Inspirer, tenir quelques secondes, relâcher puis recommencer… on dirait un cours de yoga. Il va bien finir par passer, ce fou rire. Quoique, pour maintenant, rien n’est moins sûr… il est difficile de penser à autre chose pour se calmer en plein concours de piques. D’ailleurs, je me demande qui va l’emporter au final ? Oh, j’ai toute confiance en mes capacités, évidemment. Cela dit, pour avoir connu de jolis revirements de situation, je préfère garder une marge de doute au cas où.

Ça m’a évité de me faire surprendre plus d’une fois, et clairement, Amset n’est pas un adversaire à prendre à la légère. Si je donne l’impression de le sous-estimer, c’est loin d’être le cas. Disons que je le fais en apparence car cela peut pousser à prendre un peu trop la confiance… après tout, je peux être fourbe si je veux. Son ton provocateur me fit sourire largement.

C’est à cause de ce que j’ai dit ou mes petites tapes chatouillent un peu trop sa fierté ? Ma foi, cela aurait pu être pire. S’il connaissait mon "échelle de taquinerie", il saurait que ça va encore. Ah non, je ne vais pas divulguer ce qui se trouve sur cette fameuse échelle. Ce ne serait plus drôle sinon, ahah. D'un air espiègle, je lui donnai des petites tapes dans les côtes tout en m’amusant à copier ses propos.

« Je suis pyromancienne aussi, je te rappelle. Peut-être que je ne suis pas gracieuse, mais moi au moins, je ne sous-estime pas un adversaire que je ne connais pas. Par exemple, là tu me vois et là, tu ne me vois plus. Maintenant, tu me revois et là, tu ne me revois plus. Puis là, tu me re-revois… »


Et je continuai ainsi durant de longues secondes, m’amusant à cacher mes yeux au moment où je devenais invisible et à les écarter au moment où je réapparaissais. J’eus beau essayer de ne pas rire, un rire étouffé m’échappa quand une pensée me vint à l’esprit. En vrai, s’il m’attaquait, son sort serait aussi petit que lui ou il serait plutôt à sa taille normale ?

J’imaginai aussitôt la scène. Des mini-boules de feu tirées sur une hybride titanesque qui les soufflerait comme des bougies, avec le mini-naga qui repartirait en roulé-boulé, emporté par son souffle. Puis la demi-dragonne se ferait gronder par sa voix de souris, parce que ce n’est pas bien d’être méchante. Clairement, ce serait aussi drôle que subliss... et allez, ça recommence. Hilare, je basculai sur le côté en me frappant le genou avec un rire étouffé.

Un temps plus tard, je recommençai à inspirer puis à expirer doucement malgré mes côtes douloureuses. Franchement, si ça ne fonctionne pas, je ne vois pas ce qui pourrait me débarrasser d’un tel fou rire. Et on ne peut pas dire que notre "discussion" aidait beaucoup. Amset prétend ne pas avoir profité de la situation. Mais oui, bien sûr... et moi, je me suis fais masser les pieds par le capitaine.

« Bien entendu, Saint Amset. Votre âme est d’une pureté infinie, c’est bien connu. Et vous allez aussi me dire que ce n’est pas vous qui avez taquiné le premier avec le sort de feu, je suppose ? En ce qui me concerne, je ne fais que renvoyer les piques à leur expéditeur, tout comme vous. Par contre, je ne suis pas du genre à me venger de quelqu’un juste parce qu’il est plus grand que moi, non. Je t’avais pourtant dit que me mettre à ta hauteur n’était pas un problème ? »


Le fou rire que je réprimais persista encore un peu avant de s’atténuer enfin. Cela fait du bien quand ça s’arrête, il faut avouer. J’ai beau aimer rire, je me méfie quand même de cette chose vicieuse communément appelé le hoquet. Il frappe toujours au moment où on s’y attend le moins. Et en plus d’être désagréable, c’est pénible pour s’en débarrasser.

Tandis que notre petite fête des piques se poursuivait, un vent glacial s’est soudain invité sans prévenir. Heureusement qu’il n’a pas apporté avec lui une tempête de sable. Arriver à destination aurait été aussi dangereux que difficile... si la brise ne semblait pas gagner en intensité, le froid glacial, lui, s’accentuait de minutes en minutes.

Heureusement que j’avais pris les devants. Autrement, on n’aurait pas fait la moitié du trajet que je me serais déjà changée en glaçon. Peu à peu, mes muscles se détendirent sous l’effet de la chaleur. Le pelage temporaire me portait bien chaud, comme si je venais d’enfiler un gros manteau. C’était agréable… si agréable que je remarquai la nouvelle pique d’Amset avec un temps de retard.

Une... peluche ? Est-ce qu’il sous-entend que sous cette forme, il me trouve mign... les joues toutes empourprées, je glissai une main dans mes cheveux, gênée. Le pire, c’est que je peux difficilement dire le contraire avec mes oreilles de chat. Je finis par écarter cette possibilité de mon esprit. Mieux vaut tenter autre chose. Faire l’inverse, ce serait risquer de lui tendre une autre perche sans le vouloir. Je pris une grosse poignée de sable et la plaquai sur le dos d'Amset d'un air railleur.

« Si j'étais vraiment une peluche, j'aurais dû me trouver dans la même situation que toi, non ? Et sinon, je suis issue d’un climat tempéré, moi, Môssieur. Mon corps n’a pas encore l’habitude qu’il fasse moins cinquante la nuit. »


Après avoir glissé à Amset que l’amitié était compliquée pour moi, j’ajoutai dans un murmure que j’étais vraiment désolée tout en détournant les yeux. J’espère ne pas lui avoir fait de la peine... je n’ai aucune envie de blesser quelqu’un qui ne m’a rien fait de mal. La tristesse vint s’ajouter à mon embarras tandis que je réprimais un autre soupir.

J’ai beau retourner la situation sous tous les angles possibles, je ne vois toujours pas comment je pourrais résoudre ce problème ni pourquoi je le ferais. Après tout, je ne suis qu’une parfaite inconnue qui ne fait que passer. Bon, c’est vrai qu’Amset est nomade aussi, alors je ne serais guère étonnée qu’il ait des amis dans le même cas. Sauf que moi, il ne m’aurait pas revue avant super longtemps. Franchement, pourquoi il voudrait d’une telle amie ? Il en a sûrement d’autres qui passent volontiers du temps avec lui, et sans le repousser, qui plus est...

Je ne comprends pas. Vraiment, tout ce qui touche au domaine affectif, je n’y comprends rien. Super… maintenant, Amset sous-entend que l’âge n’est pas un obstacle en amour. Manquerait plus qu'il entre dans des détails assez… non, autant ne pas y penser. D’ailleurs, heureusement que mes oreilles sont touffues aussi. A l’heure qu’il est, elles doivent avoir la même teinte cramoisie que mon visage.

« C’est vrai. Je suis bien trop jeune pour sortir avec un papy. En plus, d’un point de vue elfique, je suis une jeune adulte depuis deux ans seulement. Alors, raison de plus pour laisser mon innocence tranquille, Môssieur Sobek. »


Au fond, je doute fort qu’il le fera. Clairement, c’est le genre de taquineries dont il est très difficile de se passer, pour ne pas dire impossible. Je suis bien placée pour le savoir, ahah. Pour le reste, Amset a l’air de dire la vérité. Ce n’est pas pour me déplaire, à vrai dire. Si cela aurait vraiment été le cas, je… je ne sais pas si j’aurais su comment réagir.

Comme Eléonore me considérait comme une tare totalement inutile, je n'ai jamais eu le droit de fréquenter qui que ce soit... certes, j’aurais pu tomber amoureuse au sein de la compagnie, ou au moins m'y faire quelques amis. Après tout, j’ai quand même travaillé sept ans là-bas. Sans compter qu’on a déjà essayé de me draguer en pleine rue. Amset n’est pas le premier à me trouver mignonne, et j’imagine qu’il ne sera pas le dernier.

Mais voilà, Eléonore m’a tellement manipulée et bourrée le crâne… être en compagnie de mes anciens partenaires a été agréable, je ne vais pas dire le contraire. Pourtant, mes sentiments étaient comme bloqués là-dessus, comme si j’étais incapable de ressentir autre chose pour eux. Et ce serait sans doute encore le cas si je n’avais pas eu l’idée d’entreprendre un tel voyage.

Quant à Amset, il aurait pu être l’un des premiers amis que je n’ai jamais eu, maintenant que je suis libre. Sauf que je ne suis libre que physiquement. Mentalement, je ressens encore les entraves d’Eléonore malgré tous mes efforts pour oublier et passer à autre chose. Enfin, peut-être que tout ceci disparaîtra avec le temps, avec un peu de chance. Du moins, je l'espère.


A la fin de ses propos, j'eus un sourire ironique. Qu'est-ce que je disais ? C’était sûr et certain qu’il allait continuer à taquiner là-dessus. C'était sûr à deux cent pour cent, même. Pourtant, mon visage se teinta de tristesse et de colère. Plutôt rare ? Evidemment que c'est rare. Les autres elfes n'ont jamais... non, du calme. C'est normal qu'il dise ça. Il ne peut pas deviner ce qui m'est arrivé.

J'expirai doucement pour me calmer, serrant le poing sans le vouloir. Etre coincée dans sa propre tête et ne pas parvenir à se libérer soi-même, c'est tellement frustrant... je lâchai un soupir malgré moi. J'aurais aimé qu'il s'agisse d'une simple gêne. Si les choses étaient si simples, mes problèmes personnels ne seraient déjà plus qu'un lointain souvenir. Et je n'en serais pas là, à repousser un naga qui m'apprécie sincèrement... je baissai les yeux en disant simplement.

« Si tu connaissais l’histoire qu’il y a derrière ma gêne, tu ne la trouverais plus si attendrissante que ça. »

Et dire qu'à la base, j'étais simplement curieuse de savoir pourquoi Amset était célèbre. Peut-être que j'aurais dû changer de sujet pendant qu'il en était encore temps. Ça nous aurait évité à tous les deux de nous retrouver dans une situation aussi gênante. Je fixai l'horizon d'un air songeur. Quoique, peut-être que ça n'aurait pas vraiment été mieux, maintenant que j'y pense.


Si je n'avais pas dit que cette gêne en était une, il aurait continuer à taquiner, sans se douter de rien. Après tout, j'aurais pu être simplement timide sur le sujet, au point de chercher à l'éviter en changeant le fil de la conversation. Il en va de même pour sa proposition. En affrontant les morts-vivants, tôt ou tard, il aurait fini par remarquer que je me débrouille plutôt bien avec mes épées. Et si je lui avais répondu "oui" bêtement, sans réfléchir, je me serais sentie mal sans qu'il ne sache pourquoi.

Non, clairement, j'aurais dû être honnête avec Amset dès le début. Seulement, je ne sais jamais comment aborder ce genre de sujets. Et s'il l'avait mal pris ? Qu'est-ce que j'aurais pu dire pour me rattraper ? Même là, il y aurait eu un risque que je fasse une boulette et empire davantage la situation. Je retins un autre soupir. Je ne m'en ferais pas autant si j'y comprenais quelque chose à l'affectif, évidemment.

Sauf que je ne suis pas certaine de le vouloir... sans méchanceté, les Duchéens ne sont pas les seuls à avoir des pratiques ignobles. Au fond, j'aimerais le croire, que le reste du monde n'est pas aussi noir. Pour l'heure, je n'en sais trop rien. J'ai juste l'impression que chaque pays a sa part sombre. A commencer par "l'ogre Akkatonien", comme certains voyageurs aiment à l'appeler.

Personnellement, je préfère attendre de mieux connaître l'Empire avant de le juger. Tout le monde peut se tromper, après tout. Pour le reste, j'hochai doucement la tête aux paroles d'Amset. Il a sans doute raison... malheureusement, c'est plus facile à dire qu'à faire. Eléonore a fait tellement de dégâts que je ne saurais même pas dire par où il faudrait commencer.


Je réfléchis pendant un instant, l'air d'hésiter. Amset est de bon conseil, j'ai l'impression. Peut-être que... est-ce que c'est vraiment une bonne idée ? Je ne sais pas trop. Il vaudrait peut-être mieux... oh, et puis, zut. Je n'ai rien à perdre à lui poser la question.

« Comment ? Je veux dire, quand bien même je le voudrais, je ne sais pas si j'y arriverais. Ce n'est pas seulement difficile, c'est... compliqué, comme d'habitude. »

Je passai une main sur mon visage avec une certaine envie de... me donner une baffe, ou un truc dans le genre. Je ne sais pas trop ce que j'espérais au juste en disant cela. Un peu d'espoir, afin d'y puiser un peu de force ? Quelque chose auquel m'accrocher, si jamais je perds pied à nouveau ? Non, vraiment, c'était stupide comme idée... qu'est-ce qu'il pourrait dire de plus ? Il est difficile de conseiller quelqu'un qui est incapable de dire ce qui ne va pas. Surtout quand on ne connaît ladite personne que depuis aujourd'hui...

Par la suite, je me sentis quand même un peu mieux. Je n'ai pas pour habitude de me confier, mais je dois avouer que ça fait du bien de se sentir écoutée et comprise. Finalement, Amset aurait vraiment pu devenir thérapeute, qui sait, ahah ? Il a bien réussi à me faire changer d'avis pour la leçon à l'épée, contre toute attente.


Bon, honnêtement, je ne sais pas du tout ce que ça va donner. J'espère que mon idée va marcher. Un simple essai ne devrait pas me tuer, en princ... non, il n'y aucune raison pour que ça se passe mal. Amset est bienveillant et compréhensif. C'est juste moi qui me fais de fausses idées. Cela dit, il va très certainement profiter de mes yeux bandés pour taquiner.

Il faudra que je réfléchisse à une parade, si jamais... mais pas maintenant. C'est vrai, ça ne sert à rien de se triturer les méninges dans le vide. Et je ne connais pas son style de combat, qui plus est. Non, mieux vaut attendre un peu et aviser ensuite. Une pensée me vint soudain. J'esquissai un sourire, vaguement amusée. Si cela se trouve, peut-être que je m'inquiète pour rien et que ça va être marrrant, en fin de compte ?

Maintenant que j'y pense, ça fera un peu comme dans le jeu colin-malliard, sauf qu'on s'attaquera l'un l'autre avec des épées. Un peu comme si on avait inventé une version plus mature du jeu original, en fait... ça commence vraiment à me plaire, tiens. Une étrange chaleur m'envahit lorsque je notai cette sympathie dans sa voix.

Je me trompe ou on dirait que ça fait plaisir à Amset que j'ai accepté ? Ou alors, c'est l'idée qu'on va rester ensembles un peu plus longtemps qui le rend heureux ? Je glissai à nouveau une main dans mes cheveux, gênée. Eh bien, tant mieux pour lui, si c'est le cas. Je veux dire, ça fait toujours plaisir de voir des gens heureux par les temps qui courent.


Cela dit, jusqu'à maintenant, je ne connaissais personne qui arrivait à l'être aussi... simplement. Les mendiants qui faisaient la manche tous les jours, les paysans qui peinaient à vivre de l'agriculture, ceux qui se lancaient dans le mercenariat mais échouaient ou mouraient, les riches qui en voulaient toujours plus... je n'ai jamais connue que la cruauté duchéenne, et clairement, ça ne me manque pas du tout.

Et voilà que je recommence avec mes idées noires... je les repoussai, un peu blasée. Décidément, je ne suis vraiment pas douée pour les tenir à distance. Enfin, ce n'est pas grave. Elles sont reparties aussi vite qu'elles sont venues. Je ris de bon cœur à la dernière phrase d'Amset. En vrai, il dit ça parce qu'il le fait vraiment ou c'est juste parce qu'il est mage lui-même ? Etrangement, j'aurais dit les deux, mais je ne voudrais pas juger trop vite un maître épéiste parmi d'autres maîtres épéistes plus grands.

« Oh, ce n'est pas moi qui douterais de l'efficacité d'une telle technique, venant d'un expert en la matière. Surtout en sachant qu'elle fonctionne contre toutes sortes de mages, qui peuvent vite devenir casse-pieds en plein combat. Par contre, les mages t'ont fait quelque chose pour que tu veuilles les frapper à ce point ? Mine de rien, c'est la deuxième fois que tu me fais cette charmante suggestion. »

Une pensée me vint, et je ris aux éclats. J'imagine tellement Amset chercher les mages le plus vite possible, et dès qu'il en voit, foncer dans le tas avec son bouclier pour leur rouler dessus, ahah. Après, c'est vrai qu'il est mage aussi. Cela dit, je ne serais même pas étonnée de l'entendre dire qu'il faut les frapper au corps-à-corps parce que c'est plus satisfaisant. Une fois calmée, je cherchai mes mots pour expliquer le pourquoi du combat à l'aveugle.


« Blague à part, c'est surtout parce que je me suis découvert des compétences dans ce domaine, récemment. Je ne sais pas encore ce que je vais en faire, alors j'essaie d'en apprendre le plus possible pour... éclairer ma lanterne, disons. Et comme tu es mage de l'âme, j'ai pensé que tu me comprendrais mieux que ces personnes qui me regardent bizarrement quand j'en parle, se moquent de moi, n'en voient pas l'intérêt... bref, tu vois le genre.

Pour ma part, je pense sincèrement que ça pourrait être un bon atout, et pour tout un tas de choses. Par exemple, quand je ferme les yeux... c'est comme s'ils ne l'étaient pas. J'ignore comment c'est possible, mais je vois dans ma tête ce qu'il y a autour de moi, sans l'aide de la magie ni rien. J'arrive à me déplacer sans rien y voir car je sais où je vais, au fond de moi. Et, mine de rien, c'est assez déroutant d'avoir un tel adversaire en face de soi. En plus de cela, toutes les fois où je le fais, je me sens bien... si bien que j'ai l'impression d'être plus concentrée, plus alerte. Même la peur m'affecte moins qu'en temps normal. »

Je me grattai les écailles du cou, mi-perplexe mi-gênée. J'ai beau lui avoir expliqué ça le plus clairement possible, tout me parait plus confus qu'autre chose. Bizarrement, ça sonnait mieux quand je l'ai pensé. Là, c'est si bizarre, si... peu crédible. Voir sans avoir besoin de ses yeux et sans magie ni technologie, dit comme ça, c'est tiré par les cheveux.

Pourtant, c'est la vérité. Je n'ai aucune raison de mentir sur un tel sujet. Pour être franche, j'avais déjà entendu parler de cette technique ici et là. Au début, je ne savais pas quoi en penser. Puis un jour, j'ai voulu essayer par curiosité, et c'est comme ça que j'ai su. Bref, je n'avais pas du tout prévu tout ça, mais bon. Quitte à se découvrir des talents dans un domaine inattendu, mieux vaut apprendre à s'en servir plutôt que de les ignorer et les mettre de côté, je suppose ?


Par la suite, les taquineries reprirent de plus belle. Et pour une fois, ce n'est pas moi qui en est la cause, ahah. Ses propos me firent ricaner. Moi, devenir son esclave ? Et pourquoi pas lui brosser les écailles ? Il peut toujours rêver, sans méchanceté. Je le bousculai du revers de la main pour l'embêter un peu.

« Et moi, je crois que Môssieur Sobek a très bien compris ce que j'ai voulu dire, mais qu'il fait semblant de ne pas avoir compris soit pour taquiner, soit parce que cette idée le démange depuis un certain temps. Comme je me doute que ce ne serait pas pour lui déplaire, j'ajouterais à cela que ce n'est pas près d'arriver car je suis loin d'être une demie-dragonne docile. »

J'haussai un sourcil avec un sourire espiègle. Même en utilisant la magie de l'âme sur moi, il serait surpris par la force de ma volonté. C'est bien pour cela qu'on dit toujours de ne pas se fier aux apparences. Peut-être que j'ai l'air d'une nomade inoffensive, mais c'est loin d'être le cas en réalité. Pour ce qui est de cette confiance soudaine en Amset, peut-être qu'il y a du vrai dans ses propos. Et puis, plus j'y pense, plus je me dis que ce serait purement égoïste et... injuste, de ne pas lui laisser une chance.

« C'est possible, ahah. C'est très agréable de t'avoir pour adversaire, il faut avouer. Après, il y a aussi le fait que tu essaies de me remonter le moral, avec tant de gentillesse et de bienveillance... ça me touche beaucoup Amset, vraiment. Merci. Et, ne t'inquiète pas pour moi. Si jamais je ne me sens pas bien, je te le dirais. Par contre, je me demandais... il va se passer quoi si je pars sans payer ? »


Un rire malicieux m'échappa malgré moi. Ce n'est qu'une plaisanterie pour l'instant mais, par la suite, je vais très certainement céder par la tentation. Ahah, je me vois déjà en haut d'un palmier, en train de gueuler "youhou" à un Amset qui ne peut pas voler. S'il s'énervait en prime... ah, ce serait vraiment magnifique. Un moment presque aussi inoubliable que sa transformation en mini-naga, à n'en pas douter.

Je souris à ses paroles avec sympathie, bien que toujours malicieuse. Un Amset qui sait faire preuve de modestie ? Mais quelle est cette sorcellerie ? Tout à l'heure, il disait encore qu'il avait "un certain charme", "une magnifique personnalité"... et pourquoi pas "des muscles bien dessinés", "des "cheveux" soyeux", tant qu'à faire ? Je manquai de rougir à nouveau, faisant mine d'admirer le vaste ciel étoilé. Non, je n'ai jamais rien pensé de tel. C'était juste de l'humour.

« Oh, je n'ai jamais pensé le contraire. Je me doute qu'il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir. C'est juste que je n'ai pas l'habitude d'entendre un maître d'armes dire ce genre de choses. Je n'ai toujours eu que des maîtres duchéens, pour ainsi dire. Le genre à affirmer qu'ils sont meilleurs que les autres pour des raisons diverses, alors que ce n'est pas forcément vrai. »

Et encore, je suis gentille en disant cela. Mine de rien, c'est dur de rester neutre en parlant de personnes aussi détestables. Tout ce qui les intéresse au fond, c'est l'argent, et ça se ressent. Quand je travaillais encore au sein de la compagnie, j'avais été voir ce qu'ils enseignaient à l'escrime par curiosité. J'ai halluciné en voyant les tarifs de certains maîtres.


Même chez ceux qui proposaient des prix plus abordables, je ressentais clairement cet attrait pour l'or. Jamais ils ne se seraient montrés aussi compréhensifs qu'Amset. Qu'on soit riche ou pauvre, ça leur est bien égal. Tant qu'ils sont payés en temps et en heure, c'est le principal pour eux. Pourtant, il en faut beaucoup pour que je déteste quelqu'un, mais là...

Je recentrai mes pensées sur les voyages d'Amset, essayant de penser à autre chose. Qu'est-ce que je pourrais lui demander ? Il y a tellement de choses que j'aimerais voir... comme la forteresse indomptable, par exemple. A ce qu'il paraît, elle est très impressionnante, de l'intérieur comme de l'extérieur. Ah, j'ai tellement hâte d'aller voir ça de plus près.

Pour le reste, si j'eus un bref sourire ironique à la mention de Teïder, je n'ajoutai rien de spécial à ce sujet. Pas seulement pour garder un semblant de neutralité, non. J'ignore pourquoi, mais je sens qu'on serait tous les deux d'accord. Teïder n'est pas un pays très touristique, avec ses marécages et tous ces fanatiques. Et à ce que j'ai compris, même un voyageur humain risque gros s'il ne sait pas tenir sa langue... malgré tout, je ressentis un mélange de curiosité et d'excitation en parlant de voyage.

« Des merveilles ? Quel genre de merveilles ? Genre, des lieux à visiter ? Ou des paysages fabuleux, peut-être ? Je t'avoue que ça m'intrigue. Pour ce qui est des contrées sauvages et glacées du nord, le contraire m'aurait étonnée, ahah. Croiser des monstres tous les dix mètres n'a pas dû être de tout repos. »


J'eus un sourire mi-amusé mi-compréhensif. Il doit vraiment adorer son désert natal pour dire ça. Pour ma part, je n'en sais rien car je voyage depuis peu. Cela dit, je dois avouer que le désert a un charme bien à lui quand on oublie ses mauvais côtés. Le vaste ciel bleu, du sable à perte de vue, des oasis qui apparaissent là où on ne s'y attend pas... et ces magnifiques constellations la nuit. Ce ne sont pas les mêmes que dans les Duchés du Sud. Elles sont si... différentes. Puis je réalisai quelque chose avec un temps de retard, et lui jetai un regard surpris.

« Attends. Comment tu as deviné que c'est ma première fois à Akkaton ? Qu'est-ce qui m'a trahie ? »

Je fronçai les sourcils, perplexe. Je ne me rappelle pas avoir fait ou dit quelque chose qui aurait pu donner cette impression... en présence d'Amset, du moins. S'il m'avait vu en ville avec mes grands yeux pleins d'étoiles, là c'est clair qu'il m'aurait cramé à des kilomètres. Mais je crois qu'il me l'aurait dit si c'était le cas ? Je veux dire, ce n'est pas quelqu'un de malhonnête, bien au contraire.


« Pour ce qui est d'Ikhyld, oui, j'ai cru comprendre qu'il y avait pas mal d'archimages là-bas ? Qu'il n'y a pas plus calés qu'eux en matière de magie ? J'ai beau être quelqu'un de neutre, je dois avouer qu'à chaque fois qu'on m'en parle, les éloges ne sont jamais loin, ahah. »

Que ce soit au niveau de leur richesse culturelle, le fait qu'Ikhyld soit l'éternel rival qu'Akkaton... ils n'ont que de bonnes raisons d'êtres fiers de leur pays. Cela dit, ils devraient tout de même faire attention à ne pas tous attraper une tête aussi grosse qu'une montagne. Parce que si ça explose, cela va provoquer un séisme intersidéral, ahah.

A sa question, je penchai la tête sur le côté d'un air songeur. Comment lui expliquer que le voyage est à la fois une passion et plus qu'une passion sans trop en dire ? Bien que je n'en montrai rien, je ressentis à nouveau une pointe de frustration. Même ici, il faut que mes problèmes personnels viennent tout gâcher... je pris le temps de chercher mes mots avant de lui répondre.

« Tu as raison en partie. J'ai envie de faire le tour du monde. Je veux voir Orzian de mes propres yeux, et pas seulement à travers les on-dits ou dans les livres. Le vrai monde, c'est dehors qu'il existe. Il ne tient qu'à nous de le découvrir. »


Zut. Je voulais me montrer convaincante, mais ça s'entend à ma voix que je n'en suis pas si sûre. Je finis par hausser les épaules mentalement. Pour l'instant, je ne sais pas si je reviendrais sur le fond de ma pensée ou pas, donc bon... le fait qu'il ne faut rien attendre des gens, en gros. Peut-être que j'ai tort, peut-être pas... au fond, j'aimerais bien avoir tort pour une fois. Seulement, il est difficile de se défaire d'un sentiment qu'on a toujours ressenti, parce que tout poussait à le ressentir...

Qui sait, Amset est peut-être une exception, une perle rare que j'ai eu la chance de rencontrer ? Bref, j'essaie de me convaincre que ce monde vaut la peine d'être découvert, mais je n'y connais rien. C'est la première fois de ma vie que je quitte les Duchés du Sud. Il est vrai que tout se passe bien pour l'instant... sauf que ce ne sera peut-être pas toujours le cas. Bien qu'Akkaton a l'air différent de ce que j'ai toujours connu, il est encore trop tôt pour dire que c'est le cas "définitivement". Je finis par ajouter ensuite.

« Tu sais... voyager à l'étranger, ce n'est que l'une des nombreuses raisons qui m'ont poussée à partir. Pour dire les choses simplement, je n'étais pas à ma place dans les Duchés du Sud. Ce n'était pas un endroit pour moi. Ils ne me manqueront pas, et je ne leur manquerais pas non plus. »

Je fermai les yeux sur ces mots, impassible. Peut-être que j'y retournerais si j'ai besoin de quelque chose, ou alors si j'ai mes raisons, mais ce sera tout. Je ne me suis jamais sentie à ma place là-bas, et pas seulement à cause de mon passé. Je suis littéralement l'opposé de tout ce qu'ils sont. Et hormis le travail au sein de la compagnie, rien ne me retenait à Vinche... ni amis, ni famille, ni... rien. Eléonore a fait du beau boulot en matière de me détruire et me pourrir la vie, il n'y a pas à dire.


Au moins, ici, il y a un Amset qui arrive à me faire rire. Enfin, ça ne durera pas éternellement, je le sais bien. Je faillis lever les yeux au ciel, mi-souriante mi-blasée. J'ai beau me dire que je ne m'attache pas, je crois qu'il va me manquer quand même quand il ne sera plus là. Cela dit, en attendant... je me retournai soudain sur le dos en croisant les bras, faussement vexée.

« Comment ça, il est bien que je ne les maîtrise pas ? Qu'est-ce qu'il sous-entend au juste, Môssieur Sobek ? Que je suis indigne de confiance, c'est ça ? Eh bien, permettez-moi de vous dire que je n'en aurais pas forcément fait un mauvais usage. Bon, je reconnais que ça aurait été kiffant de défoncer une armée de morts-vivants en un coup. Ou encore de multiplier les plaisanteries en devenant minuscule, c'est vrai. Sauf que j'aurais pu faire le bien aussi avec. »

La magie est neutre par nature, tout comme la technologie. C'est l'usage qu'on en fait qui est vraiment important. En fait, c'est un peu comme dans le dicton qui revient souvent. Celui qui parle toujours de grands pouvoirs et de grandes responsabilités... ah, j'ai un trou de mémoire. Il arrive toujours quand il ne faut pas, le trou de mémoire. Bref, c'était un truc dans le genre-là.

En revanche, je restai un temps silencieuse quand Amset évoqua le griffon et le drake, ne sachant que dire. Moi, affronter des monstres aussi gros ? Tenir tête à un orc en armure n'est déjà pas facile, alors des créatures de cette taille... je me grattai les écailles du cou, pensive.


« Je ne sais pas non plus. Pour l'instant, je n'en ai pas encore croisé. Mais honnêtement, si je devais en affronter un, je pense que ce serait plutôt pour me défendre ou aider une personne en danger. Je ne suis pas du genre à tuer, Amset. Du moins, pas sans une bonne raison... je n'aime pas trop ça. Cela dit, je peux comprendre qu'un tel combat soit palpitant. Ça doit être vraiment spectaculaire, en vrai. »

Un énorme griffon qui nous fondrait dessus, toutes serres dehors, c'est rien de le dire. Sans compter son bec, ses muscles puissants... et que dire du nombre de blessures qu'il faudrait lui infliger avant qu'il ne s'écroule ? En toute franchise, je ne me sens pas encore prête à combattre de tels adversaires. Je suis plutôt habituée aux monstres qui font plus ou moins ma taille, aux bandits...

Pour autant, ce n'est pas un griffon ou un drake qui me fera changer d'avis. J'ai vraiment envie de faire le tour du monde. Si je m'arrêtais à ce genre de détails, je n'aurais jamais pu devenir mercenaire. Mes pensées défilèrent rapidement, les unes après les autres. Dans tous les cas, ça finira par arriver, tôt ou tard. Que ce soit à Eïrn, dans les contrées sauvages voire ailleurs si je n'ai vraiment pas de chance.

Remarque, il y a peut-être moyen que je m'entraîne un peu à Akkaton. A ce qu'il paraît, il y a aussi des grosses bêtes dans le désert. Peut-être que je pourrais m'exercer sur des jeunes monstres sans les tuer ? Puis grimper de paliers en paliers à mon rythme ? En fin de compte, c'est comme pour tout... ça s'apprend. Quoi qu'il en soit, l'oasis se rapprochait rapidement. J'hochai la tête à la question d'Amset.


« Ce n'est pas une obligation, mais je préfère toujours me proposer pour partir en éclaireuse, juste au cas où. Il pourrait y avoir un contretemps qui nous obligerait à changer de plan, des embuscades ou des pièges cachés sur notre chemin... ce genre de choses. »

Invisible, je planai au gré du vent encore un temps avant de ralentir doucement. On y est. Je me posai en silence derrière les dunes avant de laisser sortir Amset en surveillant les alentours. Puis je lui glissai dans un murmure.

« Ils ne devraient pas te voir d'ici, mais reste vigilant... on ne sait jamais. »

A moins qu'il n'ait quelque chose à ajouter, je partirais donc sans attendre en éclaireuse, m'envolant en direction des ruines.