Il l'avait fait, finalement... il ne l'avait pas fait seul, et ce n'était qu'une parmi un panthéon nombreux, mais il l'avait fait. Une des antiques déesses était morte sous ses lames, avec l'aide d'une troupe hétéroclite d'akkatoniens, et d'une sœur nagate. La décision de laisser Akkaton s'installer dans le désert pour forcer les lointains héritiers d'Akkator à combattre à leur côté lors du réveil de leurs anciens maîtres s'était révélé payante, il ne pouvait le nier, et devait bien reconnaître la sagesse des anciens de l'époque de leur arrivée qui avaient su saisir cette opportunité. Ce n'était qu'une seule de ces entités, bien sûr, une seule de ces êtres qui s'étaient jadis proclamés leurs dieux et leurs maîtres, mais le fait que l'une d'entre elle ait pu périr, être détruite en ne laissant derrière elle qu'une poudre dorée, c'était la preuve qu'ils étaient mortels, tous autant qu'ils étaient, et pas si divins qu'ils l'avaient proclamés... à moins que l'on accepte que toutes les divinités soient mortelles, peut-être. Dans tous les cas, tous pourraient mourir, à terme, tous ceux qui n'auraient pas la bonne idée de rester dans leur long sommeil enchanté. Ce ne serait pas évident, ni facile. Mais c'était du moins possible.

Néanmoins la venue des akkatoniens ne s'était pas faite sans victimes, parmi lesquelles bien sûr, en un sens, les membres de son propre clan. Bien sûr c'était une vision qui aurait pu se discuter, et Uahbra ne tenait pas les Akkatoniens pour directement responsable. La folie de son propre clan, de croire que les héritiers d'Akkator pourraient sans risque accéder au ruine alors qu'aucune urgence ne les en pressait était à incriminer, bien entendu. Mais surtout, par dessus tout, structurant en grande partie la vie et la vision d'Uahbra, il y avait l'écrasante responsabilité des anciennes déités, de ceux qui s'étaient proclamés leurs dieux et qui n'avaient trouvé à leur laisser comme payement de leurs millénaires de labeurs que des pièges et des poisons, semblables à l'épidémie qui avait décimé sa famille, ses amis, toute sa tribu.

Mais aujourd'hui une de ces déités était morte sous ses lames, et il était venu en souvenir et en commémoration, libéré un peu de cette poussière dorée qu'elle avait laissé derrière elle devant le mur sacré de sa tribu, celui qui était marqué de l'emprunte du soleil adoré par les rebelles, celui qui avait donné le nom de leur clan, celui devant lequel il avait pleuré toutes leurs morts. Pas toute la poudre qu'il avait ramassé, bien sûr, mais une petite dose, récoltée en sus à cet effet, pour honorer les morts, leur dire que l'un de leurs bourreaux, au moins, avait disparu. Que le paris qu'ils avaient soutenus au prix de leur vie, que la bravoure de leurs enfants, finalement, avaient portés leurs fruits. Il était ainsi recueillit quand il entendit quelque chose craquer derrière lui et se retourna brusquement, une lame crépitante d'éclair déjà dans sa main... pour découvrir une jeune humaine, les mains levés en signe de paix, et des paroles d'apaisement dans la bouche.

« Je n'ai vu aucune des tentes des Iseueri en arrivant ici. »

Uahbra se souvenait du nom, bien sûr. La mémoire était l'atout premier des espions, et il avait ses propres raisons, plus personnelles, de se souvenir de ce clan nomade en particulier, qui campait en effet parfois proche d'ici jadis, et avait probablement continué après la destruction de son propre clan. Néanmoins, il ne se détendit guère, méfiant comme toujours, et plus encore après avoir été interrompu ici. Sa voix était restée froide, mais il brillait comme quelque chose dans son regard serpentin, quelque chose de potentiellement dangereux, même s'il n'attaqua pas pour autant.

« Pourquoi devrais-je vous croire et même si je le faisais qu'est-ce qui justifierais qu'un Iseueri soit ici, loin de son clan et des membres de sa tribu, en train de m'espionner sur mon propre territoire ? »

Le moins que l'on puisse dire, c'était qu'Uahbra était du genre méfiant, mais d'un autre côté c'était plutôt nécessaire pour quelqu'un dans sa profession, et se faire surprendre dans ce genre d'endroit qui tenait en un sens presque à l'intime pour lui ne faisait rien pour arranger cela, surtout quand, comme ici, il s'était cru seul ! Il n'était pas pour autant du genre à tuer les gens à vue, sauf peut-être quand il se trouvait à Teïder mais pour c'était là une question différente, dans tous les cas. Il écouta donc les explications que l'intruse avait à fournir, bien qu'il se tienne toujours sur ses gardes, avec cet éclat dans les yeux qui rappelait en quelques sortes le cobra dressé et prêt à mordre, bien que ce ne soient pas ses crocs qui constituent ici la menace principale, bien entendu.

Lesdites explications étaient, de fait, plutôt convaincantes en elle-mêmes, ou tout du moins cohérentes. Il était vrai que les tribus du grand désert avaient souvent pour habitude de laisser leurs jeunes gens partir à la découverte dudit désert et, au-delà, du monde, habitude qui n'avait sans doute dû que gagner en rayon de liberté avec leur entrée dans un ensemble aussi vaste que le monde akkatonien. La jeune femme avait également le mérite d'une certaine honnêteté, puisqu'elle admis que c'était la curiosité qui l'avait poussée à s'approcher, même si elle avait présenté plutôt de bonnes intentions à la base.

« Hmmmm si vous dites vrai je ne peux pas vous reprocher d'avoir voulu protéger ces ruines d'un Ophidien, c'est évident... reste à voir si vous dites la vérité, ceci dit. »

La méfiance du Naga semblait se confirmer, assez naturelle pour un espion même si peut être un peu exacerbé quand on ne connaissait pas cette donnée, mais dans cette situation précise Uahbra ne se souciait pas outre mesure de l'image qu'il pouvait renvoyer. Il eut ceci dit un mouvement de légère surprise, se trahissant par un léger écarquillement des yeux et un fin et bref sifflement quand elle annonça plus précisément son lignage. Il sembla hésiter un moment sur la réponse à donnée, comme si cette précision était une donnée nouvelle, même s'il n'explicita évidemment par spécialement pourquoi, comme s'il évaluait certaines probabilité avant que sa voix, toujours aussi froide, ne retentisse finalement comme une unique question dans l'air chaud du désert, avec un côté inexorable qui ne semblait même pas pouvoir tolérer l'hésitation dans la réponse.

« Si vous dites vrai, dites-moi qui était votre grand-père paternel. »

Uahbra n'expliqua pas la question, ne fournis aucune explication, et ne comptait visiblement pas laisser de temps de réflexion. La belle Humaine ne s'y trompa pas, et fit bien, d'ailleurs, car il aurait sans doute sanctionné une trop grande réflexion, qu'il aurait pris comme le signe qu'on tentait de le tromper. En l'occurrence, il laissa passer un long moment de silence quand elle eut répondu, comme s'il soupesait les mots qu'elle avait prononcé. Il la laissa ajouter ses propres questions et considérations sans faire mine spécialement de les entendre, émettant seulement un léger sifflement méditatif alors que sa lame de foudre crépitait toujours doucement dans l'air chaud du Grand Désert. Finalement ceci dit, après un long moment, il sembla prendre une décision, et laissa un léger souffle sortir de ses lèvres écailleuses.

« Bien aimé et sage, en effet... soit, je vous croit, Anka des Iseueri. Au nom du respect que j'avais pour votre grand-père. »

Si Ankor conservait une place vive dans la mémoire d'Uahbra, il savait que ce n'était guère le cas dans les livres d'histoires, et il ne croyait vraiment pas à l'hypothèse d'une espionne lui ayant servit ce nom pour endormir sa méfiance. Oh c'était possible, bien entendu, mais il considérait simplement la probabilité trop faible pour continuer de garder son attitude hostile. S'il avait dû être parfaitement certain avant de relâcher éventuellement la garde il n'aurait pas parlé du tout, il l'aurait juste attaquée et tuer à vue. Après tout, la certitude absolue n'était guère de ce monde, et en tous cas pas atteignable facilement dans ce genre de situation. Il remisa donc ses deux épées dans les fourreaux vides qui, visiblement, n'attendaient qu'elles, même si elles ne s'y étaient pas trouvées à l'origine... et même s'il devait être criant qu'il aurait pu être à nouveau armé en un clin d’œil, si nécessaire.

« En effet, j'ai bien connu votre grand-père, avant qu'il ne devienne chef. Il me fut d'une grande aide quand... hé bien, quand ceci est arrivé. »

La voix du Naga avait porté pour la première fois une forme d'émotion, sous la forme de malaise, d'hésitation, au moment de caractériser la mort de toute sa tribu, ou presque. Il s'était contenté d'un « ceci » et d'un vague mouvement général en direction des ruines. Une membre des Iseueri devait bien connaître l'histoire de sa tribu et de ce qui lui était arrivée, après tout, il n'avait aucun besoin de détailler, du moins il l'espérait. Quand il repris, sa voix avait retrouvé la froideur neutre caractéristique de ceux de sa race.

« Je suis Uahbra Ameniritis, et cet endroit fut jadis mon foyer, bien qu'il ne soit plus aujourd'hui rien de cela... désolé d'avoir réagit si vivement, j'espère ne pas vous avoir effrayée outre mesure. »

Le soulagement de la jeune femme quand il avait rengainé ses armes et accepté ses propos avait été visible, mais en soit ce n'était pas très étonnant. Après tout, il était relativement compréhensible de ressentir une certaine appréhension quand on était sous la menace de lames enchantées et menaçantes, maniées par un guerrier qui semblait prêt à vous trancher avec celles-ci ! Uahbra avait bien conscience qu'il avait pu être assez intimidant, pour une action qui, vu de l'extérieure – c'est à dire sans tenir compte qu'il était en réalité un espion forcément amené à se montrer bien plus prudent qu'un simple voyageur ne fut-ce qu'au cas où sa couverture aurait été compromise d'une façon ou d'une autre et où, au hasard, des tueurs teïderiens auraient été lancés sur ses traces – raison pour laquelle d'ailleurs il présenta ses excuses tout en se présentant.

Toutefois, cette présentation sembla troubler la guerrière du désert, puisqu'elle accusa le choc, reconnaissant visiblement son nom, et ayant entendu parler de son dernier exploit, notamment. Il ne s'attendait pas à une telle réaction, mais il était vrai que son nom devenait de plus en plus connu, dans de plus en plus d'endroits... guère étonnant qu'il provoque des réactions, du coup.

« Ne vous en faites pas, je ne mors pas... enfin, je peux être amené à le faire à l'occasion, mais j'ai dit que je ne vous attaquerai pas, et je suis un serpent de parole. »

Après tout comme tous les Nagas, il était doté de crocs acérés qu'il pouvait utiliser y compris au combat, mais disons que ce n'était pas facile à placer en duel, bien que lesdits crocs soient empoisonnés. Quoiqu'il en soit, la jeune femme fini par se reprendre et s'excuser une fois encore à son tour, avant de s'incliner devant lui en mentionnant le combat qu'il venait de remporter avec l'appui d'une de ses sœurs de race et d'un groupe d'akkatoniens... le guerrier-serpent n'était pas du genre à s'enivrer de ses réalisations, mais en l'occurrence il se contenta d'un souple hochement de tête en réponse au signe de respect de la jeune femme.

« Je vous remercie de vos éloges, même si je n'étais pas seul pour accomplir cet acte très nécessaire... je suis heureux de voir qu'en dépit de l'influence akkatonienne, les enfants du désert n'ont pas oublié l'importance de lutter contre les anciens dieux... »

Après tout, si dans le cas des Nagas, il s'agissait de leur propre histoire, qui plongeaient profondément dans le passé de leur race et dans l'identité même d'une bonne partie d'entre eux – quoique même dans leur cas on pouvait craindre qu'avec le temps la culture akkatonienne ne puisse venir diluer ces liens petit à petit, du moins pour certains d'entre eux – pour les autres peuples qui avec le temps avaient fait du Grand Désert leur foyer, il n'était pas si évident de connaître et de continuer d'avoir conscience de l'importance de lutter contre le retour de ceux qui avaient jadis dominé ce territoire. Pourtant, si jamais les anciens dieux parvenaient jamais à restaurer leur pouvoir dans cette terre qu'Akkaton réclamait aujourd'hui sienne, il n'y avait pas à douter qu'ils attendraient que tous ceux qui auraient survécu les servent, qu'ils soient ou non des Nagas... en somme, tous ceux qui avaient ces vastes landes de sable pour patrie étaient concernés, à un degré ou à un autre, et voir que la jeune Humaine en était consciente faisait plaisir à Uahbra.

« Mais en tous cas vous semblez bien renseigner sur moi... seriez-vous vous-mêmes une épéiste de talent, pour surveiller ainsi qui sont les guerriers compétents en ce désert ? Je me souviens que jadis votre tribu comptait de grands guerriers, en tous cas... »

La jeune femme semblait encore quelque peu sous le choc de la révélation de son « identité », si l'on pouvait dire les choses comme ça, mais c'était une chose à laquelle Uahbra avait dû peu à peu s'habituer au fur et à mesure que son nom devenait de plus en plus connu. Certes, cela servait ses buts, en l'ancrant durablement comme un personnage publique identifié clairement comme un mercenaire sans allégeance par le continent entier, laissant insoupçonnable sa véritable nature, mais d'un autre côté cela nécessitait en effet certaines adaptations ! En tous cas, elle sembla se rasséréner un peu quand il évoqua la question des anciens dieux, dans une réponse qui lui valut un hochement de tête approbateur de la part d'Uahbra.

« Je vois que vous avez une saine vision des choses, et je suis heureux d'avoir confirmation que c'est aussi le cas de votre tribu. Et ne vous en faites pas, toute aide, si modeste soit-elle, peut être précieuse pour abattre ce genre de créatures. »

Constatation assez littérale, de fait, vu le groupe avec lequel il avait vaincu Celle-Qui-Rêve, justement. Même s'il aurait préféré qu'il en soit autrement il y avait dans celui-ci environs une moitié de civiles guère rompues au combat, et elles avaient réussi à se rendre utile à leur manière, finalement. En sommes toute le volonté étaient potentiellement utiles dans ce genre de cas, et du reste la damoiselle révéla finalement, quoique sans se départir d'une forte modestie, qu'elle était tout de même une véritable guerrière, au point même de s'être fait confier une relique par son clan, qu'Uahbra évalua du regard avant de hocher doucement la tête.

« Si cette lame est bien celle à laquelle je pense, vous ne devriez pas dénigrer autant à la légère votre capacité à combattre, car votre clan ne vous l'aurait certainement pas confié en vain. La confiance au cœur et la volonté de combattre sont les premières armes du bon guerrier. »

Le guerrier-serpent évalua doucement la jeune femme du regard et jeta un coup d’œil en direction du symbole solaire devant lequel il s'était recueillit un peu plus tôt, et sembla prendre une décision, dégainant à nouveau ses deux lames enchantées dans un mouvement fluide et se tournant pleinement en direction d'Anka.

« Mais si vous voulez améliorer vos talents dans ce domaine le mieux est encore de vous entraîner, n'est-ce pas ? Alors je vous propose de croiser le fer avec moi et de voir ce que nous pouvons apprendre l'un de l'autre pour le plus grand malheur de nos ennemis communs ! »

Bien qu'avec, encore une fois, une très grande modestie, la belle guerrière accepta finalement leur entraînement, et Uahbra la salua à la manière des peuples des sables avant de commencer celui-ci. Il frappait du plat de la lame, puisque le but n'était évidemment pas de la blesser réellement, mais en dehors de cela il combattit sérieusement, à la fois pour la forcer à faire de même et pour lui prouver que, quand elle prenait la peine d'utiliser pleinement ses capacités de combattantes, elle était tout à fait capable de tenir le rythme même contre un guerrier qu'elle respectait autant que lui ! De fait, il remarqua tout de suite sa grande agilité ainsi que son assez bonne maîtrise du combat, qui confirmaient son impression : elle était loin d'être aussi mauvaise au combat qu'elle le pensait l'être, dans sa trop grande modestie !

Ceci dit, il ne pu qu'admirer sa grande volonté et sa capacité à se relever après un coup, même si de cette façon ils étaient grandement atténués. Et il ne pu manquer de noter non plus qu'elle progressait petit à petit au fil de ce duel d'entraînement qui semblait donc bel et bien porter ses fruits. Il fini par considéré qu'elle était à sa limite, et risquait des blessures sérieuses du fait même de sa grande volonté de combat, aussi mit-il fin à l'entraînement, abaissant doucement ses lames. Elle le remercia pour l'entraînement tout en buvant une potion de soin pour se remettre de tous les coups encaissés, alors qu'il rengainait et inclinait doucement la tête.

« Vos talents au combat ne sont certainement pas sur-estimés par votre tribu, en tous cas. Et votre volonté de guerrière est en tous points admirables. »

Les compliments du guerrier-serpent étaient sincères, comme souvent avec lui – sauf peut-être quand il devait jouer son rôle d'espion, mais ce n'était clairement pas ici – et il devait dire qu'il trouvait admirable la détermination de la jeune femme qui, si elle se montrait assez timide de prime abord, avait assurément une volonté d'acier une fois les lames dégainées. Il eut un mince sourire devant son invitation, ce qui était déjà beaucoup de la part d'un Naga, surtout aussi réservé que lui, et hocha doucement la tête.

« Ce sera un plaisir de partager votre eau et votre campement. Nous pourrons parler de nos clans et de notre combat, entre autres choses. »

C'était une vieille formule rituelle pleine de sens, du moins pour des gens comme eux, et, s'écartant un peu des ruines anciennes qui portaient en elle, également, les ruines de son ancienne vie, ils montèrent leur camp, et parlèrent en effet de nombreux sujets dans la lumière tombante du jour...