Papa était là, à la frontière. Il m’attendait, pleurait déjà, fier et ému à la fois. Il était heureux de me savoir si indépendante maintenant, et inquiet de me voir partir. Aucun de nous ne pouvait dire ce qui m’attendait là-bas, au loin… qui sait quand on se reverra ? Dans deux mois ? Trois mois ? Davantage ? Je n’en avais aucune idée. Je lui ai promis de faire un saut à Sarassi, un de ces jours. Et que oui, je serais très très prudente, voyant qu’il n’était toujours pas rassuré. Evidemment, il m’a fait un énorme câlin… Papa a ri de bon cœur quand je lui ai demandé de ne pas me casser une côte avant mon départ. Ce serait sympa. Lorsqu’il a relâché son étreinte, j’ai collé mon front contre le sien, effleurant gentiment son museau. Lui aussi allait beaucoup me manquer…

« Bon voyage, Vivi. Prends soin de toi. »

Et c’est ainsi que j’ai découvert les non-joies de la vie de nomade. Adieu le confort d’un lit douillet, bonjour mon mal de dos… pour se laver, avec un peu de chance, j’espérais tomber sur une rivière ou un lac. Je devais éviter les dépenses inutiles. Sans parler du froid, des caprices de la météo, la faune pas toujours très sympathique, blablabla. Il y avait bien des contraintes, mais cela en valait la peine. Allumer un feu et profiter de sa chaleur, tout en se faisant une bonne grillade. Regarder les constellations tous les soirs. Découvrir la faune et la flore locale. Des lieux dont on ne soupçonnerait pas l’existence… c’était ça que je voulais, et je ne le regrette pas. Le simple fait de pouvoir vivre comme bon me semble me rend euphorique. J’en rêve depuis si longtemps... cela dit, je dois avouer que j’étais partagée quant à mon premier cap. Ikhyld était très tentante. Une île immense entourée d’îlots, éloignée du continent, préférant la magie à la technologie. Ou Eïrn, peut-être ? Quoique, Akkaton était plus proche. Ah, il y a tellement de choses que j’avais envie de voir. Finalement, j’ai opté pour Akkaton. Parce que, pour aller à Ikhyld… eh bien, je n’avais jamais utilisé de moyens volants ou maritimes pour voyager. Mes ailes et mes pieds m’ont toujours suffi. Sinon, je n’allais sans doute pas faire un malaise, mais j’ignorais si je serais à mon aise pour autant en les empruntant. Alors autant commencer en douceur, avec des trajets plus petits.

J’ai été tenté de me changer en hibou. Rien que pour pouvoir me dévisser le cou et regarder partout, ou ne serait-ce que pour avoir leurs grands yeux et tout voir en même temps. De la technologie partout, en grande quantité. C’était fou. J’avais l’impression d’être dans un autre monde… il n’y avait pas cette ambiance qu’on retrouve aux Duchés. Les mercenaires attirés par l’or de la même manière qu’un charognard par un cadavre. Les contrefaçons du marché noir qui s’écoulent sans jamais se tarir. L’éternelle sensation du « chacun pour soi ». Non, en apparence, les gens d’ici avaient l’air différent… on aurait dit qu’ils prêtaient attention à mes différences et non à mon statut social, pourtant bien visible. Ça faisait vraiment bizarre. Moi qui avait l’habitude d’être naturellement méfiante et à juste titre, voilà que je ressemblais à une paranoïaque qui s’inquiétait pour rien.

Bon, c’était bien beau le tourisme, mais ma bourse n’avait pas d’enchantement Argent Infini. Alors je me suis renseignée, j’ai cherché des offres, tout le tralala. Parmi celles qui m’intéressaient le plus, il y en avait une qui me tentait davantage. Etant une mercenaire étrangère, je pensais qu’il me serait plus difficile de décrocher un contrat. Sur le navire j’avais déjà commencé à réfléchir à quels arguments employer, comment me présenter… l’empire avait une armée pour rétablir l’ordre, lui. Toutefois, il semblerait qu’ils aient besoin d’aide. J’ai entendu des bribes ci et là, qui se sont confirmées en chemin. La présence de tous ces soldats un peu partout n’était pas un hasard. Eh ben. Gérer plusieurs fronts à la fois, cela ne doit pas être de tout repos. Encore Teïder, bon, ils ont l’habitude. Mais cette histoire d’"anciens dieux nagas" qui seraient de retour, j’admets que cela m’intrigue. Ce sont vraiment des dieux ? Dans le sens des vrais dieux qui existent ? Qui pensent et qui parlent ? Il ne s’agit pas que de vénérer des personnes qu’on ne voit jamais ?


Arrivée dans un petit camp militaire, j’ai répondu aux questions d’un soldat qui s’était approché à ma vue, impassible. Comme d’habitude, on jugeait à ma tenue. Je serais passée outre s’il en aurait fait autant. Je me suis retenue de rouler des yeux, le fixant sans ciller. Que je sois "apte" à répondre à cette offre ou non, c’était à son capitaine d’en juger, et à lui seul. En parlant de ce dernier, j’avais rendez-vous avec lui. S’il ne me laissait pas passer, je pourrais éventuellement lui en glisser un mot dès que la moindre occasion se présentera ? J’ai esquissé un faux rictus sinistre, lui faisant croire que je parlais très sérieusement. En vérité, je n’étais pas là pour cela, évidemment. Bien que je m’interrogeais moi-même sur ce que j’allais faire s’il ne me laissait pas passer. Ce serait aussi fâcheux que ridicule. Je ne tenais pas à m’introduire ici en douce à cause d’une tête de con, alors que j’avais bien rendez-vous pour avoir du travail… enfin bon. Si le soldat a gardé son sang-froid face à mon sourire, bizarrement, son attitude a quelque peu changé. C’était la procédure, il ne pouvait pas laisser entrer n’importe qui comme ça, oui oui. Je sais, je ne suis pas stupide. Il n’avait même pas fini sa phrase que je le contournais déjà, m’aventurant à l’intérieur du camp. Honnêtement, je n’avais pas besoin d’un guide touristique. J’aurais bien fini par trouver sa tente. D’un autre côté, j’aurais été étonnée que le soldat me laisse me promener librement.

Non loin de la tente en question, je me suis assise par terre en tailleur. Le capitaine devait être occupé pour le moment. Rien d’étonnant pour quelqu’un de son grade. J’observais le va-et-vient des soldats pour passer le temps lorsqu’un mouvement me fit tourner la tête. Quelqu’un venait par ici. Un soldat accompagnant un naga. Sans doute une autre personne ayant affaire avec le capitaine. Tant qu’il fait la queue comme tout le monde, je m’en fiche. Bien que je notai qu'à priori, le naga n'avait pas l'air de juger les autres, lui au moins. Je répondis à son signe de tête par un léger hochement, indifférente. Il veut discuter ? Parler aux gens, ce n’est pas trop mon poids fort… néanmoins, je retins un sourire amusé à sa question. Non, je suis payée à compter les papillons.

« Elva Yawë. »

Simple, mais concis. Pourquoi épiloguer quand on peut dire la même chose brièvement ? Comment ça, je suis super bavarde dans ma tête ? Et alors ? C’est ma tête. Je fais ce que je veux. Puis je fis mine de réfléchir.

« Et, non. Je souhaite demander au capitaine s’il n’aurait pas l’adresse d’un bon masseur de pieds. »

Un sifflement ? C’est l’équivalent d’un rire chez les Nagas, si je comprends bien ? Je ne les connais pas trop, en dehors des récits d’Eléonore. Des soldats tenus en haute estime, l’un d’eux faisant même partie des cinq grands maîtres des armées Eïlynsteriennes… je me demande si c’est le cas également à Akkaton ? Ou si la plupart sont là à cause de leur attachement profond pour leurs terres ancestrales ? Les nagas sont absolument partout. En ville, où que je posais le regard, il y avait des nagas. C’est fou. Mais ce n’est pas pour me déplaire, à vrai dire. Ils sont si rares aux Duchés. Ce sera l’occasion de travailler avec quelqu’un qui ne soit pas humain ou Azurien. Ou orc ou nain, c’est selon.

Une lueur amusée traversa mes yeux. Je vois qu’il n’appartient pas à la catégorie "premier degré" en matière d’humour. Tant mieux. Les autres Duchéens sont toujours si sérieux… c’est d’un ennui… mon sourire amusé devint moqueur sur la fin. Mes ailes, avoir des belles teintes ? Il n’essaierait pas de me flatter par hasard ? Je n’y suis guère sensible, malheureusement, puisque je m’en fiche d’être jolie ou non. Du moins, je ne suis pas sensible aux compliments qu’on fait habituellement aux dames. Pas merci, Eléonore.

« Je vais y réfléchir. »

Par la suite, je repris mon sérieux habituel. C’est l’heure. Je me relevai suite à l’invitation à entrer, remarquant à peine qu’Amset me laissait passer. Trop aimable. Toutefois, pas sûr que j’en ferais autant. Qui sait si je ne serais pas tentée par quelques fourberies en chemin ? Ainsi, je m’engouffrai à l’intérieur, jetant un rapide coup d’œil au bureau. Pour le coup, il n’était pas si différent de celui du sergent à la compagnie. Si ce n’est que ce dernier aimait que chaque document soit bien classé sur son bureau, et mettre toutes sortes de récompenses bien en évidence. Je le soupçonne de les astiquer de temps à autre. Toutes étaient bien brillantes, et ne semblaient jamais prendre la poussière… les coussins me firent d’abord hausser un sourcil. Puis mes yeux pétillèrent de malice lorsque je compris à quoi ils servaient. C’était tentant de piquer la place du si aimable Amset et m’amuser à ses dépens. Sauf que le capitaine était là, orc baraqué parmi les orcs baraqués. Non, sérieusement, il faut que je me calme sur les blagues. Il pourrait penser que je prenais tout ceci à la légère. Je rendis son salut à l’orc d’un hochement de tête poli, tout en m’efforçant de me concentrer.

Je jetai un regard en biais à Amset. Qu’il soit connu ici et que je ne le sache pas, cela n’est pas étonnant. Mais aux Duchés ? Sobek, Sobek… ce nom ne me dit rien. Peut-être dans ceux que je connais le moins ? Je n’eus guère le temps de m’attarder là-dessus, l’officier continuant à parler. Je restai modeste lorsqu’il s’adressa à moi. Je ne suis pas comme certains guerriers qui se vantent de leur force, leurs prouesses et compagnie. De toute manière, l’orc entra rapidement dans le vif du sujet. Ce qui, en général, n’annonçait rien de bon. Des civils enlevés ? Moi qui pensais que tous ces soldats étaient mobilisés en cas d’attaque Teïderienne ou de… tiens, quand on parle du loup. Les anciens dieux nagas. Ou leurs sbires, plutôt. Pour toute réponse, je fis "oui" de la tête. Les sauver rapidement en évitant de se faire remarquer, ou trop remarquer, en résumé. A voir comment on va procéder.

A la vue de la carte, je me penchai en avant pour prendre quelques points de repères. Dans un désert immense, il vaut mieux. Quelques autres signes de tête indiquaient que je suivais sans un mot. Peu de gardiens… rien de bien ardu jusque-là. Cela dit, je me méfiais des missions qui semblaient trop simples à première vue. Ça m’a déjà joué des tours par le passé. L’ancien village pourrait recéler quelques cachettes selon son état actuel. Et les morts vivants les connaissent, pas nous. Quant au golem, non je ne suis pas inquiète. Peut-être qu’il y en aura un, peut-être pas. Et si par malchance il y en avait un, voire qu’il s’avèrerait trop fort pour nous, sait-on jamais… il n’y aurait qu’à l’occuper le temps que tous se mettent à l’abri. Le but est de ramener les civils vivants, pas de risquer nos vies inutilement. Pour cela, des petites informations en plus ne seraient pas de refus.

« Combien de civils sont retenus en otage ? Disons que dans le cas où nous serions amenés à les protéger, il nous serait plus difficile de les couvrir s’ils sont nombreux. Et à propos de nos ennemis. Une idée de leurs préférences martiales ? »

L’éclaireur a peut-être pu apercevoir certaines armes sur eux, qui sait. Cela nous éviterait au moins de nous prendre des carreaux enflammés de la part de tireurs embusqués…

Un avant-poste ou un fortin… ce serait plus que pratique s’il y en avait un aux alentours pour mettre rapidement les civils en lieu sûr. Et ne pas devoir refaire une randonnée entourée de scorpions, de serpents, tout ça. Je dis cela, c’est pour les civils. N’ayant pas d’autres questions en tête pour le moment, j’attendis qu’Amset ou l’orc reprenne la parole.

Six civils ? C’est gérable. Je parcourus la liste des yeux. Un pli perplexe se creusa entre mes sourcils. Il n’y a pas que des nagas, tiens. Je me serais attendue à des personnes enlevées pour adhérer de force à la secte maléfique des dieux nagas, ou... quelque chose qui puisse expliquer la raison de leur enlèvement. C’est si étrange. Des vivants enlevés par des morts-vivants ? Quelqu’un a pu leur demander de le faire, certes. Mais dans quel but, si ce n'est ce culte ? Les morts vivants nous tueraient en temps normal. Ils détestent les vivants… non, je ne comprends toujours pas. A moins qu’il existe une autre raison à laquelle je n’aurais pas pensé.

Un énième signe de tête tandis que je retenais un sourire fourbe. Je vois que les nagas aiment varier les plaisirs en matière d’armement. Cela promet d'être amus... euh, je m’adapterais de l’un à l’autre, je veux dire. La petite note humoristique faillit me faire sourire pour de bon. L’éclaireur n’a pas eu non plus le plaisir de se faire poursuivre par une horde de nagas morts vivants sanguinaires. Nous, par contre… eh bien, il n’y a plus qu’à espérer que les civils ne soient pas trop en panique si cela devait se produire… et à propos des civils. Si le problème du soleil est résolu, ce n'est pas le cas du froid nocturne.

« Capitaine. Navrée de vous interrompre, mais je viens de penser à une chose. Cette ruine, elle est loin d'ici ? Vous pensez que les non-nagas supporteront le froid du désert assez longtemps pour faire le trajet ? »


Ah, discuter de ses talents communs... l'un de mes moments préférés. Disons que j'ai mes raisons. Il est vrai qu’on n’a pas encore eu l’occasion d’en discuter. C'est la bonne occasion pour cela. J'attendis imp... je veux dire patiemment qu'Amset termine. Epée et bouclier, d'accord. Une lame supplémentaire, ce n'est jamais de refus. Surtout face à des types pareils. Sauf que j'haussai les épaules avec un léger dédain à l'idée de m'abriter derrière lui. Je ne nie pas le fait que son bouclier ferait une très bonne protection, non non. Disons qu'à moins que je n'arrive pas du tout à m'en sortir, je me débrouille seule sur ce point. A mon expression, il devinera sans trop de mal mon côté indépendant. Faire équipe avec un ou plusieurs partenaires, bon, je fais avec vu que souvent, je n'ai pas trop le choix. Mais je peux agir en solo si besoin est. J'ai l'habitude.

A la mention de la magie de l'âme, je fus tentée de l'interrompre, intriguée par ses effets si singuliers. Mais je le laissai continuer. Sur la fin, une lueur mi-amusée mi-sinistre apparut dans mes yeux bleus. Tant qu'il ne meure pas, il peut prendre l'essentiel des risques, si cela lui fait plaisir. Mais ce ne sera pas forcément nécessaire. Moi aussi je peux le faire, si je veux. A moins qu'on opte pour une autre tactique. J'ai mes petits atouts également... je souris, laissant mon armure noire se déployer sur mon corps. Bizarrement, je ne me lasse pas des réactions qu'elle provoque à cause de ma tenue précédente.

« De même. Au corps-à-corps ou à distance, je m'adapte. Epée électrique ou arme à feu, c'est selon. Au besoin, j'ai quelques notions en magie de feu, transformiste et lumière, cette dernière étant celle que je maîtrise le mieux. »

Puis, à nouveau, j'eus l'air intriguée.

« En parlant de magie. Concrètement, en quoi consiste la magie de l'âme ? Pardonnez mon ignorance, mais ce n'est pas une magie très répandue... »

Je n’ajoutai rien, me contentant d’acquiescer à la réponse du capitaine. Très bien, alors. Puisque nous sommes tous d’accord… tout m’a l’air en ordre sur ce point. Pensive à mon tour, je fixai un point invisible tout en écoutant le naga.

« Un projectile mental ? Genre me lancer une flèche par la pensée ? »

Encore le duel de volonté ça irait, j’ai un bon mental. Mais esquiver un tel projectile, je l’ignore. J’ai beau savoir réagir rapidement, je n’ai pas l’habitude de la magie de l’âme. Enfin, ça m’apprendra à être plus curieuse et me renseigner davantage, la prochaine fois… on ne peut pas dire qu’Eléonore ait aidé là-dessus, cela dit. Je retins un soupir. J’ai besoin de temps. Combien de temps cela va prendre, je n’en ai aucune idée… je repoussai cette pensée. Ce n’est pas le moment.

Foncer sur un mage… cela me fit ricaner. Et après on dit qu’il y a peu de mages ? Forcément, avec toutes les personnes qui leur roulent dessus… oh c’est Amset qui l’a dit, pas moi. Un sourire fourbe se dessina sur mes lèvres. Je relançai Amset.

« Sauf si on tombe sur un mage doué pour incanter très rapidement. Ou qui s’arrange pour rester hors de portée. Ou qui est trop bien protégé. »

Oui, je dis cela juste pour l’embêter. C’est dur de résister à la tentation. Et mes yeux pétillants ont dû me trahir sur la fin de toute façon, laissant entrevoir que je le croyais sur parole. La méthode du bourrin qui fonce sans se poser de questions ou presque n’est pas celle que je préfère. Mais il est vrai que cela marche, parfois. Non, je ne doute pas de notre réussite. Au contraire, je me sens plutôt confiante. J’envisage simplement diverses possibilités, histoire d’être sûre qu’on n’oublie rien et qu’on ne se fasse pas avoir par un détail qu’on aurait pu anticiper. La prudence, comme toujours.


Les propositions s’enchaînèrent doucement l’une après l’autre. J’esquissai un sourire moqueur. Sans vouloir se vanter, mais un peu quand même, le Amset. Je réfléchis quelques instants, avant d’hocher la tête en signe d’approbation, l’air guère enthousiaste. Eh bien, puisqu’il est si sûr de lui…

« Bien entendu. Je ferais tout mon possible pour qu’ils ne leur arrivent rien. Et si cela peut marcher, nous devons tenter le coup. Je suis de l’opinion du capitaine : il n’est pas impossible que leur vie soit menacée... »

J’aimerais mille fois mieux me tromper plutôt que d’apprendre sur place que ce serait vraiment le cas… mais je n’écarte pas cette possibilité pour autant. Et dans ce cas, je n’hésiterais pas à agir en conséquence. De même pour Amset, je suppose. En revanche, je fis la grimace à la vue de la cage. Ah. Je vois. Les civils ne vont pas aimer… sortir de la prison pour aller dans une autre, et enchantée, qui plus est… je comprendrais qu’ils ne me fassent pas confiance. Je lui empruntai néanmoins la cage avec un air qui se voulait rassurant. Je vais voir ce que je peux faire sur place. Ils finiront bien par se faire une raison. Il le faudra bien si les civils veulent retrouver leur liberté.

Lorsque le naga me reposa la question, je fis mine de réfléchir, l’air prête à refuser… avant d’hocher la tête en signe d’approbation avec un sourire sinistre.

« Oh, je ne m’inquiète pas. Mais j’irais vous gronder via un mage nécromancien si vous vous faites tuer avant. »

J’en doute fort, évidemment. Et au fond de moi, tant qu’à faire, j’espère qu’on pourra flanquer une bonne raclée à ces gardiens. Les civils mis en sûreté, ce n’est pas infaisable...

Je vois… très intéressant, comme magie. J’aurais su, je n’en aurais appris que deux et me serais renseignée pour savoir si je pouvais apprendre la magie de l’Âme ou non. Mais bon, Feu, Lumière et Transformiste, c’est très bien comme magie. Ça m’a toujours convenue, et je ne le regrette pas. Quand Amset essaya de me rassurer, j’eus un sourire sarcastique.

« En résumé, je peux juste être soumise à la volonté d’un mort-vivant naga maléfique, ou qu’on m’insuffle la flemme de me battre pour mieux m’enfoncer une arme dans les côtes. »

Très charmant, comme programme. Je ris doucement, lui laissant comprendre que ça ira. Je n’ai jamais été confronté à cette magie, mais au moins il m’a donné un aperçu de son fonctionnement. Cela devrait suffire. Me défendre un minimum, je n’en demandais pas davantage. Notre mission n’est pas de rouler sur les morts-vivants. Même si on a le droit de se plaisir en chemin, bien sûr.

En ce qui concerne l’échange de taquineries, mon sourire fourbe ne s’en étira que davantage. Ah, il a du répondant… Amset va vraiment me donner envie de l’embêter pendant toute la mission, si ça continue. Et dire que j’étais censée rester professionnelle… remarque, ce détail est aussi passé à la trappe chez le naga. On se taquine sous le nez d’un capitaine, mais ce n’est pas grave. Quoique, il a l’air bien pris par ses occupations pour nous prêter attention... j’enchaînai à la suite d’Amset.

« Ou un mage aidé par d’autres mages venus l’aider en renforts qui combineraient ensemble leurs talents de mages pour s’entraider si jamais on venait à bout des épéistes et autres les protégeant. »

J’haussai un sourcil amusé. S’il trouve mieux, je suis tout ouïe. Je souris avec douceur sans le vouloir, songeant tendrement à mon père. On adore se vanner de la sorte… si bien qu’à la fin, ce qu’on dit ne semble plus avoir aucun sens, ou l’un de nous deux finit par s’y perdre. Et quand l’envie nous prend, on impose au perdant un défi pour pimenter les choses. Sinon, il se fera traité de poule mouillée pour le reste de la journée. Bien entendu, je n’ai jamais donné une telle occasion à mon père. Il est bien assez taquin comme ça…


La voix de l’orc me ramena sur Orzian. Je secouai aussitôt la tête à la mention du pistolet.

« Hormis trouer leurs os et les énerver, je suis de votre avis. Cela ne suffira pas. »

L’électricité de mon épée aussi d’ailleurs, s’ils ne sont que des amas d’os animés par magie… reste la magie, nos atouts, et le tranchage de membres à l’épée plus "classique", si je peux dire. Comme une épaule déboîtée pour gêner l’usage des lances, archers et épéistes. Une jambe en moins pour gêner leurs déplacements. Ou simplement détacher la tête de leur corps. Cela marche aussi.

J’eus un sourire forcé devant l’optimisme d’Amset, ne sachant que répondre, un peu distante. Oui, je sais. Il n’y a pas de raison… en temps normal, je n’en douterais pas un instant. Pourquoi c’est le cas aujourd’hui, je ne sais pas trop. Mes premiers pas dans l’Empire, le fait que je fasse cavalière seule, autre chose… bonne question. A moins que je sois juste un peu plus nerveuse que je le croyais. Après sept ans passés dans une compagnie, ça fait bizarre de se trouver face à un nouvel employeur… une lueur sinistre dansa dans mes yeux à l’idée de devoir ressusciter le naga s’il mourait là-bas.

« Pas seulement. J’en profiterais pour coller une bonne douzaine de claques à un certain naga mort bêtement par excès de confiance en lui et en ses muscles… »

Surtout les muscles… il en tire une certaine fierté, le naga. Enfin bon, il est loin d’être le seul parmi les siens, je suppose. Puis je retournai la tête vers le capitaine sans un mot. A moins qu’il ne veuille ajouter quelque chose, je pense qu’on a fait le tour.


A peine sortis, voilà qu’Amset recommence déjà à taquiner. Je lui jetai un regard en coin. Et la galanterie, dans tout ça ? Ce ne devrait pas être l’inverse ? Je suis loin d’être aussi musclée qu’une orc ou une dragonne... avec un sourire lugubre, j’eus un mouvement de tête vers sa cage, accrochée à ma taille. On y serait aussi vite en l’utilisant, et je pourrais le narguer sur le trajet. Oh, encore mieux… lui faire croire qu’il restera prisonnier dans sa propre cage parce que je n’arriverais plus à l’ouvrir. L’ironie du sort. Oh, si Amset refusait, je pourrais comprendre. Après tout, je suis peut-être une Teïderienne très fourbe. Si ce n’est une redoutable sbire de Cesario, qui sait… je repris mon sérieux quelques minutes plus tard.

« Je serais aussi puissante, je ne pourrais même pas toucher mon pistolet... l’épée électrique, n’en parlons pas… »

Je fis une grimace à cette idée. Mieux vaut que ce soit l’épée que le pistolet sans doute. Pour autant, une décharge électrique ne serait guère plus agréable… en parlant d’équipement. Je jetai un coup d’œil à mon sac, songeuse. Ma foi, j’ai tout ce qu’il me faut… pour le reste, adviendra ce qu’il adviendra. Je lui fis un signe de tête.

« A part demander les vêtements chauds à l’intendant, c’est bon pour moi. »

Je secouai la tête avec un sourire incrédule. Des technologistes ? Non, quand même pas... ils préfèrent les armes et la magie à la technologie. Ma question au capitaine sur les armes n’était pas anodine, bien entendu. Quant à l’utilité de mon pistolet face aux morts vivants, je ne voyais rien de bien intéressant à ajouter. Quoique… je dois avouer que ce serait presque tentant de les taquiner en faisant des trous partout dans leurs os, rien que pour les voir se mettre en rogne… peut-être qu’ils baisseraient alors leur garde, et on pourrait en profiter pour les amputer d’un membre ? Je retins un petit rire. Oh, je vois d’ici l’orc et le naga me dire que je gaspillerais mes balles pour rien. M’enfin, j’ai bien le droit de rêver… en ce qui concerne le fait que les morts-vivants ne ressentent pas la douleur…

« Ils souriront moins lorsque leurs têtes se détacheront de leurs corps à force de se faire frapper. »

J’observai celle d’Amset d’un air entendu. Il ne pensait pas s’en tirer aussi facilement, si ? Une telle occasion de le "gronder" pour son imprudence et l’embêter à la fois, cela ne serait pas de refus. On en a terminé avec le capitaine, il semblerait. L’orc n’a rien ajouté de particulier. Sans doute est-il absorbé à nouveau par ses occupations.

J’eus un rire involontaire à la réaction du naga. Je m’en doutais que voyager dans sa propre cage ne lui plairait pas. Ma foi, c’était à la fois pour taquiner et proposer une solution alternative à la "marche". J’ai beau être sympa, je reste solitaire par nature. Et j’aurais été très tentée de voler, tranquille, regardant Amset faire toute la route à pied... je dus prendre sur moi pour ne pas éclater de rire en imaginant la scène. Il a beau avoir le sens de l’humour, je pense qu’il m’aurait fait la tête...


A la mention du sort de vérité qu’il devrait me lancer, au lieu de m’en inquiéter, ce fut tout le contraire. Je me tournai vers lui avec la même lueur d’intérêt que lorsqu’il a mentionné la magie de l’Âme pour la première fois. C’est plus fort que moi. Je ne peux pas m’empêcher de tourner les choses en dérision. Ce sort doit être trop pratique au quotidien… un enfant qui ment tout le temps à ses parents ? Il serait aisé de vérifier ses dires. Un doute sur la fidélité de son conjoint ? Il suffirait de le tester pour s’en assurer. Oh, et l’honnêteté des gens aux Duchés… alors là, il serait plus que très pratique ce sort, il n’y a pas à dire.

Reprenant mon sérieux, je pris le temps d’y réfléchir plus calmement. Honnêtement, subir un sort de vérité ne me fait pas peur du tout. Pour avoir eu un traitement cent fois pire pendant plus de quarante ans… ce n’est rien en comparaison. Je n’ai rien à me reprocher ou à cacher, qui plus est. Après, tout dépend de ce qu’il veut savoir. Ce qui me gênerait serait des questions trop personnelles… mon passé, je n’en parlerais pas. Ressasser de tels souvenirs fera plus de mal que de bien. Et bien que cela ne semble pas le genre d’Amset, on peut facilement être tenté par curiosité. Cela dit, je m’interroge.

Il y aura vraiment une différence s’il me jette ce sort ? Je veux dire… je suis toujours franche. Mentir est loin d’être dans mes habitudes. A moins que j’ai mes raisons, mais c’est rare. Franchement, s’il me posait des questions sans son sort, je doute qu’il verrait la différence… enfin, Amset ne le sait pas. Difficile de lui reprocher de couvrir ses arrières. Je ferais de même à sa place. Tout en réfléchissant, je répondis à sa question concernant mon niveau de transformisme. Puis je me m’arrêtai de marcher avec un sourire sceptique. Il recommence à taquiner, là. C’est obligé.

« Ne faites pas semblant d’avoir oublié, Môssieur Sobek. Ils sont pour les civils. »


J’ai bien dit que les vêtements chauds n’étaient pas pour moi. Le capitaine l’a entendu, lui aussi. Le naga ne peut pas nier. En parlant des civils, s’il y a des non mages dans le lot, cette petite attention leur ferait bien plaisir après des heures d’angoisse, prisonniers de morts-vivants, ne sachant ni ce qu’ils vont devenir ni s’ils vont s’en sortir… mon visage s’assombrit. Je ne connais que trop bien ce sentiment… des civils Akkatoniens qui se font enlever, on leur tend la main, à eux… enfin bon. J’ai pris ma décision. Je plantai mes yeux bleus amusés dans les siens.

« J’accepte en posant une condition à mon tour : pas de questions trop intrusives. Il serait fâcheux que j’aille me plaindre d’un usage abusif de la magie au premier venu, sachant que personne ne mettra en doute la parole de quelqu’un qui ne peut pas mentir... »

Je doute qu’il le ferait, mais il faut bien que je couvre mes arrières, moi aussi. On sait jamais, je pourrais me tromper à son sujet… d’un autre côté, on est au beau milieu d’un campement militaire Akkatonien. Je dis ça, je dis rien… oh, il ne m’en empêchera pas. Après tout, il m’a expliqué lui-même comment me défendre contre la magie de l’Âme.

Si je remarquai son petit froncement de sourcils, je n’en montrai rien, souriant simplement. Sans méchanceté, je me fiche pas mal de ce qu’on peut penser de moi. Je suis une gamine dans ma tête qui s’amuse de tout et de rien, et je ne m’en cache pas. Quoique, on m’a déjà trouvé bizarre parce que je me marche partout pieds nus. Ou de cinglée pour m’être glissée dans la maison de quelqu’un déguisée en souris, juste pour m’assurer qu’il était bien innocent et non pas un criminel recherché qui lui ressemble. Ceci, au risque de me faire frapper par la poêle de la personne. Et comment j’étais censée deviner qu’il avait la phobie des souris ? On ne trouve pas toujours des détails de ce genre en se renseignant sur une personne… franchement, si je dois commencer à faire attention à tout, autant me donner la liste de ce qu’il aime et déteste, ses qualités et défauts… et je me suis encore égarée, comme d’habitude.

Je me retins d’hausser les épaules avec un rire léger. Oh, peu importe. Je ne cherche pas spécialement à plaire ou non. C’est juste que le rire m’a un jour aidé à aller mieux. Aujourd’hui, cela fait partie de moi et je compte bien faire en sorte que cela ne change jamais. Même si je tombe un jour sur une autre Eléonore. Mon sourire sceptique s’élargit à la réponse du naga. Et c’est celui qui a encore évoqué un sort de feu qui me dit ça, hein… mais bien entendu, ce n’était absolument pas pour taquiner. Bien sûr, je vais le croire… lui non plus n’en rate pas une. C’est à se demander lequel de nous deux est le plus taquin. J’opinai du chef sur la fin. Contente de voir qu’on est d’accord. Ce n’est pas grand-chose, mais cette petite attention leur fera du bien, vraiment. Un peu de réconfort, ce serait bien, mais au moins les rassurer un peu, je l’espère. Je n’en montrais rien, mais je suis un peu anxieuse à l’idée qu’ils soient soudain pris de panique à cause des morts-vivants... bien sûr, je les protégerais. N’empêche que ce sera plus difficile s’ils partent en courant dans tous les sens ou se retrouvent tétanisés par la peur… enfin bon. Je verrais bien. Je répondis d’un ton faussement vantard.

« Oh, je ne suis pas une hybride aussi fragile qu’elle en a l’air, croyez-moi. »

La preuve, je suis nomade. A l’inverse, je serais aussi fragile qu’une brindille, ce serait un peu compliqué, étant donné que ce mode de vie est assez physique… et on enchaîna cette vague de taquineries lorsque j’acceptai qu’il me lance le sort de vérité, en faisant mine de le menacer. Sauf qu’Amset a réponse à tout, visiblement… c’est vrai que les technologistes sont majoritaires ici, comme partout dans Akkaton. Cela dit, il y a bien un certain nombre de mages sur ces terres, puisqu’on interdit aux plus puissants d’entre eux de prendre le train à cause de la dualité entre magie et technologie. J’ai tendance à penser que quand on veut on peut, mais je songeai avec un petit sourire qu’à tous les coups, il trouvera quelque chose à y redire. Aussi, je fis mine de réfléchir avec le plus grand sérieux.

« Dans ce cas... oh, je peux toujours vous assommer d’un bon coup de pommeau derrière la tête, remarque. »


En tout cas, le naga a l’air sincère quand il me promit de ne pas en abuser. En revanche, je m’empourprai à la question qui suivit sans y répondre et détournai les yeux, gênée. C’est bien à ce genre de questions intrusives que j’aurais pu m’attendre quand on est quelqu’un de trop curieux. Ce n’est pas le genre d’Amset, mais voilà, quelqu’un d’autre aurait pu et sans la moindre gêne. D’où le fait qu’il faut bien se protéger un minimum. Après, j’imagine que je ne raisonnerais pas de la même manière si je n’avais pas grandi aux Duchés... aussi, je comprendrais s’il me demandait pourquoi je reste méfiante, malgré le courant qui passe bien entre nous. J’en ai vu des mercenaires qui se sont fait passer pour plus gentils qui ne l’étaient, malheureusement.

Sinon… quel genre de personne j’aime, je… je n’en ai aucune idée... ce n’est pas parce que les nagas sont rares aux Duchés. Non, ce n’est pas ça. J’ai préféré me concentrer sur ce que je voulais faire et ce que je voulais être dans l’immédiat, puisque j’en ai toujours été privée. Au point de négliger ma vie sociale, je le sais bien… mon père aurait voulu que je change. Je comprends qu’il s’inquiète pour moi. Mais voilà, même en ayant tourné la page sept ans plus tard, Eléonore et Elund m’ont profondément marqué d’une part. J’ai grandi dans un pays où faire confiance à quelqu’un est dangereux d’autre part…  là comme ça, difficile de dire en qui je peux croire ou non. Et je ne vois pas comment ou pourquoi ça changerait. Je me fiche de plaire ou non. Et tout le monde n’aime pas les mercenaires ou les nomades, de toute manière… puis j’expirai doucement en relâchant mes épaules. Il n’est pas dans mes habitudes de me laisser faire, mais je peux bien faire une exception pour cette fois. Alors je regardai Amset dans les yeux sans broncher. Même lorsque cette sensation étrange et si légère me parcourut. Bien que j’eus l’air étonnée un bref instant en notant ce passage du vouvoiement au tutoiement. Le côté social du naga, je suppose.

« Non non, pas du tout. En revanche, j’ai hâte de voir à quoi ressemble un Amset de compagnie. »

Oups. Trop tard… je l’ai dit. Eh bien, tant pis. Ce qui est fait est fait. Rien que l’idée… oh, purée… j’eus un mal fou à ne pas rire à nouveau, et inspirai doucement pour retrouver mon calme. Un peu de sérieux. Il va falloir y aller. Je remarquai à peine une nouvelle dose de magie me traverser tandis que le sort fut levé. Bon, si tout est réglé, dans ce cas… une lueur moqueuse apparut dans mes yeux quand il voulut s’éloigner du camp. Bien sûr. Il ne faudrait pas que tout le monde puisse voir le grand Amset devenir une souris. Oh non… il faut pas que j’y pense. Il faut pas… et… ça y est. J’ai explosé de rire. Je me tenais les côtes, incapable de m’arrêter. J’essaye, mais vraiment, je n’y arrive pas. Je ne vois pas comment je pourrais garder mon sérieux en imaginant un naga si fier de ses muscles se faire changer en mini-naga dans sa propre cage... j’eus du mal à parler.

« A-al-lez-y. J-je vous re-rejoins dans… dans une mi-minute. »

Je partis voir l’intendant indiqué par le capitaine à propos des vêtements chauds. Et le temps que mon fou rire passe aussi. Je suis plus sérieuse que ça d’ordinaire, mais là… je vois d’ici les fous rires que je vais encore avoir dans les jours qui viennent. Un mini-Amset, ce sera difficile à oublier.

Je ris doucement à la remarque d’Amset, bien que je feignis de reprendre mon sérieux l’instant d’après. Oui, certes. Il est vrai que ce détail me désavantage par rapport au naga, si on oublie que j’ai des ailes. Non, bien que cela puisse être un avantage, la taille ne veut rien dire. Pour ma part, j’observe et j’avise… tout simplement. Que je sous-estime ou surestime quelqu’un, l’un comme l’autre pousserait à faire des erreurs qui peuvent être évité avec plus de recul. Je répondis à Amset avec assurance.

« Sauf que je sais voler, moi, Môssieur. Me mettre à votre hauteur n’est pas un problème. »

Et… il a fallu que je rougisse bêtement à propos de cette histoire d’attirance… j’essayai de reprendre contenance malgré ma gêne. Pourquoi ? Pourquoi il a fallu qu’il prenne cette question pour exemple ? Il y avait des tas de possibilités, et il a fallu que cela tombe sur ce sujet-là. J’eus beau avoir détourné les yeux, par la suite je faillis virer au rouge brique en remarquant le large sourire d’Amset. Oh non, il l’a vu… il manquait plus que ça… eh bien, j’espère qu’il ne va pas s’imaginer des choses. Je ne cherche pas spécialement à… enfin, inutile d’entrer dans les détails. Déjà qu’il va bien en profiter en voyant à quel point cela me gêne… le coup de la cage rattrapera le retard que j’ai pris, mais pas pour longtemps je pense. Il va falloir trouver autre chose.

Qu’est-ce que je disais ? Durant notre échange, Amset n’a pas pu s’empêcher de recommencer. Et si ce n’était pas pour m’embêter, je jurerais que ça ne lui déplairait pas qu’une jolie hybride puisse être intéressée par lui… j’entends par là à sa manière d’insister. Euh… pour ma part, je ne ressens rien de spécial. De la sympathie, mais ça s’arrête là... bref. Je répondis à sa question d’un air sinistre. Qu’il s’amuse donc pendant qu’il le peut encore… le trajet sera moins drôle. Du moins, pour lui.

« Oh non, c’est juste pour vous rendre vos taquineries. Et par extension, vous rappelez de quelle manière vous êtes devenu un mini-naga autant de fois que j’en aurais envie. »


J’ai comme l’impression qu’il va bientôt regretter d’avoir accepté ma proposition... je souris largement à cette idée. Je n’ai jamais dit que le trajet serait agréable. Et encore moins que j’allais le ménager. Dans tous les cas, il le saura bien assez tôt, et en ferait autant à ma place. Je ne vais pas me gêner pour lui rendre la pareille. D’ailleurs, j’ai déjà quelques idées pour le trajet. Idées qui me firent exploser de rire avant même d’y être. En même temps, il y a de quoi…

Tout en me dirigeant à l’endroit indiqué par le capitaine, mon fou rire s’atténua doucement. Cela doit sans doute paraître étrange aux soldats alentours de voir une mercenaire rire toute seule comme une cinglée, mais peu importe. Si je recommence à penser à ce genre de détails, cela va recommencer, et bonjour les points de côté. J’eus un échange bref avec l’intendant du camp, allant droit au but. Bon, ça va. L’intendant n’a rien à voir avec la tête de con de tout à l’heure. Le titiller ne serait pas pour me déplaire, mais si je mets trop de temps, Amset va se poser des questions.

Les vêtements chauds fourrés dans mon sac à dos, je remerciai l’intendant et sortis du camp à mon tour. L’armure déployée plus tôt reprit son apparence de bague inoffensive. Je grelottai légèrement à cause du froid nocturne tandis que je retrouvais ma tenue habituelle. Même avec un sort de feu, ça ne va pas être la joie. Enfin bon, en se déplaçant suffisamment vite, cela devrait suffire à se réchauffer pour un temps. Bon, quand il faut y aller… je voletai le long du chemin, un peu au-dessus des dunes, afin d’échauffer un peu mes ailes en prévision. Une main posée sur le pommeau de mon épée, je scrutai machinalement les environs. Ce n’est pas dirigé contre le naga. D’une part, c’est par habitude duchéenne. Et d’autre part, avec tous ces êtres d’outre-tombe qui ont émergé partout dans Orzian, on n’est jamais à l’abri d’en croiser.


Je me posai à quelques mètres du naga, arborant le visage froid que j’ai habituellement, quoique avec une lueur malicieuse dans les yeux que je m’efforçais de cacher. Bien sûr que j’ai hâte de voir ça. Je n’ai jamais trop prêté attention à ce… moyen de locomotion, si on peut dire. Une prison reste une prison, même avec des barreaux en or. Amset aurait refusé, je n’aurais pas insisté. C’est plus que compréhensible. Même à un azurien renommé, je ne ferais pas confiance aussi facilement non plus. Mentir est si simple…

J’opinai du chef à son interrogation, retenant un sourire amusé devant son air soudain si sérieux. Je me demande si c’est uniquement pour le travail, ou plutôt pour garder une certaine dignité ? Il est vrai que sa fierté risque d’en prendre un coup… je me forçai à contenir un rire qui menaçait de faire surface. Avant je pouvais me le permettre, mais plus maintenant. Quoique, je n’ai jamais dit que j’allais cesser d’être taquine. Tant que je reste discrète, ma foi... je suivis ses instructions sans un mot. Du moins, pendant un temps. Je lui lançai avec un léger sarcasme.

« J’ai une question. Tu ou vous ? »

Ce n’est qu’un détail, mais je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer qu’il me vouvoie à nouveau. Rien de gênant en soi. Toutefois, il y a des personnes qui n’aiment pas qu’on les tutoie, alors autant demander. J’observai la cage prendre sa taille normale en esquissant un bref sourire. Puis je tins la porte de la cage d’une main, faisant un large geste de l’autre tout en m’inclinant.

« Après vous, Monsieur Sobek. »

Par jeu, je me mis à compter jusqu’à dix à voix basse, les yeux déjà pétillants de malice.

Bien entendu ? On dirait qu’il pense pouvoir m’en empêcher. Son sourire rusé me fit plus rire qu’autre chose. Le mien resta toujours aussi large. Qu’il essaye donc… ça ne me fait pas peur. J’ai d’autres atouts dans ma manche. Le naga sera bien chanceux si le métal dont sa cage est faite ne conduit pas l’électricité… non, je ne suis pas sadique. Je n’ai pas menti davantage quant à mes intentions, puisque j’en étais toujours incapable. Mais disons que si Amset devenait subitement très taquin, moi aussi je deviendrais très taquine avec une petite décharge assez brève… je n’ai aucune raison de lui faire du mal, mais je ne vais pas me laisser faire non plus.

A l’extérieur du camp, cela devenait de plus en plus dur de ne pas rire en m’imaginant la scène encore une fois. On va délivrer des personnes emprisonnées en mettant Amset en prison... bizarre, mais original. J’adore. J’ai bien fait de visiter l’Empire Akkatonien en premier, on dirait. Oui, c’est méchant vis-à-vis du naga. Mais ce n’est pas comme s’il avait été tenté d’abuser de son sort de vérité… sinon, je me demande jusqu’à quel point il va rétrécir ? Amset est très grand, à la base. A la taille d’un gros oiseau ? D’un écureuil ? Plus petit ? Oh, j’ai trop hâte de voir ça…

Entretemps, je souris simplement d’un air amusé à la réponse du naga. La question de nous vouvoyer ou non était un peu taquine, mais il l’a prit au premier degré, visiblement. Oh, j’aurais pu ne rien dire. Le regarder passer de "vous" à "tu" à chaque fois sans le remarquer, cela aurait été drôle. Mais bon, je lui aurais dit quand même tôt ou tard. Une perche pour taquiner, ce n’est pas moi qui vais la refuser.


La cage mise en place, le moment tant attendu arriva. Ça va être magnifique, je le sens. Je me pinçai les lèvres, expirant doucement pour contenir cette envie de rire persistante. Surtout au moment où Amset fit mine de ne pas avoir entendu mon invitation à entrer. Je peinai à ne pas sourire largement d’un air moqueur. S’il croit que m’ignorer va suffire pour avoir la paix, il se trompe… ce serait trop facile. Aussi, je me mis donc à compter doucement jusqu’à dix par jeu, refermant la porte derrière lui. Puis je me cachai les yeux tout en continuant à compter. A la fin du décompte, je les écartai lentement. Attention, levée de rideaux…

La cage a été réduite à la taille d’une petite lanterne. Et Ams… je manquai de m’écrouler de rire dans le sable, battant des ailes par réflexe pour me rattraper. Ma tête se renversa en arrière sous l’effet de l’hilarité. Aussi, je plaquai rapidement une main sur mes lèvres pour ne pas exploser à nouveau. Une souris... Amset fait la taille d’une souris. C’est comme si on avait soudain changé un énorme dragon en nain. C’est… je ne vois toujours pas comment je pourrais garder mon sérieux avec un mini-naga enfermé dans sa propre cage. C’est tellement… de mon autre main, je me frappai la cuisse dans un rire étouffé. Néanmoins, je pris la cage de ma main valide et m’envolai, inspirant profondément pour me calmer.

Au bout d’un moment, ça va passer. Mais ça va être dur. Je glissai la petite cage à ma taille, en essayant de ne pas trop regarder Amset… juste au cas où. Purée... je n’aurais jamais cru que mon premier passage à Akkaton serait aussi mémorable. Et encore, c’est loin d’être fini. Arrivée à l'altitude qui me convenait, je me mis à planer gentiment, laissant mon envie de rire se calmer enfin. Bien que cela fut rapidement remplacer par l’envie de taquiner à nouveau. Toutes mes idées sont tellement tentantes… mais j’ai un faible pour celle-là. Je fis mine de tomber, puis de me rattraper en battant vigoureusement des ailes.

« Autant pour moi. Ce n’était pas un mort-vivant… juste une dune de sable à la forme bizarre. »


Mes yeux pétillèrent de malice. Le naga disait plus tôt être solide. Ce ne sont pas quelques turbulences qui devraient le déranger… normalement. Au bout de quelques minutes, je pris de l’altitude un peu trop vite, l’air égarée. Avant de rectifier ma trajectoire, faisant mine d’être embarrassée.

« Mince, alors ! J’ai failli me tromper de route. Ce serait con que tu restes coincé en mini-naga un peu plus longtemps pour rien… »

Je ris à cette idée. Et c’est ainsi qu’il me bouda durant toute la mission... en parlant d’Amset. Je dois avouer que je suis un peu curieuse sur un point. Je me mis à planer tranquillement, me laissant porter par le vent.

« Alors, à ce qu’il paraît, tu es connu dans le coin ? Pourquoi ? Tu as roulé sur beaucoup de morts-vivants ? »

Magnifique n’était pas le terme qui convenait pour décrire la situation, finalement. J’aurais dit sublissime si j’avais entendu le soupir d’Amset, et que je n’avais pas été autant prise par ce deuxième fou rire. Ah oui, sa fierté est en train de prendre cher, là. Difficile de vanter sa solidité dans ces conditions. On croirait qu’il suffirait de donner une pichenette au naga, et il volerait au loin presque aussi bien qu’un azurien, ahah. Mais les apparences peuvent être trompeuses. Il encaisserait bien l’atterrissage, si ça se trouve… non, ce serait trop méchant. J’ai beau être taquine, c’est rare que je sois méchante à ce point. Eléonore et Elund l’avaient plus que mérité, Amset non. On est très très loin du compte… oh oui.

Purée... deux fous rire d’affilée. Cela faisait un moment que je n’avais pas autant ri. Depuis quand exactement, bonne question. Ça doit bien faire… hum... un mois, que j’ai quitté les Duchés ? Honnêtement, j’étais bien trop heureuse de partir et toute excitée à l’idée de voyager pour y prêter attention. Plus mon voyage durera longtemps, mieux ce sera à mes yeux. Et quoi de mieux maintenant que de taquiner un peu plus ?

Il a de la patience, le Amset. Bien plus que d’autres personnes à qui j’ai eu affaire. Au bout d’une heure, ils finissent souvent par craquer et me demander d’arrêter mes taquineries d’un air blasé, ou ils se fâchent et me grondent. Ah, je ne m’en lasse jamais… j’ai souri sans le vouloir. Ahah, je ne peux plus me le permettre, qu’elle disait… ce détail est vite passé à la trappe, lui aussi. Tant pis. Je fais ce que je veux après tout, que ça plaise ou non.


Ah, le bousculer était tellement tentant… je n’ai pas pu résister. Pas plus que je ne pus retenir un rire étranglé à sa voix aiguë. Mais non... même sa voix ressemble à celle qu’aurait une souris. J’essaie de mieux me contenir, j’essaie. Mais c’est dur… je me retournai sur le dos sans prévenir, glissant un bras derrière ma tête avec un sourire en coin. Mes ailes se mirent à papillonner pour supporter mon poids tandis que j’observais les étoiles, m’amusant à les relier entre elles dans mon esprit.

« On appelle ce phénomène la paréidolie, Môssieur Sobek. Un rocher en forme de visage, un nuage qui ressemble à un hibou… on associe des formes à des choses familières parce que le cerveau a tendance à interpréter ce qu’il perçoit, en résumé. Rien à voir avec un problème de vue, donc. Ta cage magique, par contre, tu devrais la faire réparer en rentrant. On dirait q-que t-ta voi… qu-qu’elle s’est ca-cassée pendant l-le pro-processus... »

Je n’arrive même plus à parler, à force d’essayer de ne pas rire… je ne peux pas m’en empêcher. C’est trop drôle, ahah. Je fis mine d’applaudir le naga pour sa "performance vocale". Personnellement, je trouve qu’elle colle à la perfection au mini-naga qu’il est, mais je doute qu’il veuille faire exploser de rire la moitié d’Orzian à chaque fois qu’il parle. Le naga a beau être patient, ça deviendrait vexant à force. Après de longues minutes je me redressai, et… eh bien, chacun son tour, je suppose.


J’ai à peine lancé ma pique à Amset que… ah. Il remet ça. Si je ne savais pas qu’Amset taquinait, je jurerais qu’il… je détournai les yeux, devenant rouge brique. Amset n’a pas l’air du genre à jouer aux séducteurs, mais… il force un peu. Bien à tomber que je n’ai jamais eu le droit d’avoir la moindre relation… que ce soit un ami ou… bref, en parler aurait été beaucoup moins gênant. Et franchement, c’est absurde. Eléonore ne s’en privait pas, elle. Et dire que Môdame clamait que l’amour est une faiblesse, alors qu’elle s’est remis en couple avec quelqu’un d’autre. Il y a comme un léger paradoxe... malgré mon malaise, je repoussai cette pensée afin de rebondir, l’air faussement assurée.

« Non non, c’est simplement pour t’embêter, qu’est-ce que tu racontes... j’adore faire chier les gens. C’est amusant. Alors une occasion en or de le faire, cela ne se refuse pas, tu te doutes bien. Quant à ta personnalité, pour ma part j’ai surtout retenu ton "excès de modestie", tant il est perceptible à des kilomètres à la ronde... »

Je me forçai à sourire d’un air narquois. Il ne pensait pas que j’allais le brosser dans le sens des écailles, si ? Ce serait aller dans son sens et m’enfoncer toute seule. Ou plus que maintenant, disons. Cela dit, bien qu’Amset est calme de nature... je ne sais pas. J’ai une drôle d’impression. Pour quelqu’un qui se fait malmener de la sorte, il est un peu trop calme... ou peut-être que je me fais juste des idées ? Quoiqu’il en soit, je finis par changer de sujet, intriguée. Une bonne réputation à Akkaton et aux Duchés… pour s’être démarqué autant, il ne doit pas être n’importe quel naga. C’est à voir...


Ses propos me firent tourner la tête, le dévisageant avec attention bien qu’impassible. Je vois... pas étonnant qu’il ait retenu l’attention d’un capitaine. Croiser un tel maître d’armes ne peut que lui être bénéfique ainsi qu’à ses troupes, si cette réputation s’avère exacte. Oui, cela paraît absurde d’en douter. Sauf que je ne fais pas aveuglément confiance aux on-dit ou aux gens par habitude. Disons que quand on a de "bonnes relations", lancer une rumeur bien construite et crédible n’est pas bien difficile... quoi que puisse être ladite rumeur. Aussi, je ne suis plus surprise d’entendre tout et n’importe quoi.

La mention des Duchés me laissa perplexe. Son nom ne m’évoque toujours rien. Pourtant, il y en a des mercenaires qui font des va-et-vient entre les Duchés et l’étranger dans la compagnie... à moins que ce soit tout simplement moi qui n’écoutais pas. Mais pourquoi je le ferais ? Au fond j’aimerais le croire, que le reste d’Orzian est différent des Duchés. Seulement, toute ma vie j’ai eu le sentiment que le monde entier était indifférent à mon sort... sans le soutien de mon père, je n’aurais jamais eu ni le courage ni la force de me rebeller. Je serais encore une "esclave", à l’heure qu’il est...

En fin de compte, je me suis libérée moi-même en les poussant à bout. A l’époque, j’aurais donné n’importe quoi pour qu’on me tire de là... à part mon père, personne ne l’a fait. Oh non, je ne suis pas rancunière. Ce serait devenir pire qu’Eléonore et Elund réunis. Mais voilà, c’est profondément ancré, et je ne vois pas pourquoi ça changerait. Je ne suis qu’une nomade de passage... je ne sais pas combien de temps ça va me prendre pour visiter tout ce que je veux voir. Pas plus que je ne saurais dire quand je reviendrais à Akkaton le jour où je partirais.


Je n’ai juste… pas envie de faire de la peine à quelqu’un qui m’apprécierait. Bon c’est paradoxal avec Amset, c’est vrai, mais on vient à peine de se rencontrer. Des "partenaires temporaires", il a dû en avoir, depuis le temps qu’il est dans le métier. Pourquoi ce serait diff... j’écarquillai les yeux, d’abord surprise, puis gênée. Je ne l’avais pas vu venir, celle-là. En soit, ce n’est pas la proposition d’Amset qui me surprend. Quoi de plus normal. Non, plutôt le fait qu’il le fasse maintenant. Je me moque et le bouscule depuis tout à l’heure, et il me fait une offre comme si de rien n’était... je détournai les yeux par gêne.

« Eh bien… c’est gentil, Amset... mais je ne peux pas. Sans rentrer dans les détails, disons qu’à cause de mon passé... il est rare que je fasse pleinement confiance à quelqu’un. Ou que je m’attache tout court, même. Ce n’est pas contre toi, sache-le. Ironiquement, ça ne me dérange pas de… oh, de bavarder de tout et de rien, de taquiner les personnes que je croise… ce genre de choses. Au fond, j’apprécie l’ambiance que cela instaure, tous les bons moments partagés avec mes partenaires... mais ça s’arrête là, et je m’en excuse. »

Je retins un soupir. J’ai beau me marteler dans la tête que le passé est le passé, qu’il est derrière moi maintenant, s’en remettre est difficile. Et le fait que ces blessures soient encore récentes n’arrangent rien... je me remis à voler normalement, restant un temps silencieuse. Sa deuxième question est plus… personnelle. Je glissai une main dans mes cheveux par gêne. Ce n’est pas par timidité, non. Je ne suis pas timide. C’est plutôt qu’il est difficile de répondre sans trop en dire, et qu’en parallèle cela m’ennuie de devoir mentir parce que je ne veux pas parler de mon passé, alors que je suis bien plus honnête d’ordinaire.

« En ce qui concerne le mercenariat, disons que c’est lié sans être la seule raison. Je suis quelqu’un de simple, Amset. Tellement simple que j’ai juste envie d’explorer le monde tout en profitant du voyage. Il y a tellement de choses que j’aimerais voir à Orzian qu’il serait bien trop long de toutes les citer… d’où ma présence ici. Je suis nomade, pas seulement mercenaire. Toutefois, pour voyager, il fallait bien que j’ai de quoi vivre. Mais vivre de quoi ? Aucune idée. Bon certes, je n’étais pas mauvaise en escrime, et user d’une arme à feu m’intéressait. Bien que cet intérêt a joué là-dessus, je n’étais pas fermée à d’autres métiers au cas où ce dernier ne me conviendrait pas. Alors j’ai essayé le mercenariat en me disant juste : « Pourquoi pas ? » ... et finalement ça m’a plu, ahah. »

Et dire que cette mission avait commencé comme tant d’autres missions. Qui aurait cru qu’un jour, j’allais malmener dans sa propre cage un maître d’armes devenu mini-naga à titre provisoire ? Ahah, ça ressemble tellement à un délire sorti tout droit de mon imagination. Et encore, ce n’est qu’un délire parmi les millions de délires qui habitent mon esprit.
     
Cela dit, on dirait bien que je ne suis pas la seule à être fourbe cette fois. Maintenant que j’y pense, ce ne serait pas parce qu’Amset est maître d’armes qu’il souriait tant lorsque je lui ai affirmé que me mettre à sa hauteur n’était pas un problème ? Ceci expliquerait cela. Ça promet d’être intéressant. Enfin, si je ne meure pas de rire avant. Disons que se reprendre est une épreuve lorsqu’on possède un cerveau si motivé à créer toutes ces bizarreries, et que ça ne risque pas de s’arranger avec Amset qui est… parti se coucher ? Ah non, il est tombé quand je me suis retournée sur le dos, autant pour moi.
     
J’haussai un sourcil amusé. On dirait qu’il ne s’y attendait pas, ahah. Il aurait eu le réflexe de se rattraper aux barreaux, sinon. Ou alors c’est moi qui le fatigue à force de l’embêter ? J’aurais su, j’aurais demandé un oreiller pour lui à l’intendant. En tout cas, il semblerait que ma manœuvre m’a fait marqué un point. Si si, j’ai le droit. Pourquoi ce serait interdit puisqu’il n’existe aucune règle à ce petit jeu ? A en croire Eléonore, sa grand-mère disait que tous les coups sont permis sur un champ de bataille. Que ce soit pour écraser un adversaire redoutable ou remporter une victoire aisément sans trop se fatiguer. Alors, pourquoi se priver ?


Purée, j’ai mal aux côtes à force d’essayer de ne pas rire. Un mini-naga qui fait la morale à une hybride titanesque, c’est tellement… j’inspirai un bon coup puis relâchai doucement mon souffle afin de me calmer. Non pas que ça me dérange d’avoir un fou rire durant tout le trajet, mais disons qu’il sera difficile de s’infiltrer en douce ainsi. En supposant que j’arrive à me calmer cela dit, après avoir reçu cette terrible menace. Ahah, sa fierté est chatouilleuse on dirait. Pourtant, faire tomber un naga n’est pas un crime contre la naganité que je sache ? La naganité… elle est pas mal celle-là. Je glissai en douce un doigt entre les barreaux, donnant deux petites tapes au naga par derrière.
     
« Je crois qu’ici et là, il te manque quelque chose pour attraper quelqu’un sachant voler et courir, ahah. A moins que tu puisses posséder un cactus à distance avec tes pouvoirs mystiques ? Quant à cette charmante morale, quelle ironie. Vous n’êtes guère plus innocent que moi, Môssieur Sobek. Je n’étais pas non plus en position de force lorsque vous avez été tenté d’en profiter. »

Je ne vois donc pas pourquoi je ne devrais pas en profiter en retour ? Et, sans méchanceté, ce n’est pas une menace qui va me faire peur. Je ne crains pas grand-chose à vrai dire. A force de faire chier les gens, j’ai l’habitude qu’ils tentent de me rendre la pareille. Une brise glacée se leva soudain, me faisant frissonner à nouveau. Si le vent se met à taquiner aussi, j’espère qu’il s’en tiendra à essayer de me congeler. Je n’ai aucune envie de me prendre une tempête de sable dans la tronche.

Sauf que le froid s’intensifiait de minute en minute. Il fallait se faire une raison. D’ici peu, cela allait vite devenir insupportable. De mon côté, du moins... je ne suis pas un naga contrairement à Môssieur Sobek. Frottant mes bras, j’imaginai la fourrure d’un lynx du désert recouvrir mon corps. Des poils fauves poussèrent par-dessus mes écailles ainsi que des pinceaux noirs aux extrémités de mes oreilles.

Ces dernières étant pointues de base, eh bien… on dirait des oreilles de chat. Je suppose que ma tête touffue et chevelue ne laissera pas Amset indifférent non plus. En somme, je ressemblais à une étrange elfe-chat chauve-souris. Oh, j’aurais pu lancer ce sort juste avant notre départ mais le naga aurait saisi cette opportunité à coup sûr. Déjà qu’il profite bien de cette histoire d’attirance...


Je sentais bien que la balance commençait à pencher en sa faveur. Il allait falloir trouver de meilleures piques avant que cela n’empire… en supposant que je parvienne à me dépêtrer de ce sentiment de gêne. Au moins, la fourrure cachait mes joues empourprées. J’ai beau me dire qu’Amset taquine, il n’y a rien à faire. Il faut toujours que je rougisse pour rien. Et encore là, ça va. Quand je croise un type dans la rue qui me drague parce que je lui plais, mon visage passe par diverses nuances de rouge avant que je ne trouve un prétexte pour partir. Ce n’est pas de la timidité, non non. C’est surtout très gênant car je n’y connais rien.
     
Remarque, on peut en dire autant de l’amitié. Peut-être que les choses auraient été différentes si je n’avais pas peur d’être déçue... d’être aussi déçue que je l’ai été des années plus tôt. Pour moi c’est une évidence, les miracles n’existent pas. Non, il vaut mieux compter sur soi-même et chercher à s’en sortir seule plutôt que d’attendre que cela se passe, au risque que rien ne change jamais.

Je repoussai ces idées noires, essayant de passer à autre chose. Punir avec justesse quelqu’un qu’on apprécie... qu’est-ce qui lui fait croire que c’est le cas ici ? Je m’acharne sur Amset volontiers parce que ça me fait marrer et parce que je suis moi, c’est tout. Je n’ai pas menti. Je joue avec les nerfs d’autrui pour m’amuser, sans forcément éprouver de l’affection par derrière. Même une personne que je déteste, je la fais chier avec un immense plaisir.


Quoiqu’il en soit, ce n’est pas en employant des expressions qu’Amset me mettra des bâtons dans les roues. J’ai connu pire avec mon père. En revanche, bon, quelqu’un qui voudrait qu’on soit amis ne me surprend plus. Mais qu’Amset veuille d’une telle amitié alors qu’on vient à peine de se rencontrer, c’est pour le moins... inattendu.

« Pas forcément, non. On peut châtier avec justesse une personne si on estime que c’est nécessaire en toute impartialité, par exemple. En tout cas, je constate que tu prends des vessies pour des lanternes. J’ai rougi parce que je suis sensible sur ce sujet qui est lié à un vécu dont je n’aime pas trop parler, c’est tout. Par contre pour l’amitié, c’est… compliqué, disons. »
     
Je me grattai le cou en cherchant mes mots, embarrassée. Rien de concret ne me vint à l’esprit. Je ne vois pas comment je pourrais expliquer de façon claire pourquoi je ne m’attache pas. Il faudrait limite éclipser les trois-quarts de la vérité pour ne pas mentionner ma double origine, ce qui fait que mon mensonge aurait été confus voire incohérent, comme s’il manquait quelque chose. Alors peut-être qu’il vaudrait mieux ne rien dire du tout. En vrai ce n’est pas mieux, je sais. Pourtant, peut-être que c’est préférable...
     
Si cela venait à se savoir, un Teïderien tenterait sûrement de me tuer à cause de cette double origine. Quant aux Eïlynsteriens, j’imagine qu’ils n’y croiraient pas une seconde. Eléonore n’a jamais dit à personne qu’elle était enceinte. De toute manière ça ne se voyait pas, elle a fait un déni de grossesse.


Bref, même si je parvenais à expliquer clairement ce refus, il y a aussi un risque que cela blesse ou que ce soit pris personnellement. Je retins un soupir à grand peine. Je ne suis jamais certaine de ce qu’il vaudrait mieux dire ou faire dès que ça touche à l’affectif. En dehors de mon père, ce milieu m’est étranger. D’un autre côté, si j’avais voulu que ça change j’aurais demandé conseil à quelqu'un depuis longtemps.
     
Je le sais, que je ne devrais pas laisser cette ancienne crainte prendre le dessus. Seulement, si ce problème était facile à résoudre, j’y aurais déjà remédié. Oh, j’en oublierais presque que le naga m’a encore menacé, entre guillemets. Le sous-entendu me fit rougir davantage sous mon pelage temporaire, sans doute vers le rouge brique. Après tout, ses propos peuvent être interprétés dans un sens comme dans l’autre.
     
Sauf que je n’ai pas menti. Si je dis que je fais chier les gens pour m’amuser, c’est que je fais chier les gens pour m’amuser. Ma réponse n’aurait pas été bien différente sous l’effet de son sort de vérité. Je suis aussi franche qu’honnête, ça crève les yeux. Je croisai les bras, faisant mine d’être vexée.

« Môssieur Sobek, je ne tomberais pas dans un piège aussi grossier. Continuer à profiter de la situation serait aller dans votre sens et je ne suis pas assez stupide pour le faire. De toute manière, je me doute que vous êtes trop vieux pour moi. »


Plus le temps passait, plus je devenais… distante ? Distraite ? Sans hésiter, je dirais les deux. Malheureusement, il est difficile d’évoquer mon passé sans que cela n’impacte ma bonne humeur. Ces idées noires ne me quittaient plus. De part leur nombre, les repousser devenait de plus en plus ardu. Tenir bon quoi qu’il arrive, c’est ce que je fais toujours. Sauf qu’il y a des jours où je sens clairement ma volonté vaciller… j’ai beau tout faire pour me détacher du passé, il revient toujours me hanter. Même quand je n’y pense plus du tout, je fais encore des rêves en lien avec Eïlynster. Disons qu’Eléonore me forçait à dessiner des paysages et tout un tas de choses pour les faire rentrer de force dans ma tête, avant de tout jeter aux flammes pour heurter ma sensibilité.

Pourquoi il a fallu qu’elle et ses ancêtres soient originaires du Village d’Epée ? Ah, c’est vrai que je n’ai jamais précisé ce détail. Je dirais simplement que les Thamsim ont été des espions durant fort longtemps et qu’il n’y a pas eu que des bretteurs et des tireurs. Aujourd’hui leur lignée est quasiment éteinte. Entre les pertes liées à la guerre, la basse fertilité des elfes, le fait qu’ils soient rares là-bas… bref, je n’aime pas en parler. Au final, c’est ce dernier point le plus difficile à oublier.

Les Thamsim sont à l’origine de mes capacités martiales. Leur sang d’Eïlynsteriens coulera dans mes veines à jamais... au fond de moi, je sais que rien ni personne ne peut effacer cette marque indélébile. Pourtant je m’entête à le faire car j’ai eu ce que je voulais, la liberté et la vie dont j’ai toujours rêvé. Cela devrait largement me suffire. Seulement, on dirait qu’il me manque quelque chose. J’ignore ce dont il s’agit. J’ai beau chercher encore et encore, je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Comme si je n’étais pas assez perplexe ces derniers temps…

Disons que c’est à cause d’une Spatha et d’un artefact que j’ai trouvé il n’y a pas longtemps. Que j’ai juste mis la main sur une épée introuvable ailleurs que dans un pays très isolationniste et sur un objet rare doté de puissants pouvoirs, juste en faisant des emplettes au marché noir. Sérieux, il y avait combien de chances pour que ça arrive ? Même les vendeurs n’avaient pas idée de ce qu’ils détenaient. Autrement, ils les auraient revendus une fortune. Et il a fallu que je craque sur ces objets en particulier bien sûr. Se faire plaisir de temps à autre, pourquoi pas, mais quand c’est en totale opposition avec sa volonté d’oublier... oh fichtre, c’est à devenir fou cette histoire.


Je finis enfin par noter que j’ai failli oublier Amset, encore une fois. Super, comme ça, il pourra me demander si je n’ai pas une mémoire de poisson rouge par pure taquinerie. Enfin bon, à force de voyager seule j’ai pris de mauvaises habitudes. Je tentai de me recentrer sur ce qui se passait, en espérant que cette fois-ci sera la bonne. Mieux vaut tard que jamais comme on dit.

Ma voix se fit plus douce bien que toujours gênée. La curiosité d’Amset est compréhensible, mais j’ignore ce que je pourrais lui apprendre de plus sans trop en dire. J’espère qu’au moins l’ambiance ne va pas se dégrader davantage. Ça me ferait vraiment chier que mes problèmes personnels viennent tout gâcher.

« Non, ne t’excuse pas. Tu n’y es pour rien. Pour être honnête, je me demande souvent si je ne devrais pas préciser tout ceci dès le départ afin d’éviter un quelconque malentendu. Seulement, je n’ai pas envie de claquer la porte au nez des gens, au risque que cela se passe mal. Bref, je ne suis pas très douée pour expliquer tout ça, désolée. Et, Amset, ne t’en fais pas : je ne vais pas me mettre à te fuir, ne plus vouloir te parler ou quoi que ce soit d’autre. J’ai juste... des blessures qui peinent à cicatriser. Peut-être qu’il me faut juste du temps pour aller mieux. »

Ces derniers mots sonnaient si faux... est-ce que le temps seul suffira ? Mon esprit a beau rester fort, cela ne suffit clairement pas. Un frisson me parcourut tandis qu’une étrange aura se répandait dans mon corps. Ah non, fausse alerte, c’est juste l’artefact. J’ai dû serrer le poing inconsciemment, par frustration. En même temps, comment ne pas être frustrée de ne pas parvenir à quelque chose alors qu’on fait tout pour y parvenir ?


Je serrai la gemme en forme de nounours un petit moment, puis je relâchai mon étreinte. Je n’y puise un peu de force que lorsque j’en ressens le besoin, ne tenant pas à en devenir dépendante. Ce serait oublier la force qui m’anime, sans laquelle je ne serais pas ici. En ce qui concerne sa proposition, je me demande si l’aura bienveillante de l’artefact ne m’aurait pas éclairci les idées en quelque sorte ? A moins que je me fasse juste des idées... il m’arrive de me tromper, évidemment.

A entendre Amset, on croirait que cette fameuse leçon se passerait bien en vrai. Je ne nie pas ce fait, non non. Sans mes blocages personnels, ce serait sûrement le cas. Il est calme, patient, compréhensif... je n’ai jamais connu un maître d’armes comme lui. Comparé à mes anciens maîtres, c’est le jour et la nuit. A vrai dire, je jurerais qu’il est vraiment quelqu’un de confiance. Si je n’étais pas si coincée sur le plan affectif, j’aurais pu lui laisser une chance. Après… ce n’est peut-être pas impossible, maintenant que j’y pense.

J’y réfléchis un temps, songeuse. Le temps d’une leçon, ce n’est pas une mauvaise idée en soi. Peut-être que mes tracas n’auront pas le temps de me gêner justement ? Des idées diverses traversèrent mon esprit, dont l’une d’elles qui retint mon attention. Tiens, je n’avais pas vu les choses sous cet angle. En plus d’offrir des possibilités de combat intéressantes, peut-être que je n’y penserais plus pour un temps ?

« Dis, à propos de ton offre. J’ai peut-être une idée pour être moins embêtée. Si on fait un essai, ça poserait problème que je me bande les yeux ? En bref, je m’intéresse au combat à l’aveugle en ce moment. Alors je serais naturellement plus concentrée sur ce qui se passe aux alentours, dont ce que tu diras et ce que tu feras. »

J’esquissai un sourire sans le vouloir. Il n’avait pas tort au final. Je l’apprécie sincèrement… il ferait un bon Amset de compagnie en vrai, ahah.

« C’est drôle. D’habitude je suis plutôt méfiante quand je ne connais pas mais là, il y a quelque chose en toi qui donne envie de te faire confiance. D’ailleurs, si mon idée fonctionne et que tout se passe bien… qui sait ? Peut-être que tu parviendrais à me faire changer d’avis et deviendrais mon maître, contre toute attente... je sais ce que j’ai dit plus tôt. Rien n’est certain... mais si ça se passe bien une fois, que je peux vraiment croire en toi… qui sait. »

     
Sans fourberies ni coups bas, je continuais de voler normalement, paisible. Mes idées noires avaient enfin disparu. Même le ton de la conversation était redevenu léger. J’avais retrouvé un semblant de gaieté en évoquant mon voyage en Orzian, m’imaginant déjà visiter des contrées lointaines toutes plus passionnantes les unes que les autres. Je me grattai le menton tout en faisant mine de réfléchir à ses propos, un sourire malicieux aux lèvres.

« Donc, si je comprends bien, tu aspires à devenir meilleur parce que tu n’es pas encore le meilleur des meilleurs des maîtres d’armes ? Tu as bien dit que tu es "l’un des meilleurs" et non pas "le meilleur", ahah. Pourtant, j’aurais juré avoir entendu Sa Célébrité affirmer qu’il est "estimé pour sa valeur martiale" dans d’autres pays... d’ailleurs, tu as eu le temps de les visiter par curiosité ? »
     
De l’intérêt était perceptible dans ma voix. On ne sait jamais, peut-être qu’il connaît des endroits sympas voire intéressants à explorer. Par contre, moi, me confier ? Depuis quand ? Je secouai la tête avec un sourire mi-poli mi-amusé. Je ne suis pas plus différente que d’habitude, ahah. Non, en dehors des sujets sensibles je suis quelqu’un de très ouvert malgré ma nature parfois solitaire et méfiante.

En revanche, la pique d’Amset me fait me demander s’il ne va pas me vanner sur ma taille également ? Après tout, il me manque dix centimètres par rapport à l’elfe moyen. Oui, ce n’est pas grand-chose, mais ça se voit quand même lorsque l’un d’eux se tient à côté de moi. Bien sûr, ce ne sera jamais pire qu’à côté d’un dragon. Là, j’ai l’air d’une mini demi-dragonne en comparaison. Pourtant les mots "grand et intimidant" me firent bien ricaner. S’il verrait mon père il ferait moins le malin... c’est un titan. Un titan très gentil certes, mais mieux vaut ne pas le mettre en colère, juste au cas où.

« S’il existait un enchantement pouvant me transformer temporairement en titan, j’aurais été ravie de l’employer pour te répondre "non" de manière très explicite. Il en faut beaucoup plus pour me faire peur, énormément beaucoup plus. Après tout, ce serait le comble pour une demi-dragonne d’être effrayée par des reptiles plus grands qu’elle. Donc, non tu ne me fais pas peur et, non, la situation n’aurait pas été différente. Il m’arrive de… me laisser emporter, disons. »

J’eus un petit rire gêné, glissant à nouveau une main dans mes cheveux par embarras. Je suis trop honnête par moment, je sais. Enfin bon, quand on a l’habitude d’être franche et ouverte, forcément… un pli se forma soudain entre mes sourcils. Une oasis se profilait à l’horizon. On se rapproche de notre lieu de mission, autrement dit. J’activai aussitôt mon amulette, profitant de l’obscurité pour devenir invisible.