23 Avril de l’An 1987 de l’Âge d’Acier

Slenlodwiin faisait en général trois choses de sa longue existence, voyager, œuvrer pour le bien être de la communauté dont il était le protecteur, et entretenir son jardin. Un jardin qui était imposant, non pas forcément en taille, car il n’était pas étalé sur plus de plusieurs hectares, mais par la hauteur et grandeur des plants qui s’y trouvaient…

Des plants de fruits et légumes d’une taille gigantesque, bien plus grand que des arbres ordinaires et qui donnaient des fruits ou légumes justement, de la taille de bœufs, voir de petites cabanes selon les plantes… En somme, rien de prévu pour la consommation d’atamas ordinaires, c’était bien trop grand et probablement pas assez rentable à produire, mais idéal pour un dragon végétarien comme lui… Une excentricité, qui l’avait obligé à devoir s’adapter sur certains points.

Un dragon qui était donc occupé à entretenir son jardin alors qu’il devait prochainement recevoir un invité, ce en labourant la terre de ses griffes et en plantant quelques graines, d’une taille assez surdimensionnée, avec une attention fine et une gestuelle exercée. Ce en usant des fois d’incantation pour aider le processus…

Et Slenlodwiin interromprait calmement son travail, lorsqu’il sentirait son invité arrivé, un invité qui arrivera dans l’imposant jardin et en vue de l’imposant dragon, qui dira alors en se retournant d’un mouvement gracieux, mais impressionnant au vu de sa masse et immensité.

« Bienvenu à toi jeune âme, l’on m’a dit que tu désirais une entrevue avec le protecteur d’Assana, approche et assied toi, si tu le désires, il y a des troncs et pierres pour cela. » Ce d’un ton reptilien et grave puissant mais doux qui se voulait bienveillant, ce alors que le dragon se coucha légèrement sur le côté, en posture calme et d’attente… Ceci fait il laisserait le bipède approcher et sans doute, sauf s’il était trop intimidé, lancer la conversation et aborder la raison de cette entrevue ?

Quand Valhramir avait demandé la veille à deux jeunes hommes dans une taverne, d'apparence sympathique, à qui s'adresser pour une entrevue à propos d'un projet qui pouvait concerner de près ou de loin la ville d'Assana, il ne s'attendait pas à ce que ces derniers le guident eux-mêmes jusqu'au château, où il put demander directement une audience auprès d'un membre du conseil. Il ne s'attendait pas plus à recevoir dans la journée même une missive le conviant à rencontrer le Protecteur Slenlodwiin le lendemain, et moins encore à ce que la rencontre se tienne dans le jardin du concerné, et non dans une salle quelconque du château.

Il en savait très peu sur ce Slenlodwiin, si ce n'est que, d'après les deux jeunes hommes serviables rencontrés la veille, il était sage, bienveillant, et que le bien-être et la sécurité d'Assana lui tenait grandement à cœur. Il n'en savait pas plus sur ce jardin non plus, et à vrai dire, il n'était même pas certain d'y arriver. Après tout, on lui avait simplement montré un sentier à suivre, avant de lui dire, avec un petit sourire entendu, qu'il ne pourrait pas le manquer quand il en approcherait. Pourtant, un jardin dans une végétation aussi dense que celle des forêts Eïrniennes n'était pas la chose la plus flagrante qui lui venait à l'esprit.

Après quelques minutes à suivre le chemin avec sa perplexité comme seule compagnie, les indications qu'il avait reçues prirent soudain tout leur sens. Entre les arbres devant lui apparurent diverses plantes portant fruits et légumes… qui dépassaient les plus hautes cimes des arbres environnants. Tout dans ce jardin semblait colossal... Quel genre de personne pouvait s'occuper de plantes d'une telle taille ?

La curiosité ayant remplacé sa perplexité, Valhramir entra dans le jardin en prenant soin de déposer son marteau à l'entrée, en signe de politesse. Il progressa entre les végétaux tous plus grands les uns que les autres, en cherchant son hôte des yeux, mais une question s'imposait dans son esprit : Pourquoi ? A quoi pouvait bien servir des pommes de quelques quintaux ?

Il eut bien assez tôt la réponse à ses deux dernières questions. Labourant la terre de ses immenses griffes, à une dizaine de mètres derrière la frondaison des plantes de ce qui devait être son jardin et garde-manger, un imposant dragon se trouvait là.

Le forgeron était décontenancé : il avait déjà aperçu une fois ou deux des dragons haut dans le ciel, mais jamais au sol, et jamais aussi proche. Il n'imaginait par ailleurs pas une seule seconde qu'une telle créature se nourrisse de fruits et de légumes. Mais surtout, parmi toutes les idées folles qui avaient à un instant ou un autre traversé son esprit, jamais celle que le Protecteur d'Assana lui-même, avec qui il avait une audience, en serait un. Bien qu'il imaginait que la nature de Slenlodwiin était de notoriété publique pour les habitants d'Assana, il avait bien hâte de retrouver les deux gamins pour les enguirlander de ne pas l'avoir prévenu de la rencontre qu'il s'apprêtait à faire.

Quand, d'une voix profonde mais accueillant, le dragon l'invita à s'asseoir, il obtempéra en bafouillant quelque peu :
- « Je, euh... Merci, Protecteur. Vous avez un bien joli jardin, quoiqu'un peu... singulier ? ».

Il prit quelques secondes pour retrouver une constitution digne de ce nom, avant de reprendre la parole d'un ton bien plus posé :
- « En effet, il y a bien une chose dont j'aimerais vous parler. Je vais épargner votre temps, et ne pas y aller par quatre chemins : quels sont les rapports entre Teïder et Assana ? Votre nature est déjà un début de réponse en soi, mais y a-t-il un quelconque lien entre Assana, ou sa population, et ce royaume ? Ou est-ce-que des hommes de Teïder s'aventurent dans ces forêts ?».

Avant toute chose, il devait s'assurer que ni la ville, ni son protecteur ou son conseil, n'entretenait la moindre relation avec le royaume de Teïder. Le fait qu'il s'adressait alors à un dragon ôtait déjà une grande partie du doute dans son esprit, car il ne concevait pas que qui que ce soit d'autre qu'un humain veuille coopérer avec un tel régime, mais il préférait être franc et direct avec le Protecteur. Personne n'était mieux placé que lui pour savoir si un individu haut placé de sa propre cité fricotait avec Teïder, et un dragon avait toutes les raisons du monde d'être presque aussi hostile que Valhramir à ce maudit royaume.

Même s’il était myope et donc distinguait mal certaines choses, Slenlodwiin sentit bel et bien la surprise de son interlocuteur, humain de par son odeur. Ne serait-ce qu’au temps d’arrêt qu’il sembla marquer. Puis à son bafouillement quant après avoir obtempéré à son invitation, il entreprit de répondre aux propos du dragon.

Ce dernier amusé que l’autre parle d’abord de son jardin, ce qui n’était pas systématique quand quelqu’un le découvrait, mais fréquent tout de même, glissera avec un doux amusement.

« Il faut bien de la nourriture à ma taille pour me nourrir. Surtout quand on préfère se sustenter ainsi. » Une manière de sous-entendre que c’était pour son régime alimentaire et une façon de susciter la curiosité, ce sans aborder le sujet non plus. Après tout, son vis à vis avait peut-être des demandes assez pressantes à faire ?

Et ce dernier posa donc une question qui fit esquisser ce qui pouvait légèrement ressembler à un rictus amusé au vieux dragon, qui se disait que le tout prenait un virage assez intéressant et inattendu. Cela et que visiblement la jeune âme lui faisant face était du genre directe, ce qui était tout à son honneur en soit.

« Oh, en tout cas je sais maintenant que vous n’êtes guère ami avec Teïder et probablement pas juste un simple voyageur. » Puis reprenant vraiment son sérieux, il ajouterait simplement. « Assana n’entretient aucun lien avec Teïder, une partie de la population humaine de la cité descend certes d’anciens réfugiés Teïderiens, mais cela remonte à fort longtemps et concerne une bonne partie d’Orzian… Quant aux voyageurs, je ne peux pas tout savoir sur eux, mais je vous garantis que les loyalistes de Teïder n’ont pas leur place ici. De plus, il y a bien trop d’êtres qu’ils jugeraient hérétiques vivants ici pour pouvoir cohabiter avec eux. » Après tout Assana était sans doute l’une des rares communautés d’Eïrn où les races se mélangeaient grandement… Sur ce, le dragon ajouterait pensif.

« En tout cas vous n’avez aucun ennemi par ici, quant au reste... Je sais que des fois des petites groupes de chasseurs Teïderiens discrets, ou cachant leur allégeance errent à Eïrn pour capturer des bêtes, donc tâchez de ne pas révéler votre éventuelle loyauté au tout venant même si les chances de tomber sur eux sont très faibles. » Une simple mesure de précaution en somme.

« J’espère vous avoir rassurés au moins un peu, et suis curieux du reste de votre demande mon enfant. »