Valandir afficha un sourire aux paroles de son amie concernant l’Empire d’Akkaton et répondit en arborant une expression facétieuse :

- Oh mais voyons, il s’agissait d’une simple taquinerie de ma part. Ce n’est pas parce que je suis un elfe que je me montre toujours aussi rigide et cérémonieux que la plupart de mes congénères et je peux aussi me montrer espiègle à l’occasion. Toutefois bien des Ikkyldiens se seraient offusqués d’une telle taquinerie et l’aurait jugé déplacé. Comme le dit l’adage, on peut rire de tout mais pas avec tout le monde.

Même si la paix régnait entre ces deux Empires, certains Ikkyldiens craignaient les visées impérialistes d’Akkaton ou ne portaient pas la technologie dans leur cœur, estimant que la magie devait prévaloir sur la science. Et affichait ouvertement sa sympathie ou même un simple intérêt pour cette contrée emplie de technologie et désireuse de répandre son influence et ses valeurs se révélait inconvenant auprès de certains interlocuteurs. Après tout, toutes les nations abritaient en leur sein des personnes fanatiques et extrêmes dans leurs idées.

- L’Histoire ne retient que certains noms mais beaucoup de personnes qui resteront à jamais dans l’ombre n’en possédaient pas moins de mérite ou ne compétences, parfois plus que ceux qui ont marqué leur époque. Disons que certains exploits restent inconnus de tous et que les héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit. C’est la raison pour laquelle il ne faut pas se fier uniquement à la surface des choses.

En prononçant ces propos sibyllins et ambigus, l’elfe opalescent retrouva son sérieux et poursuivit en gardant ses prunelles bleutées rivées sur son amie :

- Mais je te rejoins quant à l’interdépendance qui existe entre les êtres mêmes si la plupart des sociétés sont hiérarchisées et pyramidales et attribuent plus de prestige à certains rôles comme ceux de dirigeants. Au fond, même les dirigeants seraient inutiles et réduits à l’impuissance sans le concours des autres maillons de la chaine et un état aussi complexe qu’Ikkhyld serait incapable de fonctionner sans son imposant réseau de fonctionnaires et ses métiers divers et variés. Puis n’oublions pas qu’un dirigeant aussi puissant soit-il serait incapable de se maintenir au pouvoir sans une certaine forme de légitimité vis-à-vis du peuple ou l’appui d’autres puissances. Bref croire qu’on dirige seul représente sans doute une forme d’orgueil illusoire.

Ensuite quand Osami évoqua la jeunesse de son ami, son visage aux traits angéliques afficha une expression soucieuse voire mélancolique.

- La jeunesse est comme une rose, elle est destinée à se faner et ne dure que le temps d’un été. Même si notre longévité nous donne l’illusion de perpétuer, nous ne faisons que retarder l’inéluctable. Comme les autres races mortelles nous sommes condamnés à vieillir et à mourir un jour. Peu importe que cela dure 100 ans ou 1000 ans, l’issue sera la même. Mais il est vrai que je suis encore jeune selon les critères Elfiques, à tel point que certains esprits traditionnalistes estiment malséant que j’occupe une fonction de juge et que j’en vienne à condamner des individus. Pourtant l’expérience n’attend pas forcément le nombre des années et je méfie de ceux qui prononcent des assertassions aussi péremptoires.

De toute manière, peu importe sa situation, certains individus trouveraient quelque chose à redire. S’il avait été issu du peuple et non de la noblesse certains esprits fermés se seraient offusqués d’une telle ascension sociale, quand bien même elle serait due à de grands mérites. Bien que Valandir soit capable de se plier aux règles protocolaires, habitué à évoluer au sein des plus hautes sphères de la noblesse et à côtoyer des éminences Ikkyldiennes, il avait pour habitude de conserver sa liberté de pensée, même si celui n’affichait pas ouvertement ses opinions, en particulier celles susceptibles de faire polémique.  

Ses lippes s’ourlèrent d’un fin sourire en entendant la suite des paroles de la Kitsune :

- Peut-être que oui, je ressemble à mon oncle Xin par certains aspects. Il est célibataire mais ne semble pas malheureux pour autant et puis l’amour peut frapper lorsqu’on s’y attend le moins ou avec des personnes que l’on aurait jamais imaginé. Je crois que la vie est un grand mystère et nous réserve souvent bien des surprises. Parfois bonnes et parfois mauvaises. Et apparemment j’ai vu juste concernant Araki. Si à l’avenir votre relation se concrétise je vous souhaite plein de bonnes choses.

Ensuite l’attention de la Duchesse se concentra sur Midori, ce qui au fond n’était guère étonnant car toutes deux appartenaient à la même race, et une jeune femme aussi soucieuse du bien-être d’autrui qu’Osami n’aurait pas laissée délibérément de côté la jeune servante. Cette dernière dévoila certains pans de son passé et sa jeunesse sur la terre emplie de mysticisme et de splendeur de Eirn.

Midori acquiesça quand la duchesse expliqua que sa loyauté envers l'elfe lactescent pouvait être considérée comme honorable au sein d'une nation comme Ikkhyld  et répondit avec emphase :

- Je crois fermement que tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort et désormais je me sens plus forte. Avoir rencontré Maitre Valandir sur ma route est aussi un cadeau du destin et je veux tout faire pour m’en montrer digne.

Tout en discutant, ils parvinrent aux jardins et Valandir ne manqua pas de s’extasier sur leur magnificence. De toute évidence, son amie d’enfance faisait appel à des jardiniers et des horticulteurs talentueux car à l’image de la décoration de son salon, le jardin mélangeait harmonieusement le style Ikkhyldien et Duchéen.

-  Quel beau jardin ! Je suppose que c’est très reposant pour toi de venir de temps à autre te promener dans ce splendide écrin végétale ou admirer la beauté des parterres fleuries. Et à l’instar de ton salon, tu as su mélanger deux cultures différentes pour une faire quelques choses d’harmonie. J’avoue que je le trouve très agréable et c’est le genre d’endroit idéal pour boire une tasse de thé ou profiter de ce décor enchanteur ou jouer d’un instrument.

Midori aussi semblait subjuguée et intriguée par les statues en forme de griffons et d'hippogriffes magnifiquement réalisées. En soi, elles constituaient de véritables œuvres d'art:

- C’est très joli ! s'écria-elle avec une joie presque enfantine. Même si c’est complètement différent des forêts luxuriantes et pleines de monstres où j’ai passé une grande partie de mon enfance. A Eirn, la présence et la puissance de la Nature est omniprésente et elle et trop forte pour être domestiquée. Mais au fond, je préfère qu’il en soit ainsi et qu’Eirn garde sa spécificité et son côté sauvage.

- Certes, la plupart des elfes se montrent en général plus chaleureux ou moins protocolaires avec leurs connaissances proches plutôt qu’avec d’illustres inconnus ou des liens plus informels. Après, le comportement dépend de toute une série d’autres facteurs comme l’éducation ainsi que la personnalité. Mon père par exemple s’est toujours montré froid et réservé, y compris avec ses propres enfants. Et la mentalité et la culture jouent certainement également un rôle, et ton peuple possède la réputation d’être particulièrement espiègle, bien qu’il existe sans doute des exceptions. Des exceptions qui confirment la règle.

En effet, certaines personnes jouaient un rôle et n’osaient pas dévoiler leurs sentiments, y compris en présence d’être chers et Valandir lui-même était un individu secret, obligé de porter un masque en de nombreuses occasions. Peu de gens pouvaient se targuer de le connaitre vraiment, en admettant que cela soit possible. Après tout, n’existait-il pas une part de mystère en chacun et les autres ne recèleraient-ils pas à jamais une partie d’inconnu ?  D’ailleurs, à bien y réfléchir, même se connaitre soi-même se révélait être une tâche particulièrement ardue.

- Je pense que les deux peuvent aller de pair, même si ce n’est pas toujours le cas, car il existe des héros inconnus. Mais certains individus dont les actes ont marqué leur époque voire l’avenir sont devenus illustres et leur renommée est passée à la postérité. Par exemple Ilfrido le conquérant et certains rêvent de réitérer ses exploits en réunifiant les duchés du sud. En un sens, bien qu’il soit mort depuis longtemps, il subsiste dans les mémoires collectives et peut continuer à jouer un rôle en influençant les générations futures en tant que personnage mythique. Quant au fait qu’un seul changement peut avoir une influence énorme par la suite, cela me rappelle cette métaphore très poétique qui dit que le battement d’aile d’un papillon peut provoquer une tempête de l’autre côté de la terre.

L’elfe aux cheveux opalescents savait qu’il ne fallait pas sous-estimer la puissance des petites choses et qu’il suffisait d’un simple grain de riz pour faire pencher la balance entre victoire et défaite. De même, il était difficile de mesurer l’impact de nos actes et certaines actions, en apparence anodines, pouvaient se révéler en réalité déterminantes pour notre avenir.

- Je me rappelle l’histoire très amusante que quelqu’un m’avait racontée et qui concernait un jeune homme arrivé en retard à un rendez-vous. En raison de cela, il n’a pas pu rencontrer la personne en question car elle était déjà partie à son arrivée mais en rentrant chez lui, il a fait la connaissance d’une charmante jeune femme qu’il a épousée quelques mois plus tard. Certains n’y verront que l’effet du hasard, tandis que pour d’autre il s’agissait d’une rencontre prédestinée. Mais cette anecdote montre bien à quel point nos vies pourraient être radicalement différentes si nous changions le moindre geste ou choix même futile fait dans une journée.

Parfois Valandir se demandait où ses choix actuels le conduiraient et s’il parviendrait un jour à obtenir ce qu’il convoitait par-dessus tout. Nul ne pouvait lire l’avenir et lui pas plus qu’un autre, dès lors celui-ci n’avait guère d’autres choix que d’avancer en espérant qu’un jour ses efforts porteraient leurs fruits.

Osami, quant à elle, semblait également attendre de voir ce que l’avenir lui réserverait concernant une éventuelle relation avec Araki, bien qu’elle manifeste un certain optimisme à ce sujet.

- Je ne sais pas si les choses sont aussi simples que cela. En amour, il n’y a pas vraiment de règles car il s’agit d’un sujet complexe. Parfois un coup de foudre peut aboutir à une relation durable et des relations de longues durées mal se terminer. Mais peut-être trouves-tu plus rassurant de t’engager avec quelqu’un que tu connais depuis longtemps, même si le résultat final n’est jamais garanti à coup sûr.

Certains individus étaient prêts à tenter leur chance, même avec des quasi-inconnus, d’autres avaient besoin de prendre le temps de s’attacher et de se sentir en confiance avant de contracter un engagement. En soi, les deux points de vue se valaient et dépendaient surtout de la personnalité de chacun.

- La mort ne m’effraie pas. Ma vie ne m’appartiens plus et je serai heureuse de la sacrifier pour celui que je sers et aussi car certaines choses méritent qu’on se sacrifie pour elles, répondit Midori avec un léger sourire aux paroles de sa congénère.

Le point de vue de Midori pouvait sembler extrême et il l’était d’une certaine façon, car cette dernière servait aveuglement un autre être avec un rare dévouement. Mais peut-être que la passion qui l’animait finirait par la consumer entièrement un jour. Pourtant, en acceptant de suivre l’elfe nécromant, la Kitsune savait qu’elle se destinait à une existence de lutte où la mort pouvait la faucher à n’importe quel moment.

- J’ai croisé plus de bestialité chez certains hommes que chez les bêtes, ajouta la Kitsune avec sérieux. La vie sur ma terre natale était rude mais je l’aimais beaucoup et si Eirn est une terre envahie de monstres, cette contrée possède la chance inestimable de ne pas être déchirée par la guerre.

Tandis qu’ils poursuivaient leur promenade à travers le dédale somptueux du jardin, Valandir tout en admirant les plantes et les sculptures végétales répondit aux paroles suivantes de son amie d’enfance.

- Tu seras la bienvenue chez moi si d’aventure tu désirais venir me rendre visite lors d’un séjour à Ikkyhld. Comme tu t’en doutes, j’habite à présent ma propre demeure et pour répondre à ta question, disons que c’est un peu des deux. Je prends soin d’une partie de ma demeure, notamment mes appartements privés et certaines pièces qui me sont particulièrement chères, et je confie le reste aux soins des domestiques. J’habite une très grande demeure et il me serait impossible de l’entretenir, quand bien même je le désirerais en raison de mon imposante charge de travail.

- Je pense que ce n'est pas une mauvaise chose, pour ma part j’ai toujours apprécié le sérieux et la sagesse dont tu te fais preuve malgré ton jeune âge et qui représente un trait un peu atypique parmi ton peuple. En soi, je trouve qu’il est bon de trouver des individus qui se démarquent un tant soit peu de la morne, car ce sont souvent eux qui font bouger les choses en introduisant un peu de singularité au sein d’un groupe.

Valandir s’était souvent senti des différents des autres en raison de son tempérament secret et de sa manie précoce de s’intéresser aux mystères de l’univers et aux secrets de l’au-delà. Il ne pouvait réellement partager ses obsessions qu’avec un nombre restreint d’individus, car la plupart de ses congénères ne l’aurait pas compris.

Un fin sourire apparut sur les lèvres de l’elfe lunaire lorsqu’il entendit la remarque d’Osami concernant son obsession pour Ilfrido le Conquérant. Certes ce brillant stratège l’intéressait au plus haut point, mais celui-ci ne pouvait guère avouer à son amie les véritables raisons d’un tel engouement. La Kitsune serait probablement très surprise d’apprendre que Valandir était le leader du groupe de pilleurs qui avaient profané son tombeau et qu’il avait même tenté de s’emparer de son cadavre. D’ailleurs, le nécromancien gardait en mémoire le dragon qui avait dérobé les restes d’Ilfrido, juste devant ses yeux, et se promit de lui faire payer un tel geste si d’aventure leurs chemins se recroisaient un jour.

- Certes, j’avoue qu’Ilfrido m’intéresse particulièrement en ce moment. Probablement car j’ai en ma possession un objet rare qui provient de son tombeau et dont j’aimerais percer le mystère. J’imagine que s’il se trouvait en la possession d’Ilfrido, c’est qu’il possédait une certaine valeur et je suis très intrigué par son origine naine. Peut-être que j’y pense un peu trop et comme tu l’as souligné il existe d’autres individus notables sur Orzian en général et au sein des duchés du sud en particulier. D’ailleurs, j’ai souvent entendu parler d’une célèbre naine nommée la comtesse écarlate et qui est renommée pour son goût immodéré pour le rouge et son talent commercial redoutable. J’aimerais beaucoup la rencontrer un jour si l’occasion se présente et toi tu as déjà eu cette possibilité ?

Ensuite l’elfe lactescent écouta la réponse de son amie concernant les relations amoureuses et acquiesça d’un signe de tête :

- Je suppose que chacun d’entre nous possède sa manière de fonctionner à ce sujet et que si certains préfèrent tenter leur chance ou se référer avant tout à leurs sentiments, d’autres préfèrent conserver une part de raison ou parvenir à un juste équilibre entre raison et émotions. Je me souviens avoir rencontré jadis un grand savant qui vantait les vertus de mariages arrangés entre deux parfaits inconnus qui seraient unis avant tout en fonction de leur profil de personnalité et d’une compatibilité calculée mathématiquement. Selon lui, seule la science pouvait parvenir à calculer et donc prédire avec succès les chances de réussite d’une union. Mais un tel modèle doit sembler aride à bien des gens et beaucoup seraient mal à l’aise avec le fait de se choisir un partenaire à l’aide d’un théorème.

Valandir restait assez neutre sur le sujet, comprenant que la plupart des gens avaient besoin de se rassurer au moyen d’un système de croyances : certains croyaient au destin et à la puissance des rituels magiques et d’autres vénéraient ces symboles quasi ésotériques que représentaient les mathématiques. Mais au final, l’objectif restait le même, et consistait à prédire le résultat d’une relation et à maximiser ses chances de réussite. Un désir somme tout à fait légitime.

Pendant qu’ils se promenaient dans les jardins, en profitant pour admirer la splendeur de cet écrin végétal, Osami et Midori bavardaient, n’hésitant pas à comparer les deux nations si dissemblables qu’étaient les Duchés du Sud et Eirn. Et peu à peu, la jeune servante Kitsune abandonna sa réserve et s’exprima avec plus de spontanéité :

- Aucune nation ne peut être parfaite et sur Eirn la vie est rude et notre monde plein de dangers à cause des monstres et des bêtes sauvages. Pourtant beaucoup de races y cohabitent et sont heureuses de pouvoir vivre librement et surtout préservées des maux et des dangers qui frappent les autres civilisations, comme les guerres ou les crimes. Eirn ressemble à une terre vierge et pleine de pureté et il existe là-bas une forme de mysticisme et de ferveur que je n’ai pas retrouvée dans les duchés où l’argent est maitre. Tout s’achète même les individus et pour certains les gens n’ont de valeur qu’en fonction de leur richesse.

Ancienne esclave, longtemps considérée comme une vulgaire marchandise, Midori était bien placée pour connaitre les méfaits du libéralisme agressif et de la politique mercantile qui existaient dans les duchés du sud. Même si cette liberté et cette richesse comportaient des avantages, elles avaient un prix à payer. Et ce tribut, les plus faibles en faisaient souvent les frais.

Ensuite Osami interrogea l’elfe nécromant afin d’en savoir plus sur ses ambitions futures, notamment en ce qui concernait sa carrière. Valandir reste silencieux un bref instant, admirant un magnifique parterre de fleurs aux couleurs chatoyantes. Puis, il prit la parole :

- Tu as raison. Je n’ai pas envie de me contenter de rester juge, même si comme tu l’as dit il s’agit d’une fonction honorable dont je ne renie absolument pas l’utilité. Pour être honnête, j’aimerais accomplir de grandes choses et aller aussi loin que je le peux, surtout dans le domaine de la nécromancie. Mon opinion est que lorsque nous disposons d’un talent nous devons faire tout notre possible pour l’exploiter au maximum. J’ignore jusqu’où je serai en mesure d’aller mais je veux aller le plus loin possible et choisir une voie qui me permettrait d’utiliser au mieux mes dons pour la magie. Mon oncle Xin est un brillant exemple de quelqu’un qui s’est élevé grâce à son labeur et à ses capacités magiques, il n’est pas impossible que je veuille m’orienter vers une voie similaire, bien que plus spécifique à ma personnalité.

- Peut-être aurais-je un jour l’occasion de rencontrer cette fameuse comtesse écarlate et lors de cette entrevue, je m’habillerai entièrement de rouge. Qui sait, cela m’attirera peut-être ses bonnes grâces, dit l’elfe en riant, même si ce dernier ne plaisantait qu’à moitié. Après tout avec une naine aussi excentrique que cette célèbre comtesse, tout était possible, et Valandir s’imagina délaisser son kimono immaculé pour revêtir une tenue couleur rubis.

L’elfe évanescent écouta la suite des propos de son amie et songea au fait que les Duchés regorgeaient de personnes talentueuses, même si toutes n’étaient pas aussi illustres qu’Ilfrido le conquérant.

- J’ai également entendu parler de cet Azzurien mais comme tu le souligne il est déjà mort malheureusement. C’était probablement un individu épris de liberté et avide d’aventures et je pense que c’est ce qu’il recherchait avant tout plutôt que la gloire. L’avantage des Duchés c’est qu’on peut y croiser toute sorte de gens et que beaucoup viennent y tenter leur chance car dans leur patrie d’origine ce n’est pas toujours possible.

Depuis son arrivée au sein des Duchés, l’elfe avait eu l’occasion d’observer de près le fonctionnement de cette société cosmopolite et de se faire une opinion à ce sujet. Et même s’il n’appréciait pas certains de leurs mœurs et les jugeaient décadents, celui-ci reconnaissait que ces contrées offraient de nombreuses possibilités en terme d’ascension sociale.

- Il est peut-être plus simple d’y devenir riche ou illustre qu’ailleurs car ces terres regorgent de possibilités pour les mercenaires et les aventuriers. Mais je crois qu’il faut se méfier de ces succès rapides car s’il est facile de monter, il est également facile de chuter et les gloires et les fortunes sont souvent éphémères. Certaines célébrités locales seront complètement sorties des mémoires d’ici quelques années et rares sont ceux qui rejoindront le panthéon des personnages mythiques. Si la comtesse écarlate est renommée à présent, reste à savoir si les gens se souviendront encore d’elle des centaines d’années après sa mort.

Marquer les mémoires et s’inscrire dans l’Histoire, en y laissant une marque indélébile, étaient également des moyens d’accéder à l’immortalité. Valandir désirait conserver à jamais sa beauté enchanteresse et sa jeunesse, mais son ambition le conduirait certainement tôt ou tard à tenter d’accéder également à l’immortalité grâce à sa renommée. D’ailleurs sa quête de l’immortalité requérait d’accomplir d’incroyables exploits et de repousser toujours plus loin les frontières de la magie nécromantique. Si un jour il y parvenait, celui-ci serait probablement l’un des plus puissants, voire le plus grand nécromancien du monde.

- Utiliser des moyens coercitifs n’est pas vraiment la meilleure des solutions si l’on désire obtenir quelque chose, surtout qu’il existe des moyens plus subtils et plus efficaces. La plupart des familles nobles s’arrangent pour que leurs rejetons ne rencontrent que des personnes de leur milieu ou du moins d’un milieu assez proche et l’éducation forge des goûts et des manières de penser similaires. Sans compter que si un noble tombait amoureux d’une paysanne, il subirait la désapprobation générale et leur union serait considérée comme une mésalliance. Il n’est même pas besoin de l’interdire, la majorité des individus ont intériorisé ces normes implicites et ne cherchent pas à les braver. Même si bien entendu, il existe parfois des exceptions.

L’elfe aux cheveux couleur de lune écouta ensuite la discussion entamée entre Midori et Osami. Les deux Kitsunes semblaient sympathiser peu à peu et leur débat était plutôt intéressant. Après cela, la duchesse questionna son ami d’enfance sur ses ambitions professionnelles. Et celui tâcha de lui répondre de la manière la plus sincère possible, même s’il gardait le secret sur ses activités occultes.

- Ma foi, je pense que devenir arcane de la nécromancie serait en quelque sorte une forme de consécration de ma magie. Mais j’ai conscience qu’y parvenir, surtout à mon âge, ne sera pas si aisé car les arcanes font partis des meilleurs mages de l’Empire et c’est parmi eux que l’empereur est choisi. Dès lors, être juste très bon en magie ne suffit pas, il faut être en quelque sorte le meilleur dans son art et je vais devoir encore faire quelques progrès pour atteindre le niveau requis. Effectivement, je suis conscient que si un jour je parviens grâce à mes mérites à accéder à un poste d’arcane je devrais gérer un ministère et j’ai déjà réfléchi à cette question. Si cela devait arriver, j’aimerais m’occuper du ministère de la magie et veiller à son rayonnement et à son expansion. De plus, grâce à mon travail de juge, je connais les décrets concernant l’usage des sorts et ceux qui sont illégaux, ainsi que les objets magiques licites ou illicites.

En tant que puissant mage Ikkylhdien, Valandir vouait un véritable culte à la magie et voulait contribuer à son développement. Sans compter qu’étant donné la rivalité existante avec l’empire d’Akkaton, Ikkylhd avait tout intérêt à veiller à ses intérêts et à promouvoir la magie face à la technologie. Même si l’elfe n’était pas hostile à la science, ce dernier préférait largement voir la magie au pouvoir plutôt que l’inverse.

- Je pense que pour y parvenir, il est indispensable que j’accomplisse de brillants exploits qui serviront les intérêts d’Ikkylhd et montreront mes capacités en matière de magie, de gestion et de diplomatie. Cela m’imposera certainement de rentrer à Ikkylhd mais aussi de voyager à travers Orzian pour œuvrer à la gloire et la puissance de l’Empire et accroître sa réputation et son influence.

Le nécromancien savait également que s’il désirait mener une existence publique et en pleine lumière, celui-ci devrait redoubler de prudence concernant son ordre religieux et déléguer son rôle de dirigeant à l’un de ses adeptes les plus dévoués, afin qu’il le gère dans le plus grand secret.

En entendant les paroles de son amie, un fin sourire vint fleurir sur les lèvres de Valandir et ses mires azurées s’éclairèrent d’une lueur rêveuse.  

- Les Azzuriens sont un peuple plein de mystères et j’aimerais en apprendre davantage sur leur civilisation. Je ne suis guère étonné qu’ils soient à ce point épris de liberté et d’aventure car même leur apparence physique les prédispose aux voyages grâce à la possibilité qui leur est offerte de se mouvoir à travers les cieux. Pouvoir voler en toute liberté et caresser les nuages du bout des ailes n’est-ce pas excitant ? Mais toi et Midori avaient toutes les deux cette possibilité grâce à la magie transformiste qui vous permet de vous transformer en créature volante ou en oiseau.

Il s’agit d’un avantage indéniable de la magie transformiste et d’une possibilité à laquelle l’elfe aurait aimé goûter, au moins une fois, ne serait-ce que pour assouvir sa curiosité.

- Certes, bien des êtres se sont illustrés et ont laissé une empreinte indélébile sur le monde. Certains ont accompli de brillantes actions et apporté la civilisation ou la gloire à un peuple et d’autres se sont distingués par leur cruauté et leur règne de terreur. Mais parfois la réalité est plus subtile et le monde n’est pas composé de gens entièrement lumineux ou au cœur aussi noir que l’onyx. Les individus sont complexes et parfois une même personne est capable de commettre le pire comme le meilleur. Après tout, même l’astre lunaire possède une face cachée.

Pour l’instant, l’elfe lunaire œuvrait dans l’ombre et préférait garder nombre de ses accomplissements secrets. Mais un jour viendrait où il accomplirait des actes notables, connus de tous, tout en conservant une face cachée. En somme, celui-ci resterait probablement un être ambiguë, à jamais tiraillé entre l’ombre et la lumière.

- J’imagine que dans les duchés le pragmatisme occupe une place importante et que les mariages d’intérêt sont sans doute monnaie courante, même si pour l’instant je ne me suis jamais penchée sur les mœurs matrimoniales au sein des duchés. Peut-être que certains ducs peuvent même envisager de contracter une union avec la duchesse d’un duché voisin et tenter de fusionner ainsi deux terres afin de la léguer à leur descendance. En vérité, le mariage peut être un moyen parfois plus efficace accroître sa puissance, sa richesse et son territoire que la guerre souvent longue et coûteuse, aussi bien en or qu’en vies.

A la question d’Osami concernant l’opinion de son oncle concernant ses ambitions futures, l’elfe diaphane fronça légèrement les sourcils et son visage angélique arbora une expression pensive.

- Pour être honnête, je n’ai pas encore eu l’occasion d’aborder un tel sujet avec lui et j’ignore donc quel pourrait être son avis sur la question. Je pense qu’il serait heureux de me voir nourrir de grandes ambitions et de m’investir davantage dans la vie politique de l’empire, mais j’imagine que notre lien de parenté pourrait faire craindre à certains que je ne bénéficie d’un traitement de faveur.

En effet, Valandir était le neveu d’un arcane et s’il le devenait à son tour, certains pourraient remettre en doute sa légitimité ou ses compétences en raison d’un tel lien de parenté.

- Cela dit, connaissant mon oncle je crois qu’il fera son possible pour être impartial et il bénéficie d’une réputation d’intégrité, ce qui couperait l’herbe sous le pied d’éventuels détracteurs. Et si je parviens à occuper un tel rang, je me demande comment se déroulerait notre collaboration.

Pour l’instant, en raison de son âge et de son expérience, Xin occupait auprès de son neveu un rôle qui ressemblait à celui d’un mentor, mais si Valandir accédait à une plus haute fonction, il deviendrait son égal. Un tel changement de situation impacterait sans doute leur relation, mais pour l’heure il était impossible de savoir de quelle façon.

- Je pense en effet que cet artefact revêt une certaine importance et qu’il serait peut-être en lien avec l’ancien empire nain d’argent. Son origine antique et naine ne font aucun doute et il s’agit d’un objet rare et précieux qui n’a pour l’instant pas encore livré tous ses secrets. Mais j’ai bien l’intention de les découvrir et d’en user pour accomplir de grandes choses et contribuer à accroître le prestige de l'Empire.

Ensuite la duchesse s’adressa à sa congénère Kitsune, occupée à les observer et dont le visage légèrement empourprée laissait deviner une pointe de jalousie. La renarde se montrait parfois un tantinet possessive lorsqu’il s’agissait de son maitre, en dépit du fait qu’elle avait renoncé à tout espoir de devenir un jour sa compagne ou même son amante.

D’un ton calme mais avec néanmoins de l’aplomb, cette dernière répondit à la question d’Osami.

- Je n’ai aucune ambition personnelle sauf celle de servir les objectifs et les desseins de mon maître. Sa réussite est en quelque sorte ma réussite et je ferai l’impossible pour l’aider à obtenir le bonheur et ce qu’il désire le plus au monde. Si devenir un arcane est ce qu’il ambitionne alors je serais heureuse de l’aider à y parvenir et je l’accompagnerai à Ikkyhld, même si ça signifie pour moi de renoncer à revoir ma patrie d’origine et de devoir me plier aux coutumes de cet empire.

L’existence à Ikkyld serait probablement compliquée dans un premier temps et nécessiterait une période d’adaptation, mais la lueur de détermination qui brillait dans les prunelles de la Kitsune indiquait que cette dernière était certaine de son choix.

Valandir se contenta d’acquiescer d’un hochement de la tête aux paroles de la jeune duchesse. Il était conscient que son éducation et la mentalité Ikkylhdiene le prédisposaient à une certaine forme de pensée, notamment en ce qui concernait la magie érigée au rang d’art suprême. L’empire d’Ikkhyld estimait tout particulièrement les individus qui maniaient l’essence mirifique d'un main de maître et ceux-ci pouvaient s’élever plus facilement vers les hautes sphères de la société.

La suite des propos d’Osami éveilla en lui un certain amusement et une expression espiègle se peignit sur ses traits délicats :

- Vraiment ? Tu serais capable de me transformer en azzurien l’espace d’une journée ? Prends garde que je ne te prenne pas au mot car cette perspective est plutôt…intéressante.

L’elfe se tut, réfléchissant très brièvement à l'impact psychologique d'une telle métamorphose avant de reprendre :

- Effectivement, cela suppose un changement important de mon apparence et peut-être que pour un non-transformiste une telle métamorphose doit sembler étrange de prime abord. Est-ce que tu serais en mesure de me faire pousser uniquement des ailes ? En tout cas, une telle transformation nous permettrait de survoler les environs ce qui ne serait pas pour me déplaire.

Si la Kitsune était capable d’un tel prodige, cela rendrait la perspective de visiter le duché autrement plus attrayante. En effet, Valandir avait eu l’occasion d’admirer la beauté des paysages lors de son voyage en carrosse au sein de ses contrées. Mais les recouvrir depuis le firmament devait s’avérer stupéfiant.

- Bien entendu, tu peux arguer que si la possibilité de voler m’enchante à ce point, je peux toujours faire l’acquisition d’une monture volante, mais je ne suis guère doué pour l’équitation. Néanmoins, je pourrais apprendre et me perfectionner dans ce domaine, termina-t-il avec un léger haussement d’épaules.

Ensuite ils abordèrent la question de la complexité de la psyché des êtres, un vaste sujet que des heures de discussion ne suffiraient pas à épuiser. Valandir considérait que l’âme des individus ressemblait à un kaléidoscope de couleur ou à une mosaïque composée d’éléments hétéroclites.

- Si nous pouvions lire le cœur des êtres, nous éviterions sans doute bien des déconvenues. Mais je suppose que tout comme la lecture de l’avenir qui est impossible, nous devons composer avec cette part d’imprévisible. Dès lors nous pouvons connaitre les joies d’une découverte agréable ou l’amertume de la trahison. Beaucoup de gens ne sont pas ce qu’ils paraissent dans le bon ou le mauvais sens. De plus, un même individu peut évoluer en fonction des expériences et des situations, passer du blanc au noir dans une même journée. Sans compter que désigner un être comme bon ou mauvais représente un jugement de valeur très subjectif.

Osami évoqua par la suite son point de vue concernant d’éventuels mariages politiques au sein des Duchés :

- En effet, les Duchés ne sont pas comparables à l’aristocratie qui prédomine à Ikkyld. Il s’agit d’une ploutocratie mais même si la plupart se nomment ducs, ce sont essentiellement des bourgeois enrichis, et certains par pure frivolité et arrivisme n’hésitent pas à se parer des attributs de la noblesse. De tels mariages ne m’étonneraient guère malgré tout car de nombreux riches se marient entre eux pour faire prospérer leur fortune et dans un contexte aussi instable que les duchés, se marier avec un duc voisin ou une riche marchande permettrait d’assurer une certaine stabilité et d’avoir un ou plusieurs alliés en cas de conflit ou même d’améliorer les échanges commerciaux. Bref, je persiste à croire que malgré un contexte différent de celui d’Ikkyld le mariage ou même d’autres liens comme des alliances sont un moyen de s’enrichir et d’augmenter son influence ou son pouvoir. Rester isolé selon moi n’est pas une stratégie gagnante surtout dans un contexte aussi instable et compétitif. Mais bien sûr il ne s’agit que de mon point de vue.

L’elfe écouta attentivement les paroles suivantes de son amie avant de fournir à son tour une réponse argumentée à ce sujet :

- Certes, je pense que la crainte du népotisme peut conduire certains à se montrer intransigeants vis-à-vis des membres de la famille d’un arcane, mais je trouve qu’ils feraient preuve des mêmes excès que ceux qui se montrent trop conciliants sur base de ce critère. Je pense que chaque candidat doit bénéficier des mêmes chances et que pénaliser une personne, en l’évaluant plus sévèrement, juste car elle appartient à la famille d’un arcane serait également injuste. Mon avis est que c’est l’impartialité qui doit prédominer, même si l’objectivité totale est impossible, car les individus sont dotés d’émotions et font preuve de préjugés. Quant à la facilité, il est vrai que si une tâche est excessivement facile elle ne permet pas de s’améliorer. Mais l’inverse est également vraie, si une tâche est trop difficile elle suscite le découragement ou conduit inéluctablement à l’échec. Je pense que pour qu’une évolution et un apprentissage soient efficaces, il faut que la difficulté soit proportionnée, ni trop facile ni trop difficile et qu’il existe différents paliers.

Osami exprima ensuite son point de vue concernant la personnalité de Xin et le fait que celui-ci soit un farouche défenseur du système actuel. La position de l’actuel arcane était bien connue de la plupart des notables au sein de l’Empire Ikkyldien et même Valandir ne l’ignorait guère.

- Oh non, je n’ai pas l’impression de devenir un autre Baltazar, répondit-il en arborant un sourire énigmatique. Je nourris bien d’autres ambitions.

Cependant Valandir estima plus prudent de ne pas en dire d’avantage à ce sujet car les dites ambitions concernaient principalement sa quête de l’immortalité et les activités de son ordre religieux.

- Au sujet de cet objet, même si je ne peux pas être certain à cent pour cent qu’il ait de la valeur, j’ai l’intuition qu’il me sera utile, même si c’est peut-être de manière indirecte. Après tout, même s’il est sans valeur, il peut jouer le rôle de déclencheur et me conduire à voyager ou à mener une quête qui me permettra d’accomplir certaines choses notables non ?

Après cela, la duchesse s’adressa à Midori et sembla un peu interloquée par le choix pour le moins atypique de la jeune Kitsune. En vérité, hormis dans certaines nations, la part belle était faite à l’accomplissement personnel et à l’individualisme et désirer se dévouer à un autre être au point d’être prêt à se sacrifier pour lui faisait sans doute office de choix incongru. L’elfe évanescent connaissait la fascination et le fanatisme de sa protégée à son égard et le fait que celle-ci le considérait comme un dieu vivant. Midori le suivait davantage pour cette raison plutôt que par désir d’obtenir l’immortalité. Mais en le suivant, les idéaux de Valandir étaient devenus ses idéaux, sa raison de vivre et de mourir.

- Pour ma part, je n’ai pas encouragé un tel choix ni ne l’ai refusé lorsqu’il s’est présenté. Puisque Midori désire rester à mes côtés et me suivre où que j’aille en vivant dans mon ombre, je ne peux contester un tel choix. De même si un jour elle désire partir et vivre sa propre vie, je ne ferai rien pour l’en empêcher. Mais comme tu l’as dit, à Ikkyld un tel dévouement passe pour honorable, ce qui je l’espère facilitera son intégration, termina avec douceur en se tournant vers Midori et en la gratifiant d’un sourire radieux.

Les joues de la Kitsune s’empourprèrent à nouveau et elle répondit dans un souffle :

- Maître, j’espère que nous resterons ensemble pour l’éternité et je vous aiderai de mon mieux à atteindre vos objectifs.

Midori avait tué pour lui et était prête à recommencer si cela devait lui permettre de se hisser vers les plus hauts sommets, même si dans ce cas présent une frénésie meurtrière serait sans doute inutile. D’un geste souple, cette dernière se tourna vers Osami :

-  Quels types d’exploits mon maître doit accomplir pour espérer devenir un arcane ? demanda-t-elle avec spontanéité.

- Puisque c’est possible alors j’apprécierais réellement de vivre une telle expérience et de connaitre ne serait-ce que brièvement le plaisir ineffable de me mouvoir dans les cieux.

Après tout, il s’agissait d’une chose inaccessible pour le commun des mortels et si l’elfe ne désirait pas transmuer l’intégralité de son être pour se voir changer en azzurien, celui-ci se délectait de l’idée d’arborer des ailes immaculées.

- Certes m’entrainer ne me pose aucun problème et c'est un bien maigre prix à payer pour avoir l’opportunité de voler fièrement dans le firmament.

Midori, qui jusqu’à là se contentait de les écouter commença à s’animer et proposa d’un ton plein d’entrain :

- Maitre, j’aimerais beaucoup voler à vos côtés. Je peux aussi me faire pousser des ailes ou même me changer en Azzurienne !

Dès après, la Kitsune utilisa un sortilège de magie transformiste afin de se métamorphoser, affichant désormais l’apparence d’une femme-oiseau. Au lieu de son visage aux traits gracieux, la jeune fille arborait le faciès d’un rapace, ce qui formait un étrange contraste avec son physique habituel. Néanmoins, Valandir était trop habitué aux changements d’apparence de sa protégée pour s’en émouvoir outre-mesure et il se contenta de hocher la tête en signe d’approbation.

- Je pense que c’est une excellente idée que de partager une telle expérience ensemble. Sans compter que vue d’en haut nous pourrons admirer le paysage sous un angle nouveau. Et je ne doute pas que toi et Osami feraient de remarquables professeures. D’ailleurs si cette balade au milieu des nuées me transporte, je m’orienterai probablement vers l’acquisition d’une monture ailée. Reste à savoir sur quelle créature volante je jetterai mon dévolu.

Il existait d’innombrables montures volantes allant d’oiseaux de grande taille à des chevaux ailés et pour l’instant l’elfe n’en possédait aucune et se contentait de voyager à l’aide de divers moyens de transports. Ce dernier avait choisi de traverser le duché en carrosse, malgré la lenteur de déplacement, afin de pouvoir jouir de la splendeur des paysages sylvestres. Toutefois, à l’avenir, le nécromancien devrait faire preuve de davantage de pragmatisme et tempérer certaines de ses tendances contemplatives pour gagner en efficacité; sans compter que la suggestion d’Osami d’acquérir une monture défensive n’était guère dénué d’intérêt.

- Je pourrais aussi améliorer mes capacités de dressage et utiliser des familiers plus puissants pour me protéger, répondit-il avec sérieux. Même si un hippogriffe combinerait harmonieusement ces deux usages. Autant joindre l’utile à l’agréable.

Valandir écouta l’avis d’Osami concernant un mariage d’intérêt entre deux puissants ducs et les divers inconvénients qui en résulteraient et un sourire amusé étira ses lèvres.

- Je pense que dans chaque choix il y a un prix à payer. Deux ducs qui décideraient de contracter une union courraient le risque d’attiser la méfiance de leurs rivaux, mais un duc désireux de s’armer et d’augmenter sa puissance qu’elle soit sur le plan économique ou militaire s’attireraient les mêmes inimitiés. Et je ne crois pas que rester statique permette forcément de se préserver des convoitises car même un duc qui se voudrait discret pourrait s’attirer des ennemis ou être perçu comme faible par certains. C’est la raison pour laquelle je crois que chacun doit agir tout en étant conscient des conséquences possibles. Puis malgré leur désir d’indépendance, il n’est pas impossible que les duchés soient contraints de mettre un jour de côté leurs rivalités et de s’unir, ne serait-ce que provisoirement, pour faire face à un adversaire puissant, par exemple Teider qui n’a peut-être pas fais fi de ses tendances impérialistes. Pris séparément, les duchés ne seraient sans doute pas de taille à l’affronter lors d’une guerre mais une alliance de plusieurs duchés y parviendrait peut-être.

L’elfe aux cheveux opalescents écouta la suite des propos de son amie et répondit à brûle-pourpoint :

- Pour atteindre les plus hauts sommets, je crois que les efforts seuls et le talent ne suffisent pas, mais qu’il faut en prime bénéficier d’une part de chance et de circonstances favorables. Se trouver au bon endroit et au bon moment en quelque sorte. D’innombrables individus sont très talentueux et travaillent très dur mais peu d’entre eux parviendront à se couvrir de gloire ou à obtenir des postes prestigieux car ceux-ci sont en nombre limités et destinés à de rares élus.

Ensuite leur conversation se reporta vers l’objet et l’elfe répondit avec un sourire amusé :

- Je ne crois pas que je m’en séparerais. S’il s’avérait sans réelle valeur, au moins pourrais-je le conserver comme souvenir.

Midori écouta avec attention les explications de sa congénère et arbora une expression pensive, songeant probablement à la manière dont elle servirait les futurs projets de son maitre.

A la dernière suggestion d’Osami, Valandir acquiesça et répondit calmement :

- Je pourrais lui faire parvenir une missive pour lui donner de mes nouvelles et lui demander des informations à ce sujet. Je ne sais pas encore quand je serais de retour à Ikkyld et il est souvent très pris par son poste d’arcane.

Valandir s’amusa de l’étonnement de son amie d’enfance face à son enthousiasme, presque enfantin, à l’idée de voler dans les cieux. Possibilité qui ne lui était guère offerte en temps normal étant donné qu’il ne maîtrisait pas la magie transformiste, ni ne possédait de monture volante. En revanche, Midori était une habituée des escapades aériennes et appréciait davantage la perspective de passer un moment de pur ravissement, aux côtés de son maître, plutôt que le fait de survoler les alentours.

- Puisque tu apprécies tant les griffons, est-ce que tu envisages d’en acquérir un ? Si ce n’est pas déjà fait, répondit l’elfe lunaire avec le plus grand sérieux. La Duchesse Kitsune n’avait probablement pas besoin d’une telle créature pour voguer dans le firmament, mais elle pouvait en posséder un par pur agrément, si tel était son bon vouloir.

Puis le nécromant poursuivit en réponse aux propos suivants de la jeune femme concernant la géopolitique :

- L’avenir est toujours incertain peu importe le domaine auquel on se réfère, que ce soit en amour ou en géopolitique, à moins de se borner aux sciences exactes et aux mathématiques, et même au sein de domaines si rigoureux il existe sans doute une part d’incomplétude et d’imprévisibilité. Cela dit, le fait qu’un domaine garde une part d’incertitude ne doit pas pour autant empêcher de réfléchir, d’analyser et de tenter des prévisions, c’est un peu la base de la stratégie. Un dirigeant politique ou un chef militaire se doit de le faire et d’essayer d’analyser les éléments qu’il a sa disposition plutôt que de se fier au seul hasard. Toutefois, il doit garder à l’esprit qu’aussi élaborées que soient ses analyses, un simple grain de riz peut faire pencher la balance, et qu’il est impossible de prédire tous les facteurs en jeu, ce qui fait que parfois le résultat est totalement différent des prévisions. Je pense qu’il faut trouver un juste équilibre entre ne rien prévoir et analyser sous prétexte que l’avenir est incertain et chercher à tout contrôler de manière quasi mathématique.

Osami semblait réellement intéressée par les plans de carrière du nécromant et l’interrogea à ce sujet, sans doute pour en apprendre plus sur la manière dont ce dernier ambitionnait de se hisser vers les plus hauts sommets :

- Concernant les opportunités, je dirais que l’environnement en regorge et qu’il convient d’avoir l’esprit ouvert et de savoir les saisir dès qu’elles se présentent.

Puis les lèvres de l’elfe aux cheveux blanchâtres s’ourlèrent d’un sourire amusé :

- Tu viens d’ailleurs de me fournir une piste très intéressante que je ne manquerais pas d’exploiter en ce qui concerne le réseau d’espionnage de mon oncle Xin. Et je n’ai aucun doute qu’il me sera très utile en matière d’information et me permettra de trouver une possibilité de m’illustrer et de servir les intérêts de l’empire comme il se doit.

Après tout son lien avec Xin représentait une chance inespérée qu’il aurait tort de ne pas exploiter dans la quête qui était la sienne.

- Certes, je ne compte pas trop différer mon retour. Je suis conscient que mes responsabilités de juge m’imposeront de rentrer tôt ou tard car mon suppléant ne pourra guère me remplacer indéfiniment, dit-il avec un léger haussement d’épaules, tout en levant à son tour les yeux vers le ciel d’un bleu azur.

Ensuite la jeune duchesse transformiste s’adressa à son ami afin de lui proposer de tester la métamorphose en Azzurien.

- Très bien, essayons, dit-il avec un petit rire. J’ai hâte de savoir quel effet cela fait d’avoir des ailes dans le dos et n’avoir que des ailes plutôt que de me transformer complètement a un côté rassurant.

Pour un mage non transformiste, se voir changer en une créature totalement différente représentait malgré tout quelque chose d’un tantinet inquiétant

Aux paroles de son ami concernant la possession d’un griffon, la jeune Osami crût bon de préciser qu’elle en possédait déjà plusieurs, en qualité de montures de combat, pour son armée de mercenaires. Valandir reconnut bien là le pragmatisme de la Duchesse qui lui dictait d’employer ces créatures, à des fins utiles, plutôt que comme de vulgaires objets d’agrément, destinées à décorer son parc.

Tout en arpentant les allées du jardin, ils dissertèrent de choses et d’autres, tout en mirant les parterres de fleurs dont le parfum entêtant chatouillait agréablement les narines. Une fois leurs palabres achevés, ils en vinrent au point qui intéressait le jeune nécromancien, à savoir la transformation en Azzurien. En sa qualité de mage transformiste, Osami possédait le pouvoir de le faire changer de forme, à sa guise, et cela durant l’espace d’une journée. Et une telle capacité avait attisé la curiosité de l’elfe aux cheveux laiteux, en dépit de quelques appréhensions qu’il éprouvait à l’idée de voir son aspect se transformer.

Semblant deviner ses doutes silencieux, d’un seul regard, et mieux que s’il les avait exprimés à voix haute, Midori proposa de se transformer la première.

Tout en affichant un sourire malicieux et une assurance que lui donnait ses années d’expérience en tant que mage transformiste, la Kitsune ferma les yeux et fit mine de se concentrer. Quelques secondes plus tard, l’apparence de la jeune fille commença à affecter de profonds changements et son joli profil se déforma en un bec saillant, couleur jaune pâle. Dans le même temps, son corps se recouvrit de plumes d’un noir de jais et des ailes percèrent la peau de ses épaules, se déployant telles des voiles de ténèbres. En quelques instants la Kitsune, dont l’aspect était celui d’une jeune orientale, se métamorphosa en une créature hybride, évoquant l’étrange fusion d'un humanoïde et d'un cygne au plumage aussi sombre que la nuit.

- Maître Valandir, me voilà revêtue de ma parure de nuit et fin prête à parcourir les cieux en votre compagnie et celle de notre hôtesse, dit-elle en laissant éclater un petit rire plein de gaieté.

L’elfe fit un léger signe de tête en guise d’approbation et se conforma aux consignes d’Osami concernant la représentation mentale d’un Azzurien. Fermant les yeux, ce dernier laissa son imagination fertile vagabonder et dessiner les courbes d’un nouvel être issu du peuple céleste. Au sein de son esprit, une image mentale se forma et ses contours flous gagnèrent peu à peu en netteté, lui permettant de visualiser, presque aussi distinctement que s’il se trouvait face à lui, un Azzurien.

La créature imaginaire possédait une haute stature et arborait un maintien plein de dignité et de noblesse. Son faciès surmonté d’un bec de rapace, couleur d’or pur, rappelait celui d’un aigle au plumage d’une blancheur lactescente. L’impression que revêtait son corps renvoyait à un mélange de souplesse et de vigueur, comme si cet homme-ailé réunissait la grâce d’un danseur et la puissance d’un guerrier.
Cet homme-oiseau, à l’allure aristocratique, était paré d’une armure dorée dont la flamboyance n’avait rien à envier à celle de l’astre du jour. Valandir se concentra de toutes ses forces sur cette image et attendit que la magie d’Osami fasse effet. Un instant plus tard, à l’instar de Midori, il subit à son tour la mystérieuse transformation.

Une fois passé l’effet de surprise et après que ce dernier ait eu le temps d’effectuer quelques mouvements et battements d’ailes, pour s’habituer à son nouveau corps, le nécromant proposa qu’ils prennent tous ensemble leur envol et visitent la campagne environnante. Ce à quoi Midori répondit par des exclamations enthousiastes et s’empressa de saisir la main de son maître, comme pour le guider lors de cette exploration du firmament.