buvez et ensuite vous ferez de même, ce jusqu’à ce qu’on ait épuisé les verres hmm?”

Il attendit la réponse d’Artane et quand il vit qu’il semblait partant, il prit l’initiative. Maintenant qu’il était debout il saisit le pieds d’une des chaises entreposée dans la pièce, le retransforma en planche et en fit de petites fléchettes en bois à l’aide de sa magie, puis il dessina une cible sur le mur du fond en y apposant la main. Quitte à parler autant faire quelque chose en même temps. Pendant qu’il préparait son petit set de fléchette il reprit:

”Je commence! J’ai justement une histoire en tête héhé. Un directeur d’une École duchéenne concurrente à la mienne et un peu énervé que je lui ai volé quelques élèves de choix, a contracté une mercenaire plantureuse et hautement redoutable pour venir démolir mon établissement.” Tchac! La première fléchette vint se ficher dans la poutre de soutènement à côté la cible. Non mais celle là c’était pour tester la longueur elle ne comptait pas. ”Je l’ai trouvé, je l’ai peloté et elle a décidé de partir sans me faire de mal à moi ou à mon institut.” Tchac! Il avait atterrit dans le cercle des doubles de la cible, à quelques millimètres du bord. ”Ça n’en a pas l’air mais j’ai de l’or dans les doigts.” dit-il en ricanant.

Il trouvait cocasse que cette anecdote pourtant parfaitement vraie, contraste avec ce qu’il avait dit juste avant de démarrer leur petit jeu. Tchac! 5 Points, au total ça lui faisait 5 + 2 x 10, pas terrible. Il alla ôter les fléchettes collées dans le mur, tout en prenant soin de reboucher les trous au passage avec sa magie. Guilloh se ficherait sans doute de ce qu’il faisait dans son bar, tant qu’il le laisserait dans le même état qu’en y rentrant. Il revint vers la lumière des bougies sur la table, fléchettes en bois dans la main gauche, portant un des verres remplis à hauteur du regard de sa main droite, appréciant la robe de la liqueur. Toujours dans cette pose il tourna la tête vers Donovan.

”Vrai ou faux?” Il rit rien qu’à l’absurdité de ce qu’il venait de raconter.

Le Professeur édulcora presque l'activité de détente à peine énoncée en détail par Artane. Celui se contenta de sourire. Il n'en aurait pas manqué d'en rire, s'il avait été moins plongé dans la morosité. Néanmoins, l'idée du jeu proposé par Beldurande eut l'air de le ''requinquer'' un peu. Il regarda l'Elémentaire se lever de manière assez singulière, avant de se mettre à préparer quelque chose. Artane haussa un sourcil un instant. Qu'est ce qu'il fabriquait ? Il comprit alors quand il vit des fléchettes naître magiquement de la planche transformée à l'instant à partir d'une chaise. Il se demandait si cette transition de transformation ne sous-entendait pas quelque chose. Allons bon, songea-t-il, s'il commençait à penser à tout et n'importe quoi, il allait s'imaginer des choses irréalistes. Autant rester concentrer sur le jeu aux règles intéressantes non ?

''Plus les règles sont simples, plus le jeu est drôle. Notre précédente "partie'' n'avait pas été évidente en votre compagnie, ca je peux le garantir. Nous allons voir qui de nous deux siphonnera le plus de verre. ''
*Ou qui roulera en premier sous la table *pensa-t-il en espérant se mettre une bonne biture malgré tout
''Et attention à ne pas vous trompez de cible avec vos fléchettes...''dit-il non sans une pointe de malice.

Beldurande commença le premier à narrer une situation qui lui serait arriver. Artane écouta avec attention, n'oubliant pas l'échange de toute à l'heure. Il devait le faire exprès pour l'embrouiller dès le début. Et en même temps, le Professeur lançait ses fléchettes. Un instant, il laissa l'humain digérer les informations de sa petite anecdote. Non, il n'imaginait le directeur d'une école prestigieuse qu'il était être auss... euh... proche ? Oui c'était le terme ! Donc, proche d'une mercenaire pour lui épargner les désagréments contractés par une école adversaire. Il regarda Beldurande prendre le premier verre, attendant son verdict.

''Voyons Professeur, je ne vous imagine pas en train de peloter une merco....Moi je dis que c'est faux. ''

Et cela s'avéra pas si faux que cela. Artane en fut surpris quelque secondes.

''Bien joué''dit-il en prenant le verre que lui tendait l'Elémentaire. Et il le but cul sec. La liqueur avait un goût enflammée dès qu'elle passa dans sa gorge.

''Costaud en terme de force ce liquide là ! Ca réchauffe le gosier, y a pas à dire. Bien joué, Professeur. Vous auriez usé du terme massé et pas peloté, je me serai pas trompé dans ma réponse. Bien, à mon tour. ''dit-il en posant le verre vidé de sa liqueur. ''J'aurai bien aimé voir votre plantureuse interlocutrice, ahah. Alors, j'ai fait l'étrange expérience d'être transformé en chat. C'était lors d'une mission à mener avec une commanditaire, qui tenait à ce qu'on la fasse sous forme de chat....plus facile pour entrer dans certains domaines privées. Marcher à quatre pattes et du plus naturellement possible, ca fait vraiment tout bizarre....''

Ca, c'était bien une histoire vraie, quand il avait dû accomplir une mission de voleur avec une certaine Osami, une transformiste assez puissante pour être capable de réduire un tiers à la forme d'un autre animal. Sereinement, il attrapa un des verres présents et s'amusa à imiter Beldurande, quand celui-ci avait pris le premier verre.

''Vrai ou faux ? ''demanda-t-il avec un petit sourire narquois ?

Beldurande regardait Donovan droit dans les yeux, attendant avec impatience la réponse de sa déduction. Le terme ‘peloter’ hmm? Il est vrai que ce n’est pas un mot qu’il avait l’habitude d’utiliser dans son vocabulaire sauf lorsqu’il perdait un peu de son sang froid, pour dire vrai c’était le mot qu’avait employé Eirina Lagakh lorsqu’elle avait perdu l’équilibre et que son sein avait atterri dans la paume du Professeur par inadvertance.

”Bien que tout ce que j’ai énoncé était effectivement la pure vérité, il se peut que j’ai volontairement omis certains détails essentiels au contexte. Non seulement ça s’est passé, mais ça m’est arrivé tout juste l’année dernière haha.”

L’Essence voulait continuer de distraire son invité en attendant que l’alcool prenne le relais, alors il écouta attentivement le Lieutenant Nordan pendant que celui ci décrivait ce qui s’apparentait à une ancienne mission. Avec un air d’assurance exagéré il retourna en face de sa cible, et décocha à nouveau la première fléchette en direction du mur. Tchac! 3 x 15, mieux! D’une oreille il mobilisait une fois de plus ses talents de sociologie devant l’Estien, mission, chat, transformisme… commanditaire… Il conserva la deuxième fléchette en main, la faisant tourner à hauteur de son visage entre son pouce et son index comme pour l’inspecter tandis qu’il réfléchissais et que son adversaire lui posait l’ultimatum du vrai ou faux. Plutôt que garder sa réflexion pour lui même, autant en faire profiter le convive:

”Eh bien, si mon anecdote semblait décalée par rapport à mon caractère habituel, c’est totalement l’inverse pour vous. Quelqu’un de votre profession et affiliation serait amené facilement à effectuer tout type de missions, aussi vos cicatrices, votre expérience et… votre rang -il avait chuchoté ce mot, n’oubliant pas les besoins de discrétion de son partenaire- me disent que vous auriez déjà participé à des aventures extravagantes.” Il fit légèrement sauter la fléchette en l’air, la rattrapant dans le creux de son poing serré avant de se retourner dramatiquement vers Nordan et d’avancer vers lui, le regardant à quelques centimètres de son visage les yeux dans les yeux. ”Cependant Donovan, vous avez fait une erreur cruciale dans votre énoncé. Il est probable que vous ayiez travaillé pour une commanditaire tierce, vous êtes mercenaire après tout, mais voilà vous avez surjoué en qualifiant votre expérience ‘d’étrange’. Hors je ne pense pas qu’avec votre vécu ce soit si hors du commun que cela, je pense même que c’est certainement quelque chose que vous auriez fait plusieurs fois. ” Le Professeur se redressa de toute sa taille, avant d’envoyer la fléchette dans sa main se noyer dans le prochain petit verre de liqueur. ”Faux.”

Lorsqu’Artane lui confirma pourtant le contraire, le regard du Professeur en quête de victoire se transforma en mine dépitée tandis qu’il descendit le canon. Une feinte odeur de canelle lui monta aux narines. Il regarda le verre presque déçu après l’avoir bu.

”Hum, parfumé mais le degré ne doit pas être très élevaaAAAAHHRGH!!!!” Le canon était en fait tellement fort qu’il avait anesthésié les papilles du Professeur et que ce n’est qu’en l’avalant qu’il se rendit compte de l’incandescence de sa gorge. ”WOUHOU Bordel! Argh ok” Il pointa le verre similaire sur le mètre de son partenaire. ”Celui là arrache. Mon tour de vous le faire goûter.”

Beldurande se rassit et pris une mine on ne peut plus sérieuse, il désirait faire planner une ambiance quasi-lugubre pour amplifier le contraste avec l’histoire qui allait suivre.

”Vers 1600 à la louche, il y avait un nain bien ronchon qui suivait les ordres de Sargas. Il méprisait très fortement son supérieur pour avoir employé le groupe de mercenaire dont je faisais parti. Il répétait à qui voulait l’entendre que c’était une honte pour l’armée du Mur blah blah blah, ce type était le genre de… hum, de personne fortement désagréable à sonner une fausse alarme à la levée du soleil juste pour faire lever les troupes plus rapidement. Autant dire que le malandrin n’était pas très apprécié par mon groupe, mais avait du moins le respect de ses frères. À cause de sa taille, il avait une selle spéciale pour pouvoir monter son canasson, alors un jour après un raid où on est revenu au camp en premier, avec deux de mes compagnons d’arme on a bazardé sa selle dans un talus, et le lendemain quand il fallait monter à cheval on était tordu de rire en le regardant rebondir à chaque pas de sa monture.” L’ Âme riait légèrement en racontant l’histoire, se rappelant bien de l’image du nain qui faisait des bas-en-haut au rythme du trot. ”Le jour d’après on lui a dit qu’on l’aiderait en lui faisant une nouvelle selle, en réalité on a englué le cuir, on a desserré la barde et on a piqué son cheval tout juste au moment où il s’en est rendu compte. La retenue sur salaire qu’on s’est tapé a bien valu le spectacle de le voir faire deux cents mètres scotché sous le cheval à l’envers hahaha.”

Il regarda le Lieutenant fixement, s'adossant dans sa chaise, les mains sur la table.
Vrai ou faux?

”Vrai? Ou Faux? Donovan?”

''Vous m'avez bien eu, je dois l'avouer.... Heureusement que je n'étais pas déguisé en femme alors lors de notre première rencontre. ''Il lâcha un léger rire. Lui déguiser en femme ? Ce serait drôle s'il en avait eu la capacité. Et encore, aurait-il été capable de rester sérieux, même dans une mission cruciale ? Il n'en était pas certain. ''Et j'ai déjà hâte d'entendre votre prochaine anecdote''reprit-il, observant toujours le professeur qui jouait avec ses fléchettes. Ainsi, il ne se perdrait pas à imaginer imaginer le Professeur en compagnie d'une plantureuse mercenaire et.... Non ! Quand il s'affirmait à lui même ne pas plonger dans ce genre de pensées et de divagations... Son premier verre devait commencer à lui monter au cerveau sans doute... tant mieux dans un sens... maispas pour penser de la sorte !

Bien, il était temps que son compagnon de beuverie trouve la vraie réponse à sa part d'histoire personnelle. Le Professeur avait pris le temps de bien réfléchir durant son nouveau lancer de fléchettes sur sa petite cible créée magiquement. Quand il apporta sa petite analyse sur l'histoire d'Artane, ce dernier eut un léger sourire amusé.

''L'approche est intéressante, Professeur et bien que je me sois retrouvé dans bien des situations extravagantes comme vous dites, me retrouver transformé en boule de poil fut une réelle première pour moi. Donc, vous êtes bon pour boire votre verre, mon ami. ''

Beldurande avait pris le canon, tout en se trouvant dépité quand à la fausseté de son raisonnement. Artane en profita pour rajouter une petite couche plaisantine.

''Les apparences peuvent être trompeuses. ''

N'était-ce pas ce qui s'était passé lors de leur première rencontre, avant qu'Artane découvre réellement ce qu'était la nature de l'objectif de sa mission ? Il chassa cela de son esprit. Il cherchait à oublier ce fait, ce n'était pas pour s'y replonger. Entretemps, le Professeur sut ''apprécier'' à sa juste valeur la décoction qui s'était retrouvée dans son verre.

''Au vue de ce que vous me décrivez, j'ai déjà hâte d'y goûter, il sera sans doute plus fort que le premier que j'ai ingurgité. ''dit-il en lorgnant déjà le canon jumeau de celui bu par l'Elémentaire.

Beldurande s'était assis, prenant cette fois un air plus sérieux que précédemment. Qu'est ce qu'il allait sortir cette fois ? Chose était qu'il arrivait à faire songer autre chose à Artane... ou presque. Ah ! Voilà, il commença à raconter sa nouvelle anecdote. L'humain l'écouta avec attention. Puis, face au regard scrutateur du Professeur, Artane se gratta quelques secondes le bout de son menton barbu.

''Dans un groupe soudée, la cohésion est telle qu'on se met tous d'un commun accord pour faire des farces. Mais faire cela à un supérieur... et qui plus était du Mur, je dirai que ce serait osé. Et étonnant de votre part, même si cela remonte à plus de trois siècles...''

Il ne rebondit pas sur le nom de Sargas.

''Vous qui êtes si sérieux, je pourrai dire que cela m'étonnes de vous... Donc, je dirai...''Il fit un large sourire. ''...que c'est vrai. Et que vous êtes bon à boire un nouveau verre. Je saurai ainsi ce qui m'attend pour les miens. ''

L'Estien regarda son mètre. Un seul verre de bu et d'autres d'autres à finir. Hum. Il lui faudra raconter quelques anecdotes véridiques s'il voulait se mettre une bonne dose. Et encore, vu la force du contenu de certains canons, il pourrait très bien sombrer avant d'avoir tout bu.

''Bien, à moi me semble-t-il. Moi aussi j'avais fait un sale coup à ma supérieure. Suite à quelques déboires en interne, j'étais tenu de rester à la caserne. Sauf que voilà, j'avais eu envie de boire au point de bien me soûler. J'étais donc parti en douce dans une taverne du coin et manque de bol pour moi, qui vois-je arriver ? Ma supérieure.... Elle ne s'était pas attendu à ce que je me fasse la malle. Deux soudards ont commencé à la harceler et cela commençait à dégénérer. Ne pouvant pas rester sans rien faire, j'ai sacrifié la bouteille que j'étais en train de siffler sur la tête d'un de ses deux harceleurs.... Puis elle sut les calmer et elle partit de la taverne. Moi entretemps, je m'étais planqué bêtement sous la table, totalement pété... et quelle surprise de la revoir rentrer... et bêtement moi j'étais toujours caché sous la table. Elle m'a tiré par une jambe et je vous dis pas la tête qu'elle a faite... et la soufflante que j'ai reçu....''Il ricana en revoyant sa mine cramoisie par la colère. ''J'avais passé un sale quart d'heure.. ''

Et un sale quart d'heures qui avait été que douceur en comparaison de ce qu'il avait pu subir avant de revenir au Mur. Il secoua sa tête pour chasser tout cela.

''Diantre mon premier verre me monte déjà au cerveau.....Alors mon cher ? Vrai ou faux ? ''

Oh ouah qu’est-ce que c’est que cette horreur se dit Beldurande, l’irritation dans sa gorge lui rappelait douloureusement le tord boyau qu’il venait d’avaler et il avait du mal à se concentrer. Il sentait déjà le mal de tête arriver au grand galop et il n’aimait pas trop la vitesse à laquelle ça se faisait. Enfin bon, il était temps pour Donovan d’émettre son avis.

Pour l’instant celui ci ne se contentait que de dire ce qu’il en pensait, ‘étonnant de sa part’, haha, il n’avait pas idée. Malheureusement l’emploi du conditionnel dans la phrase suivante confirma au Professeur que le Lieutenant croyais vraisemblablement à son anecdote, et il avait vu juste.

”Oui figurez vous qu’avant d’être le Professeur raisonnable et calme, j’étais une fière tête brûlée et aux antipodes complets de ce que je suis aujourd’hui. Je me dois par contre de vous corriger, les Doménéris étaient loin d’être soudés, la seule raison pour laquelle on se couvrait les uns les autres était parce que nous avions tous peur du Maître de la troupe. C’était un homme terrible. Hormis la survie mutuelle, on passait notre temps à se détester et à se tirer dans les pattes. Enfin je suppose qu’on était soudé à notre manière…”

Beldurande se redressa sur sa chaise et tandis qu’il écoutait l’Estien, il faisait tournoyer la dernière fléchette comme une toupie sur la table en lui donnant une impulsion avec les deux pouces. Il n’eut aucune réaction pendant l’audition de Nordan, et quand celui ci eut complètement fini, le Professeur releva la tête, scruta le visage du Lieutenant à la recherche d’un indice, d’un quelconque rictus mal placé, quelque chose qui trahirais un jeu d’acteur, mais non tout semblait sincère.

L’Essence pencha la tête en arrière et éclata de rire d’une légèreté contagieuse, il tentait de dire au travers de son fou-rire:

”Iiiihhi vous, vous vous faites la malle pour aller boire, oh ho ho et là vous me racontez que… que ouuuh, oh que la seule chose qui vous convainc plus que l’alcool… hhhhHHHHA HA HA, oh je pleure, que la seule chose qui vous convainc plus que l’alcool c’est de prendre la défense d’une, d’une demoiselle quand bien même c’est la supérieure dont vous tentez de vous planquer. Ah ha ha ha”

Le Professeur tenta de reprendre son calme, il joignit les mains à plat juste sous son nez, prit une profonde inspiration mais quand il rouvrit les yeux et croisa le regard d’Artane, il ne put s’empêcher de repartir de plus belle.

”AH HA HA NON C’EST TROP! J’EN PEUX PLUS HI HI HIIII. Aaaah, ooouh ouh c’est vrai Donovan, c’est vrai.” Il sécha la larme de rire naissante au creux de son oeil en amande le plus à droite et regarda Donovan. ”Par contre je dois vous le dire, si c’est faux, vous êtes encore meilleur acteur que ce que je pensais!”

Il regarda Artane se préparer avec anticipation à vider le même verre que celui qui avait dérouillé l’Essence et le boire avec précipitation. Pendant qu’il encaissait l’impact costaud que la boisson représentait, Beldurande se mit à rapidement réfléchir à sa prochaine histoire. Jusque là ils avaient tout deux uniquement raconté de vraies anecdotes, l’Erreur du Parieur est un biais cognitif de réflexion qui énonce que plus un résultat tombe, moins il a de chance de tomber ensuite. Bien que faux, il est justement fondé quand la probabilité implique un atama comme facteur déterminant. Il devait donc raconter quelque chose de vrai s’il voulait avoir une faible chance supplémentaire de gagner mais il devait l’étoffer pour lui donner un air de faux, il avait été avare en détail auparavant donc il allait changer de style pour troubler son adversaire. Il en rajouta une couche en posant les fléchettes sur la table et en accompagnant ses paroles de ses mains comme s’il cherchait à véritablement convaincre son interlocuteur.

”En Augustus 97, je devais me rendre à Ikhyld pour rencontrer le ministre de l’éducation afin de former un partenariat pour mon École. J’ai traversé Brunante et j’ai atteint la côte et j’ai loué un bateau à ce marin qui avait une tronche de vieux loup de mer bien rodé par les années. Lui il m’avait garanti que la météo serait clémente et qu’on pourrait embarquer tout de suite, et la journée où je l’ai croisé c’était d’ailleurs le cas. Seulement voilà quand on a mit le large et qu’on était déjà à presque deux jours de navigation, on s’est fait prendre dans une tempête colossale, le bateau a fait naufrage et j’ai été le seul survivant. J’ai été recueilli sur un bateau de la flotte Ikhyldienne comme rescapé, sauf que le navire était en mission pour anéantir des pirates, j’ai fait mer avec eux, et une fois arrivé au bastion naval des pirates j’ai demandé à la flotte de me débarquer, j’ai négocié avec les flibustiers le retrait de leur activité des eaux de l'Empire en échange de leur survie ainsi qu'un statut de mercenaire et aujourd’hui si vous prononcez mon nom à Esperanza il n’est pas impossible que des corsaires Ikhyldiens vous doivent une faveur.”

Il avait à nouveau omit quelques détails importants mais les petites précisions qu'il avait rajouté ça et là devaient faire l'affaire. Il marqua une pause pour appuyer le coup tout en scrutant Donovan comme un menteur qui chercherait à savoir si son histoire a prit ou pas. Ce petit regard soutenu était délicat à poser puisque maintenu trop longtemps il serait évidemment faux, mais tenu trop court il n’aurait pas l’effet escompté, Beldurande espérait avoir convaincu son adversaire qu’il mentait.

”Donovan...” Il ramassa ses fléchettes, et les transforma en une version miniature d’un sabre cimeterre en même temps qu’il fit pousser un cache-oeil sur ses deux pupilles gauche, brandissant le sabre contre sa propre mâchoire il fit ”Suis-je vraiment un pirate dans l’âme? Vrai ou faux? Yarrrgh!”

Artane ne pouvait qu'acquiescer quand à la précision de son partenaire de jeu alcoolisée sur la cohésion de groupe. Il était resté sommaire, mais il y avait aussi des revers cachés quand à la franche canarderie au sein d'un groupe armé. N'empêche, apprendre que le Professeur avait eu ce côté un peu farceur pour se venger avait de quoi le faire sourire intérieurement. Les apparences étaient là aussi trompeuses. Mais revenons au jeu.

Beldurande avait écouté la petite histoire de l'Estien, gardant un instant le silence quand Artane eut fini. Cherchait-il un indice sur la véracité de son histoire ? Il fallait avouer le côté cocasse d'un officier cherchant à fuir son supérieur, en étant totalement éméché. Puis soudain, Beldurande jeta presque sa tête en arrière avant de libérer un immense fou rire. L'humain ne s'était pas attendu à le voir se lâcher de la sorte et ne manqua pas de glousser à son tour. Pris dans l'effet contagieux du rire, il se rappelait encore que trop bien le visage d'Irina. Il regarda le Professeur, qui essaya de reprendre la maîtrise de son sérieux. Mais visiblement, il n'y arriva et repartit dans un autre fou rire, réussissant à placer sa réponse quand au vrai du faux de cette histoire.

''Oh, je pensais vous avoir fait la démonstration de mes talents de comédien lors de notre rencontre à votre Ecole''''Dit-il faussement dépité, avant de sourire pleinement. ''C'est effectivement vrai. Et je suis heureux de vous avoir fait bien marrer. Ca donne un nouvel aspect de votre personnalité qui ne vous que plus appréciable en terme de compagnon de beuverie.

Le verre en main, Artane le but d'une traite, après s'être préparé mentalement à l'effet brûlant du breuvage. Et aussitôt, il sentit comme un volcan en gorge, lui brûler l'intérieur comme jamais auparavant. Il ne manqua pas de tousser, tout en devenant rouge quelques secondes.

''Diantre...''Il toussa encore, haletant par à coup, le temps que l'effet lave de l'alcool termine de passer. Il en avait les yeux larmoyants. ''Bordel ! C'est du décapant akkatonien ce truc.... Vous êtes sûr que votre ami le tenancier ne s'est pas trompé de bouteille ? Il cligna plusieurs fois les yeux, sentant déjà la force du liquide l'envahir. Costaud la boisson.... Une bouteille de ça et il sombrerait directement dans un profond coma éthylique. Bon, s'il écoutait la nouvelle histoire hypothétiquement vraie de l'Elémentaire ?

Beldurande raconta donc une nouvelle trame possible de sa vie. Artane parut sceptique, essayant de demeurer concentré malgré l'alcool ingéré qui commençait à lui faire tourner littéralement le cerveau comme le sol. Et à voir après Beldurande revêtir quelques artifices pour se rendre le moins crédible possible, le Lieutenant réfléchit comme il put. Le Professeur était doué et là il cherchait clairement à le duper. Bon, en même temps, il avait une chance sur deux de réussir

''Non, mais là, c'est trop gros.... en plus vous tendez la perche. C'est faux. ''

Ah.... Finalement, Beldurande ne mentait pas. Ah ! Il avait bien eu. En même temps, il devenait difficile de raisonner correctement avec un esprit de plus en plus embrouillé. Artane attrapa alors le verre suivant, contenant un étrange liquide bleu saphir. Il le huma, et le but d'une traite. Il claqua de la langue quand la saveur explosa ses papilles gustatives.

''Celui là est douceâtre. Il est très liquoreux. Il y a un goût assez fruité, mais je n'arrive pas à définir ce que c'est... par contre, c'est traître.... ouhhhh''

Le sucre dissimulait la haute teneur alcoolisée du liquide ingéré. La tête lui tournait un peu plus. D'ordinaire, il tenait assez bien l'alcool, mais en plus du mélange, il avait ingéré des contenus assez... costauds... Son esprit se rappelait de ce genre de sensations, mais dans des conditions plus sordides. Il serra les dents et fixa quelques secondes la table. Ce n'était vraiment pas le moment de resombrer dans ces souvenirs. Les chasser ? Ils reviendront.... peut être pourrait-il les congédier en en causant, sans réellement rentrer dans les détails ? Et vu la teneur du jeu, cela s'y prêtait bien. Et quitte à jouer un peu le comédien comme Beldurande....

''Y a quelques années, je me suis retrouvé dans une sale situation''Commença-t-il de manière lugubre. ''Il faisait nuit, il faisait noir... Il faisait terrifiant. L'humidité environnante était pestilentielle à un point que même les rats ne traînaient pas dans le secteur. J'étais seul, face à un adversaire qui cherchait à me briser. La lutte avait été acharnée, face à ses vils mots, et ses suaves promesses. Son âme noire ne sut pas déchirer la mienne, même s'il avait pu manquer d'y arriver plusieurs fois. Je suis lui tenir tête, jusqu'à ce que cela soit lui qui décida de retourner dans les ombres et les ténèbres d'où ils étaient venus. J'ai pu lui échapper ! ''

Un vrai début de conte de ménestrel ! Et il paraissait un poil soulagé d'avoir narré cette partie venue le hanter. Bon, il n'était pas entrer dans les détails et à juste raison. Le dos de sa main gauche gantée le démangeait pour le coup, retour amère de cette réalité passée et surtout subie. Avec un large sourire, il chassa cette sale sensation qui lui rappelait la morsure brûlante du fer rouge et regarda Beldurande dans les yeux.

''En plus d'être assez bon comédien, est ce que je fais un conteur passable ? Vrai ? Ou faux ? ''

Le Professeur scrutait le visage de Donovan avec une malice déguisée, il avait dit faux, il avait dit faux! Il craqua un large sourire, planta son sabre factice dans le bois de la table et arracha son cache-oeil improvisé d’une main avant de révéler:

”C’est vrai! Mille sabord moussaillon, Beldurande d’Élusie la Barbe Verte est un vrai dur de dur!” Il rit tandis qu’il retransmuta la petite arme en fléchettes. ”Pour être franc, j’ai eu plus de mal à convaincre l’amiral d’Ikhyld que les pirates, et les termes du contrat comportait des clauses plus salées encore que ce que je vous ai rapporté. En tout cas, buvez!”

L’Essence regarda son partenaire vider un verre bleu saphire en robe similaire à de la liqueur de curaçao, un fruit assez populaire dans le plan élémentaire de la Terre que Beldurande avait pu goûter plus jeune, et vu la description qu’il en faisait c’est effectivement ce que ça avait l’air d’être, ou plutôt un mélange entre crème et eau-de-vie étant donné que la liqueur ne devait pas être suffisante pour être qualifiée de ‘traître’ par un buveur chevronné comme le Lieutenant. Il aurait bien l’occasion d’y goûter pour en déterminer le goût lui-même par la suite du jeu, mais ça ça viendrait naturellement avec la progression de la soirée.

Beldurande se releva pour retourner en face de sa cible, et fit quelques lancer pendant que Donovan semblait accuser le coup de ses canons successifs. Il surveillait quand même l’évolution de l’état de son partenaire, même si ils étaient là pour s’amuser et prendre un peu de bon temps, il ne devait pas oublier que le Lieutenant accusait le coup bien moins que lui-même. Du coin de l’oeil il l’observait rester là, silencieux pendant quelques instants, difficile de juger s’il était plongé dans des pensées négatives ou s’il réfléchissait à la prochaine anecdote qu’il allait raconter.

Alors que le Professeur s’apprêtait à tirer sa dernière fléchette, Donovan prit la parole et son discours interpella Beldurande. Forcément l’introduction appelait déjà son attention en mentionnant une “sale situation” mais à nouveau c’était certainement au menu du quotidien des soldats d’Eïlynster, par contre c’est le reste de l’anecdote qui sonnait plus alarmant. Le fait que le choix des mots employés était vague et plutôt cryptique pouvait signifier deux choses, ou bien son partenaire essayait de l’induire en erreur en laissant sous-entendre quelque chose de plus lugubre que la réalité mais dans ce cas il serait amené à dire que c’était vrai puisqu’il y aurait peu d’intérêt à mentir… ou bien c’était une demie-confidence auquel cas il souhaitait rester vague par volonté de se préserver de ces mauvais souvenirs. Dans les deux cas Beldurande voyait peu d’intérêt de raconter quelque chose d’aussi vague et imprécis si c’était faux, et avec le taux d’alcoolémie présent dans les veines de son adversaire il ne le pensait plus capable d’autant de filouterie à ce stade, surtout que Donovan ne semblait pas du genre à vouloir gagner par principe du jeu. Maintenant le gros du dilemme se posait devant le Professeur: répondre vrai ou faux.

Il tâtait la fléchette dans sa main, suspendu dans son geste de lancer tandis qu’il réfléchissait le plus vite possible pour ne pas créer de silence trop long au risque de rendre le Lieutenant inconfortable. Dans l’éventualité où celui ci se délestait d’un moment douloureux de sa vie il craignait en répondant vrai de stigmatiser le soldat en faisant croire qu’une telle épreuve se voyait dans sa personnalité comme les cicatrices sur son visage.

”Euh…”

Répondre faux cependant ce serait potentiellement le mettre mal à l’aise en laissant sous-entendre que Beldurande ne désirait pas croire à cette histoire et refuser qu’elle existait.

”Huh ahem.”

Tchac. En dehors.

Et de toute façon si la forme semblait déjà mystérieuse, l’interprétation du fond était tout aussi lugubre, l’humidité, le noir, un adversaire qui cherche à briser, des mots, des promesses. En considérant la deuxième partie de l’anecdote ça ne faisait pas beaucoup plus de sens, Donovan avait spécifié que c’est son adversaire qui était parti après avoir abandonné, donc il ne s’était pas échappé, il n’avait pas vaincu, il avait simplement résisté. Dans ce cas son ennemi devait avoir une contrainte de temps, ou un avantage autre qui justifiait qu’il s’en aille. Ça pouvait désigner un mage des ténèbres, de l’âme ou… un bourreau de torture. La torture était fort possible et ça collait bien, mais Beldurande savait aussi qu’il y avait nombre de scénario auquel il n’aurait tout simplement pas idée qui pourraient coller. Il décida de prendre la solution qui selon lui serait la plus délicate, il revint vers la table, et sans se rasseoir décolla un verre de son mètre, le tendit vers le Lieutenant et dit:

”Il est vrai… que vous faites un formidable conteur. Que cette histoire soit véridique ou non, pourquoi ne boirions nous pas ensemble à… à ceux qui ont un jour fait face à telle situation?”

C’était une solution de demie-mesure, mais c’était aussi la plus prudente. Il vida le verre bleuté d’une traite, et effectivement la saveur citrus-agrume de la liqueur rappelait celle du citron mais nettement plus sucrée. Curaçao bleu. Il embrassa le ton plus sérieux qui semblait s’installer et finit de jouer avec ses fléchettes, il les posa sur la table et se rassit en face de Donovan.

”Quand j’ai rejoins les Doménéris j’avais déjà une trentaine d’année d’expérience de mercenariat derrière moi, je me pensais sans-mercie. Je me suis vite rendu compte que ce n’était pas le cas en comparaison des autres membres.” Il prit un instant pour déglutir. Le souvenir était pénible. ”La Sorcelière du groupe, une femme dont j’ai oublié le nom, n’avait d’égal à ses talents de magie que la froideur de son caractère. Même au sein du groupe elle semblait tout à fait isolée et n’adressait la parole que pour le stricte nécessaire. Un jour… on avait ces enfants en otage, on était supposé les garder en ranson contre des informations sur les mouvements militaires de Teïder ou quelque chose dans le genre… Quand il était devenu apparent que le gradé adverse ne procèderait pas à l’échange et qu’il sacrifiait ses propres filles… on ne savait pas trop quoi en faire… le lendemain la Sorcelière est revenue de la cabane où on les gardait, et a dit qu’elle avait réglé le problème… On a levé le camp et ils sont tous parti sans se poser de question, mais moi je suis allé voir par curiosité… Ils étaient encore en vivant, à peine, mais vivant. Je ne sais pas comment la Sorcelière pouvait encore se regarder dans une glace après ça mais chose sûre était que même si ces gosses y avaient survécu ils n’auraient plus jamais rien vu de leur vie. J’étais si choqué que j’ai juste refermé la porte et je suis parti. Aujourd’hui je m’en veux toujours de ne pas avoir abrégé leurs souffrances.”

Au lieu de demander au Lieutenant de départager le vrai du faux, Beldurande ramassa un énième verre sur le mètre et d’un signe de trinque, il invita Donovan à en faire de même.

Artane ne fut même pas étonné du silence qui s'était installé dans la pièce, après sa vague narration. Peut être que cela n'avait pas été une si bonne idée que cela de songer seul à délester son âme meurtrie en racontant bassement ce qui le dévorait parfois quand cela remontait à la surface. Mais après tout, le moment s'y prêtait quelque peu non ? Y avait de l'alcool, il était avec le Professeur, qui avait connu bien des batailles avec le Mur... et même s'il jouait aux fléchettes pour s'occuper les mains, il écoutait. Peut être que l'Estien aurait du lui demander son avis avant de déroger un peu aux règles du jeu ? Oh et puis, c'était fait.... Et avec l'alcool qui devait sans nul doute remplacer la moitié de son sang, avec tout ce qu'il avait ingéré. D'ailleurs, il se sentait de plus en plus flottant, comme se faisant envelopper dans le brouillard, avec le monde qui commençait à tanguer.

*Diantre... je déblatère de trop je crois. *

Il redevint un peu plus attentif quand Beldurande s'était rapproché de la table, privilégiant une position debout. S'il avait visé à attirer l'attention sur lui, c'était réussi. Artane se frotta un instant les yeux pour voir moins flou et attrapa à son tour son verre sur son mètre, prenant un canon rouge cerise, presque machinalement. De savoir de la part de la bouche de l'Elémentaire si sa sombre petite narration était véridique ou pas paraissait être passé à la trappe de l'oubli.

"A eux ! Clama-t-il dans une voix à moitié enroué par l'enivrement qui montait un peu trop vite à son goût pour réussir à le juguler. Et il but d'une traite le verre. Cette fois, la boisson était plus douceâtre. Il reconnut immédiatement le goût sucré du kirsch, avec une petite note de framboise, expliquant la robe écarlate du liquide. Il posa le verre sur la table, avec un manque de délicatesse évidente.

Beldurande avait repris sa place assise, après avoir posé ses fléchettes. A son tour, il narra une anecdote. On n'était plus dans le vrai ou le faux désormais. Le Professeur avait bien compris que la pente s'était raidi dans l'esprit de l'humain. Ce fut à son tour de narrer un souvenir pénible, mais lui, ne jouait pas dans le flou. Artane l'écouta, tout en se sentir honteux d'avoir été aussi lâche à cacher la réelle profondeur de ce qui le rongeait des fois. Beldurande avait plus de tripes lui... Il serra les dents. La situation dans laquelle le Professeur s'était retrouvé était elle aussi lourde de culpabilité et de souffrance.

''Moi je dis.... ce n'est pas de votre faute... la faute à Teïder... A ces fils de chiens qui envoient leurs enfants sur le front comme bouclier, qui attendent qu'on les tue pour les dresser en martyr.....ou de les ramasser à moitié mourants pour porter en idolâtrie leurs souffrances... à leur religion abjecte ! ''

Il serra les poings cette fois, tout en fermant les yeux. Comment une telle nation pouvait encore exister ! Il sentit son coeur battre lourdement dans sa poitrine à s'en sentir nauséeux. Le taux d'alcoolémie devait le faire morfler... Déjà ? Ah oui... avec ce qu'il avait ingéré de fort en même temps... Bon, il en était où lui ? Ah oui, le verre à lever.

Il attrapa un énième verre, le leva vers Beldurande.

''A vous... Professeur. Redoutable lanceur de fléchette, pirate, mercenaire et.... euh....''

C'était quoi déjà le terme déjà.

''et... un vrai pote de beuverie !''

Et hop, il ingéra cet énième canon, n'arrivant plus cette fois à déterminer le goût du breuvage, sauf que c'était là aussi, sacrément costaud à boire.

''Ah... mais j'allais oublier...vrai ou faux... ''Il posa maladroitement son verre sur la table, manquant d'en bousculer deux de vidés de tantôt. Cela fait, il commença à retirer le gant de sa main gauche.

''Vous, Professeur... z'êtes plus courageux que moi...ca c'est certain. Moi je fuis... ''

Il savait qu'il perdait en cohérence. Mais tant pis... il était bourré après tout. Il peina à retirer son gant de cuir noir. Diantre, il allait réussir à le retirer oui ? Il essaya de se mettre debout pour trouver une meilleure posture dans sa pathétique lutte. Le sol se mit violemment à tanguer et il se sentit tomber. Là, pour se vautrer comme un ivrogne, là, c'était réussi. Il se retrouva stupidement sur le dos, la chaise en vrac sur une de ses jambes.

''Bordel.....''grommela-t-il d'une voix de plus en plus pâteuse. Bon, au moins, avait-il réussi à retirer son gant noir, révélant une vieille cicatrice brûlée, dessinant sur le dos de sa main gauche une tête en forme de croix. ''J'espère que le doc....a un bon médoc... contre la gueule de bois....''

[b]

Huh, les fils de chiens qui envoient leurs enfants oui… Le Professeur s’était bien gardé de préciser que c’était les Doménéris qui étaient allé chercher ces gosses dans le village natal du gradé en question. Il avait déjà eu le luxe de culpabiliser depuis quatre siècles, il n’avait pas besoin d’enfoncer cette porte ouverte plus que ça. Il trinqua avec le Lieutenant et leva son verre, Donovan avait lui aussi visiblement laissé tomber le jeu au profit d’un moment plus sincère et ça lui allait très bien également. Pourtant d’un coup Beldurande se senti mal, merde, ça devait être les mélanges d’alcool fort qui venaient de faire effet…

Redoutable lanceur de fléchette?

”Champion de Liomaida!”

Pirate?

”Yarrrgh!”

Mercenaire?

Il se passait de commentaire sur celui là…
et un vrai pote de beuverie, héhé à l’inverse du reste, ça au moins c’était réellement dans ses cordes, et hop il vida son verre d’alcool rouge rosé, tout juste plus translucide que du vin, en en renversant maladroitement un petit peu sur le côté de sa bouche au passage. Outre la brûlure caractéristique de l’eau-de-vie, ça avait un goût fruité, comme de la cerise ou un autre fruit rouge que le Professeur n’avait jamais essayé. Pas mal, il aimait bien. Ce qu’il aimait moins c’était sa vision qui commençait à devenir de plus en plus vague et dansante, et il restait encore près de quatre ou cinq verres pour chacuns. Il n’y voyait plus tout à fait clair, littéralement et figurativement. Beldurande restait assis sur sa chaise après avoir trinqué, regardant avec amusement Donovan maugréer et faire valdinguer les verres vides sur la table.

”Héhé, vous êtes plutôt chargé là, jeuh crois bien que je commence aussi à-aaaa… … à l’être.”

Difficile de se concentrer sur ce que Donovan racontait mais Beldurande savait que le problème de communication était à double sens, parce qu’autant lui avait du mal à garder son attention sur les lèvres de l’estien, autant le peu de bribe dont il parvenait à faire sens était plus ou moins cohérent.
Il se sentait un peu fatigué, les jambes ankylosées fichées de part et d’autre de sa chaise et le dos avachi sur la table en s’appuyant sur ses coudes. Il s’entendait glousser doucement ce qui le faisait lui même rire et donc glousser un peu plus, le Lieutenant qui se dépatouillait avec son gant ajoutant à la drôlerie de la scène.

”Hééé héééhé, hé HÉE HEEEY VOUS TOMBEEEEZ”

Et paf! Nordan finissait les quatre fers en l’air, empêtré dans sa chaise et couché sur le sol! Cette vue rappela momentanément le Professeur à l’ordre et l’archimage utilisa la purification de toxine sur lui même pour se retirer une partie des effets des boissons successives, il ne demeurait plus qu’un léger bourdonnement plaisant et la sensation de légèreté mais il pouvait de nouveau raisonner correctement. Il aurait été dommage de se purger complètement et de gâcher l’effet de si bons breuvages après tout, par contre en ce qui concernait son partenaire, c’était une autre paire de manches. Le Lieutenant semblait complètement rond et il ne s’était toujours pas relevé tandis que Bel se tenait maintenant accroupi à côté de lui pour juger de son état, il ne pouvait clairement pas le laisser là, et ils n’étaient qu’à une dizaine de minutes de marches de l’École alors il allait probablement le ramener là bas. L’estien était justement venu pour oublier alors il aurait été cruel de le retirer des bras de l’éther en le purgeant!
Pendant qu’il réfléchissait, Donovan réussit enfin à retirer son gant de sa main, et lorsque Beldurande vit ce que le soldat voulait lui montrer, son sang se glaça. La dernière fois qu’il avait vu cette marque, c’était sur la main du Maître des Doménéris, et il ne savait que trop bien ce que ça voulait dire…

”Merde… Donovan je suis dé… Donovan?” Il n’eut en réponse qu’un simple murmure. ”Oh.”

Il passa le bras droit de l’estien autour de sa nuque et en posant un genou à terre, prit appui pour le soulever, c’était déjà plus de sport qu’il n’en avait fait depuis un moment! Au final il dissipa amèrement les effets restants de l’alcool en lui-même pour bénéficier de toutes ses forces, le bougre pesait son poids de muscle.

”Aller on va rentrer maintenant d’accord?” Il chuchotait presque pour ne pas le déranger mais c’était comme parler à un mur, un mur déjà bien endormi.

Beldurande fit sursauter le soldat pour assurer sa prise sur lui et commença à marcher vers la porte, mais au dernier moment il entendit des éclats de voix venant de l’escalier qui menait à la salle de l’étage… Ah oui la fameuse troupe de merco qui avaient privatisé l’endroit hein… Attends, il reconnaissait une des deux voix par contre, c’était Bartah, la serveuse de Guilloh. Il fit alors demi-tour pour s’engager sur la première marche de l’escalier et essayer de glaner un peu de la dispute…

”Arrêtez! Vous me faites mal lâchez moi! Putain J’AI DIT LÂCHE MOI GROS PORC”

Merde.

D’un coup la porte à l’étage s’ouvrit, Beldurande se planqua contre le mur et espionna subrepticement la scène devant lui, Bartah vint rouler dans les escaliers s’écraser contre le mur du palier tandis qu’un homme costaud comme une armoire à glace descendait les marches en rigolant… Le dessin semblait assez explicite. Bordel, il ne pouvait pas partir comme ça, il l’aimait bien en plus cette gamine, enfin elle devait avoir 23 ans mais c’était un bambin pour l’Essence, elle était toujours très sympa alors qu’elle cumulait deux travails, apprentie maîtresse-d’oeuvre dans un restaurant le jour, serveuse ici le soir. Elle n’avait pas un enfant? Il ne s’en rappelait plus. Le gémissement du Lieutenant à son épaule le ramena à la réalité.

”Je ne suis pas doc, mais j’ai un bon remède ça oui… Je suis désolé Donovan c’est un parfait gâchis de boisson…”

Il s’apprêtait à purger l’estien mais juste avant il se ravisa, remit en place le gant de celui-ci sur sa main gauche et procéda seulement après à le revigorer.

”La seule chose qui le convainc plus que l’alcool hein…” murmura-t’il entre ses dents tout en purgeant Nordan.

Artane aurait sans doute bien rigolé en voyant la mine du Professeur avant qu'il ne se vautre par terre, totalement imbibé par l'alcool lui aussi. Mais ce fut malheureusement pas le cas. Bien qu'imprégné par une haute charge massive éthylique, quand l'Estien s'était fixé quelque chose en tête, il le faisait toujours. Après avoir retiré son gant, il sombrait déjà dans les brumes du sommeil d'ivrogne. Il avait eu le temps de voir la silhouette massive de Beldurande accroupi à côté de lui avant que cela soit rideaux noirs sur sa vision. Avait-il entendu sa voix par après ? Il ne saurait le dire. Là, il était parti.  Ne plus penser à rien, couler dans les ténèbres pour échapper aux tourments qui le rongeaient....Voilà, c'était fait.

Peut être sentira-t-il de manière très lointaine qu'on l'aidait à se remettre debout, n'étant guère qu'une grande marionnette de chair dépourvue de toute volonté pour demeurer  sur ses deux jambes. Quelqu'un lui parla même, mais vu qu'il était en train de brasser ailleurs.... Un sursaut fit protester son estomac, malmené par la forte dose éthylique. Est ce que l'humain avait rendre son contenu maintenant ? Ah non, le corps de l'Estien réussit à compenser, épargnant l'Elémentaire d'un rejet stomacal... Peut être plus tard sur le trajet du retour... De toute façon, pourquoi s'en préoccuper... il était ailleurs.

Ailleurs à flotter dans les brumes, noyé par la bonne charge ingérée en peu de temps...Même si cela avait provoqué la réémergence d'un sale passage, l'humain n'était plus vraiment là, plongé dans les bras éthylique d'un sommeil sans réel repos. Pouvait-on parler réellement parler de sommeil quand l'esprit, pour protéger toute la mécanique humaine, appuyait sur une forme de sureté, imposant un genre de black out ? C'était ce que recherchait Artane, quand il voulait oublier... mais il ne resterait pas dans les vapes de l'oubli bien longtemps

Son oreille avait capté le raffut provoqué par des rires, des beuglantes...de quelqu'un chutant dans les escaliers. Pourquoi s'en soucier....Pourtant, il avait l'impression de sentir ses muscles se tendre. Même totalement torché, on ne changeait pas ce qu'on était au plus profond de soi, n'est ce pas ? Mais vu qu'il était en mode naufrage éthylique...

Il ne le demeura pas longtemps... La purge de Beldurande était d'une efficacité sans pareille. Artane fut tiré de ses abîmes. Il rouvrit les yeux, se demandant ce qui se tramait et voyant l'Elémentaire à côté de lui, il se contenta de marmonner :

''Que....''

Sa question n'avait pas été plus loin quand ses yeux se levèrent vers les escaliers, attirés par les pas lourds qui faisait grincer les marche des escaliers. Son cerveau vidé de toute pollution éthylique analysa déjà la situation. Là-haut, dans la pièce privé, y avait des merco.... Là, sur le palier, une malheureuse jeune femme qui était encore étourdie de sa chute dans les escaliers... et plus haut un gugusse ricanant......

Le Lieutenant n'eut qu'à faire quelques pas pour se montrer au yeux du soudard, se tenant pas loin de la table où il avait cherché à se mettre une bonne biture avec le Professeur.

''Et toi ! Là haut ! ''interpela-t-il

Il avait décalé sa main droite vers les fléchettes qui n'avaient pas été trop éparpillé dans sa gestuelle erratique de toute à l'heure. Il darda sur l'homme un regard glacial. Mais il lui offrit un sourire provocateur, guettant déjà sa réaction. Il avait juste besoin d'un tout petit délai pour incanter.

Une des fléchettes de Beldurande s'envola dans les airs pour filer aussitôt en direction du merco, s'arrêtant juste sous son nez.

''Ca te tend une petite partie toi et moi ? Que je te troue le cuir ? Je demande, car tu ne dois pas valoir grand chose pour t'en prendre à plus faible que toi.... ''

Et dire qu'il avait espéré terminer la nuit noyé dans l'alcool... cela n'aura pas duré bien longtemps.

''Professeur, savez-vous récupérer la fillette ? ''Demanda-t-il en tournant légèrement son regard vers l'Elementaire. ''Je crois qu'on a pas fini de jouer ce soir....''Puis il regarda le merco avec un large sourire provocateur. ''Bon, le gros.... je t'attends dehors ou tu préfères goûter à la fléchette ? Je peux être bon prince aussi et te laisser retourner dans ton petit salon privé pour terminer de faire la bringue avec tes potes..... ''

Il ne doutait pas un seul instant que les autres membres du groupe de mercenaires allaient se rameuter. Même à l'idée de se retrouver en infériorité numérique, il n'en perdait pas le sourire.....Une beuverie, un début de coma éthylique et maintenant une bonne bagarre... Que de mieux pour terminer cette journée !

Spoiler:

Dès qu’il sentit le poids de Donovan se retirer de son épaule, Bel lâcha son bras droit et se redressa, il regarda l’estien être rappelé à la raison sans protester et se concentrer immédiatement sur le problème en face de lui. Dans le fond c’était un peu triste pour l’Essence, il y voyait clairement les réflexes instinctives du militaire surentraîné, ou alors -et ça le Professeur préférait à le croire- c’était plutôt le radar du Lieutenant qui sentait une femme en détresse et mobilisait son cerveau ingénieux à sa rescousse. Il vit Donovan faire quelques pas en direction de la table et tendre la main vers les fléchettes qu’il avait posé dessus, mais à sa grande surprise, au lieu de les prendre pour les utiliser de manière traditionnelle il ne fit que tendre sa main vers elles et cela suffit pour en envoyer une direction du merco qui se tenait en haut de la cage d’escalier. De la magie, l’estien avait plus d’un tour dans son sac héhé, par contre c’était trop précis pour être de la télékinésie de terre, donc… vent? Le Professeur esquissa un sourire amusé, cocasse que son camarade maîtrise l’élément opposé au sien, et en plus il semblait bien remonté.

”Je l’ai Donovan.”

Revenant sur Bartah qui était couchée au sol et à moitié accoudée sur la première marche, il la releva et profita du contact avec sa peau pour soigner rapidement ses blessures, le drain de magie cessant presque immédiatement Beldurande en conclut qu’elle n’avait rien de cassé, seulement quelques ecchymoses.

”Mo… Monsieur?”

”Ça va aller petite, va voir Guigui et…” Il haussa perceptiblement la voix pour que Nordan puisse l’entendre et adressa un regard complice avec lui. ”Dit lui qu’il a des cafards dans l’arrière boutique, c’est intolérable qu’on doivent faire le ménage nous-même.”

Le type grommela dans sa barbe de manière inintelligible, visiblement lui aussi avait passé la soirée à boire. Si Beldurande n’avait pas son bâton de mage avec lui, il savait tout de même très bien faire sans. Un signe d'acquiescement de la part du soldat l’informa qu’il étaient sur la même longueur d’onde et le Professeur monta les marches calmement une par une, arrivant à hauteur du merco même avec deux marches de moins. Derrière le grand gaillard il voyait un petit groupe composé de deux hommes et un elfes, et du bruit de musique et des rires indiquait la présence du reste de la troupe derrière eux. Visiblement ils devaient être une quinzaine.Ils possédaient un désavantage numérique conséquent mais ils avaient tout de même le choix des armes, il pouvait désamorcer la situation tout de suite par l’intimidation en mentionnant la présence d’une caserne de milice à trois cents mètres d’ici, ils pouvaient tous se les faire avec l’aide du Lieutenant en les prenant tour à tour dans le goulot d’étranglement de la cage d’escalier et nullifier l’impact du nombre, ou ils pouvaient aller régler leur différent dehors avec seulement ces quatre là.

”Casse toi la plante verte, ça t'regarde pas.” L'armoire à glace avait prit la parole en premier.

”-Les gars y'a un arbre qui parle... Pincez moi j'ai trop bu...” L'elfe avait les joues rouges et semblait clairement être le plus rond des trois, la dague nue dans le ceinturon à sa hanche n'inquiéterait pas trop Beldurande.

”-Mon vieux était bûcheron, il a dû abattre ton frère héhaha” L'un des deux hommes en retrait, il avait l'air encore suffisamment sobre pour réfléchir et Bel ne voyait aucune arme sur lui, il fallait faire attention à un mage potentiel.

”HA HA HA AHAHAAAAA” Le sourire édenté du dernier homme et son aire d'idiot du village allait plutôt bien avec le manche d'arme lourde qui dépassait de son dos, peu maniable dans un espace restreint.

”Eh bien vous avez tous l’air d’une magnifique brochette de cons. Privatiser ma salle préférée dans toute la ville c’est votre droit le plus complet, mais frapper ses employés c’est une zone dangereuse dans laquelle je ne m’aventurerai pas.”

Un cliquetis mécanique et des bruits de pas derrière lui l’informèrent que Guilloh et sa prothèse mécanique devait avoir passé la porte de l’arrière-boutique pour venir voir ce qu’il se passait. Le bruit d'enclenchement qui suivit lui apprit que Guilloh et sa prothèse avaient prit leur fusil à pompe. La situation s’escaladait, d’ordinaire il aurait tout simplement calmer le jeu, mais là il se demandait si le Lieutenant n’avait justement pas besoin d’un peu d’action pour une cause chevaleresque, il tourna la tête vers celui ci pour le concerter silencieusement.

Vu comment l'autre costaud grommelait, pour sûr, il avait bien bu lui aussi. Cela ne devrait être pas être trop difficile de le dérouiller un peu. Beldurande, entretemps, avait récupéré la fille. A entendre le bref échange, elle n'était pas blessée. Tant mieux, songea-t-il. Puis, il ne manqua pas de glousser bassement à la réplique de l'Elémentaire, pendant que la serveuse se précipita derrière les deux hommes pour rejoindre le patron.

''De gros cafards même ! .''Avait-il dont rajouter à la suite des dires du Professeur.

Mais la situation n'était pas encore terminée. Même si la jeune serveuse était à l'abri, il restait ce soudard à faire décamper....enfin les soudards, car trois autres venaient de rejoindre l'armoire à glace. D'un simple accord par le regard, l'Estien regarda le Professeur monter les premières marches de l'escalier. Il était suffisamment grand pour se mettre à hauteur du grommelant, qui avait toujours la fléchette sous le nez. D'ailleurs, Artane renouvela son sortilège, pour faire en sorte qu'une seconde fléchette vienne se rajouter à la petite pression piquante du moment. La première, il la ferait tomber derrière lui quand les dernières secondes de son premier jet de sortilège aura atteint ses limites. Dans la salle privée, on entendait toujours la musique et les rires du reste du groupe. Que le reste du gratin bourré continue de s'occuper à leur petite fête... Car déjà, les trois hommes et l'Elfe avaient commencé à répliquer à l'encontre du Professeur. Beldurande ne se laissa bien entendu pas marcher dessus. Sa répartie fit sourire le Lieutenant. C'était si joliment dit !

Il allait les asticoter à son tour quand des bruits métalliques lui fit tourner la tête. Qu'est ce que c'était encore que ce bordel ? Ah, c'était le tenancier. Et à le voir franchement armer son fusil à pompe décrivait autant son humeur que ses intentions. Il reporta son regard vers les escaliers. Il croisa ceux de Beldurande, qui cherchait à savoir ce qu'il envisageait de faire ? Artane était bien tenté de profiter de la présence armée de Guilloh pour que ces quatre abruti s'en retournent dans la pièce.... Mais comme l'avait fait remarqué Beldurande à l'instant, frapper les employés n'étaient pas un droit ici.

''Ben alors les cancrelats ? On fait les fiers quand il est question d'essayer de profiter d'une serveuse, mais quand il est question de se trouver devant une situation plus égale, on s'écrase ? Visiblement, vous êtes invités à aller dehors... Sauf si vous souhaitez avoir la peau trouée de plomb. Peut être que vous seriez plus mignons de la sorte....''

Il retira la seconde fléchette de dessous le nez de l'armoire à glace.

''Et je sens que vous avez besoin de vous défouler. Ca tombe bien, moi aussi ! Vous avez pourri ma soirée par votre action peu galante auprès de la demoiselle....''

Si ces crétins n'avaient pas malmené la serveuse, Beldurande n'aurait sans doute pas user de sa magie pour le désenivrer et donc, il aurait passer la nuit dans l'obscurité éthylique comme désiré de base et il aurait eu droit à une magnifique gueule de bois pour payer de ses abus, en plus d'être malade de coeur comme un chien en prime. Donc, quitte à ce cette soirée se termine en beauté, autant faire payer le prix de son désir foiré à ces malandrins non ? Il regarda Beldurande et l'Elémentaire pourra voir qu'il était bien décidé à en découdre. Il était même invité à participer s'il le souhaitait

''Et dehors, l'air sain vous aidera peut être à désoûlé un peu pour comprendre la bêtise que vous avez commise....''




Maintenant qu'ils étaient dehors, Artane fixait les quatre soudards, tour à tour. Un sourire en coin marqua la commissure de ses lèvres. Si on lui avait dit qu'il se prendrait une méchante descente d'alcool, pour se retrouver décuvé en moins de deux, pour ensuite se retrouver face à quatre enfoirés qui méritaient vraiment de recevoir des coups, il aurait bien ricané de cette situation improbable. Bon, si on passait aux choses sérieuses ?

''Alors Messieurs ! Vous attendez quoi !

Lorsqu’Artane prononça les termes de son invitation, Beldurande vit les voyous hésiter entre en découdre sans plus attendre et affronter l’arme à feu du maître des lieux. Au final il semblait qu’ils étaient encore capable de raison malgré leur ébriété puisque le plus grand dit:

”Très bien, allons dehors, et on pourra finir la soirée tranquille quand vous serez en pièce dans la rigole.”

”Woaw raisonnable comme décision, regardez moi ça! À vous quatre vous faîtes presque un cerveau complet.”

Le Professeur ignora le juron de colère qu’il eut en réponse et fit demi-tour pour sortir, en passant devant Guilloh il lui murmura:

”La prochaine fois que tu veux nous tuer avec des conso, apporte du saucisson aussi, je ne veux pas mourir le ventre creux.”

”On s’arrangera plus tard si tu me débarasse de ces gozo avant que je les emmène s’expliquer avec les poulets.”

Une fois dehors, le Professeur s’était adossé contre le mur de la taverne et ressorti sa pipe encore incandescente, il avait laissé tranquillement le Lieutenant Nordan se mettre en position face aux quatre débiles éméchés. Si l’homme sans arme était un pugiliste plutôt qu’un magicien, Beldurande savait sur qui il miserait entre un soldat d’Eïlynster et quatre merco de bas étage gris comme pas deux.
Une allumette craquée sur le crépis irrégulier de la façade, une flamme qui s’allume dans la nuit, la légère braise de la pipe qui éclaire faiblement le visage de Beldurande, un trait de provocation de la part de Donovan.
C’est tout ce qu’il fallait.
D’un coup les insultes fusaient, les trois gaillards se lancèrent sur l’estien et commencèrent à se battre. De façon assez surprenante ils étaient plus habile que ce que l’Essence leur aurait accordé comme crédit, par contre le dernier restait en retrait et commençait à psalmodier, s’y reprenant à plusieurs fois et se trompant dans l’incantation. Beldurande tira une grande taffe de sa pipe, savourant l’arôme vil qui s’arrêtait tout juste à sa gorge:

”Non je ne crois pas.”

Levant la main dans la direction de l’homme, Bel décrocha un pavé du sol de la rue et l’envoya dans l’estomac du malandrin, sonné mais pas hors d’état. Celui ci se retourna vers le mage, visiblement il n’allait pas pouvoir simplement profiter du spectacle, il fallait mettre la main à la pâte.

Les soudards émirent un instant de doute devant la situation. L'alcool n'aidait jamais à la réflexion, comme on le disait de temps à autres et cela s'avéra exact pour les quatre éméchés. Le choix n'avaient que deux solutions pour eux. Se faire plomber les fesses par le tavernier mécanisé ou aller dehors pour régler cette histoire à coups de poings. S'ils avaient été plus sobres, peut être auraient ils opté pour une troisième voie....Mais comme ils devaient être quatre pour jouer le cerveau ; remarque comparative de Beldurande tellement véridique, on ne pouvait pas à s'attendre à du haut vol pour l'intelligence du moment.

Toute la compagnie s'était donc retrouvée dehors. Artane faisait face aux quatre merco. Beldurande lui, s'était adossé non loin de là, préparant sa pipe. C'était assez cocasse à voir du coup. L'Estien n'avait rien à redire quand au retrait du Professeur. C'était lui qui avait besoin de se défouler un peu, pour passer cette arrière goût d'amertume laissée en résidus après avoir tenté de fuir une nouvelle fois ses angoisses. Ces dernières n'étaient pas loin, tapies dans l'ombre de son esprits, parmi les souvenirs de toute une existence, refusant de se terrer dans un recoin à reléguer au passé à tout jamais.

Les poings serrés pour demeurer concentré, Artane fixait ses quatre adversaires. L'armoire à glace...usera sans doute de ses points, à moins d'avoir une arme planqué quelque part. L'elfe.... Une dague à la ceinture. L'homme le plus sobre de ses potes... n'a pas d'armes non plus.... Méfiance. Le benêt du groupe... grosse masse dans le dos.... en usera sans doute dès qu'il verra ne pas avoir le dessus dès le premier moment du combat. Un sale sourire arbora ses lèvres. Nul doute qu'il recevra quelques coups, mais ces idiots se retrouveront étalés par terre.

''Ben alors les gamines, vous vous dérobez ? ca fait les gros bras devant une fillette, mais dès qu'il faut être plus sérieux, ca fait limite dans son froc !  ''

Forcément, quelques insultes sortirent des bouches pâteuses des mercenaires. Artane n'y accorda aucune attention, se préparant déjà à la suite. Et qui vint. Trois de ses adversaires se jetèrent sur lui. Le Lieutenant employa un premier sortilège. A peine expira-t-il pour l'activer, il se baissa pour échapper à un premier coup de pied, avant de rouler sur le côté pour échapper aux deux autres. Diantre, pas si bourrés que cela ces crétins. Ils arrivèrent à agir en commun. Ils devaient souvent se battre ensemble ces bouges. Se relevant sans attendre, son sourire n'en fut que plus provocateur et carnassier à la fois.

''Vous me fendez le coeur devant une si ridicule mièvrerie. Je m'attendais déjà à me faire tabasser. "dit-il moqueusement en portant une main à sa poitrine. Rien que de mieux que de singer un peu la situation pour dissimuler l'emploi d'un second sort.  Et forcément, son pic toucha au vif ses adversaires, qui rouvrirent les hostilités, non sans un grognement de hargne de la part d'un des trois.... des trois ? Ou était le quatrième ? Il eut droit à se ramasser un coup dans les côtes, de la part de l'armoire à glace. Diantre ! Non, mais ! Cela n'allait pas se passer comme cela ! Il n'était pas un pugiliste de haut vol, mais il se défendait pas mal. Il dansa plus en esquive qu'il ne décocha de coups. A croire qu'il s'amusait à jouer d'abord un peu avec eux. Bon, et s'il répondait un peu ?

Il en fut quitte pour quelques gros coups reçus, mais il ne paraissait pas en souffrir. Nullement étourdi, il persistait à les asticoter, avant de cette fois pour un des trois, décocher un bon uppercut sous la mâchoire. Assez de danser maintenant, il était temps d'achever ces fadaises.

''Vous en voulez encore ? ''Demanda-t-il, à demi-haletant et essuyant du revers de sa main gantée, le sang qui coulait de sa lèvre fendue. C'était plus le goût ferrugineux qui l'embêtant plus qu'autre chose

A voir l'idiot du groupe sortir sa masse d'arme, il ne put s'empêcher de ricaner.

''Quels mauvais perdants.....''

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