Le soleil se rapprochait lentement de l'horizon. Doucement, il se parait de sa robe solaire rouge et or, rendant l'environnement autour de la grande et splendide demeure de Vinche dans les mêmes teintes. La chaleur de la journée devenait moins étouffante grâce au passage d'un petit vent frais. Quelques merles chantaient dans les environs, rivalisant chacun de leur coin en son et en chant pour s'imposer. La nature se préparait à la venue de la nuit, mais ne perdait pas sa fébrilité de la journée. En même temps, quand on entendait de la musique sortir des murs de la proche demeure, on ne pouvait guère s'étonner que la vie végétale et animale soit encore active.

En même temps, quand il y avait de cesse d'avoir des aller et venues de carrosse et de cavaliers devant l'entrée, pas étonnant que la vie ne souhaitait pas virer dans l'endormissement. Et d'ailleurs, pourquoi y avait-il autant de mouvement devant l'habitat Ducale ? En fait, un bal y était donné, un bal costumé. C'était pour cela qu'on voyait bon nombre d'invités haut en couleurs, dans des tenues hautes en couleurs et qui rivalisaient d'accessoires, de plumes ou autres éléments qui sortaient de l'imagination pour essayer d'être quelque chose d'extravagant et d'uniques. La Duchesse de Vinche devait vouloir fêter quelque chose de particulier pour offrir un tel bal.

Cette interrogation n'était pas dans l'esprit d'un invité solitaire, qui arrivait sur le dos d'un hongre alezan, tout de capuce et de cape. Il stoppa sa monture, en descendit, confia les rênes à un domestique et se présenta devant l'entrée. Il n'eut qu'à tendre de sa main gantée une invitation à un autre serviteur et il confia ses effets à un autre encore. Le cavalier était devenu un homme déguisé d'un simple masque à tête de dragon, tout de velour noir. Sa tunique et l'ensemble était aussi sombre que l'obsidienne. D'ailleurs, deux pierres de ce genre agrémentaient les manches de l'invité. Des broderies argentées paraissaient dessiner tout un festival de branches aux feuilles légères. Le style était simple mais de bons goûts, et qui dataient en fait d'une mode vieille de deux décennies. Mais pour servir de costume déguisé, cela passait très bien.

Le masqué-dragon fit son entrée dans la salle de bal, où quelques couples dansaient au rythme des sons mélodieux joués par les musiciens qui se trouvaient dans un recoin stratégique de la pièce. Là, notre homme paraissait chercher quelque chose, avant de prendre un verre en cristal rempli d'un excellent crû, au passage d'un plateau. Bien... Il était temps que sa mission commence....

La duchesse de Vinche se tenait assise sur un large trône de chêne massif, tout ornementé de végétaux sculptés à même le bois, dépassant d’une bonne tête de hauteur celle-ci. La jeune femme s’y tenait avec allure, observant la salle de bal, un sourire doux sur les lèvres. Elle était, après tout, l’organisatrice de cet évènement costumé. Rien ne l’obligeait donc à être discrète et se fondre dans la foule, contrairement au bal organisé à Inveïs quelques mois auparavant ; si on pouvait réellement dire qu’elle était passée inaperçue…

Peu d’astreintes entouraient les bals organisés à Vinche, pourtant, bien que masqués et, ou, costumés, une majorité des invités venaient d’eux même saluer la duchesse. En plus d’être assise à la vue de tous, elle était particulièrement reconnaissable. Ce soir-là, elle avait revêtu une combinaison noire, la couvrant de la poitrine jusqu’aux pieds, découvrant des épaules délicates et nues. De petites feuilles de multiples plantes des Duchés en or décoraient la combinaison. Elles étaient principalement disposées autour du buste et des hanches de la jeune femme. Ils s’étalaient ensuite de manière artistique sur son ventre et ses jambes. Des arabesques compliquées se dessinaient à la peinture dorée le long de ses bras. Autour de son cou se trouvait un collier de tissu noir dont les deux bandes tachetées de doré s’emmêlaient dans des tresses complexes et raffinées qui ornaient le dos de la jeune femme. En émanait de petits papillons aux couleurs similaires aux feuilles, voletants nonchalamment dans l’espace vital de Maria.

Une larme d’émeraude encerclée d’un cocon doré était logée au milieu du front de la demoiselle. La même peinture, que celle des arabesques, soulignait ses prunelles argentées. Après tout, comme l’avait souligné sa styliste, le diable se cache dans les détails. Avec tout cet or, il était difficile de ne pas la remarquer et la duchesse se satisfaisait amplement de toute cette attention.

Dehors, le soleil se couchait sur les paysages Vinchois, retraçant les contours des maisons environnantes d’un dégradé de rouges orangés. L’allée menant à la demeure ne désemplissait des attelages venus des quatre coins des Duchés du Sud. Maria n’avait fait que valider la liste des invités qu’elle avait confié à ses plus fidèles conseillers. La maison qui abritait le bal appartenait à riche marchand qui l’avait décoré avec goût. Le goût du luxe. La salle de réception était emplie de tentures lourdes qui entouraient les larges fenêtres. Les murs qui n’en étaient pas ornés n’avaient rien pas de quoi en rougir. Ils étaient couverts de tableaux de grands maîtres internationaux, acquis au cours des nombreux voyages du riche marchand. Çà et là, des plantes exotiques s’alternaient avec des sculptures de corps nus, pour remplir tous les coins de la pièce. Un orchestre jouait vers le centre de la pièce des musiques discrètes en attendant que la majorité des invités soient arrivés. Des serveurs, plateau à la main et masque à plumes sur les yeux, traversaient la salle en proposant des rafraichissements de qualité.

Derrière le trône où demeurait la duchesse, de grandes baies vitrées étaient ouvertes sur le jardin somptueux qui se trouvait à l’arrière de la bâtisse. Déjà quelques invités flânaient sur les chemins étroits de pierre. Les alcôves cachés de ceux-ci permettraient aux différentes personnalités de la soirée de se retrouver pour une discussion à l’abris des oreilles indiscrètes…

L'homme au masque de dragon observait les lieux, paraissant se contenter d'attendre quelqu'un ou de chercher quelqu'un pour entamer une danse au rythme des mélodies savamment jouées par l'orchestre. Heureusement, il n'était pas le seul homme en mode solitaire qui venait à être présent à ces festivités. Il aurait de ce fait attiré un peu l'attention sur lui et c'était une chose qu'il ne voulait guère. Et heureusement que c'était un bal costumé, qui permettait le port du masque. Ainsi, il dissimulait un peu son identité. Un vieux mercenaire tel que lui avait déjà une petite réputation dans les Duchés, plus encore désormais qu'un de ses adversaires, désormais abattu, avait pu dispenser des informations dans les différents Duchés. Mais il n'en était pas encore là. L'indécision était encore fortement présente dans son esprit. Et avant de se décider, il devait évaluer le terrain, réapprendre à entendre les rumeurs et en tirer parti.

Buvant doucement une énième gorgée de l'excellent breuvage qui se mouvait avec délicatesse dans le verre, il avait tourné ses yeux bleu gris vers le trône. On ne pouvait pas louper la vision magnifique de la Duchesse de Vinche, assiste telle une reine de légende, observant ses convives. Pourquoi telle une reine de légende ? Parce que sa tenue, choisie pour les circonstances festives, la faisait paraître comme sortir d'un vieux conte d'un temps passé, lointain et révolu. Peut être ne devrait-il pas attendre qu'un tiers vienne l'inviter à danser.

Il posa son verre non terminé sur un plateau d'un serveur passant et se rapprocha sereinement vers le trône où demeurait la Duchesse. Au vue de leurs atours respectifs, quelques âmes pourraient penser que cela avait été imaginé comme tel pour provoquer quelques conversations futiles comme inutiles.

Il rejoignit la petite file qui demeurait encore devant la Duchesse, composée d'invités venus saluer l'organisatrice de cette magnifique soirée, qui de son trône, dominait les convives. Quand ce fut au tour du vieux mercenaire, celui-ci s'inclina dignement, comme s'il avait toujours exécuté ce geste de la haute société ducale.

Puis une fois qu'il s'était redressé, il gardait toujours un regard perçant sur la Duchesse, avant de s'exprimer.

''Gloire vous soit rendue, Duchesse Galante. Cette soirée est déjà une réussite et promet d'être plus qu'éclatante vers sa fin. Il serait dommage que vous ne puissiez pas en profiter un peu""

Et il avait tendu sa main vers elle, l'invitant de ce fait à venir danser. Malgré son masque, il était aisé de voir que l'homme avait la carrure d'un être qui avait l'habitude de se battre malgré la délicatesse de son geste. Sa carrure trahissait aussi un homme qui n'était pas encore affaibli par les conséquences de son âge.

Maintenant, allait-elle accepter ?

Suite aux salutations et flatteries d’un énième couple d’aristocrates, qui tiraient leur révérence vers plus de festivités, un homme à la carrure guerrière, vêtu d’une sombre tunique de velours et d’un masque de dragon qui couvrait entièrement son visage s'approcha. La duchesse avait su identifier un grand nombre de personnes qui étaient venu la saluer jusqu’à maintenant mais elle ne semblait pas avoir la moindre idée de qui se cachait sous ce déguisement. Après une courbette similaire aux précédentes, à laquelle elle avait répondu d’un hochement de tête élégant, une voix grave s’échappa du masque impassible :

   - Gloire vous soit rendue, Duchesse Galante. Cette soirée est déjà une réussite et promet d'être plus qu'éclatante vers sa fin. Il serait dommage que vous ne puissiez pas en profiter un peu.

La jeune femme ne put retenir un froncement de sourcil alors que la voix faisait palpiter les neurones de son cerveau, sans qu’elle ne puisse l’identifier instantanément. Sans une hésitation, elle fit glisser une main dans celle de son partenaire tout en se relevant de son trône majestueux. Après tout, qu’était un bal sans son lot de prétendants et partenaires de danse. Pas un bal dans les Duchés du Sud, c’est certain. Le son léger du claquement des talons de la duchesse résonnait à travers la salle, comme si le temps était suspendu aux lèvres des nombreux curieux qui les dévisageaient, alors qu’ils descendaient jusqu’au centre de la piste. Maria ne se rendit compte de rien tandis qu’elle fouillait à travers ses souvenirs pour retrouver l’identité derrière cette voix familière.

Les notes classiques d’une valse purement vinchoise résonnèrent dans la salle, et d’un mouvement commun, presque routinier, les quelques couples sur la piste de danse, et ceux qui les avaient rejoints, s’élancèrent. Son partenaire avait très justement placé sa main droite en-dessous de son omoplate, sa main gauche se faisant réceptacle et meneuse de la main droite de la duchesse. Autour de la piste de danse, une foule curieuse et indiscrète s’était installée, raffolant grandement de chaque petit ragot qu’offrait un bal dans les Duchés. Tous sans exception se demandaient avec intérêt qui pouvait se cacher sous le masque du cavalier de la célibataire la plus célèbre de Vinche. Seule cette dernière pouvait profiter du moment intimiste pour poser la question indiscrète :

   - Vous m’en voyez navré mais je n’arrive pas à reconnaître l’identité de mon invité et partenaire de danse. Pourriez-vous m’éclairer à ce sujet, je vous en prie ?

Tout en disant cela, elle accrocha son regard aux yeux foncés, presque noirs, que dévoilait le masque de dragon. Imperturbables, ils continuaient de tourner au rythme des notes de l’orchestre, se dirigeant doucement vers la partie des quelques mouvements plus complexes que contenait la valse.

Spoiler:

Le vieil homme ne s’était pas attendue à ce qu’elle accepte immédiatement. Mais comme la chance se présentait, il ne pouvait que la saisir. Sans doute que la jeune souveraine de Vinche tenait à briser un peu la monotonie de ses salutations auprès de ses convives, venant toujours un peu à chaque fois pour apporter leurs salutations. Peddyr avait vu bien des scènes de ce genre, où l’organisatrice où l’organisateur d’une magnifique fête se voyait pris dans le carcan des mondanités et des strictes codes de préséance et de présence. Organiser pour amuser les autres et demeurer à jouer la belle grue blanche, pour faire bonne figure… c’était parfois d’une tristesse...Pour la tête dirigeante de Vinche, l’instant était donc à la détente par la danse ; hypothétique pensée faite par Peddyr, ne l’oublions pas, et la jeune femme avait posé sa main dans celle de l’inconnu masqué, pour se redresser tout en magnificence. Puis, telle une reine, elle rejoignit le centre de la salle pour s’inviter avec son partenaire pour entrer dans le rythme d’une hymne typiquement vinchoise, qui se jouait beaucoup dans bien des réceptions de la haute société duchesse.

Le déguisé au faux visage de dragon l’avait accompagné, et une fois au milieu de la salle, réservée pour les danseurs, avait veillé à poser sa main droite juste en dessous de l’omoplate, donc il pouvait sentir la fine courbure sous les riches atours de la Duchesse. Au moins, les curieux pourront voir qu’il y avait pas de gestes prétentieux ou encore mal placés. Ils étaient bien en train de ragoter quand à savoir qui était l’inconnu qui avait eu l’audace ; ou la folie, d’inviter la jeune Duchesse. Et dans ces messes basses, l’interrogation de l’intérêt d’inviter la jeune noble se portait déjà sur quelques lèvres. En même temps, il y avait toujours une raison, pour qu’un homme invite une belle femme à suivre le rythme des notes jouées par l’orchestre du palais. Dans le cas de la Dame Galante, sa position de femme non encore mariée semblait se présenter plus en avant que d’autres. Mais laissons là les discussions murmurées des invités qui regardaient avec envie ou jalousie, le duo chorégraphier chacun de leur pas. On se demandait qui conduisait l’autre.

Profitant d’être assez loin de certaines oreilles indiscrètes, la Duchesse de Vinche posa une simple question, qui était légitime comme un peu prévisible pour son cavalier. Ses yeux (voir description de la dame) s’étaient plongés dans ceux plus profond, plus abyssaux de l’homme, dissimulant son identité derrière le faciès artificielle d’un dragon. Ainsi, elle marquait une insistance silencieuse. De fins plis apparurent aux coin extérieurs des yeux sombres de son partenaire de danse. Il souriait devant sa curiosité. La Duchesse était une femme de caractère et il le savait, pour l’avoir déjà rencontré, dans une circonstance qui aurait pu mal tourné.

’’N’est-il pas encore trop tôt pour faire tomber les masques, Noble Dame ? ‘’

De sa main gauche, le ‘’dragonnier’’ guida sa compagne du moment à suivre le rythme de la musique. Maria pourra sentir au contact de sa peau, celle de l’homme bien plus calleuse, autre détail qui signifiait là encore que cet homme n’était pas un nobliau pompeux habitué à vivre que dans le faste.

’’Est-ce si important de le savoir maintenant ? Ce moment est vôtre, Duchesse. Savourez le, libérée de quelques instants de vos devoirs d’hôtesse. ‘’
Les premières notes qui se firent entendre annoncèrent une partie de l’hymne plus composée, plus complexe, qui appelait à plus de savoir-faire pour les prochains mouvements de danse à exécuter. Et dès que cette dernière entra dans les notes jouées par les musiciens, l’homme à la tête de dragon retira sa main droite pour la caler derrière son dos, pour guider la Duchesse avec une certaine agilité, comme s’il se battait. Mais il ne luttait pas avec une épée, il guidait la Duchesse, essayant de garder le rythme qui s’amplifiait un peu plus, pour se montrer plus vif et plus rapide.

’’J’apporterai la lumière à votre curiosité, par après, si vous le souhaitez ardemment’’ Murmura-t-il rapidement, entre deux mouvements. ’’Sauf si vous aimez gagner aux énigmes en essayant de découvrir seule l’être qui est sous le masque’’

Elle ne pourrait que trouver, au bout d’un moment. Mais sera-t-elle fière d’elle-même, d’avoir la réponse à ses propres interrogations, ou frustrée d’avoir eu à quêter cela ?

- N’est-il pas encore trop tôt pour faire tomber les masques, Noble Dame ? Est-ce si important de le savoir maintenant ? Ce moment est vôtre, Duchesse. Savourez-le, libérée de quelques instants de vos devoirs d’hôtesse.

La phrase de son partenaire fut ponctuée des premières mesures de la partie la plus rythmée et compliquée de la chanson. Callant cette fois-ci sa main dans le dos de la duchesse, l’homme prit réellement le contrôle de la danse. Jusque-là, la jeune femme s’était plutôt appuyée sur les automatismes de son corps et que sur son cavalier.

   - J’apporterai la lumière à votre curiosité, par après, si vous le souhaitez ardemment. Sauf si vous aimez gagner aux énigmes en essayant de découvrir seule l’être qui est sous le masque.

Le rythme soutenu avait obligé le couple à se rapprocher plus que ce que politesse nécessitait. Cette intimité leur permettait de discuter à l’oreille de l’un et de l’autre. Ils exécutaient chaque pas avec précision et élégance, ce qui donnait l’impression de simplicité ; qu’il ne fallait que quelques essaies pour maitriser ces pas. Entre deux mouvements qui tiraient en longueur, elle reprit son souffle et murmura :

   - Si les mondanités des duchés m’ennuyaient, sachez monsieur, qu’il y a bien longtemps que j’aurais pris la mer pour de nouveaux horizons.

La valse vinchoise, comme toutes les valses, impliquait beaucoup de tours sur soi-même et les novices finissaient souvent avec une nausée modérée. L’astuce était de fixer un point dans la pièce, un repère qu’il fallait toujours retrouver du regard. C’était une astuce parfaitement inutile pour le couple expérimenté et pourtant, la duchesse avait décidé de prendre comme repère les yeux de l’inconnu. Et s’il lui rendait la pareil, l’atmosphère autour d’eux semblait s’électriser, enfin, c’est ce que constataient les spectateurs extérieurs.

   - Si je dois jouer aux devinettes, dans ce cas, vous ne m’en voudrez pas de poser quelques questions pour obtenir des indices, affirma-t-elle avec un sourire malicieux qui ne laissait pas de place au refus. Il est évident que nous nous sommes déjà rencontrés auparavant… Il faut bien commencer quelque part. Comment était votre enfance ? Ou avez-vous grandi ? Ajouta-t-elle après une courte réflexion.

L’instant d’après, la danse fut ponctuée d’un porté haut, à bout de bras du cavalier. Tandis qu’elle flottait dans les airs, ces quelques secondes lui parurent une éternité. Son esprit allait à toute vitesse et ne pouvant analyser les réactions provoquées par ses questions, elle sentit la poigne ferme autour de sa taille ne flancher à aucun instant. En regagnant le sol, elle nota mentalement qu’ils venaient de dépasser la moitié de la ballade.

Et tout cela avait provoqué un rapprochement entre l’homme déguisé et sa cavalière, leur offrant une promiscuité qui aurait de quoi entretenir les murmures des convives présents et qui les suivaient du regard. Mais les deux danseurs ne s’en souciaient guère, se concentrant sur leur duo dansant et s’échangeant des mots qui ne dépassaient pas la frontière de leurs oreilles.

Quand la Duchesse reprit la parole en murmures, prenant le temps de reprendre son souffle avec leurs mouvements qui s’enchaînaient, son cavalier sourit. Les plis extérieurs de ses yeux qui s’affichèrent en étaient la preuve évidente, vu que son masque d’écailleux dissimulait une grande partie de son visage. Il exécuta avec un pas de danse, avant de murmurer à son tour, à demi-amusé :

’’Vraiment, ma Dame ? ‘’

La jeune femme était une femme intelligente. Elle savait jouer avec les mots. Toute personne de haut rang savaient que les mondanités étaient quelque chose de redondants, jouant sur le faux semblant et l’hypocrisie même. Mais pour se distinguer aux yeux des autres Duchés, et donc de leurs multiples dirigeants, il fallait réagir en toute subtilité. La danse qui lui avait été offerte avait été une belle occasion de faire une ‘’pause’’ dans l’accueil des invités.

Le ''Dragonnier'' tournoya encore une fois avec la Duchesse, avant d'entendre à nouveau sa voix murmurante faire doucement vibrer ses tympans. Il ne manqua pas de sourire à nouveau, invitant sa cavalière à suivre un autre mouvement pour encore faire tourner le monde autour d'eux. Elle désirait donc des indices. Elle était assez perspicace pour trouver rapidement son identité s'il venait à trop donner de détails. Les plis au coin de ses yeux s'était magnifiquement bien affichés, malgré l'ombre provoquée par le port de son masque sur son visage. Il souriait plus intensément encore, comme pour répondre à l'expression malicieuse qui brillait sur le visage de la jeune femme.

Mais il ne répondit pas de suite, réagissant à la musique qui appelait à un mouvement un poil physique. Il changea la position de ses mains gantées et en rythme, pour prendre la Duchesse au niveau de la taille et de la portée à bout de bras, le temps qu'elle profite de cette envolée de quelques secondes. C'était un peu technique, pourrait-on penser, mais pour un épéiste expérimenté, ce n'était qu'un détail différent aisé à compenser.

Puis doucement, il la fit atterrir, comme si elle était une plume ; ne l'était-elle pas d'ailleurs ? Légère comme elle était, il n'avait pas senti les muscles de ses bras frémir à l'effort.

''Soit. Je vais vous apporter quelques menus détails, en répondant à vos recherches interrogatives....Je n'ai plus guère de souvenirs de mon enfance...seulement quelques brides, mais je sais qu'elle s'est déroulée dans les Duchés...''

C'était vague sans l'être. L'homme déguisé avait la mémoire fragmentée et bien des éléments de sa vie passée étaient perdues à jamais. Mais rien que d’avoir simplement dévoilé cela suffirait peut être à la Duchesse de Vinche d’avoir une idée de l’identité de son cavalier. Et elle avait encore le temps de poser quelques questions encore, leur danse entamant à peine la seconde moitié de la musique jouée par l’orchestre enjouée de la jouer.

Le cavalier de la Duchesse retira sa main posée sur le dos féminin, guidant cette fois la jeune femme de son autre main, avant de doucement la mener à tournoyer sur elle-même comme le voulait les airs rythmants. Après deux brefs et élégants tournoiement de la Duchesse, il la ramena à elle, reposant sa main à sa place précédente, toujours dans le dos.

Une fois que la duchesse eut touché le sol, son cavalier lui répondit tout en restant particulièrement vague quant aux informations concernant son enfance. La jeune femme conclut à deux possibilités. Soit l’homme ne souhaitait pas parler de son passé car il était toujours douloureux. Soit il jouait encore avec elle et restait intentionnellement évasif sur la question. Il fallait donc le travailler un peu plus au corps.

Leur position de danse changea à nouveau, et d’une main assurée, il la fit tournoyer sur elle-même à deux reprises. Lorsqu’il la récupéra entre ses bras, le mouvement se fit avec douceur et précaution, sans que leur corps ne s’entrechoquent à cause de la vitesse dans leur mouvement.

Tout en réfléchissant à ce qu’elle allait lui demander ensuite, leur corps continuèrent à se mouvoir comme lors de la première partie de la chanson, tout coordination avec le groupe qui les accompagnait. D’ailleurs, bien que de nombreux regards continuaient de les scruter, certains étaient retourner à leur sujet de conversation précédent.

   - Puisque vous ne semblez pas vouloir trop en révéler sur vos jeunes années, j’en déduis donc que nous n’avons pas grandi ensemble. Sinon, cela ne vous semblerait pas si désagréable croyez-moi, ajouta-elle avec un clin d’œil discret pour appuyer son petit trait d’humour.

Il fallait avouer que la jeune femme semblait de bien bonne humeur ce soir. Cependant, le futur verre de vin qui l’attendrait après cette danse lui traversa l’esprit, ce qui rajouta un peu plus de légèreté encore. Elle ne réussit pas à cacher un petit sourire ravi sur son visage. Il semblait que malgré elle, la duchesse eut baissé sa garde habituelle.

   - Peut-être pourriez-vous, dans ce cas, me révéler un détail de votre physique ou de votre personnalité qui serait mémorable pour moi ? Je ne doute pas que sous ce masque se cache une connaissance illustre.

La musique revint à un rythme plus posé, comme pour permettre aux danseurs qui la suivaient pas à pas, de reprendre leur souffle et leur contenance. Bien que Peddyr était un guerrier émérite, danser de la sorte et avec une excellente cavalière pouvait presque se comparer à un rude combat à l’épée. Pourtant, les muscles sollicités ne portaient pas une épée à bout de bras et ne se contractaient pas pour encaisser des coups parés ou esquiver des attaques vicieuses. Ils étaient appelés à être plus souple, à réagir à un moment précis et adéquate. Le vieux mercenaire les sentaient un peu raide et pourtant, il arrivait à garder une certaine assurance. Il y avait des choses apprises qui ne se perdaient jamais, même dans son cas. Et puis, ici, il n’avait pas qu’un ennemi : l’allure des notes jouées.

Mais revenons au désir de la Jeune Duchesse de Vinche de découvrir l’identité de son cavalier masqué. Devant la réponse empreint de légèreté de la jeune femme, l’Homme-Dragon avait simplement souri. Maria Galante paraissait se détendre un peu, alors qu’elle était le genre de femme à demeurer sur le qui-vive. Avait-elle deviner depuis longtemps qui il était ? Ou alors se détendait-elle réellement ? Peddyr penchait plus pour la seconde possibilité. Après tout, bon nombre de dames se sentaient en sûreté avec un homme près d’elle, même durant une danse.

’’Vous avez déjà une première réponse, Ma Dame. Après qui sait comment l’existence aurait pu être si nous nous étions croisé durant notre enfance…En tout cas, il est agréable de danser en votre compagnie, malgré les faits ’’, termina-t-il, avec une petite pointe plaisantine dans sa voix

Chose qui aurait été impossible dans les faits, vu leur différence d’âge. Mais vu qu’elle ne pouvait voir ses traits en raison du masque draconique…Et bien décidée à savoir qui était l’être sous le déguisement, elle était déjà partie à l’offensive avec un nouveau souhait. A ce désir, Peddyr se retint de rire, toujours en la menant gracieusement au rythme de la musique.

’’Vous me flattez, mais je ne suis pas une personne si connue que cela. Peut être dans ou ou deux domaines, qui vous auriez soufflé à vos fines oreilles. Pour ce que vous demandez comme indice...je vais vous donner quelque chose de facile.. une mèche de cheveux qui n'est pas du tout de la couleur de ma chevelure....''

Il aurait pu donner un détail de sa personnalité, mais la Duchesse aurait peut être peinée à approcher de la vérité ; sauf s'il avait évoqué une personnalité refaite, après des années à vivre avec une mémoire fragmentée. Avec le détail révélé, qui n'était pas une chose rare au sein des Duchés, trouvera-t-elle peut être plus aisément. Nombre de vieux Ducs avec des mèches grisonnantes... Mais l'inverse se trouvait aussi. C'était le cas de Peddyr, qui avait une mèche sombre sur sa chevelure grisée, qui viraient doucement sur la blancheur des neiges avec l'avancée des années. Si la jeune femme était physionomiste, elle saura trouver ce qu'elle cherchait.

Son cavalier masqué répondit à la question puis dégagea habilement quelques brins de sa chevelure comme un indice évident de son identité. En décalant son masque légèrement, une mèche noire entourée de quelques cheveux gris s'imposa aux yeux de la duchesse. Tout en continuant leur danse, comme si aucun mouvement superflu n'avait été ajouté il y a quelques secondes, la jeune femme se fit plusieurs réflexions. La première étant qu'au vu de la carrure et de la vivacité de l'homme, elle ne s'attendait pas à découvrir une chevelure grisonnante. Dans un deuxième temps, elle se dit que c'était peut être présomptueux de sa part de catégoriser la personne comme "âgée"; ça n'aurait pas été la première fois qu'elle était confrontée à une teinture, une maladie ou une spécificité familiale.

   -Bien que cela vous semble simple, je me dois de vous décevoir. Il semble que je n'ai pas les idées bien claires ce soir ou peut-être ai-je déjà abusé un peu trop de notre fameux vin. Je pencherai tout de même vers l'hypothèse que je ne cherche pas du bon côté, bien qu'en toute honnêteté, il apparaît que mon esprit soit totalement vide de toutes réponses logiques, ajouta-t-elle avec un petit rire enfantin.

La jeune femme avait l'air de bien s'amuser, ce qui était plutôt rare, il fallait le concéder. Pourtant la danse touchait à sa fin, elle devrait bientôt retourner sur son trône d'organisatrice du bal.

   -Puisque la logique ne semble pas faire sens à mes yeux, et que d'une certaine manière, vous ne semblez pas réticent à répondre à mes questions, en voilà une dernière. Auriez-vous un objet qui aurait appartenu à ma famille auparavant ? question qu'elle expédia toute candide, après une pause de quelques secondes de réflexion.

Il était vrai que l'indice capillaire n'était pas d'une grande aide. Le Danseur Masqué ne s'était pas attendu à ce qu'elle puisse trouver de toute façon. Sinon, les choses auraient été beaucoup trop simples non ? Au moins, malgré la petite déception de pas avoir su trouver l'identité de son cavalier, elle riait malgré son absence de réponse, pendant qu'avec son partenaire de danse, elle arrivait à enchaîner les pas et les mouvements.

''Peut être que vous ne souhaitez pas avoir la réponse immédiatement, Ma Dame. Car je doute que le vin suffise à dérouter votre esprit aiguisé''

Déjà, les notes qui annonçaient l'approche finale de la musique savamment jouée se portaient aux oreilles des danseurs. La Duchesse fit mûrir ses réflexions pour apporter une dernière question, profitant que son cavalier ne cherchait pas à fuir ses questions. Et à la dernière interrogation, on devina malgré le port du masque que l'homme souriait, rien que par son regard acier.

''C'est là une question qui pourrait apporter une réponse très large, car vorte famille est ancienne et a laissé de quelques œuvres d'architecture et d'objets dans son sillage, pour retracer l'Histoire...''

La musique terminait ses dernières notes dans une magnifique finalité sonore. Le duo avait fini leur dernier enchaînement en parfaitement synchronisation, l'homme tenant d'une main celle de sa cavalière.

''Votre logique voit juste, Ma Dame. J'ai effectivement un objet en ma possession, mais celui n'a pas son pareil, car unique. Brandie, elle n'appartient qu'à la main qui la tient et à personne d'autres. ''

Est ce que cette réponse quelque peu énigmatique suffira à la Duchesse ? Elle connaissait suffisamment l'histoire de sa famille pour avoir une idée et comme elle avait été présente du retour à la lumière de l'artefact.....

Juste après avoir dévoilé sa réponse, le Masqué s'inclina devant la Dame, pour la saluer comme on le faisait à toute fin de danse.

''Merci pour cette danse, Dame Galante. J'espère que j'ai été à la hauteur de votre perfection de danse....''

La dernière question qu’elle posa sembla faire mouche. Peut-être avait elle vu juste ? En entendant la réponse de son partenaire, son cerveau se lança dans un solo de danse, rapide et efficace, afin de faire la connexion entre toutes les informations qu’elle détenait. Bien que la réponse de l’homme était toute en énigme, la première chose qui lui vint à l’esprit fut une arme. C’était probablement l’une des choses les plus communément possédées dans les Duchés du Sud. Beaucoup de celles-ci qui étaient passées dans les mains des Galante avait pour elle l’unicité.

Elle eut un sentiment d’évidence alors que l’homme masqué s’inclinait devant elle après quelques secondes de silence dans la salle de bal, indiquant que leur moment musical venait de se finir. Peut-être que celui-ci avait raison et qu’elle se voilait inconsciemment la face quant à l’identité de l’homme. L’idée qui s’imposait à son esprit et qui faisait sens ne lui plaisait pas le moins du monde.

Comme souvent lorsqu’on terminait une danse accordée par la Dame de Vinche, elle tendait la main afin de recevoir un baisemain. Cependant, tout en effectuant ce geste rituel, avant de lui laisser le temps de se pencher vers sa main, elle l’attira près de lui d’un geste brusque. Leurs visages masqués n’étaient qu’à quelques centimètres l’un de l’autre, alors qu’elle soufflait les mots suivants et que son visage se changeait d’un sourire amusé à un rictus crispé et légèrement méprisant :

   - Je crois qu’on ne peut pas se quitter si tôt, messire Thelrand, dit-elle tout en trainait sur chaque syllabe de ces derniers mots. Que diriez-vous de m’accorder une seconde danse ? Afin que nous discutions un peu plus longtemps…

Ces derniers mots furent ponctués par l’orchestre qui lançait la prochaine musique, bien plus dans le style des bals organisés par la duchesse de Vinche. L’ambiance changeait complètement avec ce rythme rapide et sensuel. Certains couples laissaient place à d’autres danseurs sur la piste, près à en découdre.

La Duchesse avait doucement tendue sa main, pour demander un baise-main. N'avait-elle pas accorder une danse à son invité mystérieux ? Quoiqu'il en était, Peddyr n'allait pas se détourner des politesses. Il se préparait à prendre la main de la jeune femme dans la scène, quand elle l'attrapa non sans une certaine et étrange brusquerie, pour l'attirer à elle. Et maintenant, leur visage, bien que séparé tous les deux par un masque, se tenait à quelques centimètres l'un de l'autre. Peddyr s'était tendu, en simple réaction de ce mouvement non prévu.

Même à quelques centimètres de son visage, le vieux mercenaire put parfaitement observer le changement d'émotions sur le visage de la jeune femme. D'un sourire amusé par leur petite échange énigmatique, son sourire s'était transformé en un rictus froid et crispant. Par cette transformation, Peddyr ne flancha pas, soutenant même son regard et demeurant lui même. Si la Dame de Vinche avait espéré le faire réagir autrement, c'était un peu raté.

Il crut savoir pourquoi elle réagissait de la sorte. Leur dernière rencontre ne s'était pas réellement conclue sous de beaux hospices, plus encore que pour faire le jeu de la découverte de son identité, i avait usé d'un des armes ayant appartenu à un des illustres ancêtres de la Duchesse de Vinche. Comment ne pas être méprisant suite à cela. En plus, il avait eu l'audace de se présenter à son bal.

''Je ne peux guère refuser votre voeu...''

Il s'était redressé, forçant un peu sur l'emprise de la jeune femme qui l'avait attiré à elle. Il prit sa main pour l'inviter à se préparer à enchaîner, dès que l'orchestre, qui se lançait déjà, entamera les passages sonores pour que les couples dansants se synchronisent entre eux et leurs partenaire.

''.... et ainsi terminer quelques points de conversation qui n'ont pas été éclaircis et finalisés comme il se doit. Car si je ne m'abuse, quelque chose vous pèse à ce sujet.... n'est ce pas ? Alors, discutons... De quoi souhaiteriez vous que nous parlions ? De notre dernière rencontre dans le tombeau de votre Aïeul ? ''