La jeune fille observait les fissures entre les pierres d'une maison, alors qu'une voix retentit gravement devant elle. Elle n'avait même pas vu l'homme qui s'était placé devant, tout vêtu de noir et masqué.

« Qu'est-ce qu'une jeune enfant comme toi fais seule dehors ? Tu devrais aller au temple à cette heure ? Tu ne m'as pas l'air bien instruite par ta famille des préceptes de la mère et du père… Dis moi, va tu souvent prier ? Connais tu les saints enseignements ? Récites moi en quelques-uns... »

Elle observe alors celui qui la domine de toute sa hauteur, penchant la tête sur le côté. Son regard vermillon semble inexpressif pendant un temps, et son visage n'arbore aucune émotion, bien su'une certaine incertitude puisse être visible pour quelqu'un sachant voir les émotions minimes. Puis soudain, un immense sourire se dessine sur son visage et son regard se fait plus léger.

« Pardonnez-moi, monsieur l'inquisiteur, j'étais en pleine réflexion. Je me demandais ce qu'on allait manger, et je ne vous avais pas remarqué. »

Sa mine plus enfantine d'il y a quelques instant se change ensuite une une profonde réflexion, alors qu'elle tente de se remémorer la question de l'inquisiteur.

« Vous vouliez bien que je vous récite des saints enseignements, monsieur ? Comme le fait que les magies transformistes et invocatrices sont trompeuses, celles de lumière et ténèbres sont des essences divines. Elles sont strictement interdites. L'humanité est la seule espèce digne du père de la souffrance, et elle ne doit en aucun cas être souillée. Ceux qui souffrent doivent supporter la dureté de la vie, car il s'agit là d'une épreuve imposée par le père de la souffrance. Vous voulez que je continue, monsieur ? »

Elle affiche désormais un grand sourire, alors qu'elle observe le masque du Teïderien.

***

Fichtre, me manquait plus que ça. Forcément, je pars faire des courses pour assurer ma couverture, et ce stupide inquisiteur se pointe. C'est bien ma veine. M'enfin, heureusement que je me suis instruit, quand même... Sinon, je serais bien embêté. Espérons que ça lui suffise et qu'il s'en aille. Gee, la prochaine fois, s'il-te-plaît, pense à éviter les types dans son genre.
Cela dit, je ne peux m'empêcher de sourire. Celui que ma poupée arbore n'est pas feint, puisque si j'avais été vraiment devant ce type, je l'aurais quand même fait. Certes, il s'agit d'un sourire un peu bête, qui correspond parfaitement à une enfant de cet âge et qui, pour moi, exprime plutôt le fait d'avoir été stupide. La prochaine fois, faudra que j'évite les heures comme celle-ci, où Alice doit théoriquement être au temple. Je pense que ce serait une bonne chose.

La jeune fille observe le masque du Teïderien avec un sourire, mais celui-ci disparaît rapidement.

« Nous allons dire que ce que tu as dis est satisfaisant, pour le moment. »

Elle sentait parfaitement que l'homme n'était pas réellement satisfait, et son ton supérieur lui donnait la nausée. Elle sentait qu'il disait cela un peu par obligation et elle aurait voulu pouvoir riposter. Elle commençait à s'impatienter, voulait repartir pour aller faire ses achats, puis rentrer au Sanctuaire. Mais cet homme, qu'elle n'aimait pas, semblait décidé à vouloir l'emmerder.

"Si j'avais pu le faire taire, je l'aurais fait sans hésiter. Lui clouer le bec, le renvoyer dans son temple et le faire disparaître de ma vue. Bon sang, qu'est-ce que j'aurais voulu lui faire ça. Dommage qu'Alice n'ait pas mes pouvoirs..."

Suite à cela, alors qu'Alice observe l'homme sans grande émotion, ce dernier lui ordonne, avec un ton n'autorisant pas la désobéissance :

« Tu vas me suivre au temple et ensuite pendant quelques heures, je pense qu'il y a quelques points de ton éducation à refaire. Et si évidemment je n'ai pas que cela à faire de mes journées, j'ai bien quelques heures à consacrer pour réparer l'idiotie de tes parents ! »

Sur ces mots, il attrape la main de la jeune fille, non sans douceur. Elle doit réprimer un grognement de colère, mais aussitôt, une sombre colère s'empare d'elle. Elle suit néanmoins l'homme, sans un mot, presque docilement. Elle sait parfaitement qu'elle n'a strictement aucune chance de gagner contre lui. Pas la peine de risquer quoi que ce soit.

"C'est à ce moment que j'ai compris l'une de mes erreurs. Pourquoi ai-je choisi la poupée de ma soeur, franchement ? J'aurais pas pu prendre un gros orc bien costaud, ou même un humain dans la force de l'âge ? Non, j'ai pris une gamine d'une dizaine d'années qui ne vieillit pas. Normal, puisqu'il s'agit d'une poupée. Mais une gamine quand même. Et effrayante que de loin. Je devrais lui apprendre à manier les armes. Les petites."

Finalement, la gamine répond à l'homme. Son ton est las, mais pas triste. Elle n'a pas l'air de se plaindre, juste d'apporter une précision à l'homme.

« Je n'ai plus de parents depuis longtemps, monsieur. Et j'allais acheter de la nourriture pour que mon grand-père et moi puissions manger. J'espère que ce ne sera pas long, il va se poser des questions si je tarde trop. »

À vrai dire, elle doutait que la dernière partie soit vraie, mais elle souhaitait juste que l'homme tarderait moins, pour cette raison. Bien qu'elle en doute, elle estimait simplement que qui ne tente rien n'a rien.

« Je n'ai jamais vu mon père, et ma mère n'était pas assez forte physiquement pour pouvoir me donner une "bonne éducation". »

Elle savait parfaitement qu'elle ne toucherait jamais le cœur - si seulement il en avait un - de l'homme. Et à vrai dire, ce n'était pas du tout son objectif. En fait, elle pensait que ça ne changerait rien et qu'il allait croire qu'elle se plaignait. Mais que s'il la regardait après cela, il verrait dans ses yeux et son expression que c'était tout à fait le contraire. Elle ne se plaignait pas, elle souhaitait juste expliquer à l'homme que dans son jargon, "personne n'avait utilisé le martinet pour la rendre plus dure".

L'homme ignore parfaitement les paroles de la jeune fille. "Ignorer" dans le sens où celles-ci, comme l'avait prévu Alice, n'atteignent strictement pas son minuscule cœur, qui ne probablement servir qu'à le faire vivre. Enfin, en soit, il n'y a strictement rien d'étonnant à cela, mais elle sait parfaitement que ça va l'aider. Au moins, ça évite de le dire qu'à la fin et que l'homme ne croie qu'elle ait voulu le prendre pour un idiot. Idée qui, en soit, peut paraître intéressante aux yeux de la gamine... Et est intéressante.

« La vie te forgeras dans ce cas si tes parents n'ont pas su le faire, mais tu ne risques pas d'apprécier les résultats que ça aura ou même de les supporter. »

La jeune fille opine du chef sans grande conviction. Du haut de ses années de vie, elle sait parfaitement que la vie l'a forgé, mais ça, elle ne le dira pas à l'homme. Après tout, elle n'a que dix ans, n'est-ce pas ?

"Cela dit, c'est assez amusant de duper les gens comme ça. Bonnenfant n'a strictement aucune raison de douter de l'âge d'Alice, car même s'il utilisait un mage, ce dernier ne pourrait rien lui dire de plus. Après tout, aux yeux des gens, Alice n'est qu'une gamine albinos de dix ans. Et c'est ce qu'elle sera pendant mille ans, s'il le faut."

Une fois devant le temple ciblé par l'homme, ce dernier lâche la main de la gamine, lui faisant signe d'entrer. Elle observe l'endroit et constate qu'il ne s'agit certainement pas du plus grand. À vrai dire, durant ses marches, Alice avait souvent vu des temples plus imposants et plus fréquentés que celui-ci.

« Tu devrais prendre l'habitude de venir ici chaque semaine, si je le juge nécessaire, je me chargerai de surveiller que tu y penses, ce n'est pas après tout parce que tu dois t'occuper de ton grand-père que tu dois en oublier pour autant ton devoir de croyante. »

Après avoir jeté un oeil autour d'elle afin d'être sûre que personne ne la regarde, lui étant derrière, elle mime, sans bouger la tête, un visage de gamin capricieux.

"Bien sûr que non, je n'ai absolument pas peur et cela se voit sur le visage d'Alice. Si Bonnenfant a quelque chose à me reprocher, qu'il vienne au Sanctuaire, je l'attendrai de pied ferme. Qu'il s'en prenne directement à l'homme au lieu de passer par la poupée."

Aussi, l'enfant marche, mais jusqu'où exactement... ? Nul ne le sait, après tout, c'est bien la première fois qu'elle met les pieds dans cet endroit. Elle finit par s'arrêter à l'endroit qu'elle semble propice à l'arrêt, observant les préparatifs pour le sermon, sans un mot. Puis finalement, elle semble se souvenir d'un détail, se retourne afin de regarder le Teïderien, puis elle lui dit :

« Bien sûr, monsieur, je viendrai ici une fois par semaine, si c'est que qu'on attend de moi. »

Le ton neutre de ses paroles est étrangement assorti avec ce qui semble être... De la joie ? Sûrement. Sans doute que l'homme s'attendait à ce qu'elle ait peur, mais le résultat est tout autre.

"Bon, je vais quand même éviter de m'attirer les foudres de Bonnenfant, je dois assurer la place et la sécurité d'Alice, pas l'enfoncer. Aussi, j'utiliserai mon pouvoir une fois par semaine, quand j'aurai le temps, pour l’amener dans cet endroit. Ensuite on verra."

La jeune fille patiente le temps que l'homme réfléchissant reporte son attention sur elle. Elle observe la salle, une certaine forme de curiosité dans les yeux. Certes, ce n'était pas l'endroit dans lequel elle se rendait le plus souvent - jamais à dire vrai - et elle ne connaissait donc pas vraiment ce lieu. Elle l'avait déjà entre-aperçu, parfois, en jetant un oeil alors qu'un fidèle entrait, mais jamais elle n'y avait mis les pieds. Et même si elle ne souhaitait pas vraiment que cette habitude disparaisse, elle savait qu'elle devrait la perdre afin de ne plus attirer l'attention de Teïderiens dans le genre de celui qu'elle a en face d'elle.

« J'espère sinon que ton grand-père pense à te former pour un métier plus tard ou bien qu'il compte te marier à bon parti, il ne faudrait pas après tout qu'il dédaigne ton éducation même si je devines qu'il ne doit plus être au mieux de sa forme. Par exemple apprendre la couture, à faire la lessive, quoique faire les courses pour lui est déjà un bon début. »

La gamine opine du chef. Elle sait déjà faire la lessive, même si elle doute que l'homme ait pensé à tout ça. Après tout, ils entretiennent un lien assez spécial, qui n'a jamais fait croire à l'homme que la fillette était réellement sa petite-fille.

"C'est plutôt un lien qui tourne sur la colocation qui profite aux deux partis. Je l'aide; il m'aide, je ne le dérange pas; il ne me dérange pas, je ne me mêle pas de sa vie; il ne se mêle pas de la mienne. On se rend la balle, tout simplement."

« Au pire, si tu te montres bonne croyante, et méritante, je peux peut-être m'arranger pour que rentres dans les ordres, après tout le royaume a besoins de religieuses aussi bien que de religieux... »

Encore une fois, la gamine hoche la tête aux propos de l'homme. Elle sourit, mais en réalité, cette idée ne l'enchante guère. Elle ne souhaite pas vraiment revoir cet homme. Ni devenir religieuse. Non pas que ce métier lui inspire haine et dégoût, plutôt que Teïder n'a jamais réellement fait partie de ses amis... D'autant que le fait qu'elle ne vieillisse pas devra la faire partir un jour. C'est d'ailleurs sur cette idée qu'elle répond :

« Si mon grand-père ne me trouve pas un métier qui pourra plus encore servir à Teïder que celui-ci, j'y penserai ! »

Elle a mis un peu de gaieté dans sa voix, mais elle sait parfaitement qu'elle n'arrivera jamais à ce stade. D'ici à quelques années, mois peut-être, Alice aura disparu d'Orzus. À la place il aura sûrement une autre poupée, mais cette fois-ci, l'esprit les possédant sera plus prévoyant. Et plus invisible dans la masse... Il ne faudrait pas alerter une nouvelle fois les hautes têtes du royaume...

L'homme ne répond pas à la réponse de la gamine, ce qui ne dérange pas vraiment cette dernière qui continue à observer les alentours. En revanche, lorsqu'il lui pose une nouvelle question, son attention se reporte aussitôt sur lui.

« Ma foi, sinon je suppose que tu connais les chants à réciter lorsque la messe va commencer, n'est-ce pas ? »

La petite grimace de la gamine laisse sous-entendre que la réponse est "non", mais elle se retient de lui répondre. Fort heureusement, puisqu'il reprend presqu'immédiatement, cette fois-ci plus sèchement :

« Quoique, à cet âge ça a peine la mémoire pour retenir ce qu'on lui demande de faire, si tu ne connais pas les chants tu n'as qu'à écouter et tâcher de suivre, c'est assez simple. Tâche juste de ne pas chanter faux. »

L'enfant opine du chef, un nouveau sourire sur les lèvres. Bien, au moins elle n'a pas besoin de lui expliquer pourquoi elle ne connaît pas les paroles. Quitte à parraître pour une enfant dont la mémoire ne dépasse pas celle d'un poisson rouge, autant éviter d'avoir d'autres pépins.
Suite à cela, l'homme lui fait signe de s'asseoir sur l'un des bancs, et elle s’exécute.

"Plus vite ce sera fini, mieux ce sera."

Mais finalement, plus que des chants, ce sont des contes qui suivent. La jeune fille écoute chaque parole, buvant les mots comme une gorgée d'eau. Même si les histoires racontées sont terriblement intolérantes, une part d'elle ne peut s'empêcher d'être attentive. Elle sait qu'il s'agit peut-être d'histoires vraies, mais elle se fiche pas mal de cela, car elle préfère se dire qu'il s'agit là de fables. Son regard ne quitte pas d'une semelle celui qui raconte les histoires, et dans sa tête, les combats contre les loups enchaînent sur une attaque de lion fou, en passant par les ours enragés et les animaux sauvages et dangereux.

"Même si je ne pouvais pas m'empêcher d'écouter ces histoires, je me disais que ces propos racistes étaient loin d'être vrais. Certes certains thérianthropes sont agressifs, mais de là à tous les considérer comme des bêtes sauvages... Mais bon, malgré le fait que je pensais - et pense toujours - cela, je ne l'aurais jamais avoué à des gens comme le Teïderien qui m'accompagnait. Fou mais pas stupide."

Une fois le sermon terminé, le patriarche ordonne aux gens de se lever et de s'en aller en paix. La gamine observe alors l'inquisiteur, se demandant s'il va encore souhaiter l'accompagner - et priant pour que non. Mais non. Évidemment. Il lui fait signe de le suivre, et malgré son impatience, elle masque cette dernière sans peine. Des années de pratique. S'il lui est extrêmement difficile de cacher sa colère, son ennui non. Et il ne s'agit là que de ça. Un profond ennui, couplé à une légère dose d'impatience. Il finissent par sortir, et une fois à l'extérieur, l'homme se tourne vers elle et lui dit :

« Bon, allons faire tes courses et ensuite je t'accompagnerais chez toi, j'aimerai me faire un avis de ton grand-père… »

Elle opine du chef, mais dans sa tête, un ennui encore plus profond que le précédent laisse place.

"Oh que oui. On aurait même pu dire qu'il s'agissait de désespoir. À ce moment, je ne me rendais pas compte de ce que ça impliquait. L'inquisiteur saurait où je vivais et pourrait se pointer à peu près n'importe quand. Mais sur le coup, j'étais simplement dégoûté. Dégoûté à l'idée de passer encore plus de temps avec un homme que je méprisais."

Mais malgré ce désespoir et ce dégoût, la jeune fille ne laisse rien paraître qu'un sourire. Un sourire qui aurait pu être crispé si elle n'avait pas appris à sourire en toute circonstance.

« « Cela et aussi lui donner quelques conseils d'éducation te concernant, ou voir si tu aurais davantage ta place dans un orphelinat d'état que chez lui. » »

Cette fois-ci, c'est un air surpris puis triste qui apparaît. Un regard extérieur pourrait simplement se dire que l'idée de quitter son grand-père la peinait, mais la réalité n'était pas tout à fait celle-ci. Si cette idée lui déplaisait particulièrement, ce n'était pas pour un quelconque amour envers l'homme, mais plutôt pour une profonde haine envers ce que l'inquisiteur appelait "orphelinat d'état". Rien que l'idée d'être placé dans un tel endroit l'ennuyait, mais savoir que c'était probablement un lieu qui ne lui permettrait pas une liberté comme elle avait aujourd'hui la bloquait. Il était hors de question de s'y rendre. Et il y avait deux possibilités. Soit le grand-père jouait le jeu du parfait parent, afin de garder sa mini servante, soit il la laissait. Alice pensait qu'il jouerait le jeu, puisqu'il y perdrait plus en la laissant s'échapper. Mais elle n'aimait pas l'idée de lui infliger cela. Y arriverait-il ?
C'est finalement un sourire confiant qui se place sur son visage, alors qu'elle redresse la tête vers l'homme.

« On m'a enlevé ma maman, mais on ne m'enlèvera pas mon grand-père ! Vous verrez qu'il est digne de me garder ! »

Aucune colère dans sa voix, aucune tristesse. Simplement de la confiance. Peut-être pas très assurée, mais de la confiance tout de même. Cependant, elle ne bouge pas. Si une certaine partie d'elle-même voulait s'éloigner, elle ne devait que jouer l'enfant bien éduquée et attendre les ordres de Sigismond Bonnenfant.

L'homme n'étant jamais bien long à répondre, il finit, toujours de sa manière plate et stoïque, par dire à la jeune enfant :

« Soit, il est bon d'avoir confiance en ses aînés. »

Elle opine du chef avec un petit sourire. Est-ce que la phrase voulait signifier plus que ce qu'il semblait ? Y avait-il une vision plus profonde que celle qu'il y avait ? Bref, la jeune fille préférait ne pas y penser. Elle n'avait confiance qu'envers peu de gens, et certainement pas ces teïderiens. Pas ces gens. Des gens qu'elle méprisait pour la plupart. Peut-être y en avait-il à qui elle pourrait donner sa confiance, mais à ce jour, il n'y en avait aucun. Même le vieil homme qui l'hébergeait. Elle n'éprouvait pas particulièrement de sympathie, ils cohabitaient seulement.

« Bien, allons nous occuper de tes courses. J'ai moi-même quelques emplettes à faire, même si pas forcément de la même nature que toi. Passe devant... »

La demoiselle opine du chef, ce avant de s'éloigner en direction du marché. Elle observe les possibles achats qu'elle pourrait faire et finit bien vite par oublier l'homme qui la suit. Elle observe les poissons, demandant conseil au marchand pour avoir à la fois la qualité et le prix, avant de passer aux fruits, aux légumes et à la viande. Elle fait ses emplettes, naturellement, comme elle a tété longtemps habituée à le faire. Elle ne tente pas de fuir, bien qu'il lui arrive éventuellement de slalomer entre les gens. Il ne s'agit pas là de déranger l'homme, puisqu'elle semble l'avoir oublié, perdue dans ses pensées. C'est devant un stand d'armes qu'elle s'arrête, et devant la vue des lames, elle semble enfin se souvenir de quelque chose. Elle se retourne brusquement avant de dire à l'homme :

« Il me semble que j'ai terminé mes achats ! »

Elle vérifie alors dans son panier, si le compte y est. Fruits et légumes en tout genres, viande et poison. Suffisant pour un moment, à condition de tout stocker à l'abri de la chaleur, de l'humidité et du soleil.

Mais l'homme ne prononça pas un mot, attendant visiblement qu'elle se dirige vers sa maison. Soupirant intérieurement mais n'en montrant rien, la jeune fille reprend alors son chemin en direction de la demeure dans laquelle elle vivait en tant que poupée.
C'est en chemin que l'homme reprit la parole :

« Ton grand-père est un vétéran de l'armée pour ainsi avoir encore de l'argent pour lui ? Du moins il ne m'a pas l'air de travailler de ce que tu m'as dis et toi non plus. Et il n'y a pas beaucoup de monde qui peut se vanter de gagner encore de l'argent en restant oisif, sauf ceux ayant fait leur devoir au nom de l'état pendant de nombreuses années. »

La jeune fille opine la chef. Elle avait supposé que c'était le cas, au vu des nombreux trophées (certains terriblement désagréables) qu'il entassait chez lui. Elle y avait vu des peaux de bêtes, plus grandes que normalement, et avait supposé qu'il s'agissait de thérianthropes. Et puis, vu comment il parlait... Elle ne doutait pas que l'homme ait fait l'armée. "Si tu ne travaille pas assez bien, tu dégage de chez moi", lui avait-il dit à son arrivée. Heureusement qu'il ne savait pas qu'elle était à demi thérianthrope...

« Oui, il était dans l'armée avant. Mais il n'en parle pas beaucoup, il dit que ce ne sont pas des histoires pour une gamine comme moi. Vous savez, il a tué beaucoup de ces monstres à demi animaux, en plus ! Et il râle quand les choses ne sont pas bien faites. Alors j'essaie toujours de faire au mieux ! »

La poupée avait volontairement changé de sujet. Rien d'étonnant lorsque l'on considère qu'il s'agit d'une enfant d'une dizaine d'années, car après tout, les enfants partent souvent sur des fourches et parlent d'une chose puis d'une autre... Et puis en soit, on restait sur un sujet plus ou moins identique, car les militaires aiment le travail bien fait et haïssent les thérianthropes. D'ailleurs, la jeune fille aurait déjà pu rejoindre les trophées de l'homme si elle ne disait pas à qui voulait l'entendre que ses origines teïderiennes étaient ancrées. Et que sa mère avait été tuée par un loup géant. Elle prétendait également haïr ces hommes-animaux.

L'homme ne tarde pas à répondre, ce qui étonne quelque peu la demoiselle. Il prenait habituellement son temps, mais cette fois, elle avait l'impression qu'il commençait, peut-être, a avoir une once de sympathie (si l'on peut dire) à l'égard de son "grand-père".

« Hum, un ancien soldat et patriote ? C’est une bonne chose, après tout nous avons toujours besoins d’hommes braves prêts à se battre et mourir pour la nation, les hommes comme ton grand père sont le genre dont a besoin l’état Teïderien pour pleinement s’accomplir que ce soit en temps de guerre ou de paix, après tout qui sait haïr les ennemis du seigneur, sait aussi faire preuve d’un juste amour envers le duo divin. »

La jeune fille hoche la tête à chacune de ses paroles. Elle se rend effectivement compte de cela, et si seulement elle aurait pu apprécier les idées teïderiennes, elle aurait pu dire qu'il s'agissait d'une bonne chose. Seulement voilà, elle n'aimait pas les idées teïderiennes. Cela dit, le vieil homme semblait avoir gagné quelques points et ce n'était pas une mauvaise chose. Loin de là.

« Je serais curieux d’avoir une conversation avec lui et de voir ses trophées, il est toujours agréable de pouvoir fréquenter de dignes citoyens de l’état. Je suppose d’ailleurs que pour ta part tu as peut-être mailles à avoir avec les thérianthropes donc ? Tu sais, rien ne sert de détester sans agir, il faut en faire une force, pour qu’ainsi un jour plus personne n’ait comme toi à souffrir de l’existence de telles engeances. »

Elle opine une nouvelle fois du chef, avec une pensée pour la "maman" dévorée par les loups. Elle fait mine de faire la grimace, puis de reprendre ses esprits en secouant fortement la tête.

« Ce méchant loup ne mérite pas que je l'apprécie... »

Elle n'a pas dit cela fort, elle a même plutôt bougonné. Une manière de faire comprendre qu'elle ne voulait pas qu'on réponde, qu'elle exprimait seulement ses pensées à voix haute, afin qu'on les connaisse. Au moins, le teïderien était au courant de sa fausse haine envers les thérianthrope.

Qu'il est bon de manipuler de cette manière les gens. Surtout lorsqu'il s'agit de Sigismond Bonnenfant. Ce n'est pas le genre de choses que l'ont fait sans conséquences, mais en de telles circonstances, j'avoue apprécier la situation et la capacité à mentir que j'ai développé.

Elle mène alors l'homme jusqu'à chez elle, avant de s'arrêter devant la porte. Ce dernier ne lui laisse pas le temps de ré réfléchir, puisque sa voix se fait entendre une nouvelle fois.

« Entrons ? »

Elle opine du chef avant d'ouvrir la porte et se glisser à l'intérieur. Elle laisse le teïderien entrer, tout en appelant son grand-père.

« Je suis rentrée ! J'ai acheté une truite pour ce soir, si ça te convient ! Et on a de la visite ! »

Elle entend des bruits de pas dans le couloir, suite à sa dernière phrase, et un visage apparaît dans une ouverture. Le grand-père passe la porte au moment où la jeune fille ferme la porte, tout en observant l'inquisiteur. Il le salue de la tête, avant de répondre :

« Bienvenue dans ma demeure, monsieur l'Inquisiteur. Quant à toi, jeune fille, tu sais où ranger tout cela. »

Visiblement contente de pouvoir rapidement filer, mais sachant qu'il lui faudra revenir vite, elle s’éclipse afin de ranger la nourriture achetée. Pendant ce temps, le vieil homme invite l'invité surprise à s'installer, en homme respectueux.

L'inquisiteur, suivant le grand-père d'Alice, s'installe dans l'un des fauteuils désignés par le vieil homme. Ceci, avant de commencer à discuter.

« C’est moi qui suis honoré de rencontrer un ancien serviteur de notre patrie, votre enfant m’a fait part de cela et j’estime que quelqu’un comme vous qui a servit assez longtemps son pays pour atteindre l’âge de la retraite, méritait une certaine considération, après tout ce sont les hommes comme vous qui à leur façon font la grandeur de notre pays. »

L'ancien soldat souriait, ravi d'avoir évoqué l'intérêt de l'Inquisiteur. Mais en soit, il aimait le fait d'être intéressant, car comme l'avait remarqué Alice, il appréciait raconter ses histoires.

« Elle avait évoquée notamment vos trophées, je serais intéressé de les voir si vous le permettez, moi-même je n’en ai pas, mais croyez moi je ne suis pas un novice concernant le combat contre de telles abominations. »

L'homme opine du chef, avant de répondre :

« Il est vrai que j'ai pris part à de nombreux combats monsieur, et qu'il n'est pas rare que j'en emporte un souvenir. Je ne regrette en rien ce que j'ai fait et même je suis fier de certains ! »

C'est à cet instant qu'Alice revient, retrouvant l'homme debout, les yeux pleins de paillettes. Il venait de trouver quelqu'un pour raconter ses histoires, et il en était heureux. Il se tourne vers l'enfant lorsqu'il la voit et lui demande :

« Alice, mon enfant, amène à monsieur Bonnefant, ce que tu sais, s'il te plaît ! »

La jeune fille opine du chef, tout sourire. Ravie de n'avoir pas à rester avec Bonnenfant, ravie de pouvoir s'éloigner afin de ne plus être obligée de garder son sourire niais et ravie de voir que l'homme semblait heureux. Elle savait parfaitement que s'il était de bonne humeur, il ne râlerait plus vraiment. Pour la journée, du moins. Et également ravie de voir que Sigismond allait subir les histoires de son grand-père.

« Ce que vous allez voir, monsieur, est une pièce rarissime ! Vous n'en croirez pas vos mirettes ! »

La jeune fille revint à ce moment, sachant que l'homme exagérait légèrement. Concernant la deuxième partie. Enfin, peut-être était-ce faux ? Elle allait vite le savoir. Elle déposa le lézard emplumé sur la table basse du salon, alors que l'homme expliquait :

« Voyez ce petit monstre ! Un lézard ailé, rien de moins ! Le thérianthrope m'a attaqué alors que je revenais de la chasse au loup ! Et par "loup", je pense que vous comprenez le sous-entendu, héhé. Il avait cette forme, ni plus ni moins. Il n'était pas bien effrayant, je ne vais pas vous dire le contraire, et sûrement bien stupide et téméraire ! Sans doute un Zéta, ou bien rendu fou pour je ne sais quelle raison. J'ai conservé cet animal car on ne voit pas souvent des lézards avec des ailes et des plumes. »

La jeune fille pensait souvent aux dragons, en voyant ce thérianthrope, mais il avait très certainement bien moins de force.

Alors que son grand-père racontait sa formidable épopée à l'inquisiteur, force de gestes et de détails, la jeune fille s'était éclipsée. Elle était allée chercher de l'eau, en bonne enfant serviable qu'elle était - ou tentait de se faire paraître - bien qu'elle tentait en même temps de fuir l'homme qui squattait la demeure de son soi-disant grand-père. Cela dit, elle entendait la discussions qui émanait du salon.

« Impressionnant, vous aviez une lame faîte d’argent je suppose ? Les thérianthropes sont souvent des adversaires redoutables, mais une lame faîte de ce matériau les rends souvent plus vulnérables aux assauts, après une bonne épée et une bonne armure peuvent toujours suffire.
- Je possédais une dague en argent, monsieur l'Inquisiteur, et par ailleurs, je la possède toujours ! Une pure merveille ! Cela dit, je vous avouerai que je ne me suis que très peu servi de cette arme pour ce combat ! Lorsque j'ai vu ce petit démon à plumes, j'ai pensé que le garder dans ma collection de trophées serait du plus bel effet et je ne voulais pas l'amocher ! Aussi, hors de question de lui trouer le ventre de manière horrible ! Après avoir réussi à l'immobiliser, je me suis contenté de l'étrangler... »

La jeune fille grimaçait en entendant ces mots. D'un certain côté, elle était heureuse de ne pas être dans le salon, car elle avait toujours eu du mal à cacher son dégoût face à cette histoire. Elle n'écoutait plus la suite de l'histoire, concentrée sur l'équilibre qu'elle avait, perchée sur la pointe de ses pieds, ainsi que sur l'eau qui ne cessait de couler dans le broc d'eau.

« Dans quel corps d’armées serviez vous votre pays d’ailleurs ? La cavalerie ? L’infanterie ? Ou les honorables renseignements d’états ?
- J'ai fait partie de la cavalerie ! Ces années au sein de l'armée... C'était le bon vieux temps, comme on dit ! Mais c'est un temps que jamais je n'oublierai... »

La jeune fille sort le broc de l'évier, avant de se remettre en marche, d'attraper deux verres et de retourner au salon. Elle pose les verres et le broc sur la table, avec l'aisance d'une personne ayant fait cela toute sa vie. Et profitant d'un silence, elle ose demander :

« S'il vous plaît... Avez-vous soif ? »

« Vous deviez être un excellent guerrier pour arriver à immobiliser à vous seul un thérianthrope sans l’abîmer, notre armée devrait avoir davantage de soldats de votre niveau, mais si vous êtes un ancien de la cavalerie, cela ne m'étonne pas. »

Le vieil homme ne pouvait pas être plus fier. Recevoir une telle éloge de la part d'un inquisiteur aurait pu lui faire prendre la grosse tête, et nul ne pouvait savoir à quoi pouvait-il bien penser. on détectait très facilement la fierté qui se dégageait de chaque partie de lui. Pour dire, un aveugle aurait pu le sentir.

« S'il vous plaît... Avez-vous soif ?
- De l'eau s'il te plaît.
- La même chose, s'il te plaît ! »

La jeune fille n'osa pas répondre à l'inquisiteur qu'il n'y avait que ça, de toute façon. Le vieil homme ne buvait de l'alcool que lors des grandes occasions, et aux yeux d'Alice, c'était loin d'en être une. Même si Igor semblait être tellement heureux qu'au final, il aurait pu proposer un bouteille. Tout en voyant que l'inquisiteur ne buvait peut-être que de l'eau.
Elle se contente alors de remplir les deux verres d'eau, avant de les tendre aux deux hommes, alors que l'un des deux posait une question plutôt délicate...

« Et sinon j'y pensai, quel avenir prévoyez vous pour votre petite fille ? Je suppose après tout que quelqu'un de patriote et fidèle à son pays comme vous ne va pas manquer de lui trouver une utilité au royaume. Vous savez, même si les femmes par nature ne sont pas très douées, on peut souvent arriver à faire quelque chose d'elles avec beaucoup d'applications, on a toujours besoins d'espions par exemple... »

Le grand-père d'Alice opine du chef, avant de répondre activement :

« Hé bien, il est vrai qu'Alice pourrait peut-être faire une bonne espionne... Depuis qu'elle est ici, elle n'a pas grandi d'un millimètre ! Être petit est plutôt utile pour passer dans des petits endroits... Et puis elle sait obéir aux ordres, sa mère lui a bien enseigné ce point, heureusement. Cela dit, j'ai pour objectif de voir ce qu'elle vaut, une arme à la main. Et pour tout vous dire, j'y pense depuis quelques jours. Mais bon, si elle est incapable de quoi que ce soit dans ces domaines, d'autres options s'ouvrent aussi à nous. »

La gamine n'appréciait pas vraiment qu'on choisisse pour elle, mais elle se contentait d'écouter en silence. Lorsque son "grand-père" avait parlé d'une arme en main, elle n'avait pas mis longtemps pour comprendre. Devenir assassin de l'état ? Elle n'était pas franchement sûre que ce soit une bonne idée. Et d'après elle, le choix d'espion était clairement mieux. Après tout, peut-être que ça pourrait lui servir en général ? Même quelques problèmes se posaient... Comment allait-ils réagir en apprenant sa jeunesse éternelle ? Elle pouvait prétendre au vampirisme, mais les vampires n'étant pas bien vus... De toute manière, elle n'avait pas l'intention de rester indéfiniment à cet endroit.