La Forteresse Inébranlable. J’avais d’ores et déjà eu l’occasion de venir en cet endroit à de nombreuses reprises depuis les nombreuses décennies passées à Eïlynster, mais à chaque fois, je demeurais impressionnée par l’imprenable forteresse et son austère beauté. Après plusieurs journées de voyage nécessaires à la traversée du royaume depuis ma demeure frontalière, je parvenais enfin au pied de l’immense montagne, ayant la veille confié ma monture récemment acquise dans une écurie proche de la frontière à l’une des étables des villages entourant la forteresse. Et ce fut au terme d’une nuit de repos et d’un déjeuner frugal que j’attaquais en ce début de matinée l’ascension de la pente de l’audacieux.

La lettre de convocation en poche, j’avais enfilé ma tenue cérémonielle d’officier pour l’occasion, consciente que ce n’était pas tous les jours que l’on pouvait avoir l’honneur d’être reçue par un Grand Maître des Armées. Cependant, je ne cessais de me questionner sur les raisons de cette convocation, qui n’étaient nullement évoquées, ni même sous-entendues, dans le pli reçu. Et comme dans mes souvenirs, l’ascension de la pente de l’audacieux se révéla laborieuse, malgré la fraîcheur croissante du climat qui gagnait en intensité à mesure que je montais en altitude, je transpirais rapidement à grosses gouttes. Néanmoins c’était là une épreuve physique savoureuse d’efforts, qui s’accordait parfaitement aux moeurs de ma nation, et qui ne rendait l’arrivée à la forteresse que plus agréable encore.

Une grande porte que je finis par franchir au bout de quelques heures, les nombreux gardes en faction ne m’arrêtant pas pour me questionner sur les raisons de ma venue. Mon uniforme cérémoniel se chargeait passivement d’expliciter mon grade et mon appartenance. Je marquais néanmoins une pause dans une taverne de la citadelle pour me rafraîchir et me sustenter copieusement avant de me diriger vers l’immense donjon central qui servait tant d’habitat que de lieu de travail aux élites de notre nation. Un lieu que je comptais bien un jour pouvoir occuper dignement. Et à mesure que je m’approchais de celui-ci, devant cette fois-ci me présenter et montrer la convocation aux gardes en faction pour justifier ma présence et mon besoin d’y pénétrer, je sentais la tension me gagner de plus en plus fortement. Après tout, il s’était écoulé deux semaines depuis ma rencontre avec Xin, et je me questionnais quant à savoir si ma présence ici en ce jour n’y serait pas liée. De plus, après d’intenses réflexions personnelles, et sous couvert de devoir demander permission pour entreprendre mon voyage à Ikhyld, j’estimais que le temps était enfin venu d’informer la plus haute hiérarchie de ma véritable nature.

Une information que je tenais toujours à garder secrète autant que possible, mais je me devais d’avoir une confiance aveugle dans les plus hautes instances de ma nation. Il était après tout fort peu probable qu’un Grand Maître ne la divulgue sans une excellente raison stratégique ou un besoin urgent d’en faire usage. Sachant que de toute manière, il y avait quelque part dans cette nation un homme parfaitement informé de qui j’étais, ce n’était qu’une question de temps au final. Autant que je prenne les devants, toute difficile devait être cette décision, et ses probables répercussions.

Finalement, j’eus à faire à un général de l’armée de terre, qui devait officier pour le compte du Grand Maître Thrimgram, lequel me fit guider à travers le dédale de couloirs et d’étages du donjon jusqu’à une antichambre où l’on m’ordonna d’attendre la venue du Vénérable. Soit. J’attendrais.

Aujourd'hui Azgrarim avait convoqué une de ses inférieures hiérarchiques pour des raisons qu'il s'était bien gardé de dévoiler à qui que ce soit, mais qu'il comptait bien souligner le moment venu. En attendant, il espérait bien que la capitaine ne soit pas en retard, même si évidemment le contraire l'étonnerait plus qu'autre chose. N'était-elle pas Eïlynsterienne après tout ? Si et donc tout à fait courante du fait que quand un supérieur hiérarchique lui demandait quelque chose, il était naturellement de son devoir de s’exécuter, mais surtout de ne pas faire preuve de paresse ou d'incompétence. Et on ne devenait évidemment pas capitaine dans cette rude nation guerrière en étant une chiffe molle ou un irresponsable, d'autant plus quand quelqu'un comme le vénérable n'avait que juste mépris pour ce type de personnes...

D'ailleurs, il fut presque amusé quand on vint lui apprendre que l'elfe était arrivée dans la forteresse en prenant la peine d'escalader la pente de l'audacieux et non en empruntant l'un des tunnels secrets bien plus pratiques prévus pour cela normalement. Soit, si elle désirait surmonter une épreuve digne c'était honorable de sa part, même si lui ne s'y amuserait pas. Pas qu'il manquait de courage évidemment, mais un nain robuste et âgé comme lui savait très bien que l'escalade de la pente d'une montagne n'était pas vraiment le genre de chose qu'il pourrait tenter de faire avec de raisonnables chances d'en sortir vivant. Evidemment sinon, avant de la rencontrer il fallait juste qu'il trouve du temps pour lui, ce qui prit évidemment un certain temps, mais fut achevé peu après qu'un général à qui il avait délégué la tâche de dire à l'elfe de patienter l'air annoncé à cette dernière.

Ainsi vint le vénérable, dans son lourd accoutrement guerrier et nanesque. Le lourd marteau de guerre dans le dos et la loure armure l'entourant, comme toujours, l'on remarquait aisément sa vénérable, longue et pourvue barbe blanche qui faisait sans aucun doute sa fierté, comme la barbe de tous les nains faisait la leur. Et ce n'est pas humble qu'il vint dans l'antichambre où l'attendait l'elfe, non pas arrogant, mais on pouvait sentir la fierté typique et compréhensible d'un tel nain quand il pénétra dans la pièce. Une fierté qui néanmoins ne se sentait pas tant que cela dans le ton polie, mais mesuré avec lequel il s'adressa tout à coup à la capitaine.

« Capitaine Maurandir, comment allez vous donc ? J'ai entendu dire que vous étiez entrer dans la forteresse par l'intermédiaire de la pente de l'audacieux, était-ce pour avoir mon appréciation ? » La manière dont il le demandait n'indiquait point dans les faits si une telle éventualité lui était agréable ou non, il se contentait juste de fixer l'elfe de son regard qui souffrait visiblement de ces problèmes de vues dont peut souffrir le vieillesse, mais qu'évidemment un nain comme lui n'appréciera point que l'on souligne. Il fallait le dire, Eïlynsterien ou non, il y avait certaines choses qui ne changeaient jamais…

« Selon vous, pourquoi êtes vous convoquée ici en ce jour, notamment en ma vénérable présence ? » Finit-il d'ailleurs par demander après avoir laissé perdurer un légèrement long silence. Oui, pourquoi demandait-il cela sinon ? Sans doute car la réponse de l'elfe à cette question serait en elle-même serait assez instructive, ceci et puis c'était sans doute un petit test à sa manière. Il attendit dans tous les cas patiemment cette dite réponse, réponse à une question qu'il avait formulée sans aucune hostilité, du moins en apparence.

Dès l’entrée du nain cuirassé dans l’antichambre, je m’étais inclinée devant lui avec toute la dévotion et le respect dûs à son rang, le saluant verbalement comme physiquement. Une position que je gardais jusqu’à ce qu’il prenne la parole, ce que je considérais comme une invitation au repos. Dès lors je posais sur lui un regard curieux, ne manquant pas de relever l’assurance et la fierté qu’il arborait, fidèle tant à sa réputation qu’à ses origines. Typiquement le genre de fierté que je retrouvais bien trop souvent chez mes semblables elfes, et très probablement la raison pour laquelle elfes et nains étaient soit-disant réputés pour ne pas s’apprécier. Le genre de réaction qui se produisait lorsque deux grandes fierté entraient en confrontation. Bien heureusement, cela faisait bien longtemps que la vie Eïlynsterienne avait chassé ce type de préjugés et de comportement de mes habitudes.

“Je suis en pleine forme, Grand Maître Thrimgram,” répondis-je simplement, butant presque malgré moi sur la prononciation plus gutturale de son nom avec mon accent elfique, resté plus coutumier aux syllabes chantantes et orientales propres à mon peuple. “Quant à mon ascension de la pente de l’audacieux, il s’agissait surtout de me dégourdir les jambes après quelques journées à chevaucher depuis la Muraille. J’ose espérer qu’il en faut plus pour gagner votre appréciation qu’une petite grimpette.”

Je fronçais les sourcils de réflexion lorsqu’il me questionna ensuite à propos de l’objet de ma convocation. Je n’en avais strictement aucune idée, bien que je me doutais qu’il s’agissait d’une importante raison pour qu’un Grand Maître s’assure personnellement de la tâche. Je restais pensive et silencieuse quelques secondes, caressant la pointe de mon menton en cherchant une raison valable. Bien évidemment, ma rencontre avec Xin restait la première chose qui me venait à l’esprit, et certainement celle qui justifierait ma présence en ces lieux. J’estimais cependant comme extrêmement risqué de l’évoquer, pour des raisons plus qu’évidentes. Néanmoins, faire preuve d’honnêteté et de franchise ne pouvait être que bénéfique sur le moyen terme, que cela ait été ou non la véritable raison de la convocation reçue. Si tel était le cas, je n’aurai pas à feindre la surprise, et sinon, ce serait toujours là une occasion d’aborder un sujet d’autant plus sensible me concernant.

Il y avait également la perte très regrettable de quelques hommes - dont ma meilleure amie - un mois auparavant, mais je doutais qu’une défaite ainsi sanctionnable soit du ressort d’un Grand Maître quand un commandant ou un général pouvait largement suffire à cette tâche. Étonnamment, je n’envisageais en réalité rien de très positif quant à la raison de ma présence ici, et si tel était le cas, ce ne serait qu’une bonne surprise.

“Je suppose que mon entrevue récente en royaume Teïderien avec le Ministre du Renseignement Ikhyldien doit être une raison plus que suffisante et alarmante pour justifier ma convocation en votre seule présence, Vénérable,” répondis-je avec une franchise et un aplomb qui pourrait paraître culottés. Mais je savais n’avoir rien à me reprocher de toute façon, et me trouvais prête à répondre aux questions du Grand Maître qui - qu’il l’ait su ou non - n’allaient probablement pas tarder à pleuvoir.

« Il en faut bien plus en effet, beaucoup plus, mais je n'en attends jamais plus de quelqu'un que quand j'entretiens beaucoup d'espoir en sa personne. Alors réjouissez vous si un jour je suis effroyablement exigeant à votre égard, car cela voudra dire que j'ai beaucoup de considération pour votre valeur et potentiel. » Dit-il avec gravité et fermeté, en effet le vénérable n'était pas connu pour être un tendre ou le genre à laisser ceux en qui il entretenait une certaine sympathie traînasser. Au contraire, à ses yeux il fallait être autant exigeant envers soi-même qu'envers ses proches ou ceux en qui l'on plaçait sa confiance. Notamment quand comme lui on était celui qui donnait les ordres et donc qui par essence même devait savoir comment faire au mieux…

« Non. » Répondit-il sinon simplement quand l'elfe lui dit que selon elle le nain l'avait convoquée au sujet de son entretien récent avec le ministre des services de renseignements Ikhyldiens, il ne manqua pas d'ailleurs d'ajouter avec sérieux. « Pourquoi cela devrait-il m'inquiéter d'ailleurs ? Vous êtes bien intégrée parmi nous et je doute que la vie parmi ces mollassons d'Ikhyldiens vous intéresse spécialement. Par contre, je serais en effet intéressé de savoir pourquoi il vous a convoqué vous et pas un autre, vous n'êtes qu'une capitaine après tout, s'il désirait de plus une entrevue avec quelqu'un pouvant lui obtenir des renseignements utiles, il n'avait qu'à demander à rencontrer quelqu'un de haut placé, mais bon. Ce n'est pas là la raison véritable de votre convocation. » Cela et puis s'il devait comprendre comment fonctionnait les elfes non Eïlynsteriens, surtout ceux trempant dans le domaine des renseignements, il n'en aurait pas finit. Arzgrarim était après tout un nain âgé digne de ce nom, pas le genre à spécialement avoir un esprit sacrément pervers ou tortueux…

« La véritable raison de votre venue. » Finit-il donc par reprendre avec gravité pour asséner avec sérieux. « C'est une mission à laquelle vous allez participer, une mission grave et je tenais à y envoyer des gens de confiance pour mener celle-ci à bien... » Obtenant ainsi totalement l'attention de l'elfe, il finit par ajouter calmement.

« Moi et les autres grands maîtres avons de bonnes raisons de croire que des Teïderiens veulent atteindre la crypte où nous avons enterrés Cesario l'empereur éternel, il est hors de question de laisser ces chiens atteindre celle-ci. Mais ils savent que pour cela ils ont besoin d'une clé, une clé que nous avons dissimulés dans une autre crypte… » Ainsi il soulignait bien que c'était grave, très grave, comme ses propos suivants ne firent que le confirmer.

« La crypte où Ilfrido le conquérant a été enterré avec une bonne partie des mercenaires qui sont morts à ses côtés ou qui lui ont été fidèles jusqu'à la mort. Il est hors de question que les Teïderiens récupèrent cette clé, mais il faut aussi que l'emplacement du tombeau d'Ilfrido reste secret, je compte sur vous et les frères qui seront envoyés à vos côtés pour honorer cette mission pour vous assurer de cela, est-ce bien compris ? » Il conclut alors avec calme.

« Je suppose que vous devez avoir beaucoup de questions à poser, n'est-ce pas ? Faîtes le si vous le désirez avant que je ne poursuive ce que j'ai à dire. » Après tout elle devait sans doute aller de surprise en surprise en cet instant, surtout qu'en effet tout ce qu'il était en train de souligner était assez grave, bien trop pour que l'on puisse rester sans bouger pendant que les Teïderiens feraient ce qui leur chanterait...

Finalement, la surprise se voulait plutôt bonne. Je ne manquais pas d’afficher un intérêt certain pour la mission que souhaitait me confier le Grand Maître, à croire que le destin tournait enfin à ma faveur après toutes ces décennies écoulées à chercher en vain. Je feignais d’ailleurs la surprise - modérément - d’apprendre que les Teïderiens étaient en quête de la crypte de Césario. C’était là une information que j’avais obtenue pour partie des révélations de Xin, quelques semaines auparavant. Je ne perdis rien de ma posture pensive cependant, toute intriguée que j’étais par les nombreuses questions qui me venaient à l’esprit. La plus grande d’entre elle étant bien évidemment de savoir qui donc avait eu l’idée saugrenue d’aller planquer la clé de la crypte de Césario dans celle d’Ilfrido, plutôt que simplement la garder ici, sous bonne garde au sein de la forteresse imprenable ? Une question que je préférais taire, d’autant qu’au final, la situation m’arrangeait. Je finis par hocher mollement de la tête, soutenant le regard marron et pesant du vieux nain avec une franche détermination.

“Parfaitement clair, Vénérable,” confirmai-je avec tout le sérieux du monde. “J’ai en effet beaucoup de questions qui me viennent à l’esprit, mais je ne doute pas que vous allez me confier plus de détails sur la mission à accomplir. J’attendrai donc de les avoir en totalité, afin de ne poser que les questions qui demeureront pertinentes. Néanmoins, je vous suis reconnaissante de m’accorder ainsi votre confiance, tant pour cette mission que pour ne pas émettre de soupçons quant à mon allégeance envers Eïlynster. Il est vrai que le mode de vie Ikhyldien ne me séduit plus depuis bien longtemps. Et je pense qu’il est désormais temps pour moi de vous rendre la pareille, Grand Maître. Le Ministre et moi sommes simplement de vieux amis. Notre rencontre, si elle se voulait purement fortuite, soulève une réalité : mon passé a fini par me rattraper. Autant que celui-ci serve désormais la cause d’Eïlynster de son plein potentiel,” expliquai-je d’un ton calme et factuel, très simplement. À mesure que la conversation avançait, je me sentais cependant soulagée d’un poids. Un véritable fardeau qui semblait s’envoler, me donnant une sensation de légèreté comme je n’en avais jamais connue auparavant, même dans les plus grandes heures de félicité.

“J’étais moi-même Arcane et Ministre de la Marine de l’empire Ikhyldien, à une époque où ni Akkaton, ni Ikhyld n’étaient encore implantés en Orzian,” révélais-je enfin, mon soulagement transpirant au-travers de mon ton malgré toute la droiture que j’essayais de conserver.

Avant qu'Arzgrarim n'ajoute quoi que ce soit au sujet de la mission future de l'elfe, deux choses retinrent son attention, tout d'abord le fait que celle-ci était honorée qu'il lui accorde ainsi sa confiance, chose tout à fait naturelle, puis ensuite, les confessions que celle-ci s'amusa à faire et que le grand maître des armées écouta dans un lourd silence. Était-ce une plaisanterie de mauvais goût ? Non, ça ne devait pas l'être pensa t-il, c'était bien trop élaboré et cohérent pour en être une. Cela et puis elle ne se serait sans doute pas amusée à ainsi mentir à un grand maître des armées juste pour rire un peu n'est-ce pas ? Quoiqu'il en soit, ce qu'elle lui révélait était lourd, très lourd en conséquence… Trop pour qu'il ne prenne pas le temps d'y réfléchir un peu avec sérieux.

Une ancienne arcane et ministre Ikhyldienne ? Sérieusement, est-ce que cela impliquait qu'elle était une mage particulièrement puissante et qu'ils ne l'avaient jamais su ? Argzagrim pour toute réponse finit par dire.

« Vous prétendez donc être une ancienne arcane Ikhyldienne ? Vous seriez donc une mage à la grande puissante, n'est-ce pas ? Pourriez vous me faire une démonstration de votre magie, que je puisse ainsi déterminer la véracité de la chose ? » Oui, après tout c'était un peu gros à avaler, même s'il n'état pas réticent quant au fait de la croire, il ne manqua pas d'ailleurs d'ajouter avec fermeté.

« Êtes vous consciente de ce que représente le poids de tels aveux ? Que ce soit le fait que vous ayez cacher cela à vos frères depuis si longtemps alors que vos potentiels talents magiques auraient pu nous êtres d'une grande utilité ? Pour quelles raisons l'avez vous fait ? J'en ai ma petite idée, mais soyez sincère. » Autant y aller sérieusement, il ne pensait pas qu'elle était une traîtresse, sinon elle aurait agit bien différemment sans doute et n'aurait pas attendu deux siècles avant de faire de telles révélations, mais il est vrai qu'à ses yeux tout cela compliquait les choses…

Oui, d'ailleurs que devait-il faire maintenant ? La laisser participer à la mission qu'il venait de lui confier ? Sans doute, par contre si elle avait été une ancienne arcane, pourquoi être venue à Eïlynster et non être restée dans son pays natale ? Voilà bien une question qu'il se posait, mais il supposait naturellement que l'elfe y répondrait d'elle-même sans qu'il ait besoin d'insister, après tout il était évident qu'elle devait se justifier maintenant à ce sujet...

Je continuais de soutenir le regard du nain après ma confession. Un silence pesant s’imposa durant quelques secondes. Je ne doutais pas que mes révélations devaient quelque part surprendre le Grand Maître, et lui donner matière à réflexion. Des réflexions dont il ne sembla pas faire preuve physiquement, même si sa première question et sa demande de lui prouver mon potentiel trahissaient bien là le doute compréhensible qui devait l’habiter quant à mon ancien statut.

“Avec tout le respect que je vous dois, Vénérable, je ne prétends pas être un ancien Arcane Ikhyldien, je l’affirme. Quant aux raisons pour lesquelles j’ai fait le choix de cacher mon potentiel et ma nature, c’était simplement pour conserver mon anonymat. Les suspicions d’être une espionne à mon encontre étaient déjà très fortes lors de mon arrivée à Eïlynster, je n’ose imaginer ce qu’elles auraient été si je m’étais présentée comme un ancien Arcane d’Ikhyld en exil, ni même le sort qui aurait pu m’être réservé si vos prédécesseurs l’avaient appris. J’ai déjà fait l’expérience très douloureuse de l’esclavage, la captivité et la torture dans les Duchés du Sud en raison de mon statut. Je ne comptais pas renouveler l’expérience ni redevenir l’objet ou l’outil de quiconque, et certainement pas d’Ikhyld qui a fait le choix - délibéré ou non - de m’abandonner à ce sort abject,” répondis-je sincèrement au vieux nain non sans laisser paraître un soupçon de la colère résiduelle qui m’habitait toujours à l’évocation de ses souvenirs. Une colère sourde que je calmais d’une profonde inspiration avant de poursuivre, avec toujours autant de franchise.

“En m’installant à Eïlynster, je comptais bien laisser tout cela derrière moi et mener une existence anonyme. Cependant, mon physique d’albinos ne m’aide déjà pas à passer inaperçue ; n’importe quel idiot un minimum renseigné aurait pu découvrir ma véritable identité si on y ajoutait à cela une puissance magique et une maîtrise de la magie des ténèbres monstrueuses. Ce n’est pas par plaisir que j’ai fait le choix de dissimuler cela durant plus d’un siècle, mais sûrement par égoïsme. Mais pour vous répondre franchement Grand Maître ; oui, je suis parfaitement consciente du poids de mes aveux. Je ne suis pas une idiote. J’ai largement eu le temps de me faire à l’idée que cet instant finirait par survenir et qu’il faudrait alors en assumer les conséquences,” confiai-je avec droiture et sérieux. Je ne doutais pas que les conséquences risquaient d’être lourdes, même si j’étais presque certaine que cela ne me mènerait ni à la potence, ni à l’exil. Après tout, la possession et l’utilité de mon potentiel magique n’étaient pas négligeables, surtout pour une nation comme Eïlynster. Il restait cependant un dernier point à éclaircir auprès d’Arzgrarim, aussi je repris d’un ton plus sérieux encore, quoique légèrement soucieux.

“Quant à vous faire une démonstration de mon potentiel, je doute que le peu que je puisse faire dans cette antichambre sans risquer de vous blesser physiquement ou spirituellement ne vous impressionne, Vénérable. La magie des ténèbres n’est pas une magie visuellement très spectaculaire, et n’importe quel mage, même médiocre, en ferait tout autant.”

Néanmoins, j’avais finis par détourner mon regard du nain cuirassé pour m’approcher de l’unique fenêtre de l’antichambre. J’en ouvrais les rideaux qui tamisaient la lumière du jour, puis les battants de la fenêtre, me penchant légèrement par l’ouverture à la recherche de l’astre solaire. Sans dire un mot, je me contentais de lever la main droite en direction du Soleil, puis la refermer. Immédiatement, je pus sentir mon énergie magique s’épuiser de moitié, taisant par là l’enchantement de mes gants de cuir et laissant mon potentiel irradier pleinement au sein de mon corps.

En une dizaine de seconde, la lumière du jour déclina très rapidement, apportant à la fois une fraîcheur et une pénombre crépusculaire aussi bien dans l’antichambre que sur la forteresse dans son ensemble. Je m’étais entre-temps retournée vers le Grand Maître, curieuse d’observer sa réaction et surtout, attendre son verdict.

Ce jour pourrait être à la fois riche en possibilités, mais aussi en questionnements au vu de la révélation qui venait de lui être faîte, car le royaume d'Eïlynster ne pouvait évidemment se passer d'aucune ressource qui se présentait à lui. Les temps étaient toujours difficiles après tout pour eux à terme et Teïder ne serait peut-être pas toujours la seule menace à laquelle ils auraient à faire face à l'avenir même si évidemment elle restait la plus préoccupante actuellement, les victoires arrachées à ce royaume fanatique avaient été toujours acquises au prix de nombreuses vies, un poids bien lourd à payer pour les Eïlynsteriens.

Dans tous les cas, les explications de l'ancienne arcane étaient cohérentes, même si Arzgrarim supposait qu'il allait falloir réfléchir longuement à comment gérer ceci. Après tout, est-ce que cela devait se régler simplement ? Disons que c'était possible, qu'il pouvait juste accepter et lui dire que ce n'était pas plus mal, mais… Par principe il devait quand même la tester dorénavant, il ne la supposait pas traîtresse, loin de là, mais il fallait bien après tout qu'elle exploite maintenant ses talents pour le bien de la nation, ne serait-ce que pour rattraper tout le temps où elle ne les avaient pas employés au nom du bien commun.

« Si tout cela est vrai, vous allez devoir vous racheter. Non pas que vous serez punit. » Finit par dire Arzgrarim avec fermeté, ce avant d'ajouter toujours ensuite avec sérieux. « Mais certains vont douter de vous le temps que vous fassiez à nouveau vos preuves et si je veux bien croire en vous, je vais devoir tout de même vous imposer cela. Ce n'est pas que vous ayez fait quoi que ce soit de mal, du moins directement, mais par principe le mensonge entre frères est condamnable, même justifié. Je ne peux donc laisser passer cela sans vous demander de vous racheter pour ce mensonge, même si vous avez eu raison de mentir. » Ainsi était les choses, si Eïlynster était unit et forte, c'est parce qu'ils pouvaient se faire confiance, un mensonge de ce genre quelque soit la nature ne pouvait évidemment que présenter le risque de fragiliser cette dite confiance, ce qui était évidemment inadmissible. Il fallait donc faire en sorte de consolider celle-ci au plus vite, ainsi seulement les choses pourrez aller au mieux…

Dans tous les cas il ne manqua pas de légèrement souffler du nez quand il la vit faire une démonstration d'une manière fort peu discrète… Bien, maintenant il serait difficile de faire autrement pensa t-il, il reprit alors grave.

« Vous êtes un mage particulièrement puissante en effet, vos pouvoirs seront d'une grande aide à la nation et à vos frères. Je vais être franc avec vous, dès aujourd'hui cela ne sera plus un secret personne, je compte répandre la nouvelle, mais aussi une autre. Celle que vous allez vous racheter pour le fait d'avoir mentit, même si vous aviez vos raisons. »

Il la regarde avec le plus grand sérieux du mode, puis reprit méthodiquement.

« Je vais vous affecter dorénavant à une série de mission diverses et variées et pour beaucoup assez périlleuses, des missions où vos pouvoirs seront d'une grande aide, ce même si elles dont différentes de ce à quoi vous avez l'habitude. Montrez votre dévouement envers Eilynster, faite démonstration de votre puissance magique pour le bien de votre nation et ainsi nous démontrerons à tous que vous êtes une bénédiction pour nous. » Il jeta un regard vers le monde extérieur qui se dévoilait à travers la fenêtre et reprit avec clarté.

« Vous allez mener personellement cette mission qui vise à empêcher les Teïderiens d'atteindre leur objectif, sachez que nous n'allons pas laisser la clé qui n'est nul autre que le poignard avec lequel Ilfrido a été poignardé et qui est dissimulée dans son sarcophage là-bas, votre mission sera après vous être occupée des Teïderiens de ramener celle-ci à la forteresse imprenable, est-ce compris ? J'attends de vous une réussite absolue et totale de la mission, tout échec devra être rattrapé d'une manière ou d'une autre, y compris si vous devez aller vous même chercher la dague dans le chambre forte du palais d'Orzus, est-ce bien clair ? » En somme il voulait ce poignard, qu'elle revienne donc avec, qu'importe les efforts nécessaires à faire pour y arriver.