Yakou avançait sur la route avec sa nonchalance habituelle. Digne monture dont le caractère s’accordait aisément avec celui de son maître, sa démarche lente ne lui permettait pas d’avancer plus vite, mais de contempler en toute tranquillité le paysage. Tant de choses nouvelles défilaient sous ses yeux qu’il ne savait pas où en donner de la tête. La traversée des contrées sauvages n’avait pas été sans mésaventures, mais elle avait été tout aussi riche en découvertes. Depuis longtemps maintenant, il avait parcouru des terres inconnues, était allé plus loin qu’il n’avait jamais été.
Il avait pris son temps, s’était attardé dans la contemplation d’un marais et d’une forêt. Il avait conservé feuilles, fleurs et diverses plantes pour son herbier. Il avait dessiné aussi et entamé un journal de voyage qui retraçait les plus petits morceaux de son parcours et de nombreux détails. C’était étrange de voir le monde sans une épaisse couche de neige pour tout enrober, tout transformer. Tout s’érigeait sous un jour nouveau.

D’après ses dernières informations, il était censé entrer à tout moment dans la république d’Eïrn, un chemin qu’on lui avait recommandé pour poursuivre ses recherches.

Le bruit d’un battement d’ailes vint le distraire de ses réflexions.

« Regarde Yakou, un oiseau géant ! » s’exclama-t-il à l’intention de sa monture. Le rhinocéros se contenta de pousser un grognement. « Oh ! V’la qu’y vient vers nous. » renchérit-il, enthousiaste à l’idée de pouvoir détailler les écailles et les plumes de ce dragon bien plus massif que lui.

Yakou s’arrêta à bonne distance, naturellement méfiant de ceux qu’il ne connaissait pas. Quand l’individu vint s’adresser à Goro, celui-ci resta un instant perplexe.

« Pour… fuir… » répéta-t-il, perdu dans ses pensées. Il tourna le pouce de son énorme main dans sa direction. « Qui ça ? Moi ? » demanda-t-il comme s’il y avait quelqu’un d’autre qui aurait pu être concerné par cette drôle d’interpellation.

Il éclata d’un rire tonitruant.

« J’ai rien fui du tout m’sieur l’dragon… ou madame ? » Il pencha la tête pour cerner son interlocuteur. Était-ce un messager de paix ou de guerre ? Il n’avait pas l’air hostile, mais tout pouvait changer très vite, il était bien placé pour le savoir.

« Qu’est-ce qu’vous m’voulez au juste ? » demanda-t-il, pas du genre à tourner autour du pot.

Goro talonna sa monture pour se rapprocher de son interlocuteur. L’enchantement qui avait été placé sur la selle était bien pratique, car il n’avait jamais su progresser suffisamment en équitation pour se faire parfaitement comprendre sans cet artifice. Les chutes n’étaient plus qu’un lointain souvenir maintenant. Yakou lui permettait de voyager à sa guise un peu plus facilement que s’il avait été à pied et ici, il avait encore bien du chemin à parcourir.

Il voulait surtout observer avec plus de précision le grand dragon bleu. Ce n’était pas chose courante tout de même et qui pouvait dire si une autre occasion viendrait à se présenter ? Sans doute fallait-il faire un peu durer la conversation pour que sa curiosité puisse y trouver son compte.

« De l’aide ? » Sa main vint gratter sa tête comme s’il cherchait à comprendre d’où pouvait bien lui venir cette drôle d’idée.

Il y avait les écailles et il y avait les plumes. Un bleu comme la nuit pour les unes, un bleu comme un ciel clair pour les autres. Les écailles luisaient à la lumière, comme des pierres précieuses. Les plumes virevoltaient au gré des caprices du vent. Goro se demandait s’il y avait moyen d’en récupérer – pour sa collection.
Ç’aurait fait un beau trophée de chasse. Ça, pour sûr, avec sa tribu, ils n’auraient pas attendu pour l’orienter dans une embuscade, même si cela représentait un sacré défi. Malgré le danger et sans peur, les siens étaient prêts à tout quand il s’agissait de chez eux.
Mais il n’était plus dans le nord glacé et sa tribu n’était pas là.

Lui, ça ne lui déplaisait pas de converser un peu avant d’envisager toute autre éventualité. Et voilà que celui-ci lui proposait de lui tenir compagnie, sans même qu’il n’ait à réclamer quoi que ce soit. Une aubaine ; bien qu’il n’y trouvât pas d’explication.

« Oh ben v’la qu’c’est ben aimable m’sieur l’dragon. J’s’rais pas contre un peu d’compagnie moi non plus. » répondit-il au bout d’un moment. « C’quoi ton nom ? Moi c’est Goro ! » déclara-t-il fièrement.

Il fit avancer Yakou pour reprendre la route. « Eh ben, j’vais par là, ça ira ? » dit-il en indiquant le chemin du doigt. « J’visite. Y paraît qu’c’est sacrément grand l’sud. »

« Slenlo-dw-dj… euh…. Slen ça ira ? C’est qu’l’est ben compliqué ton nom et moi j’ai d’jà pas bien l’habitude d’parler c’patois. »

Pour sûr, l’orc n’était pas près de retenir le nom complet du majestueux énergumène. Qu’est-ce qui avait bien pu passer par la tête de sa mère pour lui donner un nom aussi compliqué ? Avec les orcs, il fallait que ce soit simple et qu’on puisse appeler rapidement quelqu’un, pas avoir l’impression de devoir énumérer l’alphabet au complet.

« T’en fais pas ! » annonça-t-il en dégainant sa boussole magique. « J’risque pô bien d’me perdre. Puis l’danger ça m’connaît. J’suis pas un fou, mais j’sais bien survivre. »

C’était peut-être étonnant de voir un orc seul et il était certainement une proie plus facile ainsi, mais il avait quand même l’habitude de voyager seul et il ne serait pas à sa première embuscade. La vie n’était pas de tout repos et les gens n’étaient pas toujours pacifistes, lui-même devait bien parfois en arriver à des extrémités radicales. Mais bon, est-ce que ça allait le retenir ? Absolument pas ! Il avait envie de découvrir plein de nouveaux coins et il le ferait !


« Rolala t’en connais un rayon. » déclara-t-il en sifflant après l’avoir écouté en hochant régulièrement la tête. « M’v’là bien en veine. » se réjouit-il à voix haute alors qu’il comprenait que le dragon avait l’air très désireux de lui partager son savoir. « T’vas pouvoir m’expliquer plein d’trucs alors, comme un guide ? »

En parlant de guide, le dragon lui avait justement parlé d’une tribu orc non loin d’ici. « Ça s’rait sympa d’trouver d’autres orcs c’sûr, mais moi j’aime bien la compagnie d’tout le monde tant qu’c’est pas d’la castagne c’sympa d’discuter. Puis si y a la castagne, y a c’ui là pour les r’cevoir. » ricana-t-il en pointant le gourdin sagement rangé dans son dos. Il n’était pas féru des combats mais bon, si on le cherchait et qu’on mettait sa vie en danger, il n’allait pas se faire gentiment écraser. La fuite n’était pas forcément la première de ses options.

« Mais toi, t’vas où ? J’te rallonge pas l’voyage au moins j’espère ? » Il s’esclaffa. « Eh ! J’s’rai trop curieux d’voir la tête de ceux qu’vont nous croiser. Ça va être marrant. »