22 julius de l’An 2001 de l’Âge d’Acier
Le climat estival d’Eïrn était incroyablement doux compte tenu de sa proximité avec les terres sauvages du nord mais, peu importait la température qui régnait au sol, celle dans les hauteurs dégringolait à mesure que l’altitude, elle, grimpait.
Enroulé dans son épaisse cape de voyage, le nez fourré dans la fourrure de la cape qu’il avait relevée afin de couvrir ses cheveux et ses oreilles pointues. Il allait finir par investir sur des cache-oreilles. Ou se laisser pousser les cheveux. Peut-être même les deux, songea-t-il en abandonnant toute prétention pour fourrer ses mains gelées sous ses aisselles dans l’espoir d’en réchauffer les doigts gourds.
Sous lui, Lin volait avec la plus grande indolence, fournissant très peu d’effort pour se maintenir à la même altitude, ses grandes ailes déployées large, captant le moindre courant d’air chaud pour s’élever paresseusement dans les airs. Quelques oiseaux malchanceux - et pas bien malins - achevèrent leur courte vie entre ses mâchoires tandis qu’elle avalait les distances, le paysage défilant sous eux.
Contrairement aux avertissements qu’on lui avait fournis, peu de prédateurs se risquèrent à l’approcher, l’odeur forte de la drake décourageant même le plus hardi d’entre eux. Même si, au loin, l’elfe entrevit l’ombre d’un éventuel problème mais pour l’heure le chasseur ailé s’était tenu à distance. C’était donc, sommes toutes, un trajet plutôt calme pour ne pas dire quelque peu ennuyeux, sans compter que le soir approchait et que si les températures en altitude étaient basses de jour, Kieran n’était pas équipé pour affronter celles de nuit.
Lorsque le soleil se révéla particulièrement bas à l’horizon, Kieran était sur le point d’utiliser les rênes pour orienter Lin lorsqu’une idée lui traversa l’esprit. Ce n’était pas la première fois mais après des heures passées le cul vissé sur sa selle, l’attrait était indéniable.
Prenant appui des deux mains sur le cuir travaillé de la selle, l’elfe regroupa ses pieds sous lui et se redressa. Le vent le happa instantanément, manquant de lui faire perdre l’équilibre. Si un élan de peur, vif comme l’éclair, lui perça le ventre, c’est avec un sourire de sale gosse qu’il poursuivit son idiotie.
En équilibre précaire, il remonta le long cou orné de piquants de la drake. Il sentit les écailles de Lin frissonner sous ses pieds, les muscles se contractant brièvement sur son passage, supportant son poids sans la moindre difficulté. Son vol se fit d’autant plus stable, s’adaptant à la stupidité de son passager comme elle commençait à avoir l’habitude de le faire. Il parvint jusqu’à sa grosse tête cornue et se laissa tomber à quatre pattes, se cramponnant à l’un de ses piquants, ivre d'exaltation, un large sourire ourlant ses lèvres bleuies par le froid.
«
On va pouvoir descendre ma belle, » lança-t-il, assez fort pour couvrir le sifflement du vent.
Le grondement suivi d’un souffle provenant des profondeurs du large poitrail de la drake lui répondit. Il croisa l’iris d’un bleu stupéfiant de Merilin et le sourire de l’elfe s’accrût sensiblement, trop content de sa bêtise, survolant encore les vents tumultueux de l’excitation.
La drake orienta son corps, sa queue équilibrant son changement de direction. Kieran se redressa, éclatant d’un rire exalté lorsque la drake protesta d’un grondement peu amène, et reprit le chemin de la selle. Ce fut à la fois plus facile et plus difficile que la première fois. Enhardi par sa réussite initiale, il se montra néanmoins prudent jusqu’à enfin pouvoir reposer ses fesses sur le cuir traité de la selle, les jambes tremblantes et comme garnies de coton.
Ils approchaient du sol lorsque la drake survola un campement niché à proximité d’une forêt, juste derrière le coude d’une route qui n’en méritait qu’à peine le nom. Un vent de panique souffla momentanément sur le campement en cours de construction, des petites silhouettes, pareilles à de fourmies, courant soudain à la recherche d’armes ou d’abri et Kieran rit. La taille de Merilin rendait toute manœuvre aérienne compliquée à initier par le biais de commandes physiques, tenter de la faire changer de direction d’une pression des jambes s’apparentait à essayer de presser un rocher. C’était peut-être le seul regret qu’il pouvait avoir mais il avait appris à compenser.
Se penchant légèrement en avant, se ramassant presque sur la naissance de la nuque de Merilin, l’elfe entreprit de tapoter un rythme particulier sur le piquant situé juste devant lui, se servant de ses ongles pour en accentuer les vibrations. Elles étaient mineures, ces vibrations, mais elles se répercutaient infiniment mieux que s’il se servait des écailles, trop petites et connectées entre elles.
Ils avaient dépassé le campement depuis un petit moment lorsque la drake vira sur l’aile, décrivant un majestueux arc de cercle pour revenir en direction des tentes et des feux de camp. Les cris lui parvinrent et Kieran éclata de rire avant de reprendre un bref rythme sur le piquant osseux et Merilin se posa à une centaine de mètres du campement, de profil par rapport au campement, gardant sa large et menaçante gueule opposé au rassemblement de bipèdes pour les rassurer.
Personne n’approcha et l’amusement de l’elfe ne fit que s’accroître. Avec un peu de chance, ils ne lui en tiendraient pas rigueur et le laisseraient passer la nuit avec eux. La protection liée à la présence d’une drake était généralement appréciée, si la présence de la créature elle-même n’était pas le problème initial.
***
Assis sur le dos de Merilin, celle-ci se déplaçant de façon entièrement terrestre à proximité de la procession de chariots, Kieran ronchonnait. Les jambes croisées en tailleur, une petite table d’écriture de transport en travers de ses genoux, un papier étalé dessus et couvert de ratures et de tâches d’encre, l’elfe plissait le nez, les lèvres plissées en une expression boudeuse. La magie d’invocation était incroyablement pratique pour récupérer tout ce dont il avait besoin pour rédiger une lettre mais ne l’aidait en rien pour la composer.
Et pour cause, la raison de sa difficulté se trouvait plusieurs chariots devant lui et somnolait paisiblement. Le seul souvenir de sa silhouette paisible suffisait à enflammer les joues du jeune elfe, attisant son irritation. L’autre sujet, la raison de sa lettre, se déplaçait à proximité également, rien de visible ne semblant troubler sa démarche et il s’agissait là d’une couche supplémentaire d’agacement.
Grommelant tout bas, Kieran fourra le papier taché dans une de ses poches et s’empara d’une nouvelle feuille de papier, conscient qu’il était en train de gâcher-là une sacré quantité de monnaie. Furieux, il reprit l’écriture et parvint, cette fois, à rédiger un texte correct, cohérent et complet.
Aussi satisfait qu’il pouvait l’être compte tenu des circonstances, Kieran glissa au sol avec l’aide de Merilin et trotta jusqu’au chariot où se trouvait l’objet de toutes ses pensées. Tendu comme un arc, le jeune elfe approcha à grands pas du chariot et serra les dents en apercevant la forme assoupie de l’autre elfe. Il carra les épaules et tenta d’assurer sa démarche. A l’avant du chariot, le conducteur de droite attira l’attention de son compatriote d’un coup de coude avant de pointer le jeune elfe d’un geste du menton et Kieran sentit son humeur s’assombrir encore un peu.
Ce n’était, après tout, pas la première fois qu’il tentait une approche. La première fois, on l’avait dirigé vers la forme endormie avec un petit sourire et il s’était approché sans arrière-pensée mais la beauté languide de l’elfe l’avait stoppé aussi sûrement qu’un mur de briques. Son inquiétude et empressement à s’entretenir avec l’elfe s’étaient transformés en soudain besoin de lui apporter quelque chose de joli, alors Kieran s’était éloigné et était revenu avec une jolie fleur mais sa nouvelle tentative d’approche s'était à nouveau soldée par un échec. Sa détermination, flamboyante, avait fini par l’amener suffisamment proche pour que l’envie de couvrir le jeune homme assoupi de fleurs et de jolis cailloux se transforme en quelque chose d’encore plus inattendu et l’irritation venait de trouver son point de départ.
Kieran n’était pas familier avec l’attraction physique, se contentant de traverser ces trucs là avec désintérêt et distraction, peu concerné. Aussi, le soudain besoin de
toucher l’avait désarçonné. La beauté, il pouvait faire avec et s’en accoutumer, mais le désir qui s’était soudain joint à la contemplation le jetait dans un inconnu qu’il n’était pas sûr de vouloir découvrir. Ses élans aventureux semblaient approcher leurs limites lorsqu’ils fricotaient avec la barrière de l’attraction physique et ce qui en découlait.
Aussi, l’hilarité et l’amusement qu’il pouvait deviner sur les visages des deux conducteurs étaient-ils compréhensibles même s’il considérait la situation avec peu d’aménité. La crainte révérencieuse que Merilin avait suscité au début s’était rapidement évanouie devant l’incapacité de Kieran à approcher un “simple gars”.
Déterminé à parvenir à ses fins cette fois-ci, Kieran conserva un bon pas, régulier, suscitant une brève surprise chez les deux hommes à l’avant du chariot. Mais sa détermination chancela lorsque son regard tomba sur le profil racé de l’elfe et Kieran en aurait pleuré de frustration. Toute sa ardeur se mollifia jusqu’à ce que de la guimauve ne se loge dans ses genoux, rendant son pas infiniment plus incertain. Conscient de la chaleur qui lui enflammait les joues, le regard de Kieran se fit fuyant tandis qu’il parvenait - malgré tout - à toujours mettre un pied devant l’autre sans se laisser distancer par le chariot. Son estomac semblait occupé à faire des pirouettes, presque semblable à ce qu’il ressentait lorsqu’il virevoltait avec Merilin tout en étant fondamentalement différent.
Il s’apprêtait à déposer sa lettre tout en conservant une distance respectueuse avec le dormeur lorsque le chariot effectua un léger détour et, soudain, la roue se prit dans un cahot et fit une embardée peu gracieuse, secouant son passager. Surpris, Kieran croisa les regards hilares des deux conducteurs et les pouces levés de l’un d’eux et l’elfe sentit l’intégralité de son visage s’enflammer.
Avec un peu de chance, le passager était un gros dormeur et, sûrement, ce cahot ne l’avait pas totalement réveillé. N’est-ce pas ?