Cela faisait une semaine que Lähm avait rencontré Lydie dans une taverne de la cité d’Airain. Même si leur rencontre ne s’était pas faite sous les aurores les plus cordiales, les deux jeunes gens avaient rapidement réussi à se mettre d’accord sur le prix des services de la Chasseresse, et avaient accepté de travailler ensembles. Sitôt l’accord scellé, le demi-dragon était parti régler les derniers détails de son affaire auprès des divers espions situés à Eïrn. Bien sûr, il n’avait pas oublié de vérifier que la jeune femme avait bien fait quémander son équipement et les ressources dont elle voulait jouir auprès de son agent sur place, mais c’était une formalité.

Sans qu’il ne l’avoue, le jeune homme avait tout de même hâte de se mettre en route. Il ne redoutait pas le climat enneigé d’Eïrn, et en avait assez d’attendre pour passer à l’action. Il était, à son goût, déjà resté inactif trop longtemps. Rien que le fait de voyager en territoire inconnu suffirait à le satisfaire, pour le moment. La météo ne s’annonçait pas particulièrement bonne, mais, pour lui, il s’agissait d’une bonne nouvelle. Plus de discrétion ne pourrait que l’aider à remplir sa mission, et, si la chasseresse était à la hauteur de sa réputation, quelques tempêtes de neige ne la gênerait surement pas pour l’amener là où il souhaitait aller.

Contrairement à lors de leur première rencontre, Lähm portait ce soir là l’équipement complet des Prétoris. Il ne s’agissait plus de se mêler aux civils mais bel et bien de traquer, et, par conséquent, de combattre. Et aucun combattant n’était mieux équipé que le demi-dragon. Ils allaient donc, en partie, voyager avec la couverture de la nuit et de la neige. Le Prétoris avait laissé un mot à l’aubergiste indiquant à Lydie où le trouver. Il attendait en bordure du dernier village à plusieurs centaines de kilomètres à la ronde, là où la nature avait d’ores et déjà reprit ses droits. L’environnement à première vue plaisait énormément à Lähm. Ici, il n’était plus question de politique, de pouvoir, ou de toutes ces futilités typiques de la civilisation. La loi du plus fort s’appliquait simplement, et le jeune homme ne pouvait se sentir plus libre que dans ce genre de situations. Il avait pris dans son sac la moitié des affaires que Lydie avait décidé de prendre, mais ce dernier ne semblait pas vraiment peser sur ses épaules. Il leva alors les yeux vers les flocons qui continuaient inlassablement de tomber. Il se serait bien dégourdit les ailes, mais ce n’était ni le moment, ni le lieu. Il appréciait de voler, mais, cette fois, il n’allait pas opérer tout seul.

Des pas dans la neige le tirèrent brutalement de ses pensées.

Une semaine. C’était le délai que Lydie avait demandé pour se préparer à sa mission. Cette préparation comprenait un sevrage de toutes formes d’alcool. Quand elle partait en mission, elle faisait toujours attention d’être parfaitement sobre, car dans la forêt, une petite inattention, un petit faux pas, et on pouvait perdre une jambe ou la vie. Elle ne pouvait pas se permettre de perdre un membre et avait trop peur de perdre la vie. A cette préparation personnelle, il fallait qu’elle vérifie ses équipements. Pour ça elle avait profité de de cet aide de camp pour faire le plein de carreaux d’arbalète et même d’en demander certains, un peu plus cher qu’elle ne se serait pas permise d’acheter en temps normal, car elle n’en avait pas vraiment l’utilité ni le besoin, mais comment c’était offert. A tout ça, s’ajoutaient les cordes, les couvertures, gourdes, un nouveau couteau de chasse, des pièces pour son arbalète, de quoi soigner les blessures, des vivres comme des biscuits et de la viandes secs et pleins d’autre choses. Elle ne prendrait pas tout, car cela était encombrant, mais au moins, pour sa prochaine mission, elle avait ce qu’il lui faudrait et pour l’avenir aussi. Ce Lähm ne savait pas quoi faire de son argent, enfin, surtout celui du trésor et donc du peuple. Et Lydie n’avait aucun scrupule à puiser dedans. Après tout, elle ne payait pas d’impôt, ce serait dommage qu’elle ne profite pas de ceux des autres. De plus elle avait profité de ce temps pour étudier les cartes de la région.

Le moment du départ arriva et Lydie prit donc la route sur son cheval et son équipement léger. Une arbalète, sa Franciste, son couteau de chasse, une couverture épaisse en plus de sa peau d’ours et des vivres pour quelques jours ainsi qu’une gourde. Le reste sera récupéré sur place et de ce qu’elle avait demandé une grosse partie était resté dans sa chambre, pour une chasse prochaine. La route se fit paisiblement, la jeune femme prenant le temps de chasser pour ne pas utiliser tout de suite ses réserves de viandes séchées et de graines. Puis elle arriva au point de rendez-vous un jour en avance. Mais elle décida de ne pas s’y arrêter pour profiter de son avance et explorer les lieux en avance. Après une nuit dans les bois, elle s’était décidée à passer la matinée à continuer son exploration pour retourner à l’auberge dans l’après-midi. Toutefois, des indices lui permirent de rejoindre Lähm à l’extérieur du village sans avoir à repasser à l’auberge. Le soleil se couchait déjà à l’horizon.

La Chasseresse s’était d’abord avancée sans faire un bruit, la neige ne crissait même pas sous ses pas. Elle hésita un instant à continuer ainsi mais elle se dit que ce n’était pas nécessaire. Elle révéla sa présence à une dizaine mètre du Prétoris. Une fois à quelques pas de lui elle le salua. Je vois que vous êtes à l’heure. C’est très bien. Elle le regarda de haut en bas et leva un sourcil. J’espère que vous savez faire peu de bruit avec tout cet équipement. Et que les capacités des dragons coulent bien dans vos veines car nous ne partons pas chercher des champignons ni prendre l’air. Bien… Maintenant que vous êtes là, nous pourrons partir demain. Sauf si vous souhaitez dormir dehors dans une heure, deux maximum.

Elle leva une main de façon autoritaire, afin d’éviter toutes potentielles remarques. On ne piste pas de nuits. C’est prendre le risque de rater une trace et surtout, dans ces bois, ni les étoiles ni la lune n’éclairent suffisamment. J’ai déjà commencé un repérage. Je vous montrerai demain. Profitons une dernière fois de la civilisation et d’une bonne nuit à l’auberge et au chaud. Cela nous manquera bien vite. Et puis, si vous tenez à vos deniers, nous pourrions partager notre chambre. Elle s’éloigna en riant sans attendre de réponse de son employeur. De toute manière, elle était maître à bord.

La soirée se passa calmement, Lydie préféra boire une bière, ayant un doute sur la pureté de l’eau, mais elle n’en prit qu’une seule pour ne pas tomber dans son vice. Ils montèrent se coucher tôt et repartirent aux premières lueurs de l’aurore. Lydie nattait ses cheveux pendant que Lähm s’éveillait. Elle s’était levée sans bruit et elle s’était préparée sans bruit. Les deux associés avaient pris un petit déjeuner frugal. Puis Lydie avait mené Lähm à l’orée du bois. Elle s’y enfonça sans hésitation et marcha d’un pas vif entre les arbres. Elle s’arrêta régulièrement, s’agenouillant, humant l’air. Pas une seule fois elle ne parla. Seul compter le pistage.

Après plusieurs jours de traque. Le visage sérieux de Lydie laissa place à un sourire vainqueur et elle fit un signe de maintenir le silence à Lähm et lui demanda d’un geste de rester sur place. Puis elle disparut sans bruit dans les fourrées. Elle revint moins d’une heure plus tard. Toujours sans un mot, elle fit signe au Prétoris de la suivre. Ils arrivèrent sur une crète qui dévoilait un petit vallon. A travers les branches, Lydie indiqua une petite bâtisse où plusieurs personnes s’activaient. Aucun chemin ne menait à cette maison.

Le froid n’avait jamais dérangé le demi-dragon. Au contraire, peut-être, car sa morsure avait le don de le maintenir éveillé, ce qui était particulièrement utile lors des longues traques auxquelles il devait s’employer. S’il appréciait toutefois le confort, il ne lui était pas tant nécessaire que cela. Il n’entendit alors arriver Lydie qu’au dernier moment, mais n’en fut guère surprit. Après tout, c’était une pisteuse hors pair, et traquer nécessitait une discrétion à la mesure de ses talents de perception. Mais Lydie s’inquiétait pour rien. Il était du métier de Lähm d’être d’une discrétion légendaire, et, dans ce domaine tout du moins, il l’égalait parfaitement. Il laissa alors la jeune femme finir avant de lui répondre.

« C’est toi qui décides, de toute manière, je n’interfèrerais pas dans tes choix. Tu as la mission, tu as les délais, maintenant il en va de ta réputation et du reste de ta paie de mener tout ça à bien. Surtout que, de ce que j’ai compris, tu ne t’ais pas privé en termes d’investissements pour préparer cette mission. » Lança-t-il sur un ton légèrement amusé, avant de reprendre son sérieux. « Partir demain me va, dans ce cas, tu es la spécialiste. Quant à partager la chambre, pourquoi pas. Ce n’est que l’affaire d’une nuit et, au vu des dépenses déjà occasionnées, autant sauver les apparences. » Finit-il.

La soirée fut tranquille, contrastant sans doute avec tout ce qui allait suivre. Ils mangèrent un repas frugal, et dégustèrent même une bière ensembles. Lähm était presque étonné de la tenue impeccable de Lydie, qui ne buvait aucunement de manière déraisonnée. Elle était différente, lorsqu’elle travaillait, de la jeune femme qu’il avait rencontrée dans cette taverne la première fois. Ils montèrent ensuite dans la chambre qu’ils avaient louée pour la nuit, dotée de deux lits séparés à chacune des extrémités de la pièce. Sans aucune forme de gêne, le dragon se déshabilla pour inspecter l’état d’une récente blessure dans le miroir en face de lui, et, sans plus de cérémonie, il se coucha pour se tourner vers un sommeil réparateur.

Le lendemain, il se réveilla instinctivement à l’heure prévue, et constata que Lydie était déjà levée. Il se prépara alors rapidement et, après avoir avalé quelque chose, les deux acolytes se mirent en route dans le plus grand des silences. Ni leurs pas, ni leurs voix ne venaient troubler la tranquillité naturelle de la forêt environnante. Lähm suivait les indications de Lydie à la lettre, et ce, durant plusieurs jours, sans réellement montrer de signe de fatigue. Le demi-dragon était dans son élément, et n’était jamais aussi redoutable qu’en ces instants. Il leur fallut donc de longues heures de traques jusqu’à ce que, finalement, la jeune femme ne lui demande de s’arrêter et le fisse attendre durant une bonne heure, avant de revenir avec un sourire qui en arrachant un à Lähm. Ce dernier la suivi alors jusqu’à une crête qui surplombait une bâtisse de fortune, déjà bien habitée. A l’extérieur, un vaste terrain avait été préparé, et les soldats s’entrainaient. Une estrade était même prévue, ce qui ne laisse aucun doute au jeune dragon concernant la réussite de la Chasseresse. Il s’allongea alors sur la crête, sortant son fusil de son sac, et balayant les différentes fenêtres ainsi que le campement dans sa globalité. Sa prothèse oculaire lui donnait toutes les informations balistiques dont il avait besoin, et, lorsqu’il eut fini, il se retourna vers Lydie.

« Et bien, on dirait que ta réputation n’est pas usurpée. C’est bien eux, la rencontre a lieu demain. En revanche, j’ai une dernière faveur à te demander. Je suis un peu proche, tu penses être capable de trouver un lieu à environ cinq ou six cent mètres, en surélévation par rapport à là où nous sommes, avec une vue dégagée et un terrain difficile d’accès ? » Lui demanda-t-il.

En réalité, le dragon aurait pu s’en occuper, mais il se plaisait à challenger un peu son acolyte. Après tout, elle valait son prix, alors, autant qu’il en profite.

Lydie préféra ignorer le compliment ou la moquerie de Lähm. Elle n’avait que faire de sa considération. En tout cas, pas pour le même. Ils étaient en terrain hostile, avec des ennemis potentiels pas assez loin au goût de la blonde. Elle acceptera tous les compliments qu’il voudra bien lui donner une fois de retour à la taverne en vie. Pour l’heure, la survie était bien plus importante.

Elle leva un sourcil perplexe à la demande du Prétoris. Elle était légitime mais la Chasseresse aurait cru qu’il l’aurait remarqué par lui-même. Parfois, elle ne comprenait pas comment les gens faisait pour ne pas noter ces détails. La surélévation n’était pas possible et de toute manière peu envisageable. Il leur aurait fallu traverser ou contourner le vallon pour espérer atteindre ce qu’il souhaitait. Si pour le demi-dragon ce n’était pas un problème en volant, la discrétion n’aurait plus été de mise. La jeune femme, toujours sans dire un mot, indiqua un point, légèrement en contrebas, sur la falaise. Les rugosités du terrain formaient comme des dents et des renfoncements. Ces plateformes naturelles pouvaient accueillir une à deux personnes, allongées ou debout, abrité par au-dessus ou non. Il n’y avait que l’embarras du choix et s’il voulait se déplacer, il n’aurait aucun problème pour lui. La Chasseresse pour sa part, si elle avait pu s’installer dans ces rochers n’en ferait qu’une simple évidente si elle était repérée. Son don pour la discrétion et le camouflage était excellent mais elle risquait de se découvrir à chaque tir, malgré le silence de son arme. Et puis, la portée n’était assez bonne pour permettre des tirs à d’aussi grandes distances. Elle restera donc en surplomb et protégerait Lähm de toute attaque par le dessus. Ce serait mieux ainsi. Et puis, elle pourra plus facilement disparaitre dans les bois que dans les rochers.

Je te propose la falaise comme zone de couverture. Elle est remplie de cachette et de poste d’observation excellent. Avec tes ailes, tu n’aurais aucun mal à t’y rendre ou t’y déplacer. Pour ma part, quand l’action commencera, je resterai ici, pour éviter qu’il ne te contourne. La montée n’est pas très dur pour eux, mais ils seront à découvert et ils ne me trouveront jamais dans les bois avant qu’il ne soit trop tard. Nous ne sommes pas à six cents mètres, mais plutôt à quatre cents, j’espère que ça t’ira. Sinon, le second point plus intéressant est de l’autre côté. Mais je n’y serai pas demain pour ma part. Pas en évitant le vallon. Mais si tu veux tenter le diable, vas-y. Je te regarde. Lydie avait dit ça d’une voix sourde, sans agressivité, sans moquerie. Juste comme une information communiquée à voix basse. Elle n’avait même pas regardé son compagnon. Pour l’instant, j’ai aperçu près de cinquante individus, mais ils semblent être plus nombreux à l’intérieur. J’espère que tu sais ce que tu fais. C’est ton boulot maintenant de me ramener en vie.

Lydie n’avait pas vraiment tort. Selon les calculs balistiques fournis par l’œil du Demi-dragon, La plupart des cibles potentielles étaient à environ 450m de lui. A bien y réfléchir, même s’il trouvait qu’une distance plus élevée était plus confortable, aucune arme magique Ikhyldienne n’égalait sa portée actuelle. Aussi, la proposition de Lydie lui convenait plutôt bien, bien qu’il l’écoutât d’une oreille assez distraite, observant avec attention le terrain en dessous de lui. Quelque chose semblait perturber le jeune homme, et elle était plutôt simple. Il ne voyait nulle part le Dragon dont on lui avait parlé, et qui était l’objectif de sa mission. Deux possibilités s’offraient alors à lui. Soit le reptile n’était pas encore arrivé, soit, plus embêtant, il lui manquait une information capitale. Si ledit dragon maitrisait la magie transformiste, alors sa tâche allait drastiquement se compliquer pour lui.

Cependant, ses doutes furent rapidement tus par un puissant rugissement, venant de l’autre côté de la vallée. Instinctivement, les deux acolytes se couchèrent au sol afin de s’assurer de ne pas être repérés par les troupes ennemies. Puis, toujours allongé, Lähm rampa jusqu’au bout de la crête pour observer le reptile qui venait d’arriver. Des écailles cuivrées, environ quatre mètres au garrot, le Prétoris n’avait aucun doute quant au fait qu’il s’agissait effectivement de sa cible principale. Ainsi, ses renseignements étaient les bons, et, surtout, la rumeur de la venue d’assassins ne semblaient pas être arrivée aux oreilles de la cellule de l’esprit qui s’affairait sous ses yeux. Lähm se retourna alors une nouvelle fois vers la chasseresse, lui répondant enfin.

« Ma vue est conforme aux données qui m’ont été transmises. Ils sont une cinquantaine, et j’ai identifié mes quatre cibles prioritaires. Le seul point de surprise est la présence d’une dragonnière, mais ça n’a que peu d’importance. Pour le point de tir, ça ira bien. Je commencerais surement à l’aube, puisqu’ils seront tous réunis à l’extérieur à ce moment-là. Utiliser le couvert des bois est une bonne idée. De toute manière, je suppose que tu as autant d’intérêts à me garder en vie que j’ai à le faire, donc je suppose pouvoir te faire confiance sur ce point-là. » Dit-il sur un ton neutre, alors qu’un semblant de plan commençait à germer dans son esprit.

« Nous avons donc la nuit pour nous préparer, je me positionnerais peu avant l’aube. Si ça te convient, nous pouvons dresser un campement de fortune jusque-là, je doute qu’ils envoient des éclaireurs. Après tout, personne n’est censé trouver cet endroit. »

Il s’écarta alors légèrement du sommet de la crête pour s’enfoncer un peu plus dans le couvert de la forêt en compagnie de la jeune femme. Encore une fois, la soirée fut silencieuse, sans tension. Le Prétoris vérifia chacune de ses armes et de ses balles, méthodiquement, et professionnellement, avant de s’adonner à un curieux rituel. Il décrocha le haut de sa tunique, restant torse nu dans le froid, s’adossant alors contre un arbre en fermant les yeux et faisant le vide dans son esprit. Son origine de dragon le protégeait plus que de raison des intempéries et de l’étreinte glacée des montagnes, et il avait besoin de sentir le froid mordre sa peau et ses muscles afin de se concentrer. Il ne ressentait nulle inquiétude, et son corps ne bleuissait pas comme l’on pouvait s’y attendre d’un humain dans cette tenue par ce temps. Il plongea alors dans une sorte de léthargie ensommeillée, son corps aux aguets mais son esprit au repos, attendant patiemment le lendemain.

Les puissants rugissements firent presque sursauter Lydie. La Chasseresse ne s’attendait pas à une telle puissance et un tel vacarme, surtout pour un groupe qui se voulait discret. Il n’y avait peut-être pas grand monde dans les montagnes et ce cri les aurait probablement terrifiés. Voilà comment on crée une légende. Alors de deux choses, la première, il y aurait eu des battu pour trouver le monstre, ou la seconde, ça aurait un terrain de chasse exclusif pour Lydie et d’autres chasseurs téméraires, ce qui veut dire une source de revenus supplémentaire.

Elle avait beau avoir été prévenue de la présence d’un dragon, se le voir confirmer de la sorte rester impressionnant. La jeune femme ne put cacher son trouble et sa stupeur. Elle regarda discrètement dans la direction du cri mais abandonna rapidement l’idée, car elle était mauvaise. Ce n’était pas le moment de céder à la curiosité. Et si le dragon devait passer à l’attaque, elle aura tout l’occasion de le détailler avant de mourir. Donc en soit, ce n’était que partie remise. Elle se tourna vers Lähm.

Comme tu dis, ça n’a pas d’importance pour moi puisque c’est ton problème. Je te rappelle que je ne suis pas un soldat ou un chien de l’empire. Et je suis encore moins courageuse si jamais cette idée stupide te venait à l’esprit. Si ça sent le roussi, je disparais. Avec ou sans toi. Et si ça craint vraiment ce sera certainement sans toi. Que les choses soient bien claires. Je ne voudrais pas que tu sois déçu en ne voyant pas de gestes héroïques de ma part. Lydie avait parlé d’une voix atone, presque inaudible.

Elle se recula de la falaise et s’enfonça un peu dans les bois avec le demi-dragon. Faut comme tu veux. Inutile de te dire qu’il n’y aura pas de feu comme pendant toute la traque. Après tu es libre de faire ce que tu veux en attendant de passer à l’action. Je serais là avant le lever du soleil. Pas besoin de me chercher.

Après ces mots, la Chasseresse disparut dans les bois. Elle resta un instant à observer l’homme. Juste pour voir son comportement. Quand elle le vit commencer à nettoyer ses armes, elle décida de s’éloigner. Il ne ferait pas quelque chose de stupide. Pas que ça la regardait, mais elle aimerait vraiment non pas mourir par sa faute. Elle n’avait pas un bruit, si bien qu’il n’avait pas pu la sentir. Maintenant, elle aussi devait se préparer. Elle explora la proximité de la falaise, disposa quelques pièges, simples mais efficaces, qui sans tuer les assaillants, les ralentiraient à coup sûr, et les rendraient incapable de continuer leur poursuite au mieux. Fidèle à sa règle de ne jamais tuer, même si sa vie risquait d’être en péril. Puis elle se mit à la recherche de son arme spéciale.

Une fois cette dernière trouvée, elle grimpa dans un arbre non loin de la position du demi-dragon, non sans avoir jeté un œil intéressé à l’homme torse nu. A mi-hauteur de l’arbre, elle s’installa de façon à ne pas être vu d’en bas, mais pouvoir bien surveiller les environs. Puis elle s’endormit légèrement. Sa nuit se résuma en une série de phase de sommeil léger et de réveil. Lorsque le soleil s’apprêta à se lever et que la lune tirait sa révérence. Elle redescendit.

Toujours sans un bruit, telle une ombre dans le noir, elle vint s’appuyer contre l’arbre près duquel Lähm semblait méditer. Elle signala sa présence par un léger raclement de gorge et toujours d’une voix à peine souffler prit la parole. Il est bientôt l’heure pour toi de commencer ton office, chien.

La nuit avait été aussi courte qu’extrêmement récupératrice pour le demi-dragon. Sa méthode de demi-repos n’avait rien de particulièrement exceptionnel, car elle était assez répandue, mais elle était diablement efficace. Il n’ouvrit l’œil qu’au raclement de gorge de Lydie, mais ne répondit absolument rien. Son flegme naturel avait déjà laissé place à une intense concentration. Lähm savait qu’il n’avait que peu, ou pas, droit à l’erreur. Tous ses choix, tous ses tirs, et toutes les secondes qui allaient se dérouler seraient déterminantes. L’ennemi était trop nombreux pour que son opération ne prenne la forme d’une guerre de patience. Non. Il allait falloir agir avec de l’instinct, et choisir judicieusement l’ordre dans lequel ses balles allaient fondre sur ses cibles.

Le Prétoris s’équipa alors de nouveau, se parant de son uniforme et de sa cape au couleur des montagnes enneigées. Adaptée à sa physionomie bien particulière, cette dernière lui permettrait de n’être repéré que tardivement, voir trop tard, par ses ennemis. Ennemis auxquels Lähm ne vouait par ailleurs aucune haine. Ils représentaient simplement un défi de plus à relever. Sans un regard pour Lydie, le jeune homme se dirigea vers son poste de tir à l’angle privilégié, furtivement. Il ne voulait rien laisser au hasard. La présence d’un dragon complexifiait suffisamment la chose.

Installé, allongé, l’œil modifié dans le viseur de son arme si particulière, Lähm engagea la première balle. Son schéma d’intervention se dessinait peu à peu dans son crâne, et il commençait à entrevoir les multiples possibilités qui s’offraient à lui. Tout autour de lui devint alors comme silencieux, et il n’existait plus que ce qu’il avait dans le viseur. Le reste, tout son corps s’en occuperait comme d’un automatisme. C’était le moment de faire simplement parler la poudre.

Le premier coup de feu déchira le silence, alors que l’énergie et le souffle du recul faisait voler les mèches de cheveux du jeune homme, qui gardait inlassablement l’œil dans sa lunette. La balle renforcée fendit alors les airs, survolant le camp d’entrainement ou toute la cellule de l’esprit c’était réunie. Assassine, elle vint se loger dans l’os qui permettait la jonction entre l’aile et le dos du dragon, l’explosant par la même occasion. Le rugissement de douleur du Dragon perça à son tour le silence. Il était cloué au sol. Temporairement. Mais suffisamment longtemps. Lähm avait déjà engagé une nouvelle balle dans la chambre alors qu’un vent de panique s’était levé au sein de l’attroupement. Mais la deuxième balle n’était pas destinée au lézard géant. Un deuxième coup de feu se fit entendre, et l’un des conseiller s’écroulait, foudroyé par la balle Akkatonienne qui avait transpercé sa boite crânienne.

La situation, en bas, vira au Chaos le plus total. Lähm savait que les mages qui dirigeaient la cellule étaient puissants, mais il était équipé en conséquence. Ses balles traversaient les boucliers magiques dressés à la hâte, et venaient inlassablement à bout, coup par coup, des responsables qui prenaient maintenant la fuite. Mais ils n’eurent bien vite plus de raison de le faire. Les corps sans vie des quatres conseillers gisaient au sol, abattus froidement par le Prétoris, qui, lui, n’avait pas changé sa position. Son attention s’était reportée sur le Dragon qui ne parvenait pas à s’envoler. Le Prétoris s’était entrainé avec son père, et savait qu’il ne servait à rien de passer à travers ses écailles pour atteindre le cœur ou le cerveau. Mais seul le reptile allait souffrir de ce constat. Une mort rapide n’était, pour lui, pas vraiment envisageable. Les tirs qui suivirent percutèrent ses yeux, l’aveuglant totalement, ainsi que l’os de l’aide encore valide. Cloué au sol, et sans vision, il était à présent nettement moins dangereux. La Dragonnière avait chu de son dos, et restait cachée derrière l’abdomen de son lié. Le demi-dragon continuait alors inlassablement à abattre tous les soigneurs qui tentaient de s’approcher de son congénère, si bien que, bientôt, la créature mystique sembla être laissée à l’abandon au milieu du camp tant il était impossible de s’approcher d’elle. Et la situation convenait parfaitement au jeune homme, qui se contentait d’écarter les éventuels gêneurs de sa cible agonisante, ne prêtant pour l’instant pas attention au reste des troupes.

Etait-ce de l’ignorance ou de la concentration ? En tout cas, Lydie décida de ne pas relever le silence de ce guerrier. Elle le regarda s’équiper d’un œil intéressé. C’était toujours passionnant de voir les hommes, ou les femmes, se préparaient à entrer en action, quelle qu’elle soit. Cette vision lui rappelait une époque lointaine, quand elle et Julie allait en chasse. Puis qu’en Sybille ressemblait son matériel pour venir en aide et soigner les gens. Lydie pouvait passer des heures à regarder ses sœurs se mettre en tenue, vérifier leur équipement, que rien ne manquait et que tout fonctionner. Il y avait dans ses rituels, un calme immense qui en découlait. Un bonheur dont Lydie ne connaissait pas l’origine. Peut-être la simplicité et l’ordre émanant de l’ensemble.

Sa gorge et son cœur se serrèrent devant ses souvenirs douloureux. Elle poussa un grognement en disparaissant dans les bois. Elle ne voulait pas se genre de choses dans son esprit. Elle faisait tout pour oublier, tout pour ne pas s’infliger ses douleurs. Ce n’est pas pour se les voir ramener en surface par un inconnu, un assassin. Voir Lähm s’équiper lui ramena aussi la raison de leur présence ici. Tuer des êtres vivants pour des raisons aussi stupides que la politique ou la nation. Les morts qui allait être fait aujourd’hui ne servirait à rien, leur corps aller pourrir sur place où dans un caveau. Tout ceci était contre nature.

La Chasseresse respectera toutefois ses engagements, défendre Lähm aussi longtemps qu’elle n’est pas en danger. Les coups de feu résonnaient dans les bois. Des nuées d’oiseaux s’envolaient alors qu’un vent de panique s’engouffrait dans la forêt. Au moins cela va améliorer mon piège. Pensa amèrement Lydie tandis qu’elle se plaçait dans un arbre, avec vu sur l’un des deux accès au sommets. Elle n’était pas inquiète pour l’autre côté, elle saura quand ils arriveront. Et il n’y avait aucune chance pour qu’ils trouvent un autre moyen d’atteindre Lähm, car il n’y en avait pas d’autres. Une fois en position, la Chasseresse attendit, prête à tirer, les sens encore plus aux aguets que d’habitude, tressaillant légèrement à chaque coup de feu.

Après quelques minutes, des cris retentirent de l’autre côté de la position de Lydie. Les adversaires du Prétoris étaient tombés sur son arme secrète avant de tomber dans ses pièges. Tant pis pour eux. Il n’est jamais bon de tomber sur des marcassins, car leur mère n’est jamais bien loin. Une laie est très protectrice envers ses petits et ses animaux sont aussi très résistant. Les dégâts d’un seul des leurs sont terribles, maintenant, il suffit d’imaginer une arde de plusieurs spécimens adultes, attirer à proximité de la piste, stresser par le bruit de tonnerre de l’arme du Prétoris. Les assaillants allaient avoir de gros problèmes. Lydie n’en tirait aucun plaisir, juste du regret.

Mais la Chasseresse ramena son attention sur la route et lâcha un carreau à travers les broussailles. Elle ne voyait pas sa cible mais la respiration haletante des hommes et l’odeur de transpiration étaient arrivées jusqu’à Lydie et donnaient une position plus que précise qu’il ne fallait pour aligner un tir. Au cri qui retentit, Lydie sut qu’elle avait fait mouche. La jambe, à ne pas en douter. Elle commença à recharger tranquillement. L’ennemi ne pouvait pas la voir car elle ne les voyait pas. Et même quand elle les verrait, il leur faudra pas mal de temps pour la localiser. Elle commença ainsi à immobiliser les hommes, remplissant de cris les bois. Rapidement, devant cette menace fantôme, les hommes reculèrent pour trouver un autre chemin. Un chemin qui n’existait pas. La bataille était gagnée.