« Une hydre ?! Qu’est-ce que cette bestiole atroce viendrait faire par ici ?! ». Les yeux écarquillés, le barde manqua de recracher son jus de raisin. Installé au bord d’une rivière en face de deux paysans, le jeune homme peinait à y croire. Eïrn n’était pas le royaume le plus sécurisé au monde, il est vrai, mais s’imaginer qu’une créature de cette ampleur terrorisait les villages… D’ordinaire les monstres ne s’aventurent pas trop près des habitations, tout du moins celles qui étaient protégées par des gardes et des murs. L’elfe afficha une moue déconfite. L’envie d’aider était présente, certes, mais les moyens l’étaient beaucoup moins. Arriverait il à tenir l’hydre suffisamment à distance pour la canarder de flèches ? C’était fort peu probable, et courir au combat les mains dans les poches lui assurait une mort rapide et sans surprises. Il secoua la tête avant de reprendre la discussion.

« Vous avez la moindre idée de ce qui peut l’intéresser ? Parce que bon, je ne suis pas expert en monstres c’est vrai, mais ils ne sont pas dénoués de motivation en général, peut-être que si on savait d’où ça vient, on pourrait la calmer… ». Aedan s’entendait parler et se rendait fou. Calmer une hydre, et puis quoi encore, lui donner un petit sucre ? Il tentait de rassurer tant bien que mal la populace qui s’agglutinait autour de lui. « Je crois que des aventuriers lui ont volé ses œufs. Ils doivent être bien loin maintenant, je ne sais pas si les rattraper est une option, mais la mère n'a pas l'air de faire la différence entre ces voleurs et nous... ». Il avala sa salive. La dernière fois que le jeune homme avait volé les œufs d’une poule, il s’était fait courser sur des centaines de mètres par une poule enragée, alors imaginer cette situation avec une hydre lui donnait des sales frissons.

« Peut-être que tu pourrais faire appel à un des héros dont tu chantes les exploits, n’ont-ils aucune pitié pour les pauvres gens ? ». Quelque peu embarrassé, l’elfe se mit à se triturer les méninges à vitesse folle. Qui pouvait il bien déranger, là, tout de suite ? Sa première idée fut Slen, mais il n’allait quand même pas se ruer dans ses pattes au moindre problème. Le dragon allait sans doute se moquer de lui ou lui faire la morale sur le pétrin dans lequel il s’enlisait en ce moment même. Son vieil ami ne pouvait tout simplement pas être la solution à tous ses problèmes. Pendant un court instant il considéra sa famille, mais se rendit vite compte qu’il ne disposait d’aucun moyen de les contacter depuis déjà plusieurs années. Et que pourrait-il leur dire ? « Salut papa, dis-moi, ça ne te dirait pas de venir tuer une hydre et de me laisser toute la gloire ? ». Le barde leva les yeux au ciel, cette histoire n’était pas prête de se terminer.

Le barde pencha la tête sur le côté et ferma les yeux avant de se redresser en tapant sur ses cuisses. « Bon, écoutez, je vais aller voir. Je ne promets rien, surtout ! Si quelqu’un d’autre passe par ici, n’hésitez pas à lui indiquer le chemin que j’ai pris, je risque de prendre des pauses. Une hydre, ça ne se chasse pas comme un chevreuil. ». Blindé d’une arrogance feinte et d’un désir de rendre service à autrui, Aedan grimpa sur le dos de son pégase et commença sa route vers le dernier site de ravage de l’hydre qui se trouvait à quelques kilomètres de sa localisation actuelle. Peut-être que quelqu’un se trouvait déjà là-bas et qu’ils pourraient faire équipe, ou qu’Aedan se ferait attaquer sur la route et n’y arriverait jamais, partant en volant dans l’autre direction. La vie était si incertaine !

Aedan aurait pu parcourir la distance qui le séparait du dernier site où avait été vu le monstre bien plus rapidement à dos de pégase, cependant il sentit bon de laisser son destrier derrière lui, caché dans les fourrés. Le barde n’avait aucun doute sur les capacités de défense de son allié, à vrai dire il était probablement plus en sécurité que ce dernier à cet instant même. Après tout, un cheval avec des ailes, ça ne se trouve pas à tous les coins de rue, et il était hors de question qu’il le perde sur un coup de tête. C’était un voyageur, aussi la marche ne l’effrayait pas réellement, en tout cas pas autant que l’hydre qu’il allait sans doute devoir affronter seul.

Peu après son départ, le jeune homme entendit des pas rapides dans son dos. Il ne se retourna point, se disant qu’il s’agissait d’un local venu l’avertir du danger alors qu’il fonçait délibérément dans sa direction. Cependant une fois arrivée à sa hauteur, l’inconnue ne put qu’attirer son attention. Il s’arrêta face à elle et la dévisagea pendant de longues secondes. Sa stature était impressionnante, ses muscles dessinés, son regard déterminé à en découdre. De plus, elle le dépassait bien d’une trentaine de centimètres et en tant qu’elfe, il ne lui arrivait pas souvent de croiser quelqu’un de plus grand que lui. Il continua à l’observer alors qu’elle semblait tenter de baragouiner quelque chose en elfique, ce qui attira son attention sur ses oreilles pointues. Une congénère ? Un grand sourire étira les traits du barde. Il était toujours bon de s’associer aux siens.

Il secoua la tête vaguement avant de lui répondre. « Oui, je parle l’akkatonien, aucune crainte à avoir ! ». Son accent lui donnait un petit charme rustique, sans que le jeune homme ne puisse poser le doigt sur son origine. Aedan aurait pu s’énerver suite à la remarque de la demoiselle, mais il ne put s’empêcher de rire. « Ah, c’est comme ça qu’ils m’ont appelé au village, le fou ? Enfin j’imagine que ça me correspond plutôt bien. ». Il écouta ensuite ses instructions et avala sa salive. Jusqu’ici, son expédition ressemblait à un rêve et Elsa rendait la situation beaucoup plus concrète en quelques secondes. Il tenta de masquer sa panique en prenant une grande inspiration avant de reprendre son discours. « Tuer, c’est un bien grand mot enfin.. Il y a toujours cette option c’est vrai, mais si on peut retrouver ses œufs et lui remettre, peut-être qu’elle arrêtera de s’attaquer à autrui. ».

Négocier avec une hydre, il n’y avait en effet qu’un fou pour suggérer ce genre de choses. Aedan passa une main dans ses cheveux tressés avant de reporter son attention sur sa nouvelle compagnie. « Tu as l’air d’être très bien renseignée sur ce genre de bestioles, ça t’arrive souvent d’en chasser ? Parce que pour ne rien te cacher, moi c’est la première fois. ». Le barde n’avait aucune difficulté à admettre ses faiblesses, cependant il se devait de souligner également ses forces. Il donna une légère tape dans le carquois dans son dos. « Même si je voulais te rejoindre, je ne peux affronter personne en combat rapproché. Par contre, je peux essayer de t’aider à distance. ».

Il frotta les quelques poils de barbe restants sur son menton et redressa la tête, per-suadé qu’une idée de génie venait de lui traverser l’esprit. « Oh je sais ! Si tu as de quoi soigner les poisons, tu as de quoi en créer, non ? On pourrait appliquer ça sur mes flèches. ». L’excitation dura quelques secondes avant de retomber, le jeune homme se rendant compte qu’il s’était assis sur toutes formes de politesse. « Je m’appelle Aedan. Aedan Thorfindra ! Tu as peut-être déjà entendu mon nom si tu traînes dans le coin, même si je ne chasse pas réellement le même gibier que toi. ». Il la gratifia d’un grand sourire sincère, rassuré de ne pas être seul sur le coup et curieux d’apprendre à la connaître.

Aedan afficha une mine déconfite quand Elsa refusa sa proposition de retrouver les œufs pour apaiser la mère. Pour être honnête, s’il pouvait se soustraire au moindre conflit, il le faisait immédiatement. Il n’avait jamais négocié avec un monstre pour sa propre survie, mais il y avait toujours une première fois à tout. Visiblement, ce ne serait pas pour aujourd’hui. Il haussa ensuite un sourcil, pris au dépourvu par l’expérience de la jeune femme qui avait décidé de l’accompagner. Décidément, le destin lui souriait. « Dix ans ?! Mais enfin.. Si vous permettez, Elsa.. » Il se reprit. Il l’avait tutoyé, et voilà maintenant qu’il faisait machine arrière comme un boulet. « Enfin si tu me le permets, quel âge as-tu ? ». Dix ans pour un elfe, c’était vraiment très jeune, et il ne jugeait de sa race que par ses longues oreilles, malgré sa taille imposante. Il se gratta la tête pendant quelques secondes puis se rendit compte de sa boulette. « Enfin, je suis navré, on ne demande pas son âge aux demoiselles. Excuse moi, le stress me fait perdre mes moyens. ».

Le barde n’avait aucune difficulté à admettre que la chasse le rendait nerveux. Certes, il venait d’une tribu de chasseur, mais il avait arrêté de participer à leurs activités il y a bien une centaine d’années, au grand désarroi de son paternel. Il espérait d’ailleurs ne pas croiser sa route dans la chasse à l’hydre, car c’était typiquement le genre de contrat que sa famille prenait pour rester à flot financièrement. Pourtant aujourd’hui, c’est lui qui allait s’en occuper, et pour une raison bien précise. L’école de sa sœur n’allait pas se payer toute seule. « Compris pour les poisons, c’est toi qui vois, tu t’y connais mieux après tout. Je ne vais pas te forcer la main ! ». Il admira ses lames pendant quelques secondes. Cette jeune fille était une fière combattante qui lui rendrait la tâche bien aisée, et il était content d’avoir croisé sa route. Il n’arrivait cependant pas à comprendre qu’une combattante aussi… massive ? impressionnante ? talentueuse ? n’avait pas une réputation qui ne lui soit parvenue aux oreilles.

Il nota dans un coin de sa tête que si leur excursion se passait bien, il prendrait soin de rédiger quelques textes à son sujet. Après tout, les aventures alimentaient son répertoire, et il aurait été sot de ne pas passer en revue les exploits d’Elsa avant qu’un autre barde ne s’empare de cette chance inestimable. Il se racla la gorge. « Mon pégase sait également se défendre. Je pourrais me mettre sur son dos pour qu’il me dépose en hauteur et pour avoir un avantage stratégique sur la bête. Je crains réellement que je ne te sois d’aucune utilité en restant à ton niveau. ». Il allait ramasser le butin et partir comme un voleur, ce qui ne l’arrangeait pas réellement au niveau de sa propre culpabilité. Timidement, il balbutia. « Nous irons boire un verre après la chasse, si ça te va ? ». Alors que dans son dos commençait à apparaître une ombre massive, hideuse, qui pouvait lui arracher la vie en une fraction de secondes.