Si la sagesse populaire disait que les ennuis n'arrivaient jamais seuls, Nivren aurait plutôt eut tendance à dire qu'on n'en sentait toute la dangerosité que quand ils avaient la mauvaise idée d'arriver en groupe, justement ! On pouvait, quand on était une dirigeante digne de ce nom, se préparer à l'arrivée d'un certain nombre de problèmes, d'une certaine gravité, dans un temps donné, et être donc prête à y faire face fluidement. Mais évidemment, il arrivait qu'un plus grand nombre d'ennuis n'arrivent d'un coup, ou à la suite, soit par hasard, car la chance pouvait parfois vous trahir dans ce genre de cas, soit beaucoup plus prosaïquement parce qu'une même cause les influençait tous. En l'occurrence, la guerre dans le nord était sans doute le facteur-clef, en tous cas largement : elle avait envoyé des troupes pour soutenir les efforts duchéens à la frontière, avait dû en envoyer d'autres pour régler des problèmes créés par des créatures alchimistes conçues pour la guerre et ayant échappé à leurs créateurs, dans l'ouest du Duché, et se retrouvait maintenant sans les capacités de réponse à ce troisième « front », si on pouvait l'appeler ainsi.

Un « front » aussi influencé par la guerre, puisqu'il s'agissait du coup d'éclat d'une bande de brigands, qui profitait certainement d'un certain relâchement des efforts de sécurisation pour reprendre du poil de la bête ! En l'occurrence, en occupant les ruines d'un vieux fort construit par un de ses ancêtres sur la frontière est de Stortsenia, et détruit une cinquantaine d'années plus tôt lors d'une bataille contre le Duché voisin. Son père avait décidé de laisser les ruines à l'abandon, à la fois parce qu'elles pourraient resservir de fondations un jour, et parce que la démilitarisation de la zone avait permis d'assainir les relations avec ledit voisin. Nivren elle-même avait laissé les choses en l'état, les relations en question étant restées plutôt bonnes depuis son arrivée au pouvoir, mais visiblement, la bande en question avait décidé de changer les choses, et utilisait cette position pour rançonner la route commerciale passant à proximité !

Hors, les revenus de cette route étaient vitaux, surtout en cette période tendue, et Nivren devait donc agir au plus vite, mais d'un autre côté elle manquait de forces fiables déjà soldées qu'elle aurait pu envoyer sur place. Elle était en train de réfléchir aux possibilités, dont celle de recruter dans l'urgence plusieurs compagnies aussi mobiles que possibles, quitte à additionner leurs forces plus modestes, à déployer au mieux, même si c'était loin d'être idéal, quand on lui annonça l'arrivée d'un visiteur de prestige : son ami et ancien mentor, le Général mercenaire Ausilio, venu sans son armée et à l'improviste. Le temps que la nouvelle arrive et le Dragon avait déjà été accueillit aux portes de la cité et, sans doute sous une autre forme, escorté courtoisement par un garde vers son palais, puissamment gardé au cœur de la roche, mais cette nouvelle tombait à pique.

La Duchesse fit donc conduire sans attendre son ami dans la salle où elle se trouvait, une salle de travail plutôt confortable, creusée dans la pierre noire qui donnait son nom à la cité mais au sol couvert de confortables fourrures, avec un mur couvert d'une carte du Duché et des terres avoisinantes, un autre occupé par une bibliothèque et le dernier par une cheminée où ronflait un bon feu. Le temps que son ami arrive, et du vin avait été apporté sur la table, alors que Nivren se levait pour accueillir le général.

« Ausilio, c'est une surprise inattendue, mais plutôt agréable. À plus d'un titre, d'ailleurs. J'espère que tu te portes bien ? »

En dépit de son rang, la Naine tutoyait son ancien mentor, qui était en outre son ami, et avec qui elle avait une relation d'égal plus que de subordination, reconnaissant sa puissance autant que ses mérites. Le laissant s'asseoir face à elle – et face à un verre de vin fin déjà servit – elle lui sourit avec une certaine férocité.

« Pour tout t'avouer, je suis toujours contente de te voir, mais aujourd'hui, ce contentement est un peu intéressé. Serais-tu disposer à me prêter ta force une fois encore, mon ami ? »

Si Nivren avait cru en une quelconque divinité, elle l'aurait sans aucun doute remerciée de la bonne fortune que représentait l'arrivée d'Ausilio au moment même où elle avait justement besoin du renfort d'une force de frappe solide et efficace. Mais tel n'était pas le cas, et la Duchesse naine fut donc simplement satisfaite que la chance tourne légèrement en sa faveur, ce qui par ailleurs était bien la moindre de chose après que les événements aient fait surgir autant de problèmes à sa porte en si peu de temps ! La damoiselle aux cheveux de feu eut un sourire à la réponse initiale du grand dragon, fut-il ici sous une forme plus modeste, en hochant doucement la tête.

« Hé bien, je dois me féliciter d'être d'agréable compagnie, alors, si c'est cela qui t'as amené à ma porte au moment où j'avais justement besoin de ton aide. »

Elle n'était pas persuadé que tous seraient d'accord avec le puissant général mercenaire à ce propos d'ailleurs, particulièrement ceux qui avaient eut la malchance insigne de la compter parmi leurs ennemis politiques au cours de ses années de règnes, mais bon, ce n'était pas leur avis qu'elle comptait demander en la matière, de toute façon !

« Hélas, les temps de fastes pour les affaires mercenaires sont rarement les plus paisibles pour ceux d'entre nous qui ont la charge d'exercer le pouvoir politique ! Certains disent que les guerres sont les meilleurs moments pour s'enrichir, mais personnellement je préfère encore les fortunes que l'on construit en temps de paix ! Enfin, je ne dirais sûrement pas ça si j'étais encore mercenaire, évidemment. »

La Naine eut un léger rire en soulignant cela, car il était vrai qu'en ce moment ce n'était pas les engagements qui manquaient pour les mercenaires de tous poils. Ceux qui n'étaient pas directement engagés sur le front de la guerre pouvaient bien plus facilement trouver du travail à l'intérieur du territoire... justement parce que d'autres, qui auraient pu leur faire concurrence, étaient dans le nord ! Laissant Ausilio savourer le vin, elle fit un geste alors que deux serviteurs apportaient et étalaient sur la table une carte du Duché, assez simple mais reprenant les points-clefs et notamment les forteresses.

« Et encore plus malheureusement il y en a d'autres pour qui de tels temps sont fastes : les bandits et rançonneurs de tous poils. Hors une bande d'entre eux a décidé de faire preuve d'initiative, en occupant cette forteresse, ici, et en se servant de cette position pour piller les routes alentours, et particulièrement la grande route commerciale qui passe juste au sud de l'ancienne forteresse. »

Nivren s'était servie de la carte pour pointer les différents endroits en question, la forteresse, d'abord, puis la route qui était tracée non loin, assez épaisse sur la carte, comme pour symboliser, justement, l'importance du trafic qu'elle accueillait...

« Cette forteresse a été détruite puis abandonnée il y a des années, mais il reste les fondations et quelques murs, et ils l'ont renforcés avec quelques palissades grossières... rien de vraiment sérieux, mais assez pour demander des forces solides pour les déloger, des forces que, avec les autres ennuis en ce moment, je n'ai pas sous la main. Hors, l'interruption du trafic sur cette route grèverait mes finances d'une façon que je ne compte pas permettre. »

La belle rousse résumait la situation en allant droit au but, mais elle savait de bonne source qu'elle parlait à un militaire compétent, après tout, alors autant lui exposé les choses simplement mais efficacement !

« Puisque tu es là, j'aimerais donc que toi, moi et une partie de ma garde personnelle nous nous chargions de reprendre cette place. Du moins, si tu es prêt à accorder ton aide à une amie dans une situation délicate ! »

Nivren préféra ne pas commenter les paroles de son draconique ami concernant les possibilités de s'enrichir en temps de guerre, qui étaient certes réelles, mais sur lesquelles elle ne tenait pas spécialement à philosopher... pour l'heure, elle devait gérer les problèmes poser par de tels temps, et n'était donc guère d'humeur à papoter sur ses éventuels bienfaits, d'autant qu'elle doutait de tomber d'accord avec l'Archimage de givre, et que ce n'était vraiment pas le moment pour elle de risquer de se disputer avec lui, ou autre scénario du même genre ! Au lieu de cela, elle préféra partir directement sur les éléments concrets qui l'intéressaient ici, à savoir la question de ces fichus bandits, point auquel Ausilio se montra heureusement rapidement ouvert et réceptif !

« Hmmm la prudence ne semble pas les caractériser en effet, mais bon... s'ils avaient été rusés et intelligents, ils auraient faits mercenaires et pas brigands, à priori ! Cela et puis il n'est pas dit que nous aurions toléré beaucoup plus longtemps quelque type de pression que ce soit sur cette zone commerciale en ce moment. Enfin, dans tous les cas, il n'en reste pas moins qu'ils représentent une menace qui doit être éliminée ! »

La Duchesse n’avait pas vraiment la réputation de quelqu'un qui laissait d'autres personnes prélever des taxes sur son propre territoire, surtout sur des zones vitales... du moins tant qu'une partie de ces taxes ne finissaient pas dans ses propres coffres – c'était après tout ce qui différenciait les brigands des barons ! Dans tous les cas, elle fut soulagée intérieurement que le grand dragon accepte de l'aider, contre rémunération évidemment, même si elle se contenta, extérieurement, de hocher la tête en réponse à ses propos. Cette aide de poids lui enlevait une belle épine du pied !

« Je suis heureuse de pouvoir compter sur ton soutient, dans ce cas ! Quant à ton rôle, hé bien... je peux commander mes troupes sur le terrain, en effet, après tout j'ai été à bonne école, ahah ! Ceci dit, je ne suis pas contre un avis préalable de la part d'un grand et sage général, quitte à en avoir un sous la main impliqué dans la mission ! »

La Duchesse avait ajouté ces derniers mots avec un léger sourire à l'adresse du grand Dragon sous sa forme d'emprunt. Même si elle s'occupait elle-même de commander ses troupes, comme du reste elle en avait l’habitude, elle n’avait pas l'arrogance de croire que l'expérience et le talent du puissant mercenaire lui étaient superflues ! Celui-ci, d'ailleurs, enchaîna en demandant des précisions sur la composition des forces, faisant hocher a tête à Nivren.

« D'après les informations que j'ai rassemblées, on est quelque part entre les deux... un noyau dur de brigands expérimentés et quelques mercenaires ayant préférés un objectif moins risqué que de ce rendre à la guerre, ce genre de choses, ayant agrégés autour d'eux toute une troupe d'anciens civils, surtout des paysans, et à priori quelques esclaves en fuites, enfin, ce genre de choses. »

Elle ne creusa pas plus la question, en soit fort banale dans les Duchés, surtout en temps de guerre. Que ce soit parce que les temps devenaient plus durs, avec des taxes qui se multipliaient, ou à l’inverse parce qu'ils pensaient qu'il s'agissait du moment idéal pour se remplir facilement les poches, nombre de citoyens ordinaires des basses classes sociales basculaient dans le banditisme, sans compter ceux qui profitaient de l'occasion pour fuir une situation encore pire, notamment chez les esclaves qui pouvaient trouver dans ces bandes l'occasion de refaire leur vie, surtout si l’ambiance de celles-ci n'était pas justement à la chasse aux esclaves, évidemment !

« Leur chef semble être un ancien mercenaire assez charismatique, qui leur a vendu l'occasion de faire un gros coup qui redéfinirait leur vie, enfin, un truc assez classique. Difficile de dire s'ils comptent juste amasser le plus possible avant de filer, ou s'ils ont quelque chose de plus ambitieux en tête, comme de s'installer durablement... dans tous les cas, je ne compte leur laisser le temps ni de l'un ni de l'autre. »

L'idée n'était pas si saugrenue : on avait vu plus d'une fois des baronnies commencer ainsi, lorsque le pouvoir au-dessus était assez faible ou laxiste – d'aucuns auraient dit « ouvert » – pour accepter qu'un chef brigand devienne baron, pour peu qu'il ramène l'ordre et erse une partie de ses gains. Mais ce n'était pas vraiment le genre de Nivren de faire cela, ni d'ailleurs en général dans les usages de son Duché !

« Enfin... je pense que si on élimine ou neutralise le chef et le gros des éléments expérimentés autour de lui, le reste devrait se rendre sans faire d'histoire, ou en tous cas se disperser rapidement. Je ne sais pas si tu as des conseils ou des remarques, avant qu'on se mette en route ? Autant ne pas perdre de temps, dans ce genre d'affaire, car souvent c'est là qu'on peut réellement dire que le temps c'est de l'argent, et que c'est entre mes doigts qu'il file ! »