Peu après : L'ancienne gloire
(19 octobre de l'an 2000)

Décidément, cette expédition comportait son lot de questionnements et d’émerveillement et Valandir allait de surprises en surprises. Se découvrir comme étant le lointain descendant d’un monarque de l’ancien Empire Elfique ne l’étonnait qu’à moitié et, fait plus intéressant, son origine princière l’autorisait à user à sa guise du mystérieux cristal.

Grâce à cette gemme enchantée, il pourrait continuer à explorer cette antique cité par la suite. Mais pour l’heure, l’elfe lunaire devait aider les membres de l’expédition à poursuivre leur exploration. Dame Kamitsu lui révéla que la plupart des objets appartenaient à l’Empire d’Ikkylhd et seraient conservés précieusement dans des musées. Toutefois, en raison de sa participation à l’expédition, le nécromant blanc était autorisé à emporter un objet en guise de souvenir. Quant au nain venu d’un autre temps, Valandir aurait tout le loisir de l’interroger un peu plus tard afin d’éclaircir certains mystères. Même chose pour le groupe de nécromanciens, à la solde de l’étrange personnage qu’ils avaient rencontré précédemment, et qui s’était évaporé comme par magie. Disaient-ils vrai en prétendant ne pas en savoir davantage sur les activités de leur commanditaire ? L’elfe à la chevelure blanchâtre était forcé de leur laisser le bénéfice du doute, mais jugea plus prudent de les tenir à l’œil à l’avenir.

Peu à peu, les appartements royaux se vidèrent et Valandir resta seul dans la pièce…enfin presque. Étendue sur l’un des lits, semblable à une princesse de contes, Lilyneska sommeillait. L’elfe s’approcha doucement, marchant à pas feutrés, afin d’éviter de la réveiller et contempla longuement la jeune hybride. Vers quelle contrée féérique était-elle en train de voguer ? Quel dommage qu’il ne soit pas capable de lire les songes pour savoir à quoi rêvait la fille adoptive de l’empereur d’Akkaton. A un monde peuplé d’automates, de trains électriques et de moutons mécaniques ? Cette pensée lui arracha un sourire amusé.

En attendant qu’allait-il faire, continuer à fouiller la pièce pour trouver l’objet fétiche à emporter ou tenter de réveiller la jouvencelle endormie ? Dans tous les récits qu’il avait lus, les belles princesses ne pouvaient être éveillées que par le baiser d’un prince charmant. D’ascendance royale, il l’était assurément à en juger par la réaction du cristal qui lui vouait une entière obéissance. Premier point résolu. Charmant c’était plus discutable, même s’il possédait un charisme indéniable. Restait à savoir s’il pouvait se hasarder à éveiller la belle d’un baiser sans risquer de provoquer un grave incident diplomatique. Peut-être devrait-il se contenter de la tirer de son sommeil en l’appelant doucement.

Tout d’un coup, l’elfe lunaire remarqua que le sommeil de la jeune métisse se faisait plus agité et qu’elle prononçait des mots dans une langue inconnue. Une expression de frayeur se peignit sur ses traits et le nécromancien devina sans peine que celle-ci se débattait dans les tourments d’un cauchemar.

- Dame Lilyneska, est-ce que vous allez bien ? murmura-t-il en s’emparant machinalement de la main de la jeune fille.

Inconsciemment, cette scène lui rappela ses propres cauchemars d’enfance et la fraîcheur de Lilyneska ravivait en lui le souvenir de Kemantari, sa sœur jumelle. Bien que toutes deux soient très dissemblables. Le nécromant opalescent commença à fredonner une chanson en langue Elfique, d’une voix douce et apaisante, en enfleurant délicatement le front fiévreux de la jeune dormeuse, dans le but de dissiper ses frayeurs.

-Requiem : 150 points de mana
Alors que le mage appuie sa main sur le crâne de la personne visée, la cible sent une lumière bienfaisante la parcourir, sentant peu à peu son être apaisé, les émotions les plus sombres se dissipant en lui et son être en général trouvant un certain état de paix intérieur suite au processus. Peux soigner les blessures légères en plus de cela.
Geste clé : Le mage doit fredonner une chanson religieuse, tout en se concentrant avant de toucher ensuite le crâne de la personne visée.

Après que Valandir ait entonné un chant elfique, mélangé à une incantation de magie des lumières, Lilyneska parut émerger des méandres cauchemardesques dans lesquels celle-ci se débattait. La jeune hybride lança échapper un marmonnement en sentant la main de l’elfe étreindre la sienne. Puis, elle souleva lentement ses paupières, dévoilant des prunelles azuréennes et embrassa les lieux du regard, visiblement désorientée par ce qui venait de se passer. Une fois son semblant d'inspection terminé, ses mires s’arrêtèrent sur l’elfe marmoréen et elle s’empressa de le rassurer sur son état, avant de l’autoriser à l’appeler simplement « Lily ».

Un joli surnom qui lui seyait à ravir et qui rappelait le nom d’une fleur, songea Valandir sans quitter des yeux son interlocutrice. Quelle pouvait bien être la teneur des rêves qui l’avaient mis dans un tel état d’agitation ? Bien entendu, poser une telle question serait trop indiscret, et mieux valait laisser la jeune fille en parler d’elle-même. Du moins si telle était sa volonté. En tout cas, la magie des lumières semblait avoir fonctionné à merveille sur l’hybride, à en juger par la sérénité qu’elle arborait. Et un sourire empli de douceur illuminait ses traits.

- Dans ce cas, vous pouvez aussi simplement m’appelez Valandir. Pour ma part, je n’ai pas vraiment de surnom ou de diminutif, les elfes sont plutôt protocolaires mais je trouve que le vôtre vous va à merveille.

L’elfe évanescent acquiesça d’un signe de tête et ajouta d’un ton calme :

- Je vous remercie du compliment. C’est une ancienne chanson elfique qui parle d’une histoire d’amour impossible entre une femme elfe et un être éthéré constitué de lumière. Tous deux vivaient dans deux mondes distincts et étaient condamnés à être séparés la grande majorité du temps, sauf à de très rares occasions. Il s’agit d’un récit à la fois féerique et mélancolique. J’ai utilisé le pouvoir de la magie des lumières pour apaiser vos mauvais rêves, elle est très puissante et bénéfique et même si je me débrouille très bien dans ce domaine, je suis encore loin d’en connaitre tous les secrets.

Le nécromancien possédait plusieurs cordes à son arc et non content de sonder les mystères de l’au-delà, il s’intéressait aux arcanes éthérés de la magie lumineuse. Peut-être que ces magies étaient à son image, car ce dernier incarnait un être ambivalent à souhait, fait de lumière et de ténèbres.

La jeune hybride semblait retrouver sa sérénité peu à peu et Valandir en éprouva un vif soulagement. Non point que ce dernier doutait du pouvoir d’apaisement de ce sortilège de magie des lumières, mais il avait craint, tout d’abord, que les angoisses de Lilyneska ne soient trop envahissantes. Certaines blessures de l’âme étaient si profondes que même la magie ne parvenait pas à les guérir.

A présent que la jeune fille avait émergé des brumes de son sommeil et que les vestiges de son cauchemar s’estompaient, ses lèvres s’ourlèrent d’un fin sourire. Une lueur taquine illumina ses mires d’un bleu saphir tandis qu’elle acquiesçait à la réponse de Valandir, tout en dodelinant poliment la tête. Peut-être était-elle dubitative quant au fait que l’elfe lunaire n’ait aucun surnom, pourtant il ne s’agissait que de la pure vérité. En effet, le nécromant immaculé venait d’un milieu très guindé et son père, un elfe d’une froideur extrême, ne se serait jamais rabaissé à l’affubler d’un sobriquet.

Ensuite, feignant d’être peinée de cette carence, la jeune métisse proposa à son vis-à-vis de le surnommer « Sa Majesté ». Une telle facétie ne manqua pas d’amuser Valandir et celui-ci répondit du tac au tac.

- Voyons ma chère Lily vous n’y pensez pas, ce titre est bien trop cérémonieux et on penserait que je brigue le poste d’empereur d’Ikkylhd. Mais puisque vous tenez tellement à me trouver un surnom pompeux, ma foi j’accepte que vous m’appeliez « Merveilleuse Lumière Céleste qui éclaire le monde ». A moins que « Splendeur Stellaire » ne sonne mieux à vos oreilles, dit-il d’un ton faussement suffisant, signifiant par cette attitude surjouée qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Après tout, Lily n’était pas la seule à pouvoir se montrer espiègle.

Les autres surnoms attribués par la jeune fille étaient plus familiers et amusants, prouvant que celle-ci ne manquait guère d’imagination. Puis, sans crier garde, la jouvencelle frissonna et ses oreilles s’aplatirent sur sa tête, traduisant les émotions qui l’agitaient. Dans un souffle, elle révéla avoir fait un mauvais rêve. Valandir hocha la tête d’un air compatissant. Durant son enfance, la quiétude de son sommeil était souvent troublée par l’un ou l’autre cauchemar.

La jeune fille crut bon d’ajouter que plutôt qu’un mauvais rêve, il s’agissait d’un vestige de son passé.

- Certains souvenirs difficiles à oublier reviennent parfois nous hanter, répondit l’elfe lunaire d’une voix douce. Plutôt que les effacer de notre mémoire, parfois nous n’avons pas d’autre choix que d’apprendre à vivre avec.

L’hybride s’assit en tailleur sur le lit et saisit les mains du nécromancien dans les siennes. L’elfe diaphane sentit un léger frisson lui parcourir le corps, guère habitué à une telle manifestation d’intimité ; toutefois, ce contact n’était pas désagréable.

- Je ne sais pas. Il existe peut-être un moyen de briser la malédiction qui les maintient séparés l’un de l’autre. Mais si tel est le cas, seule une magie extrêmement puissante peut y parvenir. Cependant, je crois que même s’ils sont séparés, le lien qui les relie est si fort que rien ne peut le briser.

En entendant la demande suivante de Lily, Valandir esquissa un sourire.

- Je peux vous enseigner tout ce que je sais à propos de la magie des lumières, même si je ne suis pas le mage le plus expert qui existe dans ce domaine. Si vous êtes passionnée par cette magie, je ne peux que vous conseiller de visiter l’Académie d’Or qui se trouve dans la cité de Jade. La chanson seule n’est pas suffisante mais à l’aide d’un sort de magie lumineuse vous parviendrez sans problème à faire la même chose que moi.

Au fil de leur conversation, les prunelles de l’hybride s’étaient éclairées d’une lueur malicieuse et elle perdit peu à peu sa réserve. Valandir eut un petit rire lorsque Lily, se faisant soudain taquine, menaça de l’appeler splendeur stellaire.

- Ma foi, pour ma part je n’y vois aucune objection, mais oseriez-vous user d’un surnom aussi pompeux en public ? dit-il, arborant à son tour une expression mutine.

L’elfe opalescent se risquait à plaisanter avec la fille adoptive de l’empereur d’Akkaton comme si de rien n’était. Peut-etre car ils se trouvaient seuls à seuls, éloignés des regards curieux ou inquisiteurs des autres membres de l’expédition. Valandir songea qu’Hansing, le diplomate azzurien, se serait peut-etre offusqué d’un tel manquement au protocole, mais ce dernier avait quitté la pièce en compagnie de leur guide Kitsune.

Aux paroles du nécromant concernant la nécessité d’apprendre à vivre avec les blessures de son passé, Lily souligna la difficulté d’y parvenir, tout en admettant que celui-ci avait raison.

- Nous avons tous nos failles, nos blessures secrètes et notre part d’ombre, murmura l’elfe. Quant au fait d’arriver à vivre avec son passé, chacun évolue à son rythme et surmonter certains traumatismes prend du temps. Parfois toute une vie n’y suffit pas, mais je préfère me montrer optimiste en ce qui vous concerne, termina-t-il avec un fin sourire.

Un voile sombre, comme les nuages obscurcissant le ciel avant la tempête, ternit l’éclat des saphirs de la jeune métisse. Peut-être éprouvait-elle une pointe de tristesse à l’évocation de ce couple d’amants maudits, condamnés à une éternelle séparation.

- Cette légende est très triste mais c’est sans doute ce qui en fait la beauté et la rend si touchante. Tout comme la beauté éphémère d’une rose destinée à durer le temps d’un printemps avant de se changer en poussière de rêves pour l’éternité. Mais je pense que lorsque nous aimons sincèrement un être il vit dans notre cœur et nous accompagne, peu importe si nos corps sont séparés, tout comme les êtres disparus restent présents dans nos vies tant qu’ils occupent nos pensées.

Mais rapidement, délaissant ce sujet mélancolique, le visage de Lily s’éclaira d’un sourire de joie quand Valandir proposa de lui apprendre la magie des lumières. Ce dernier acquiesça d’un signe de tête.

- Bien sûr, je ne plaisante jamais sur un sujet aussi sérieux que la magie.

Faisant preuve d’un grand enthousiasme et de la spontanéité propre à son jeune âge, Lily lui demanda s’ils pouvaient débuter la leçon dans l’immédiat. Un tel entrain amusa Valandir et celui-ci répondit avec douceur :

- Hmm, je pense pouvoir déjà vous montrer l’un ou l’autre sort de niveau débutant maintenant, mais si vous voulez exceller dans cette voie il vous faudra étudier patiemment et avec assiduité.

Ensuite, Valandir se concentra un bref instant et une nuée de papillons luminescents emplit la salle, éclairant l’endroit, tels des faisceaux étincelants. L’un d’entre eux se posa sur l’épaule de la jeune fille et un autre virevolta devant son visage, comme s’il désirait s’installer sur son nez.

- Ce sortilège s’appelle « Papillons de lumière » et a pour but de repousser les esprits malfaisants et de fortifier ceux dont le cœur est bénéfique. Est-ce que vous aimeriez que je vous l’enseigne ? demanda-t-il d'un ton calme avant d'ajouter. L’Académie D’or se trouve dans la cité de jade, je pourrais vous y conduire, si vous êtes d’accord bien entendu…

Pendant qu’il exécutait le sortilège, faisant apparaître autour d’eux des papillons lumineux, le nécromant sentait le regard de la jeune métisse rivé sur lui. Lorsque celui-ci se tourna délicatement et que ses prunelles cérulées rencontrèrent les azurites de l’adolescente, l’elfe put y lire un mélange de perplexité et de curiosité. Nul besoin d’être un grand devin pour deviner les pensées qui se bousculaient au sein de cette jeune cervelle, dont les yeux étaient plus éloquents qu’un long discours. Ce dernier était plus accoutumé à la compagnie de personnalités guidées, aussi bien lors des visites diplomatiques de dirigeants étrangers que durant les fêtes données par la noblesse ou la haute-bourgeoisie Ikkylhdienne. Aussi l’intérêt dont le gratifiait la fille adoptive de l’empereur d’Akkaton l'amusait et son innocence possédait quelque chose de rafraîchissant.

Après que Valandir eut révélé à son élève improvisée que l’étude des arcanes de lumière nécessitait patience et rigueur, cette dernière répondit « être la patience même ». Toutefois, ses mires pétillantes de malice démentaient une telle affirmation.

- Oh, mais je n’en doute point. A vous voir, on devine sans peine que vous êtes une princesse modèle et très appliquée dans vos leçons, dit-il d’une voix suave où l’on sentait poindre une pincée d’ironie.

Il fallait en effet être bien naïf pour croire que Lilyneska était une jeune fille sage et réfléchie alors que tout en elle criait l’impétuosité. Telle une enfant émerveillée, l’hybride suivait des yeux la danse scintillante des lépidoptères invoqués par l’elfe lunaire. A tel point que celle-ci semblait même avoir oublié sa présence. Valandir attendit patiemment, n’ayant guère le cœur de la priver de cet instant de ravissement, et se rémora la première fois où lui-même avait assisté à ce sortilège, subjugué.

Quand cette dernière, intriguée, lui demanda s’il comptait sérieusement l’accompagner à la cité de Jade. Valandir répondit par l’affirmative.

- Ne vous y trompez pas, j’ai de nombreuses choses à faire mais il se trouve que nombre d’entre-elles se déroulent dans la cité de jade et que je comptais m’y rendre de toute façon, ajouta-t-il en esquissant un sourire malicieux.

Ensuite, avec une joie toute enfantine, Lily demanda à Valandir de lui enseigner la manière d’exécuter ce sort, tout en sautant du lit avec une grâce féline. L’elfe acquiesça d’un signe de tête et se rapprocha d’elle pour lui susurrer à l’oreille :

- Tout d’abord, fermez les yeux. Puis concentrez-vous jusqu’à ce que vous sentiez tout votre être envahi par le flux magique.

Le nécromant blanc s’interrompit brièvement, la laissant faire avant de poursuivre ses explications :

- Une fois que vous sentez l’énergie magique jaillir et atteindre un point appréciable, concentrez-vous afin de la canaliser et visualiser des papillons dans votre esprit. Focalisez-vous sur eux, attendez quelques secondes puis relâchez le sort.

Valandir se tut et attendit, suspendant son souffle. Le moment était venu de savoir si Lily était capable d’exécuter ce sortilège ou si cette première tentative se solderait par un fiasco. Dans ce cas-là, il ferait sans doute un bien piètre professeur, mais il croyait sincèrement la jeune fille capable de maîtriser cette magie avec un peu d’entrainement.