Ce matin-là, Leto fut convoqué par son maître, le grand marchand Andro Von Kaufman, c’était des instants qu’il redoutait par-dessus tout. En effet, dans ces entretiens, il devait contrôler chacune de ses paroles et chacun de ses gestes car une action mal réalisée pouvait entraîner la fureur dévastatrice de son propriétaire, et les conséquences de cette fureur étaient catastrophique pour lui. De plus lors de ces audiences, Andro lui confiait de nombreuses missions et ces missions visaient rarement le bien commun. Au contraire, elles lui faisaient faire des choses plus que moralement répréhensibles.  Elles avaient réussi à le transformer peu à peu, en monstre, qui ne semait sur son passage que chaos et désolation.  Une horrible personne voilà ce qu’il était.

Quoiqu’il en soit, il aurait le temps de ruminer ses pensées sombres plus tard, il fallait déjà se concentrer sur l’instant présent et faire bonne figure devant le despote.   C’est donc avec une certaine boule au ventre et un tas d’appréhensions, qu’il pénétra dans l’enceinte de la grande salle.  Là, au fond de la pièce, posé sur son trône, prônait fièrement le richissime elfe, sa beauté époustouflante était grandement mise en valeur par les luxueuses parures qu’il portait.  Ses élégants vêtements quant à eux, donnaient de la prestance à ce noble personnage. Le Kistune, lui aussi était beau mais il n’avait certainement pas besoin d’autant d’artifices pour resplendir sur le monde. Même avec des habits de clochard, il était bien agréable à regarder, du moins selon les normes de beauté en vigueur.

Arrivé à proximité de son maître, il se prosterna machinalement devant lui. C’était une habitude, qu’il avait prise, si Leto ne la respectait pas, il s’exposait à de nombreuses punitions. Et il aimerait éviter cela.
Après quelques instants, Andro rompit le silence, en prenant la parole :

- Mon cher serviteur, tu te demandes pourquoi je t’ai convoqué en ces lieux ? Et bien, je fais face à un problème ! J’ai donc pensé dans mon infinie bonté que tu pourrais m’aider à le régler. Vois-tu j’avais engagé des mercenaires afin de protéger une de mes caravanes mais ces derniers, non-content d’abuser de ma générosité ont prétexté que le travail n’étaient pas assez bien payé et se sont retirés de l’affaire au dernier moment, ce qui fait qu’il ne reste plus grand monde pour protéger le convoi.  Quelques hommes à moi, tous au plus. J’ai donc pensé que tu pourrais te joindre à eux. En plus de cela, j’ai eu ouï-dire qu’Albert avait trouvé quelques remplaçants à ses mercenaires. Un nagas et un orc.

Comme Andro s’arrêta net de déblatérer, le Kitsune comprit que c’était à son tour de parler. Rassuré que la mission confiée ne consistait pas à assassiner des gens, il prit une profonde inspiration et récita sa litanie :

- Au grand maître, lumière de ma vie, feu de mes reins, je ne vis guère que pour vous servir et vos désirs sont le phare qui guide mes pas.  Notre demande ne peut que trouver écho à mes oreilles et votre assentiment est ma bénédiction.  J’accomplirai cette tache aux périls de mon existence. Je vous apporterai gloire, allégresse et richesse car tel est mon devoir.

Andro confortablement assis sur son trône, toisa un instant son serviteur, avant de répliquer d’un ton accéléré :

- Ma demande ? Tu penses sérieusement que je suis désespéré au point de quémander l’aide d’un individu aussi pathétique que toi ? Je ne te demande pas de t’accompagner la caravane, je te l’ordonne, c’est une différence fondamentale.

Le Kitsune sentit la peur monter en lui. Il a fait une erreur, une erreur de débutant. Dans son for intérieur, il maudissait sa personne, Leto savait bien pourtant que la moindre locution mal contrôlée, était considérée comme une offense par son propriétaire.  

Ainsi on pouvait aisément dire que les signes de sa terreur étaient visibles par les observateurs. La sueur inonda les pores de sa peau, un léger tremblement anima son corps et si sa face n’était pas plaquée sur le sol, on aurait dû lire du désespoir sur son visage.
- Ce n’était, ce n’était, ce que j’ai voulu dire, au grand maître….

- Et maintenant tu sous-entends que je ne suis capable pas de comprendre tes dires ? Cherches-tu à m’insulter ? A répandre sur le sol de cette salle, ton flot d’ignominies ?

Leto, n’eut même pas le temps de répondre à cette accusation. A quoi bon, son juge avait déjà rendu son verdict, il était coupable de crime de lèse-majesté. D’un claquement de doigts, Andro activa le mécanisme du collier et la douleur envahit la chair du Kitsune. Des cris raisonnèrent dans l’ensemble de la demeure, et Leto se roulait par terre, tellement la souffrance était insoutenable.  Puis finalement, le marchand décida que la punition avait assez durée, il arrêta la machine à souffrance.

- Maintenant hors de ma vue, va accomplir ta tache. Albert t’attend à la sortie de la ville avec mes hommes et les deux autres mercenaires recrutés pour l'occasion.

Le Kitsune se remettant à peine de cette expérience traumatisante, ne put que dire :

- Il en sera fait selon vos désirs. Grand maître, lumière de mon existence.

La route jusqu’au point de rendez-vous ne fut pas jugée par le Kitsune extrêmement longue, depuis l’âge de 7 ans, l'esclave avait arpenté les dédales de la cité tentaculaire de Vinche, il les connaissait comme sa poche et s’y mouvoir ne lui demandait guère d’effort. La précédente entrevue avec son maître, avait aussi laissé certaines traces sur sa psyché, la douleur avait imprégné tout son être et durant un instant, Leto avait pensé qu’il fallait bien mieux être mort que subir ce qu’il subissait.  Il n’en pouvait plus de tout cela, le jeune garçon voulait fuir loin. Mais ce satané collier l’empêchait d’agir à sa guise. Cependant il savait qu’un jour, ses souhaits seraient exhaussés car un jour, sa sœur reviendrait le libérer de ses chaines, et alors il n’aurait plus à être ce qu’il est, un pauvre esclave que l’on peut maltraiter sans aucune raison valable.  Un monstre qui tue femme et enfant juste parce qu’il en a reçu l’ordre.  Tout ce qu’il avait à faire, c’était surmonter les épreuves qui parsemaient son trajet, et s’armer d’une bonne dose de patience.

Finalement, il arriva au point de rendez-vous, le garçon n’était pas en retard, son maître avait su à force de zèle, lui imposer la ponctualité et il se montrait extrêmement soucieux de respecter les horaires. Sans afféteries, aucune, il se dirigea vers Albert Delafleur, un humain. Ce dernier était un marchand au service d’Andro, il avait déjà eu à faire à lui, plusieurs fois dans sa vie. Ce n’était pas un mauvais bougre, il se montrait même compatissant avec lui. De moins quand il ne se rappelait pas qu’il était un duchéen et que l’empathie n’était utile, pour ces gens-là, que quand elle permettait d’amasser quelques richesses.

- Et bien, Leto, toujours aussi ponctuel à ce que je vois, j’espère que maître Andro ne s’est pas trop montré dur avec toi.
- Le grand maître, est avec moi, d’une bonté incommensurable. Elle n’a pas d’égale sur cette terre et je ne puis me montrer qu’heureux d’un tel état de fait.

Un sourire fleurit sur le visage d’Albert, visiblement, il était amusé par les dires du Kitsune. Leto, lui, n’osait pas critiquer son propriétaire en public, il n’avait aucune confiance en Albert et avait peur que ses locutions arrivent aux oreilles d’Andro. Il resta donc dans son rôle de petit toutou, totalement soumis.

- Et bien, je suppose que tu as raison. Quoiqu’il en soit nous ne sommes pas là pour parler de la pluie et du beau temps. Nous avons de la marchandise à livrer.  J’aimerai donc que tu positionnes à l’arrière du convoi, pour protéger la queue de la caravane.  Dans cette mission, tu ne seras pas seul, un mercenaire naga, Amset Sobek de son nom,t’accompagnera. Considère-le comme ton compagnon pour ce voyage.
- Il en sera fait selon les désirs du grand maître. *

Leto allait tourner les talons pour prendre sa place dans l’ordre de la caravane, mais le marchand l’interrompit dans ce processus :

- Ah oui, une dernière chose, je serai lié à ton cher et tendre maître par un enchantement de communication donc si tu tentes de t’enfuir pendant ce petit voyage, tu sais ce que tu risques !
- Comment pourrais-je ainsi trahir la confiance que me porte le grand maître. C’est la lumière de mon existence.

Finalement, la conversation prit fin et le Kitsune put enfin se diriger vers Amset. D’un pas rapide et gracieux, il arriva à proximité du mercenaire. Ce dernier lui fit une grande impression. Leto, du haut de son 1m65, voyait le naga comme un géant, qui l’écrasait par sa présence imposante. Ses cornes sur son visage, et sa musculature développée, donnait à Amset, un coté guerrier, on savait rien qu’en le voyant, qu’il était un combattant. L’esclave, lui au contraire, ne semblait pas vraiment savoir maîtriser l’art de la guerre. Certes il était beau mais son physique frêle respirait la fragilité par tous les pores.  En une phrase, Leto était une pivoine, splendide, magnifique d’une beauté qui resplendit sur le monde mais terriblement vulnérable aux vices d'Orzian.

Sa tenue vestimentaire témoignait aussi de sa précarité, ses vêtements étaient sales et déchirés, on pouvait aisément le confondre avec un mendiant de Vinche. Un Kitsune de ce style attirait irrémédiablement l’attention, là, ou tous ses compères se pavanaient dans le luxe et l’opulence, lui semblait être un ascète.

Leto fut le premier à prendre la parole, d’une voix délicate et qui respirait la candeur, il se présenta à son interlocuteur :
- Vous êtes monsieur Sobek ? Monsieur Delafleur m’a chargé de vous dire qu’il souhaite que vous vous placiez à l’arrière avec moi.  Votre mission sera de défendre cette partie du convoi. Enchanté, moi c’est Leto Krasivyy, humble serviteur du grand maître Von Kaufman.

Des paroles blasphématoires sortirent de la bouche de monsieur Sobek. Ne pas encenser son maître était une faute morale. Du moins selon le point de vue d’Andro, et pour éviter de se faire punir, Leto adoptait toujours ce point de vue. Au bien sûr, le naga n’était pas l’elfe, ils étaient deux personnes distinctes mais il y avait toujours le risque que le mercenaire rapporte au marchand, ce qu’il avait entendu. Peut-être même que Amset avait été payé par le grand maître pour le pousser à la faute et le piéger. Leur rencontre ne serait pas le fruit du hasard mais émanerait d’une volonté concrète de la part d’Andro. Quoiqu’il en soit, l’esclave ne tombera pas dans cette embuscade, il esquiverait tous les pièges, et ne donnerait pas l’occasion à " la lumière de sa vie" de le faire souffrir.  Leto, est-il un peu paranoïaque ? Très certainement mais il faut bien comprendre que pour lui, accorder sa confiance à un individu est un processus long et complexe. Cela ne se fait pas du jour au lendemain.

- Je m’excuse, monsieur Sobek. Si mes paroles ont pu vous choquer, ce n’était pas mon but. Je ne faisais que déclamer l’amour que je porte à mon  grand maître.

Si le naga n’était pas du genre chaleureux, cela arrangait grandement, Leto. Ce dernier, n’était pas particulièrement sociable. Les normes de politesse ainsi intériorisées par son éducation très stricte lui imposer certes de faire la discussion à ceux qui l’entouraient mais s’il pouvait s’en passer, c’était un plus notable.

-Si je vous ennuie, n’hésitez pas à m’interpeller alors. Nos échanges n’ont pas pour but de vous endormir mais au contraire de développer une activité enrichissante pour les deux parties. Et voyez-vous-même si j’ai de nombreuses tares, je sais, combien je peux être fort peu apte aux activités sociales.


Enfin la dernière question posée fut celle de sa vie. Que dire d’intéressant. Le mercenaire souhait-il que le jeune Kitsune lui raconte la fois, où il avait assassiné un jeune marin, juste parce que ce dernier avait eu le courage de se montrer un minimum honnête ? Ou encore, celle où il avait, dans une ruelle sombre, déchiqueté le corps d’une jeune prolétaire, juste parqu'elle avait eu l’audace d’insulter le maître Andro. Non décidément sa vie ne méritait pas que l’on s’y intéresse de plus près.

- Oh ! Ma vie est plus que simple, monsieur Sobek. Vous qui êtes surement un très grand guerrier, elle doit vous paraître bien fade et sans une once d'intérêt.  Disons simplement que que je vis dans la cité de Vinche et que dans cette dernière, je sers mon grand maître et que je l’assiste dans ses activités de marchand. En somme, rien qui ne doit égaler l’adrénaline que l’on éprouve quand l’on est en plein milieu du champ de bataille, livré à soi-même. Et vous ! Votre vie doit être palpitante, remplie de récits, mélangeant l’épique et le dramatique. Je serais si heureux, si vous me faisiez l’honneur de m'en raconter un durant le voyage. Bien sur je ne vous oblige à rien.  Cela est une proposition pas une injonction.

Peu à peu, la caravane se mit en ordre de marche, les derniers soldats se positionnèrent, prêts à combattre en cas de danger. En tout et pour tout, ils étaient 11. 4 marchands, totalement inutiles en cas de confrontation directe avec de possibles bandits. 4 hommes de mains au service de son maître, Leto, Amset et enfin un mercenaire orc que le jeune Kitsune n’avait jamais rencontré.

- Venez, monsieur Sobek, ne faisons pas attendre les autres.  Il faut rejoindre notre place.

Une fois que les deux compères auraient rejoint leur emplacement, la caravane pourrait partir.

Amset se fourvoyait totalement, Leto ne se dépréciait pas, au contraire, il se montrait sur son meilleur jour. Celui d’un simple esclave, qui ne souhaitait qu’obéir à son maître et ne faisait rien de bien dangereux. Le kitsune ne s’attardait pas sur ce qu’il était réellement : Un assassin. Un enfoiré de tueur qui avait massacré des dizaines de personnes innocentes. Si le mercenaire savait cela, Leto se demandait quelle aurait été sa réaction ? L’aurait-il méprisé ? Insulté ? Peu importe, il n’était pas devin, l'esclave ne pouvait que supposer, et ne connaissant que très peu la psyché de la personne qu’il venait de rencontrer.  Ses suppositions avaient peu de chance de retranscrire la réalité.

Cependant, il ne rebondit pas sur le sujet. Le risque, étant que s’il tente de répondre au naga, un conflit entre les deux éclate. Or le jeune homme n’était pas très friand de discutes, il préférait largement la sérénité d’une discussion cordiale et amicale. Les batailles d’égos, le Kistune laissait cela aux personnes qui ont le temps et l’envie de s’y consacrer.

- Bien sûr, l’honnêteté est une vertu qu’il faut cultiver. La morale nous imposer de ne point tomber dans les vices de l’illégalité.

Une vertu, que le jeune esclave ne connaissait plus depuis belle lurette. Plus exactement quand le grand maître Andro avait décidé de faire de lui, ce qu’il est aujourd’hui. Si l’honnêteté était un sens, cela aurait fait bien longtemps que l’esclave serait devenu infirme. Enfin, se morfondre sur son sort, ne l’aiderait pas aller mieux, il avait une mission à accomplir. Il ne fallait pas se laisser déconcentrer par les murmures de sa conscience. Du moins s’il souhaitait éviter de se faire punir par la « lumière de son existence ».

Amset continua son discours, expliquant son mode de vie et les valeurs qui animaient son existence. Leto l’écouta attentivement sans faire  de commentaire. Le naga semblait au Kitsune être un être moralement droit, qui ne faisait rien d’autre que consacrer son existence à une discipline assez noble, celle des armes. Il se demanda, cependant dans son for intérieur, s’il arrivait au mercenaire de tuer les autres. Et si c’était le cas, dans quelles circonstances ? Car l’art martiale est intimement liée à l’art de l’assassinat de telle sorte que quand on est bon dans le premier et on l’est aussi dans le second. Enfin, ce n’était pas vraiment ses histoires. Il était clairement mal placé pour émettre un jugement moral.

Finalement, ce qui sortir le jeune esclave de ses réflexions fut la question posée par son interlocuteur, il lui demanda s’il maîtrisait cette magie que l’on appelle la magie transformiste. D’un hochement de tête, le petit kitsune lui répondit par l’affirmative :

- Je maîtrise ce don, et j’en remercie d’ailleurs grandement mère nature de me l’avoir offert.  Mais enfin, vous savez ce que l’on dit, l’importance ce n’est pas les outils mais ce que l’on en fait.

Pendant que les deux personnages discutaient, la caravane ne cessa pas d’avancer, guidée par les audacieux marchands, qui maîtrisaient la géographie de la région, et faisaient bien en sorte de ne pas passer par des endroits ou les bandits avaient l’habitude d’attaquer. Cependant un élément ne fut pas pris compte dans leur analyse de la situation. La présence d’un traître dans le navire, risquait bien de le faire chavirer.

Un bandit orc, se faisant passer pour un mercenaire avait réussi à s'infiltrer au sein du convoi. Son objectif était clair, donner le signal à ses compères quand la caravane serait la plus vulnérable et ainsi voler la précieuse marchandise. Grace à un enchantement de communication, placé sur son collier, il pouvait ainsi communiquer avec ses complices.

L’orc choisit un moment particulièrement opportun pour attaquer. Les chariots passaient en effet, près d’une forêt. Les arbres étaient une cachette particulièrement prisée par les bandits. Ils pouvaient ainsi se confondre dans le décor jusqu’au moment, ou ils lancèrent l’assaut.

Vint le moment, ou les préparatifs furent finis, l’orc se mit à crier de vive voix : - « Maintenant »
Des bandits sortirent alors des bois, encerclant la caravane de leur masse puis leur chef, un autre orc prit la parole :

- Mes chers marchands, négocions, capitulez et je vous laisserai vivre.

La caravane de Leto et d’Amset était assaillie par une masse désordonnée et informe d’arbres. Leurs troncs robustes et larges se dressaient fièrement comme des piques et nul ne savait ce qui pouvait se cacher derrière. L’esclave Kitsune lui ne préoccupait pas de ce genre de détails, la réflexion était une substance absente de son intériorité. Ce que l’on demandait en tant que bien, ce n’était pas de produire du savoir mais de se mouvoir au rythme des ordres de celui qui avait autorité sur sa personne. Les décisions, il les laissait à ses commandants. Sa condition avait laissé des traces indélébiles sur sa psyché.

Sa surprise fut donc grande quand en un battement de cils, des hommes vêtus de cabassets et de curasses de mauvaises factures surgirent du bois et encerclèrent soudainement le convoi. Armés principalement de hallebardes, ils toisèrent ceux qu’ils pensèrent être leurs futurs otages. Pour eux, la défaite ne pouvait être au bout du chemin. Seule la richesse et la gloire éternelle les attendaient. Leto lui ne comptait pas se rendre, même face à 100 hommes, même face à 1000 hommes, même face à  une armée, même face à l’ensemble des forces coalisées du globe, le jeune homme ne capitulera jamais. Non il n’était pas courageux, c’était quelque chose d’autre qui animait sa rage guerrière. La peur de la sanction. Le Kitsune savait au fond de son âme, que si son maître apprenait par diverses sources qu’il s’était montré lâche, il lui ferrait subir un sort pire que la mort. Il préférait donc abandonner cette vie terrestre dans une bataille épique, assailli par une horde d’ennemis que de devoir faire face à un seul et unique homme. Au fond, Leto était un couard.

Avant de passer à l’action, l’esclave scruta ses ennemis, on pouvait lire dans son regard une forme de compassion. Durant toute la vie qu’il avait menée, le jeune homme avait ôté la vie à de nombreuses personnes. Des hommes et femmes mues par une moralité et une droiture exemplaire, des innocents ne cherchant qu’à survivre dans cet horrible monde, des ordures ne pensant qu’à écraser toute personne se dressant sur leur chemin. Tous avaient fini par mourir de sa main. Cependant, jamais au grand jamais Leto ne s’était jamais habitué à tuer. A chaque fois cela était un acte terriblement dur, qui affectait chacune de ses cellules. Ses affects en étaient particulièrement chamboulés, produisant chez lui de la mélancolie. Les poids de ses crimes le hantaient jusqu’au chevet de son lit.

Le Kitsune pouvait bien s’injurier, se calomnier, se mépriser et se morfondre. Rien ne changeait le fait qu’il obéissait aux ordres et qu’il tuait.  Le discours importe peu le, seul compte la pratique.  Cette fois-ci, il ne comptait pas déroger à la règle et avait un peu moins de pitié qu’à l’accoutumée. Après tout c’étaient des bandits qui n’hésitaient pas à enfreindre les lois de la bienséance pour utiliser un euphémisme. Toutefois l’infime espoir qu’avait Leto de ne pas avoir à se salir, était plus fort, il espérait au fond de son cœur, qu'ils se retirèrent d’eux-mêmes.

- S’il vous plait, nous ne voulons pas d’ennui, juste passer. Laissez-nous passer.

Cette locution ressemblait plus à une lamentation qu’à une négociation. L’esclave n’avait jamais été bon orateur. L’art subtil de la Rhétorique ne pouvait qu’être maîtrisé par des initiés, possédant une grande compréhension des pratiques discursives. Lui qui était bien incapable de résister aux assauts dévastateurs de sa propre psyché, comment aurait-il pu manipuler celle des autres.

Des rires résonnèrent au sein de la troupe de bandits, ils se gaussèrent de lui et de sa pathétique, pitoyable tentative de les amadouer. Que pensait donc ce pauvre garçon ? La richesse et l’opulence leurs tendaient les bras. Ils n’allaient pas renoncer à cela jusque parce qu’un esclave avait gémit comme une pucelle apeurée.

-Non

Le chef avait été catégorique sur le sujet. Aucune négociation ne pouvait se faire. Seul le fracas des armes et le sang versé pourraient déterminer le cours de cette rencontre.

Son compagnon lui ne fut pas convaincu par ses élans pacifiques. Surement que pour lui, la force matérielle ne pouvait qu'être abattue par la force matérielle.  Il se mit donc en position de combat, prêt à recevoir ses ennemis.  Tel, un leader militaire, le naga se permit même de donner ses instructions. Amset semblait bien sur de lui, espérons que cela ne soit pas de la pure vantardise. Cependant ne sachant pas quelles actions réaliser, Leto obéit machinalement à ses ordres et commença à incanter un sort afin de se transformer en troll, si un ennemi il tenterait d’esquiver.

Spoiler:

Le combat avait pris fin, comme prévu la victoire était au rendez-vous pour les occupants de la caravane.  Assailli par des ennemis bien plus forts qu’eux, les autres bandits avaient détalé comme des lapins. Seul restait au milieu de ce champ de bataille, Leto, Amset, les gardes de la caravane et les marchands. Albert, chef autoproclamé du convoi, décida d’inspecter le corps inerte de ses ennemis. Il put alors en conclure, qu’aucun des hors-lois n’avaient péri au cours de l’affrontement. Cela fut pour le Kitsune un soulagement. Il avait réussi à ne pas se salir les mains et ça c’est un exploit hautement appréciable pour le jeune garçon.  Après une courte concertation avec les autres commerçants, il fut donc décider de livrer aux autorités ces malotrus. Là, ils pourraient allègrement payer pour les crimes qu’ils avaient commis.


L’esclave reprit son apparence normale, recevant aux passages quelques timides remerciements. Les marchands semblaient bien intéressés par son compère Amset, celui reçu en effet des louanges plus prononcées. Les hommes n’hésitant à vanter les qualités de combattant du Naga. Leto, lui ne dit rien, se contentant de recevoir avec une certaine modestie les rares compliments qui lui étaient adressés.

Finalement, son partenaire vint le voir, se souciant de son état, il lui demanda simplement s’il souhaitait recevoir les premiers soins. Effectivement, les blessures infligées par les bandits lui faisaient assez mal, la douleur était certes supportable mais cela ne serait pas un luxe si Amset pouvait soulager cette souffrance. Il accepta donc avec la politesse qui le caractérisait, la proposition du mercenaire.

- Merci de vous donner cette peine pour mon humble personne. J’accepte volontiers votre aide.

Humble personne ? Leto était décidément trop bon avec lui-même, il n’avait rien d’une humble personne, c’était juste un assassin, il ne méritait pas ces soins.  La seule chose qu’il méritait, c’était que l’on égorge avec un couteau rouillé et que l’on laisse crever sur le bas-côté. Le ferait-il ? Non, il était bien trop lâche, il préférait attendre le moment ou sa sœur irait le libérer, qu’il puisse vivre une vie de joie et d’allégresse.

Pendant que le naga faisait son travail, le Kitsune se laissait faire, ne mouftant pas le moins du monde. Il osa cependant ajouter un commentaire sur la prestation du Naga lors du récent combat :

- Vous ne m’avez pas menti messire Amset, vous savez bien vous battre. Votre maîtrise du bouclier semble être sans égal.

Un compliment totalement honnête, durant ce court affrontement, Leto avait grandement été impressionné par le Naga. Réussir à faire face à autant d’orcs. Peu de personne sur cette terre pouvait se targuer d’un tel exploit.

La tentative de soin du Amset fut interrompue par un des marchands de la caravane, il pressa le pas et demanda expressément, avec une certaine politesse au mercenaire, de remettre à plus tard cette séquence improvisée de médecine, prétextant qu’il ne fallait pas traîner sur les lieux du combats car des renforts orcs pourraient effectivement arriver pour finir ce qui n’a pu être finir, que la nuit allait bientot tomber et que par conséquent l’on devait trouver un endroit confortable et bien défendable pour dormir.

Après cette bataille improvisée, la glorieuse caravane se remit en route, les blessures que Leto avaient reçues au cours de l’affrontement lui faisaient encore mal. Les soins apportés par le naga ne semblaient pas suffisants pour calmer totalement la douleur qui traversait le corps de l’esclave et ce, malgré la bonne volonté manifeste de son camarade guerrier. Ce dernier, par ailleurs, lui retourna son compliment, tout en glissant une petite pique sur la manière dont le jeune homme était traité par son maitre :

- Je vous remercie grandement, monsieur Amset pour votre louange.

Le kitsune prit le parti d’éviter le sujet de ses vêtements, il ne souhaitait pas offenser le mercenaire ni critiquer publiquement son maître. La feinte fut donc la seule et unique solution possible.

Cependant ce qui suivit troubla le jeune esclave. En effet, le mercenaire profita du fait que les marchands discutaient  entre eux pour aborder un sujet particulièrement délicat pour Leto, celui de sa liberté. Mais que pensez donc Amset ? Si ce dernier souhaitait vraiment s’enfuir, se libérer de ses chaines, il n’irait pas conter au premier venu ses plans. Le risque que celui révèle  à son maître que le kitsune comptait s’échapper était bien trop grand pour qu’il puisse permettre cela. Peut-être que l’esclave avait raison depuis le début, peut-être que le naga était de mèche avec Andro et que celui par son intermédiaire, essayait de tester la loyauté du petit homme.  Dans tous les cas, Leto n’avait aucune mais alors aucune raison de répondre à l’affirmative à la question du combattant, il ne donnerait pas à " la lumière de son existence, une raison de le punir. Avec toute la retenue qu’il le caractérisait tant, il répondit à Amset :

- Je ne vis que pour servir mon grand maître et la trahison ne peut être la solution.  Il m’a tant donné et je ne souhaite pas me comporter avec lui en Juda. La fuite ne fut pour moi, jamais une option. Quant au traitement de mes compères dans l’empire d’Ikhyld, cela ne suscite point mon intérêt. La seule chose qui a de la valeur à mes yeux, c’est l’amour de mon grand maître.

Tout ce qui sortit de la bouche de Leto ne fut que purs mensonges, il détestait « la lumière de son existence ». La façon dont il était traité par ce dernier, ce qui lui faisait faire. Tout cela, le mage d’eau le haïssait du plus profond de son âme. Il n’y avait pas un jour ou il ne pensait pas à cette chose que l’on appelle la liberté. Ses fantasmes étaient la source de son existence, c’était bien parce qu’il était convaincu qu’un jour sa sœur viendrait le libérer de ses chaines, que Leto pouvait supporter ses conditions d’existence. Cependant n’ayant pas la force de prendre sa main en main, ses rêveries ne purent se matérialiser en réalité.  

Quant à l’empire d’Ikhyld, c’était pour lui une idylle à jamais inadmissible. Il éprouvait face à ce paradis perdu de son enfance, une profonde tendresse. La nostalgie teintait surement ses grands souvenirs d’un rose idéaliste mais cela n’avait pas la moindre importance à ses yeux.  Tous ce qu'il voulait, c’était ne saurait que le revoir une seule fois dans son existence.

Leto dévisagea un instant Amset. Sa réponse était plutôt surprenante. Le Kitsune était peut-être un esclave mais il n’était pas débile, il se doutait bien que ces informations n’avaient rien d’innocentes et avait surement été glissées là, soit pour le tester soit pour lui donner toutes les cartes en mains afin de s’échapper.

Dans les tous les cas, elles ne lui semblaient pas erronées, le jeune homme avait en fait bien entendu que les Akkatoniens conspuent l’esclavage de toutes leurs âmes et se montraient particulièrement virulents avec toute personne la pratiquant. Cependant, nous n’étions malheureusement pas dans l’empire et les technologistes ne dictent point leurs lois ici. Dans les duchés, seule la parole du plus riche faisait office de règle.  Et le maître de Leto était parmi les plus fortunés.

Quant à Ikhyld, cela faisait tellement longtemps qu’il n’avait pas posé pied sur cette terre, qu’il doutait fort qu’il soit encore considéré comme un ressortissant de ces contrées, il ne se souvenait même pas du prénom de ses parents et à peine de son nom de famille. Peut être que ses géniteurs étaient des nobles, des marchands ou des mages puissants. Les Kitsunes étaient bien traités dans l’empire alors ses ascendants ne devaient pas avoir une position sociale trop basse ?  Si ? Tant de mystères sur sa généalogie qu’il aurait bien fait de résoudre une fois libérer des entraves de l’esclavage. Une fois dehors, il comptait de toute façon se rendre dans la cité de Jade.Là, il aurait tout le temps de se consacrer à ces énigmes.

Quoi qu’il en soit, le plan d’Amset était certes bien ficelé mais il oubliait un détail important, le collier que Leto portait au cou l’empêchait de produire toute acte de rébellion, s’il s’enfuyait dans une ambassade étrangère, la douleur produite par l’artefact aurait bien fait de le ramener vers « la lumière de son existence ». Pour détruire son collier, il fallait un enchanteur capable d'annuler l’enchantement et cela ne courrait pas les rues. Lui, qui s’y connait un peu en magie, savait à quel point le charme était puissant et ne pouvait être rompu par un débutant.

- Cela ne m’intéresse pas en effet, Monsieur Amset.

Leto préférait jouer la sécurité, si le naga avait bien été engagé par Andro pour le tester, il ne fallait montrer aucun signe de rébellion, si c’était le cas cela pourrait être dommageable pour son existence.

Finalement le sujet repartit sur un thème plus innocent. Amset lui demanda quelle aller être leur destination. Et cela Leto n’en avait pas la moindre idée, son maître n’avait pas juger bon de l’informer de ce genre de futilité. Lui, il obéissait. Les questions s'étaient pour les érudits et autres philosophes.
- Je ne sais pas monsieur Sobek.