On ne pouvait vraiment pas dire que Zivko aurait vu venir sa situation. En partant au combat, il s'attendait à une glorieuse victoire, et la pire éventualité qu'il avait imaginé aurait été une mort honorable, l'arme à la main. Hors, non seulement il n'y avait rien eut de glorieux dans cette bataille, non seulement elle s'était soldée par une défaite, mais en plus son adversaire avait refusé de le tuer, et l'avait plutôt fait prisonnier. Tout le monde savait que quand les Duchéens capturaient quelqu'un c'était pour le réduire en esclavage, le torturer ou le dévorer, si celui qui vous capturait appartenait à une race malfaisante. Mais rien de tout cela pour lui, et ce bien qu'il ait été capturé par une Vampire ! Au lieu de cela, il avait été amené dans un château, loin de la ligne de front, et ne semblait même pas devoir servir d'otage... à vrai dire, son geôlier donnait franchement l'impression de ne pas savoir quoi faire de lui !

À cette situation pour le moins déstabilisante était encore venu se rajouter une rencontre bien particulière, qui avait amené à l'enchaînement sur une autre qu'il n'aurait certainement jamais attendu ! Tout cela faisait beaucoup d'informations à traiter pour le jeune homme, sans compter les séquelles de la bataille et de ce qu'il avait vu faire à ses compatriotes, ou le poids des révélations que lui avait faite l'Impératrice-Phénix, et dont il ne savait ce qu'il pouvait ou devait croire... alors, à défaut de pouvoir sortir ou faire quelque chose, il passait son temps à s'occuper des animaux du palais, ou à lire, dans la petite bibliothèque dont on lui autorisait l'accès, et qui ne contenait pas grand chose de précieux. Il avait juste là une connaissance très théorique des langues locales, et du moins cette occupation lui permettait-elle de rapidement retrouver les bases de ce qu'il avait à l'origine appris surtout pour le cas où, devenu officier, il aurait dû déchiffrer des messages ennemis ou interroger des prisonniers... comme on en était loin !

Le claquement sec sur le montant de la porte le tira de sa lecture un peu distraite, le temps de voir un serviteur s'éclipser sèchement. Ce n'était pas nouveau, les gens lui étaient bien peu favorables ici, même s'ils respectaient les ordres de leur seigneur... et comment leur en vouloir, au fond, puisqu'il était un ennemi ? Une autre personne était là, toutefois, qui se présenta d'une voix douce et dans un teïderien impeccable, quoiqu'aux tournures un peu anciennes. L'interrogatrice que lui avait annoncé l'Impératrice-Phénix lors de sa visite, donc...

« Oui, c'est bien moi. Enchanté Dame Val... »

Le jeune homme s'était redressé tout en parlant, car on se levait pour l'entrée d'une dame, alors que son regard remontait sur le visage de l'inconnue... pour s'y arrêter, alors que ses mots se figeaient dans sa bouche. Il n'avait jamais vue cette femme, et pourtant, il reconnu immédiatement ses traits, dans une surprise qui le laissa figé un instant, avant qu'il ne tente rapidement de se reprendre, son esprit chauffant à tout allure.

« Hmm... Valéria. Excusez-moi je... j'ai été troublé. Vous hmm... excusez-moi. »

Il devait avoir l'air d'un nigaud qui bégayait devant une jolie fille, ce qui n'avait pas grand chose à voir avec son trouble réel évidemment, même s'il espérait un peu que cette femme le croie. Il peinait encore à réaliser et à retomber sur ses pieds, mais il devait absolument passer cette épreuve s'il voulait être libre... et aussi pour une toute autre raison.

« Je... hmm... je ne comprend pas toutes les subtilités du sort, mais j'ai compris le principe, oui. Je ne mens pas et je suis prêt à passer cette épreuve, si c'est ce qui est nécessaire pour... enfin, si c'est ce qui est nécessaire. »

Zivko avait craint que la jeune femme n'insiste directement sur la question de son trouble, mais soit elle l'avait mis sur le compte du trouble d'un jeune homme devant une beauté telle que la sienne – ce qui ne devait après tout pas être chose si rare pour elle, ne pouvait-il que supposer – soit qu'elle avait assez de tact pour ne pas insister, car il n'imaginait guère qu'elle n'ait pas vu celui-ci ! Il ne supposait pas non plus, évidemment, que la damoiselle comptait simplement agir une fois son sort actif, mais bon... il aurait bien le temps de le découvrir. Essayant de reprendre son calme, même s'il avait encore du mal à remettre toutes ses idées en place, le teïderien captif tenta de se concentrer sur ce que lui expliquait la magicienne ténébreuse, plutôt que sur le fait qu'il l'ait ainsi reconnu, ce qui en disait long sur le fait qu'elle n'était sans doute pas humaine, ou plus... mais de cela aussi, il dévia fermement ses pensées.

Et en soit, cela avait déjà de quoi sembler être inquiétant... après tout, toute sa vie on lui avait dit que la magie ténébreuse était une magie interdite, et il devait maintenant y faire face directement, sans doute sous l'action d'une des plus puissantes mages de cet élément. Sans compter évidemment le reste... mais bon, il n'avait de toute façon pas le choix, l'Impératrice-Phénix le lui avait bien fait confiance, et Zivko hocha la tête résolument en réponse aux explications de la belle damoiselle.

« Je vois... je ne résisterai pas à votre magie, vous avez ma parole, Dame Valéria. J'espère que tout ceci pourra suffire à établir ma bonne foi. »

En d'autres temps, se retrouver seul, face à face, avec une femme si belle et sensuelle aurait pu le troubler, mais la tension toute autre de ce moment, autant que le souvenir d'une certaine jeune femme qu'il avait croisé quelques jours plus tôt – et qui, dans un certain sens, avait amené à cet instant, justement – et il se concentra seulement sur son regard, alors qu'elle finissait par prononcer une phrase énigmatique, qui semblait clairement plus qu'une simple formule, ou alors justement une formule magique...

« Qu'est ce que... »

Zivko ne connaissait rien à la magie, et n'y avait jamais fait face... et n'était pas prêt à ce qui déferla sur son esprit. Dans un premier temps, sa volonté autant que son éducation voulurent se cambrer contre cette intrusion contre-nature, mais, se souvenant autant de ce qu'avait dit la magicienne ténébreuse que de la nécessité absolue, pour lui, de prouver sa bonne foi en la convainquant de celle-ci, il reprit le contrôle de sa propre force mentale, et abaissa toutes ses défenses, laissant la belle damoiselle s'engouffrer dans son esprit. Il sentit alors la magie s'installer, une sensation étrange, lui ôtant toute volonté de contrevenir à ce que voudrait Valéria face à lui, même s'il restait évidemment maître de ses pensées, à défaut de ses actions.

« Je... que voulez-vous savoir, Dame Valéria ? Je suis à vos ordres, dans tous les sens du terme, comme vous le savez. »

Le jeune homme n'avait plus guère les moyens de lui refuser quoi que ce soit, de toute façon. Puisqu'il ne s'y était pas opposé, le sortilège avait donc parfaitement fonctionné, le laissant aux ordres de Valéria, en effet, quoique lui demande la belle jeune femme, même s'il avait confiance en sa parole de ne pas en abuser, au-delà de ses questions...

C'était une sensation étrange, que de se retrouver sous le contrôle d'un tel sort mental, d'autant plus sans doute en n'ayant pas lutté contre. Zivko était encore maître de ses pensées, lui semblait-il, et il les trouvait même plus claires, en un sens, qu'elles ne l'avaient été depuis longtemps, comme si l'éclat ténébreux de la magie de la belle Ikhyldienne avait jeté un nouveau jour sur son esprit en le forçant à bannir certaines pensées parasites, et en même temps, il avait l'étrange sensation que ledit esprit ne lui appartenait pas complètement, avec cette impression étrange flottant à ses frontières qui était, supposait-il, là aussi la manifestation du sortilège. De fait, quand la Vampire commença à poser ses questions, l'ancien chevalier enchaîna ses réponses sans même vraiment réfléchir au fait qu'il répondait, comme si le fait de répondre aux interrogations de l'Arcane était chose aussi naturelle que de respirer.

« Je m'appelle Zivko Vojtisek. J'étais chevalier, et destiné à succéder à mon père en tant que fonctionnaire en charge d'un territoire après lui. Aujourd'hui je n'ai plus aucun lien avec Teïder, en dehors je suppose de mes liens familiaux, d'un certain point de vue. Je n'ai en tous cas plus aucun lien de loyauté envers eux. »

La précision sur ses liens familiaux ne servait pas forcément sa cause, mais l'idée lui était venue, et il n'avait même pas réfléchit à l'inclure dans sa réponse. En se taisant, il se dit que c'était sans doute là un effet de la magie, qui le forçait à être complet dans ses réponses, puisque celle à qui il devait obéir en toutes choses pour la durée du sortilège avait exigé son honnêteté.

« La dernière mission que j'ai reçu de Teïder était de participer à l'invasion des Duchés. Elle a échouée, et depuis je n'en ai reçue aucune autre. Je n'ai pas non plus d'autre mission qui m'aurait été donnée qui serait encore active. Et je n'ai pas l'envie d'en remplir pour l'actuel gouvernement teïderien. »

Cette dernière phrase était encore une manifestation de la sincérité forcée induite par le sort de Valéria, et à vrai dire elle surpris presque Zivko lui-même, qui n'avait jusque là jamais vraiment clarifié cette pensée, peut-être parce qu'il fuyait cette échéance. Il avait été élevé pour servir Teïder, et aujourd'hui il n'en avait plus aucune envie, du moins pas Teïder tel qu'il était actuellement...

« J'ai longtemps cru qu'il était l'unique véritable dieu, avec sa compagne, mais aujourd'hui je... je ne sais pas. L'Impératrice-Phénix m'a expliqué qu'il était un ancien membre d'une race antique qui s'est élevé à une grande puissance par des moyens douteux et ses preuves semblaient convaincantes. Quant à savoir si cela fait de lui un dieu ou non je... je l'ignore. Je ne peux pas donner de meilleures réponses. Mais après avoir vu ce que ses prêtres faisaient des vies de ses fidèles, je n'ai en tous cas plus envie qu'il soit mon dieu. »

Là encore, comme le marquaient d'ailleurs les hésitations dans la voix de Zivko, la sincérité forcée de la magie ténébreuse l'avait forcé à mettre au claire certaines de ses propres convictions et réflexions. Il ne savait pas si le Seigneur de la Souffrance devait être vu comme un dieu ou non, mais il savait du moins qu'un Dieu prêt à massacrer ses fidèles par milliers aveuglément pour ensuite relever leur cadavre en boucle ne valait pas qu'il se batte pour lui ! Vint ensuite la dernière question de Valéria, qui le mit mal à l'aise, mais dont la dernière partie le fit réagir spontanément.

« Non ! Je ne lui ferai jamais le moindre mal, et je trancherai en deux tous ceux qui essayeraient de lui en faire ! »

La réponse avait jaillit avec une sincérité évidente, et qui l'aurait sans doute été même s'il avait pu faire autrement que d'être sincère, le faisant légèrement rougir après coup. Il aurait bien volontiers choisi d'en rester là, mais il était conscient qu'il n'avait répondu qu'à une partie de la question, et l'obligation magique qui pesait toujours sur son esprit le força répondre au reste, bien que par moment avec un certain malaise.

« Je l'ai croisée totalement par hasard. J'aime prendre soin des animaux, des chevaux surtout, et j'ai vu une de ses bêtes dans l'écurie. Je me suis approché, elle est venue la voir et... voilà. J'ignorais totalement qui elle était à ce moment-là. Je... mes intentions sont... je ne sais pas trop, je la trouve énervante et en même temps j'ai très envie de passer d'avantage de temps avec elle. Je... comme je l'ai dis, je n'ai pas l'intention de laisser quiconque lui faire du mal, non plus. »

La détresse de Zivko était visible sur son visage alors qu'il tentait tant bien que mal de préciser sa pensée, échouant visiblement par un manque de moyens plus que de bonne volonté – qui de toute façon ne pouvait lui faire défaut ici – même si Valéria, elle, pouvait sans doute comprendre toute seule ce que ce genre d'atermoiement voulait dire...