24 Mars de l’An 2001

La petite fiole était presque transparente, d’une très légère couleur violette lorsqu’on la tenait devant le soleil, sa faible contenance était le problème principal qui inquiétait le Professeur. En en dévissant le bouchon il la porta devant la base des pétales d’écorce de son visage pour que l’odeur du distillat passe en dessous et remonte jusqu’à ses narines. Le liquide issu des énormes alambiques de l’alchimiste en face de lui sentait plus fort la lavande que tout ce qu'il avait pu imaginer, satisfait il passa un doigt dans le goulot et toucha du bout de son auriculaire la surface du liquide pour en déposer une goûte sur sa langue. C’était presque imperceptible mais le produit était effectivement très finement alcoolisé.

“La qualité du produit est à la hauteur de mes attentes, toutes mes félicitations M.Abiven” Il reboucha la précieuse fiole en la reposant sur la table pour sortir sa bourse et verser l’autre moitié du paiement. ”C’est la quantité qui me surprends, je pensais en vous fournissant un ballot complet de lavande repartir avec au moins une bouteille standard."

Le nain qui le regardait à travers son monocle teinté lui répondit âprement d’un ton offusqué:
”Avec tout le respect que je vous dois, la lavande ça sent déjà très peu, et la distillation de fleur ça n’alcoolise presque pas l’huile produite. Alors si vous vouliez une bouteille entière, c’est un cargo de lavande qu’il fallait livrer. Ca là c’est distillé déjà cinq fois et pour que ça sente comme ça c’est un concentré de chez concentré, plus concentré que ça vous faites une percée scientifique en la buvant!”

Plus tard dans la journée, de retour dans ses appartements à l’École, Beldurande était nu, assis dans sa baignoire vide avec un couteau dans la main et l’autre bras tendu devant lui, son secrétaire Himir en face de lui accroupi dans la baignoire portait un tablier et tenait un entonnoir relié à une bouteille en cristal, sur la table non loin de là était la corbeille de grenades que le Professeur avait soigneusement avalé quelques minutes auparavant et des rouleaux de bandages propres: ”Bon, j’y vais, tu ne laisse rien tomber hein.”
”Ce serait dommage de gâcher.” répondit Kiraman en se moquant de son ami.

15 Mars de l’An 2001

Beldurande attendait debout patiemment l’arrivée de Dame Cassetti sur le parvis de l’École des Visionnaires. Ils avaient fait fermer l’École exceptionnellement ce jour ci en vue de sa venue pour plusieurs raisons, il voulait déjà éviter un écart accidentel d’un élève en sa présence puisque l’esprit famille de l’école n’était guère approprié à ce qu’il s’imaginait de son invitée, la deuxième raison était pour conserver le secret de la demande particulière qu’il comptait adresser à Cécilia.

Derrière lui les trois autres employés de l’École se tenaient droit et en rang sur des marches à hauteur différentes, à quelques minutes de l’heure d’arrivée convenue dans la lettre d’invitation que le directeur avait envoyé à la demeure Cassetti. Le ciel du printemps naissant était dégagé et en regardant en l’air le soleil couchant Beldurande vacilla légèrement sous la fatigue, Oïnsha se précipita sur lui pour l’empêcher de tomber mais le Professeur se reprit, lui assurant que tout allait bien avec un sourir calme, ce n’était qu’une petite chute de tension. Pour ne pas risquer de tomber dans les pommes il devait rester concentré, il se repassa dans sa tête le plan de la soirée: ils allaient inviter Cécilia à monter dans le salon des invités, discuter et faire un peu connaissance, puis ils visiteraient le Hall de la Mémoire et le premier étage pour détailler les commandes de peintures avant de…

… de… euh…

… La sensation de brûlure dans les veines de son bras le gênait un peu pendant cette phase d’inaction, cet après-midi Beldurande avait avalé la fiole de distillat de lavande de M.Abiven et quelques heures après il avait défait ses bandages et rouvert une partie de sa blessure au bras pour couler un verre de sang frais qui attendait maintenant patiemment sur la petite table du salon et un deuxième verre posé dans l’argentier. Il avait clairement versé moins de sang qu’il y a deux jours mais il se sentait tout de même légèrement dans les vapes. Il fut tiré de ses rêveries par le martellement des sabots signalant l’arrivée de la calèche de Dame Cassetti. Tous se redressèrent et attendirent que la voiture arrive à leur hauteur, retenant leur souffle en anticipant la rencontre.

Cécilia voyageait beaucoup et pour de nombreuses raisons différentes, dame aux multiples passions dans lesquelles elle excellait au point d’en vivre, elle perdurait littéralement du mécénat des riches et puissants de toutes sortes dans les Duchés. Faisant que quand elle terminait un projet ou certaines choses, elle partait souvent ailleurs ensuite et en profitait évidemment au passage pour vivre la belle vie et savourer ce que la société duchéenne avait à ouvrir à ses enfants les plus prometteurs.

Et elle travaillait pour un peu tout le monde selon les occasions et les besoins. Certains voulaient profiter de l’expertise d’une guérisseuse de grands talents, d’autres des services d’une nécromante compétente, d’une artiste excellente ou d’une alchimiste érudite… Autant dire qu’elle avait une large variété de clients et tendance à varier les activités aussi, ce qui évitait de se lasser trop rapidement.

Et aujourd’hui, c’était à Liomaida qu'elle se rendait, guère la première fois qu’elle allait dans cette cité comme dans bien d’autres, mais elle l’aimait bien comme elle aimait d’autres, pour ses propes particularités et son ambiance, ces petites choses qu’avait chaque cité ou localité duchéenne, la rendant unique à sa façon… Mais bon elle n’était pas allée, pas uniquement du moins, pour profiter des lieux, ses services avaient été sollicitées, notamment par un directeur d’une petite académie prometteuse.

Elle était donc arrivée en ville en navire, moyen de transport rapide, puis accompagnée de ses deux éternels et fidèles suivants, son frère Nomin et sa fidèle Tia, tout deux armurés complètement, pour que personne ne remarque du premier regard leur nature mort vivante… Elle était montée dans une calèche qu’un amie à elle avait fait louer et se rendit vers cette fameuse académie.

Ainsi une fois la dite calèche arrivée devant l’entrée de l’académie, on verrait descendre de celle-ci la dame vampirique, de haute taille, vêtue d’une robe de couleur sombres de style duchéen et ample qui lui allait à ravir, accompagnée…

De ses habituels suivants, qui descendirent de la calèche juste après elles et ne manquaient pas aussi d’une certaine élégance, ils ne faisaient pas d’ombre à la dame, mais on sentait bien que c’était ses gardes du corps personnels. Et quiconque s’était un peu renseigné sur elles savaient qu’ils la suivaient depuis longtemps, dont l’un depuis plus d’un millénaire, autant dire qu’ils étaient un peu ses ombres. Deux ombres en armure lourdes, mais bon c’était sans doute plus intimidant, en plus de cacher leur nature de morts vivants...

« Une essence de terre ? Intéressant. Il faudrait que nous allions un jour à nouveau dans le plan élémentaire de la terre ma sœur, c’était fort amusant. » Lui glissera alors Nomin, alors que Cécilia prenait quelque instants pour contempler les lieux. « Sans doute, nous y retournerons ne t’inquiète pas. » Glissera alors sa sœur amusée, puis ceci dit elle se rendait d’un pas calme et plutôt gracieux en direction du directeur et de ses employés…

Pour s’arrêter à une distance respectueuse de, cinquante centimètres, ce qui dans certaines coutumes duchéennes signifiait une attitude neutre et polie envers l’interlocuteur, tout le monde ne suivait pas forcément cette coutume, mais… Disons que Cécilia visiblement allait le faire. Elle saluera alors respectueusement son interlocuteur, avant de dire amène.

« Merci à vous pour votre invitation monsieur d’Elusie. J’ose espérer que vous ne m’avez pas attendus trop longtemps, car même si je suis venue à l’heure, je suppose que rester debout ainsi peut être fatiguant. » Achèvera t-elle donc de dire avec un peu d’humour, Tia et Nomin l’imitèrent alors dans leur salut, quoique Tia se contenta de celui d’une mercenaire standard et Cécilia glisserait amusée.

« Si ça ne vous dérange pas, ils garderont leur armure, tout le monde n’est pas forcément à l’aise, même en cette terre de tolérance, avec certaines choses. » Elle n’allait pas cacher que c’était des ombres après tout, elle était nécromante blanche et il arrivait que des nécromants aient ce genre de suivants consentants et conscients avec eux. Des suivants, d’une fiabilité d’autant plus absolue que le nécromant avec qui ils avaient un contrat, leur garantissait l’immortalité à peu près.









Suivants :

Spoiler:

La présence des deux gardes du corps ne le surprenait pas, l’École avait aussi pour habitude d’héberger et d’organiser des conférences et il n’était pas rare que les invités de marque viennent accompagnés de leur protection personnelle. Le sous-entendu sur leur nature ne le dérangea pas non plus, le Professeur avait bien fait ses devoirs et il était déjà au courant des gardiens d’outre-tombe qui suivaient inlassablement leur exquise maîtresse. Après avoir retourné les formalités à Dame Cassetti, il lui répondit tout en l’invitant à l’intérieur du bâtiment:

”Ne vous inquiétez pas ma Dame, avez vous fait bonne route? Quant à vos amis, ils sont eux aussi la bienvenue en ces murs. L’École n’est pas ouverte aujourd’hui nous y serons donc à huis-clos. Nous avons du temps devant nous mais je suppose que d’abord des rafraîchissements à l’étage vous aideront à prendre vos aise? Nous nous sommes procurés un sang qui je l’espère sera à votre convenance.”

Ils rentrèrent à l’intérieur du grand Hall Principal vide, seul les quatre larges colonnes de soutien peuplaient cet endroit où on pouvait d’habitude toujours trouver quelqu’un, que ce soit Oïnsha derrière son bureau, des élèves ou des clients et autres visiteurs. Sur chaque pilier était inscrit une des quatres valeurs clés de l’École: ‘Gestion’, ‘Finance’, ‘Philosophie’, Patience’. Oïnsha et Herii restèrent dans le Hall tandis qu’Himir, Dame Cassetti et ses deux suivants et le Professeur prirent le couloir de gauche labellisé ‘Privé’ pour monter à l’étage et rejoindre le Salon des Invités.

Sur le chemin Beldurande détailla un peu plus à son invité la raison de sa lettre:

”Dame Cassetti je suis honoré non seulement d’enfin faire votre rencontre, mais aussi que vous ayez répondu favorablement à mon invitation! J’ai en effet moultement entendu les éloges de vos divers arts et aujourd’hui c’est pour vos talents d’artiste peintre que je vous quémande.” Il ouvrit la porte du Salon et invita le petit comité à prendre place à l’intérieur. ”Cependant il ne s’agit pas de n’importe quelle peinture, elles auraient un but utilitaire et nécessiteraient donc une intervention magique en plus d’être d’une qualité admirable.”

Une fois tout le monde à l’intérieur, Beldurande referma lui-même la porte. Le Salon ne comptant que quatre fauteuils, Himir avait pris soin de se poster près de l’argentier en restant debout tandis que le Professeur prenait place dans l’un d’entre eux.
Le Salon des Invités était une pièce soignée, tapissée d’une fine laine pourpre brodée et meublée avec quelques fauteuils grenats rembourrés, une table basse et une commode posée sur un grand tapis central, et un argentier au mur. Le mur du fond de la pièce était constitués de paravents qui cachaient le bureau et la chambre qui se situaient derrière. Sur la petite table basse était déposé un plateau chargé avec deux verres, l’un d’entre eux contenant le sang de l’essence parfumé à la lavande et l’autre un vieux bourbon dont le Professeur était friand. Himir avait récupéré son propre verre de vin avant de se poster à côté d’eux. Habituellement le Secrétaire aurait prit soin d’ajouter des amuses bouches et des biscuits mais pour réceptionner un vampire, c’était l’équivalent d’une mauvaise blague.

Le Professeur laissa tranquillement Dame Cassetti s’installer avant de prendre son verre dans la main, il se pencha vers elle en avançant celui-ci pour trinquer et dit:

”Aujourd'hui, vous êtes la Ô Dame de Fortune, à vous.”

Cécilia qui s’était évidemment attendue à ce que la présence de ses gardes du corps ne pose pas problème, sauf si son interlocuteur était du genre paranoïaque ou à vouloir que ses invités n’aient pas de présence armée à leur côté. Ne fut donc pas étonnée que cela ne pose pas de problème et suivrait volontiers d’un pas élégant son curieux interlocuteur, car même si elle était loin d’en être à sa première essence de terre, elle n’en croisait pas non plus tous les jours.

« La route était bonne en effet, ou devrais-je plutôt dire la mer. Pour le reste, ça ne m’aurait pas dérangé de venir un jour où votre école était ouverte, mais au moins nous bénéficierons d’une certaine tranquillité. » Elle sourira alors avec amusement, avant de glisser. « Je n’ai rien contre un rafraîchissement, et même si je n’ai pas encore faim, il serait impoli de ma part de refuser. »

Sur ce, ils parcoururent donc l’école, elle en profita alors pour observer les lieux, qui en effet gagneraient à recevoir quelques petites décorations, mais bon on peut rarement ne plus parfaire en ce domaine, sauf quand vivait dans un palais ducal et encore… Et bien entendu, comme son interlocuteur lui tenait la conversation sur le chemin, dame Cécilia tâchait de son mieux d’honorer celle-ci.

« Si vous désirez profiter de mes talents de peintre, c’est tout à fait faisable, il faudra voir si vous préférez me laisser une certaine liberté à ce sujet, selon un sujet de votre choix et avec quelques détails auxquels vous tenez à voir dans la peinture, ou quelque chose de fort précis. Je ne vous cacherai pas que dans le second cas, ce sera plus cher. » Dirait-alors avec le léger sourire malin de l’artiste qui avançait ainsi qu’elle préférait évidemment qu’on laisse exprimer ses idées sans trop d’entraves. Ce avant de reprendre pensivement. « Pour l’enchantement de la peinture, ce n’est pas moi qui m’en occuperait, mais je m’assurerai qu’elle vous soit livrée prête à l’usage, selon ce que vous désirerez. »

Après tout, il arrivait des fois qu’on lui fasse ce genre de commandes, donc elle savait comment prendre contact avec les personnes compétentes, pour l’aider à achever un tel ouvrage.

Pour le reste, ils arrivèrent sinon au niveau d’un salon habilement décoré et meuble, pas forcément le summum du luxe que fréquentait Cécilia, mais au moins ça n’en faisait pas trop. Pas que des fois elle n’aimait pas le style du manoir de certains comtes ou ducs avec du marbre partout, des meubles en bois précieux, des tapis en tissus précieux et des tableaux et sculptures de grand prix, mais certains en faisait un peu trop… Là au moins ça ne faisait pas prétentieux à l’excès.

Ainsi, elle ne manquera pas de s’asseoir sur un fauteuil, puis de prendre un affichant un air amusé, le verre de sang, tout en glissant avec esprit.

« Espérons que la fortune vous sourie dans ce cas, à vous aussi. » Avant de boire une gorgée du verre de sang, littéralement comme quelqu’un boirait du vin, donc sans tout finir d’un coup, ce avant de reposer en affichant un air curieux.

« Hum, c’est particulier, d’habitude je ne discuterai pas avec un non enfant de la nuit des effluves sanguines, pour ne pas vous incommoder, mais j’ai le sentiment que vous avez voulu chercher quelque chose d’exotique, n’est-ce pas ? » Elle sourira avec amusement, puis conclura. « Le goût est appréciable, un peu étrange, mais dans le bon sens. Puis-je vous demander son origine ? Sauf si vous préférez rester mystérieux. » Certains préféreraient cela après tout...

Enfoncé dans son fauteuil, il se redressa pour répondre à l’artiste:

”Eh bien les oeuvres seront destinées à adorner le Hall de la Mémoire, c’est un espace de commémoration… et de deuil. Je compte bien vous laisser toute la liberté dont vous souhaitez pour votre processus créatif, cependant il y aura des contraintes à remplir, les peintures doivent accompagner et mettre en valeur les sculptures déjà présentes sur le lieu et quelque part dessus doivent figurer une zone de texte. Quelque chose comme un livre, un papier, un journal, un registre qui puisse contenir environ une trentaine de lignes de texte, et celui ci doit être discrètement inséré quelque part dans la scène. Pour le reste, c’est à vous, nous visiterons le lieu tout à l’heure pour que vous puissiez vous imprégner de l’ambiance de l’endroit et peut-être déjà commencer à réunir votre inspiration.” Le Professeur changea de position pour se mettre plus à l’aise, il était légèrement nerveux. ”Nous souhaitons renforcer notre sécurité en vue de récents… évènements. Les enchantements auront pour but d’écrire sur la zone de texte les dernières paroles prononcées devant les toiles, idéalement s’il était même possible de pouvoir en retirer les livres à l’aide d’un quelconque mot clé pour feuilleter et remonter plus loin ce serait idéal.”

Après avoir trinqué, ils burent ensemble. Beldurande ne prit qu’une rapide gorgée de son whisky favori, il regardait en se faisant attentivement la réaction de son invitée qui portait ses délicates lèvres à la coupe de crystal et observait le liquide visqueux tacher son rouge à lèvre pourpre. Ce n’était pas la première fois qu’il avait affaire à un ou une vampire, mais du raffinement de Dame Cassetti, c’était une autre histoire, il nota le détail de la couleur du maquillage ingénieusement -ou par pur hasard?- choisi pour dissimuler les gouttes de sang qui viendraient se loger dans les commissures de ses lèvres.

Elle souria.

Beldurande était intérieurement soulagé que le goût lui était déjà agréable, lorsque lui et Himir s’étaient renseigné sur les préférences gustatives des enfants de la nuit, il avait été embêté d’apprendre que tout comme les autres races, les immortels avaient chacun leur propre appréciation “du goût et des couleurs”.  Il n’avait alors pas su à quoi il s’était attendu, mais il avait pris un paris en ‘coulant’ autant d’effort dans la préparation de la boisson sanguine. Du coin de l’oeil il vit Himir qui le regardait, avec ce rictus presque imperceptible mais si familier à l’Essence qui il le savait, signifiait qu’il se moquait de lui. Il y a quelques jours, alors que le Professeur gisait faiblement dans la baignoire avec son ami en lui bandant le bras ”Si elle n’aime pas… Mpffr HA HA AAAaaah, imagine si elle le recrache même discrètement dans le verre! Oh si ça arrivait je ne sais même pas si je pourrai me retenir.”, il jubilait derrière ses lunettes rondes en rigolant pendant que son vieil amis amorphe riait par à-coups.

Devant la suggestion de tenir secret la source du liquide vermeil, Beldurande réfléchissait rapidement, il portait un vêtement long et ample pour cacher le grand bandage qui recouvrait son bras gauche, et les tâches de sang fraîches et rectilignes de celui-ci ne laisseraient aucun doute quant à la provenance du sang. S’il tenait le secret mais qu’elle apercevait ensuite le pansement de manière inopinée, il passerait peut-être pour quelqu’un de pompeux souhaitant se donner des airs. D’un autre côté avouer que c’était son sang pourrait paraître comme une tentative désespérée de capter son attention en plus de le portrayer comme quelqu'un prêt à prendre des risques, mais ça tombait bien, c’était plus ou moins l’effet recherché. Il voulait signifier à son invité l’estime et l’importance qui lui accordait -et qu’elle méritait largement et plus encore.

”Dame Cassetti, comme je vous l’ai signifié ma deuxième demande est un peu plus particulière, elle ferait appel à vos talent de nécromancienne dont j’ai entendu les louanges et qui je l’espère pourront m’aider. Les secrets sont des choses bien singulière par nature, ne les dites à personne, et ce ne sont pas des secrets mais des rêves, des fantaisies sans matière, racontez les à une personne seulement et vous courrez déjà le risque de le briser.” Il continua, commençant avec le flot de la conversation à reprendre pieds dans son élément tandis que les grenades faisaient effet et l’aidait à palier à l’anémie. ”Cette deuxième raison justifie à elle seule la fermeture de l’établissement, nous ne pouvons pas partager cela avec nos élèves. Tout a un prix, ma Dame.” Il ajusta sa position pour avoir une jambe posée par dessus l’autre, et appuya sa tête dans sa main gauche. En pliant ainsi son coude, la manche de son vêtement retomba doucement le long de son bras, révélant le pansement aux yeux de la vampire. ”Alors disons que ceci est une avance sur le coût de votre silence, une fois que vous partirez de ces murs.” Il espérait avoir réussi son petit effet, mais s’empêcha tout de même de rajouter ”Bien évidemment, ceci n’est pas contractuel, je ne souhaite pas qu’il y ait de trace, aucune documentation ne peut être établie à ce sujet, ce qui signifie aussi que seul votre parole importe.”

Même si en fin de compte la demande en elle même serait relativement banale, le Professeur savait que l’intellect de la vampire ferait rapidement le lien entre celle ci et le reste du Hall lorsqu’ils visiteraient le couloir d’exposition. Il avait des explications préparées pour esquiver certains points trop dérangeants mais il voulait s’assurer que la vampire comprenait le sérieux du sujet, ce n’était pas une sorte de jeu destiné à l’amuser.

Cécilia hocherait doucement de la tête aux légères demandes de son interlocuteur, concernant un tableau qu’elle devrait esquisser pour ce dernier, puis elle finirait alors par glisser avec un léger amusement. « Ce n’est rien d’impossible, je trouverai sans doute l’inspiration avec un peu de temps. » Ce avant d’ajouter, toujours amusée. « Je ne vais pas vous cacher par contre que si vous voulez la possibilité de faire sortir de l’œuvre quelque chose, le prix va sans doute être doublé au passage, mais bon je ne peux que louer votre envie de bien protéger votre école. Par contre, je vous conseille aussi d’engager quelques gardes mercenaires au passage, je ne peux pas vous garantir après tout que quelqu’un n’essayera pas de dérober le tableau lui-même. » Mais elle ne demanda pas de détails sur les dits évènements, après tout elle jugeait peut-être cela indiscret ?

Quoiqu’il en soit, elle but aller aussi et sans spécialement tâcher ou très peu ses lèvres, après tout elle était fort expérimentée et savait tout à fait que même avec du rouge à lèvre qui pouvait éventuellement cacher la chose, le sang restait une substance qu’on avait pas envie de voir traîner sur ses lèvres. Comme ça manquerait de classe de faire la même chose avec du jus de cerise.

Pour le reste, son hôte décida de ne pas répondre tout de suite ou du tout à sa question concernant l’origine du sang qu’elle venait de boire. Il préférait laisser place à un peu de mystère ? C’est ce qu’elle pensa du moins avant de voir son bandage, chose qui l'interloqua alors, dans le bon sens. Disons que c’était loin d’être la première fois qu’un hôte lui offrait son sang, mais elle apprécia l’idée, comme en témoignant son sourire qui s’accentua l’espace de quelques instants… Après tout, ça témoignait de quelqu’un qui avait fait des efforts notables pour la recevoir et témoignait ainsi de son estime envers elle. Le genre d'effort qu'elle savait estimer, surtout que visiblement il jouait sur son statut de créature singulière...

Puis l’essence abordera donc un autre sujet, auquel Cécilia glisserait alors avec un grand sourire amusé, une fois que monsieur Beldurande aurait terminé.

« Tant que vous ne tentez pas de m’incorporer dans un complot quelconque ou ce genre de manigance, cela ne me dérange guère de me montrer secrète concernant ce que j’ai fais pour vous. Quoiqu’il en soit, soyez assuré que ce ne sera pas ma première fois concernant ce genre de demande. » Achèvera t-elle donc avec un certain sérieux, ce avant de reprendre avec réflexion.

« Je ne verse pas non plus dans l’illégalité, mais cela vous vous en doutiez je suppose. Quoiqu'il en soit, tant que votre demande remplit ces critères et n’est pas le genre de tâche que j’aurais honte à accomplir, alors sachez que je m’engage à conserver le secret. » Ses deux suivants étaient restés à l’entrée et n’avaient donc rien entendus sinon, mais évidemment ils étaient prêts à débouler si jamais on s’en prenait à elle, mais ça c’était l’habituel.

« Pour le paiement, nous verrons selon le service demandé et la complexité du sort. Quoiqu’il en soit, vous avez toute mon attention. » Si jamais il voulait en parler maintenant ou aborder le sujet autrement. Quoiqu’il en soit, elle ne pouvait pas forcément deviner d’avance ce qu’il voulait, juste que ça avait probablement un rapport avec le domaine de la vie ou de la mort… Ce qui restait fort large, même en restant purement dans le cadre de ce qui était légal et donc avait surtout un rapport avec la nécromancuie blanche...

Si l’unique préoccupation de son invitée était son intégrité juridique, le Professeur pouvait se sentir rassuré sur la confidentialité de sa demande. Il avait déjà poser la même question à d’autre nécromanciens itinérants mais aucun d’eux n’avaient su y apporter une réponse favorable ou définitive. Il retentait donc à nouveau sa chance en espérant qu’une mage de la mort du calibre de Dame Cassetti pourrait lui donner un avis plus tranché.

”N’ayez crainte ma Dame je n’oserai jamais vous impliquer dans une affaire qui ne vous concernerait point. Eh bien, il y a un objet unique que je souhaiterai acquérir pour des raisons personnelles, malheureusement la seule personne capable de m’indiquer où le trouver est morte il y a maintenant un peu plus de 600 ans. Je souhaiterai savoir si avec le corps de cette personne, il vous serait possible d’en extraire l’information?” Beldurande pris une brève inspiration avant de continuer: ”Et… par la même occasion, le corps en question porte également les marques du combat qui lui a été fatal, s’il est possible de le restaurer dans un état plus présentable ce serait exquis… compensation à la clé bien évidemment.”

Le Professeur se sentait plus léger alors que la question avait quitté ses lèvres. Le reste de la visite serait plus facile en pouvant montrer directement à la visiteur le Hall de la Mémoire et la statue sur laquelle elle devait opérer.
Maintenant que les deux motifs les plus impérieux de la venue de Dame Cassetti avaient été abordés, Beldurande pouvait se concentrer sur le but secondaire qu’il s’était fixé: solidifier une relation amicale avec la Dame raffinée.

”Je dois vous avouer que depuis le temps que j’entends parler de vous, je ne cesse à chaque fois d’être surpris en entendant un nouveau talent vous être attribué! Vous êtes une femme de science, d’art, de magie et de mystère, n’y a t’il seulement quelque chose que vous ne sachiez pas faire?”

Il espérait au détour de cette question pouvoir en apprendre plus sur son interlocutrice et commencer à la faire un peu parler de ses activités usuelles. Il était nécessaire pour le Professeur que la conversation prenne un tournant plus personnel s'il voulait que cette venue ne soit pas qu'un simple déplacement professionnel.

Cécilia était quelqu’un de plutôt honnête, pour une duchéenne du moins, disons que des fois elle pouvait se montrer souple avec la loi ou certaines choses, mais qu’il ne fallait pas non plus aller trop loin. En tout cas, elle préférait en général ne pas trop tremper dans des affaires trop louches, cela rimait souvent trop avec ennuis, mais aussi avec ennemis, deux choses dont elle se passait. Elle avait après tout un train de vie appréciable et se fichait bien de prendre parti pour tel ou tel duchéen problématique, tant qu’elle trouvait des mécènes.

« Hum, malheureusement six cent ans représente une durée bien trop importante pour qu’un nécromancien puisse obtenir quelque chose de la personne défunte. » Finira t-elle sinon par dire pensive et directe, avant de préciser. « Tout nécromancien qui prétendrait que cela est possible avec quelqu’un défunt depuis plus de deux cent ans, est soit un menteur, soit un génie qui vient de faire une percée phénoménale et dans ce cas il est richissime et célèbre. » En somme, elle préférait être sincère à ce sujet, ce avant de reprendre avec un doux calme légèrement compatissant. « Par contre, je peux tout à fait restaurer le corps pour qu’il soit en bon état… Et que la plupart des parties du corps soient là. Je ferais donc ainsi si cela vous convient. »

Quoiqu’il en soit, ce n’était guère des demandes la choquant ou la surprenant outre-mesure, après il était toujours dommage de devoir préciser à quelqu’un que certaines choses n’étaient pas possibles, mais après tout en dehors des spécialistes, tous les mages ne savaient pas ce que chaque domaine magique offrait pleinement en possibilités…

« Oh, bien entendu qu’il y a des choses que je ne sais pas faire et pour ne rien vous cacher, mes grandes passions sont anciennes, même si j’essaye de temps en temps de découvrir de nouvelles choses. » Dira sinon la dame en prenant une nouvelle gorgée, ce avant de légèrement prendre ses aises sur le fauteuil pour adopter une posture élégante, avant de reprendre amusée.

« Je ne suis pas forgeronne par exemple, ni armurière, je ne fais pas de couture, je ne sais pas faire de travaux ménagers et ne comptez pas sur moi pour m’y intéresser, je ne suis pas une spécialiste de l’art de la guerre et aussi, je ne sais évidemment pas cuisiner, sortit du feu de faire brûler quelque chose sur un feu de camp. » Et de renvoyer la question avec un peu de malice.

« Et vous, pourquoi ne citeriez pas aussi certaines choses que vous ne savez pas faire ? Nous sommes après tout la somme de nos qualités, de nos défauts, de nos talents et de nos manques... » Avant de reprendre avec audace. « En tout cas si jamais vous subissez à l’avenir une infortune financière quelconque, sachez que vous pourriez vendre un temps du sang pour vous reprendre. De quoi ne pas être à la rue. » Mais bien entendu, c’était surtout une taquinerie amicale.

Le Professeur écouta Cécilia lui expliquer que si elle ne pourrait rien faire pour obtenir des renseignements sur l’objet convoité, elle pourrait tout de même restaurer le corps. Beldurande était déçu de ne jamais pouvoir remettre la main sur la lame d’obsidienne qu’il avait longtemps espéré récupérer, son tranchant était exceptionnel et c’était une lame difficile à manier, il était persuadé qu’elle était là quelque part, enfermée dans un coffre ou dans le réceptacle duquel son utilisatrice l’invoquait. Il devrait se faire une raison, la lame était certainement perdue pour de bon, jusqu’à ce qu’un aventurier chanceux finisse par tomber dessus par hasard en cherchant au bon endroit.

Il laissa les affaires pour la suite et se concentra sur le moment présent, Cécilia avait eu un petit trait d’humour en commentant sur ses propres capacités culinaires et elle lui renvoya ensuite sa propre question pour qu’il y réponde à son tour.

”Je suis bien d’accord avec vous, cependant je me permets d’apporter une précision dans votre somme qui je pense est incomplète. Tout ce que vous venez de citer ma Dame, suffisent effectivement à définir un individu, mais faites acquérir la même compétence à deux personnes distinctes et ils en tireront une expérience bien différente. Les souvenirs, sont une composante clé qui nous caractérise, ce sont eux qui décident si un individu va tirer la bonne ou la mauvaise leçon en affrontant l’adversité.” Il enchaîna, un peu fier de sa transition sans accroc: ”Mon plus grand défaut, c’est que je ne sais pas oublier, et pour vous et moi qui sommes les bénéficiaires -ou les victimes- de la longévité qu’est la nôtre, c’est un problème de taille. Cependant chaque talent s’entraîne et s’apprends, on peut dire qu’en ce moment je m’améliore donc sur ce point.”

”Pour ce qui est des talents au combat eeeh, j’ai souffert le poids des années, je ne suis plus aussi vif et robuste que je l’ai été par le passé mais je suppose que je me débrouille encore plutôt bien aujourd’hui… en usant de magie cela dit. ”

À ces paroles, Himir intervint en commençant par un léger rire, il fit quelques pas vers l’avant et dit:

”Il n’y a même pas besoin de remonter jusque là, sans te comparer à l’époque des Doménéris, rien que par rapport à il y a quarante ans tu étais plus combattif qu’aujourd’hui.” Il se tourna vers la vampire. ”Je suppose que maintenant qu’il a son trésor à défendre, c’est une autre sorte de feu qui l’habite, ce qui est ironique pour quelqu’un de son apparence.” Il glissa un regard moqueur en coin à son ami.

Beldurande rebondit avec sarcasme en feignant un rire d’un ton le plus plat possible

”Ha…ha…ha, très fin, très drôle Himir, au moins ce n’est pas mon humour qui a mal vieilli hmm?” Beldurande finit son verre en fixant son Secrétaire d’un regard mesquin.

”Je vous remercie également Dame Cassetti, je songerai à vendre mon corps si jamais je tombe aussi bas ha!”

Beldurande se releva en déposant le verre vide sur le petit emplacement de l’accoudoir du fauteuil et rabattu les plis de ses vêtements tout en disant:

”Maintenant si vous le voulez bien ma Dame, je vous propose de continuer notre conversation dans le Hall de la Mémoire, c’est là où se trouveront les tableaux que je vous commande… et le corps sur lequel vous travaillerez.”

Cécilia se dit légèrement interloquée qu’elle savait déjà fort bien que chacun forgeait une expérience différente, même avec des compétences similaires, mais elle ne le releva pas, après tout son interlocuteur en tant qu’enseignant devait avoir cette habitude de vouloir se montrer pédagogue et précis tout le temps, comme un ethnologue aurait cette tendance à nuancer à chaque fois qu’on parlait de la nature atama ou de la culture des uns et des autres. Elle-même devait avoir des habitudes du genre d’ailleurs, mais disons que c’était le genre d’indice qui pouvait faire deviner à quelqu’un d’un minimum avisé, quelle était votre profession...

« Je me considère plutôt bénéficiaire de ma condition, après tous ne sont pas forcément d’accord s’ils ne deviennent pas vampire ou ombre de leur gré, mais la quête de la vie éternelle n’est guère un aspect de l’art nécromantique me répugnant. » Commentera t-elle sinon un peu amusée. Ce avant de simplement écouter, sans commenter au sujet des remarques de Beldurande et de son ami, concernant les propos sur la vie personnelle de celui-ci. Mais, en se permettant tout de même d'ajouter suite à cela avec sympathie.

« Même un être vivant longtemps a besoin d'entretenir ses compétences, sinon il oublie des choses, perd des réflexes et ne fait plus face aux innovations. Néanmoins, je suppose qu'il est bon pour vous que vous n'ayez plus besoin d'être un guerrier d'excellence. » Puis...

« Je ne sais pas si cela marcherait bien, quoique. » Ajoutera t-elle sinon amusée concernant le trait d’esprit de Beldurande concernant le fait de vendre son corps si jamais il devenait pauvre, ce avant de glisser pensive quant l’autre proposa d’aller visiter son hall de la mémoire.

« Je vous suis, je suppose que cela me permettra au passage de pouvoir visiter un peu les lieux. » Il était probable qu’elle soit un peu moins interloquée que le duchéen moyen en découvrant l’endroit au vu de sa tendance à fréquenter la haute société et la haute bourgeoisie qui dépensait volontiers pour le prestige artistique, mais qui sait ? Elle pourrait apprécier la visite ou être surprise.

Beldurande s’aperçu devant la réaction de son invitée que sa remarque sur la vie éternelle avait peut-être été prise de travers, la Dame n’avait pas l’air de s’en être offusqué mais il souhaitait tout de même corriger la potentielle maladresse:

”Bien évidemment! C’est un des rare désavantage d’une longue vie, qui s’éclipse tout à fait devant les privilèges dont nous en jouissons.” Il ouvrit la porte devant laquelle attendait les deux gardes du corps de Madame Cassetti et l’invita à sortir, commençant déjà à faire marche dans le couloir, Himir fermant la marche du petit groupe.

”Je vous mentirai si je disais que je regrettais ces années là, j’apprécie bien mieux ma situation actuelle et la portée supplémentaire qu’elle me donne pour pouvoir façonner le monde auquel j’aspire. Nous y voilà!”

Au bout du couloir qu’ils avaient traversé se trouvait le Hall de la Mémoire, un lieu d’exposition où se tenaient plusieurs statues de pierre et de gré, placées de part et d’autre d’un tapis vermeil central qui cheminait à travers les pièces. Aux murs étaient déjà affichés des toiles et des tableaux représentant des scènes de combat ou d’après coups de champs de bataille, ces toiles encadraient chaque sculpture comme pour les mettre en valeur, et étaient agrémentées de bannières aux couleur de l’École. Chaque sculpture était d’un réalisme saisissant et alors que certaines d’entre elles semblaient assez récentes, quelques unes étaient clairement bien plus vieilles, portant la marque de l’usure et de la poussière sur certains détails. Les statues qui paraissaient récentes avaient d’ailleurs une absence de visage, leurs faces n’étant que des surfaces lisses dénuées de traits, tandis que les plus anciennes se payaient le luxe d’être tout aussi réaliste au niveau des figures, à tel point qu’on pouvait distinguer les pupilles, les iris, ressentir la texture des lèvres et les émotions sur les traits. L’atmosphère du lieu rendait une impression de musée et la décoration conférait un aspect solennel au tout.
Là où le Hall commençait en venant des bureaux du personnel, il y avait une statue d’une carrure plus imposante que les autres, surélevée sur un socle de pierre d’un mètre quatre-vingt de haut, représentant un combattant se tenant debout les jambes écartées et solide sur ses appuis, équipé de son armure complète tandis que ses mains étaient posées sur le pommeau de son épée plantée dans le sol.

”Autant commencer par ce qui vient en premier.”

Beldurande et Himir escaladèrent le socle de la sculpture et s’accrochèrent aux pièces de l’armure. L’Essence se concentra brièvement et le gré gris de la statue changea de texture pour prendre celui rouge de l’armure de sa mère, morceau par morceau ils défirent chaque protection que portait le combattant -la combattante d’ailleurs- pour en alléger le poids. Enfin quand la guerrière de pierre ne fut plus vêtue que de linceuls de tissue, le Professeur apposa sa main contre le gré du corps de sa mère et annula le sort de pétrification simple. Le corps soudainement relâché de sa posture glorieuse s’affaissa dans les bras des deux membres de l’École qui la descendirent doucement et précautionneusement.

La “femme” était clairement une essence également, bien que très différente de Beldurande en apparence, son physique était bien plus en lien avec la pierre et évoquait plus celui d’un esprit minéral que d’un atama classique, là où le Professeur avait une apparence plus… végétale. Le corps était salement endommagé: les yeux étaient absents des orbites, il y avait un trou à la place de la cavité nasale et le trou de la bouche était fracturé et défoncé, mais ce n’était pas là les plus gros dommages. Sur le corps, de multiples taillades profondes avaient tranché tendons et muscles et donnait au cadavre un aspect désarticulé, certains os étaient rompus et brisés en éclats à l’intérieur de blessures ouvertes, limitant la liberté des gestes lors de sa manipulation. Beldurande déposa délicatement le corps au sol, l’adossant contre le socle de pierre.

”Y a t’il quoi que ce soit que nous puissions vous fournir? Je ne sais pas si vous avez besoin de matériaux quelconques ou de support pour un rituel.”

Il posa sa question immédiatement, le moins de temps Dame Cassetti passait à se poser des questions, le mieux il se porterait.

« Cela et, la chose risque peut-être de devenir plus courante en restant rarissime tout de même, que des êtres immortels comme moi, avec la redécouverte de la magie de l’âme, mais aussi les plus récents exploits technologistes. » Concédera Cécilia pensive à ce sujet, ce avant d’ajouter avec réflexion alors qu’ils commençaient à traverser le couloir et tout en observant les environs.

« Peut-être que cela vous inquiète comme certains, même si pour ma part sans doute moindrement que beaucoup. Je serais plus angoissée si les impériaux annonçaient soudainement une nouvelle arme de guerre qui pourrait les aider à faire plier le continent sous leur joug. » Achèvera t-elle avec un peu d’humour noir, car certes c’était improbable, mais qui sait… On ne savait jamais avec les Akkatoniens, même s’ils étaient bien plus vivables que les voisins du nord.

Mais bon, il était difficile de ne pas penser à des guerres futures potentielles en traversant ce fameux hall de la mémoire. Sincèrement, elle avait sans doute vu mieux plusieurs fois, mais le tout était assez original dans le message que cela renvoyait ? Quoique, elle ne pouvait pas encore discerner pleinement ce dernier, mais disons qu’elle ne se serait pas attendue à des peintures représentant des batailles dans une académie dira t-on…

Puis, Cécilia se demanda combien de statues des environs étaient des personnes pétrifiées, quand elle constatera que l’une d’entre-elle n’était rien de moins qu'une essence pétrifiée... Cela et elle se demanda si le tout n’était pas légèrement, malaisant ? Disons qu’elle n’aimerait pas finir ainsi, mais après elle supposait que s’il lui montrait les sculptures, c’est que c’était des personnes consentantes. Cela et puis bon, une nécromancienne n’allait pas faire de remarque aux sujets de détails un peu malaisants à ses yeux.

Elle se concentre donc plutôt sur le cadavre de la probable amie de son client actuel, qui était en sale état, très peu ragoûtant même, même si pour une nécromancienne comme elle ça n’avait rien de choquant et écœurant. Elle en avait vu et manipulée après tout des cadavres… Elle dira donc pensive.

« Installez la juste sur un support plat. Pour le reste, aucun de vous deux n’est obligé d’assister à la scène, si vous préférez donc vous éloigner n’hésitez pas, je vous appellerai quand j’aurais finis. » Demandera t-elle donc poliment, avant de glisser cela avec une dose de tact. Après tout si pour sa part cette vision ne la perturbait guère, elle comprenait que ça ne soit pas pareil pour Beldurande…

Quoiqu’il en soit, une fois le corps installé, qu’ils décident de rester ou non, la nécromancienne s’approcherait donc du cadavre, se concentra puis incanta…

Une longue minute de paroles concentrées et récitées en duchéens, des formules diverses qui permettaient à Cécilia de concentrer par sa volonté l’énergie magique de manière à peu à peu restaurer le corps. Processus qui donnerait l’impression à qui observait, d’une décomposition rapide, dans le sens inverse… Un processus efficace qui fit qu’une fois finit.

Le corps de l'amie de Beldurande semblait plus celui d’une essence plongée dans un profond sommeil, que morte. Ceci fait, qu’elle doive appeler les deux autres ou non pour qu’ils reviennent, elle dirait pensive.

« C’est fait, je pense que cette vision vous sera plus supportable. Si vous ne voulez pas que la décomposition reprenne néanmoins il faudra prendre des mesures... » Elle regardera alors les autres statues, avant de dire pensivement.

« Je ne laisserai pas ce genre de choses à portée de n’importe quelle main si j’étais vous. Sans vouloir vous dire quoi faire, les statues ça se casse, imaginez si quelqu’un donne un coup de marteau dessus ou arrivait à les renverser. » Avant de finir par dire. « C’est néanmoins une forme d’enterrement comme une autre d'ainsi pétrifier les morts. » Elle devait après tout supposer que c’était surtout des morts.








Sort utilisé :

Spoiler:

”Je pense que la technologie est un apport positif à ce monde si on parvenait à la démocratiser, ce qui m’inquiète surtout c’est le monopole que l’Empire semble vouloir maintenir dessus. Sans savoir ce qu’il se passe dans leurs laboratoires, nous en tant que duchéens sommes obligés de nous tenir prêt à rééquilibrer la balance du pouvoir si jamais ils sont déjà entrain d’élaborer une arme telle que vous le décrivez.” Beldurande savait que la technologie pouvait en effrayer certains mais ni lui ni Dame Cassetti ne semblaient trop s’en préoccuper.

Alors qu’Himir parti chercher une table à la remise pour pouvoir y allonger le corps fraîchement ramené à la normale, la nécromancienne demanda à Beldurande s’il souhaitait rester pendant le rituel, ce à quoi il répondit:

”Pour ma part je ne suis plus facilement dérangé par les visions glauques ou mortifères. Sauf si cela nuit à votre concentration je vais demeurer là. Quant à mon ami il décidera pour lui même.”

Le Secrétaire revenait justement avec le support demandé par leur invitée et Himir choisit plutôt d’aller faire un petit tour sur la promenade le temps de la restauration. Le Professeur se tenait donc debout derrière la Dame et regardait attentivement le cadavre de sa mère se régénérer lentement sous yeux, les fibres musculaires se réparant et se renouant pour refermer les plaies, la peau repoussant là où elle avait dépéri, les traits du visage de sa mère se reformant pour lui donner l’impression de recroiser une vieille connaissance qu’il aurait perdu de vue. Lorsque le processus magique fut terminé, il avait la sensation de la voir juste allongée là, comme lorsqu’elle dormait sur les chaises longues de leur jardin dans le manoir familial, à l’époque où il était encore insouciant de la vie. Il expira longuement à travers ses narines sous les pétales d’écorce de son visage et se retourna vers Cécilia.

”Merci oui, c’est un soulagement de pouvoir enfin la voir dans un état plus paisible. C’était une femme forte et remarquable, elle est morte au combat mais elle mérite un repos plus tranquille. Je vais immédiatement la remettre en place pour conserver le corps, il serait dommage de gâcher la beauté de votre travail.”

Il attendait pour cela qu’Himir finisse son petit tour récréatif sur la passerelle de la promenade, dans le silence mi-génant mi-solennel qui s’ensuivit, la vampire prit la parole pour faire un petit commentaire sur les autres statues du Hall. Beldurande était un peu surpris, il s’attendait bien évidemment à ce que la Dame comprenne quelque chose mais il ne pensait pas que quelqu’un de sa condition aurait commit l’indélicatesse d’émettre ses suppositions à haute voix de manière si directe. Évidemment elle n’était pas très loin de la réalité, même si elle se trompait sur un petit détail, certaines de ces statues n’étaient pas encore mortes.

”Seuls les élèves sont autorisés à évoluer au premier étage, et ils sont tous très soigneux et respectueux du matériel, nous avons un Intendant et un règlement qui s’en assure pour eux héhé. De plus, ces statues servent de tombes alors il n’est pas bien grave que l’une d’entre elle se brise, pour cela je peux toujours les réparer moi-même, pour ce qui est du corps, j’avoue ne pas prendre autant de soin à la conservation des autres que de celui sur lequel vous venez d’opérer. Celle là m’était très proche, les autres beaucoup moins.”

Piètre mensonge pensait-il mais il n’aurait sans doute pas besoin d’élaborer plus loin. Ceux qui étaient justement encore en vie l’étaient parce qu’ils avaient encore une infime chance de retourner à la vie normale, alors il se devait de désormais tout tenter pour faire fonctionner cette fine opportunité, cette leçon il l’avait reçue d’un Estien il n’y a pas si longtemps que cela. Quant aux autres statues qu’il avait euthanasié il y a quelques mois, il se fichait éperdument de ce qu’il en advenait, si elles venaient à se briser l’intérieur ne révèlerait que de la pierre et il pourrait toujours refaçonner la statue pour la remettre en place, même si sa Pétrification de Stase ne fonctionnerai pas sur un mort pour recoller les morceaux du corps. C’était justement la raison qui l’avait poussé à avoir recours à une nécromancienne plutôt qu’à sa propre magie pour restaurer le cadavre de sa mère.

Himir revenait vers eux et il décida qu’il était peut-être temps d’avancer.

”Maintenant que cette affaire ci est réglée, je vous propose de jeter un oeil au Hall de plus près, nous pourrons discuter paiement pour la restauration après.”

« La technologie a ses avantages, mais aussi ses coûts, je suppose que c'est un choix de société qu'ont fait les Akkatoniens. Après, je n’ai rien contre les technologistes même si je suis archimage, mais clairement ce n’est pas par chez eux que la magie fait ses plus grandes innovations. » Dira t-elle pensive, avant de hausser les épaules et de dire avec réflexion. « Quant à si l’empire posait problème, les Ikhyldiens aideront sans doute, c’est bien les seuls capables de vraiment leur tenir tête. » Après tout, l’empire Ikhyldien n’avait rien à gagner à laisser les Akkatoniens envahir le continent Orzianien, c’est pour cela d’ailleurs qu’ils avaient annexés militairement une province des environs, ce malgré leur approche pacifiste habituelle.

Pour le reste, tout se passa au mieux pour le rituel, elle laissa évidemment un temps à son client pour réfléchir et peut-être se remémorer le passer, avant de doucement hocher la tête quand ce dernier dira qu’il s’occuperait de prendre soin du corps. Et sinon, Cécilia n’avait sans doute pas considérée son approche comme spécialement indélicate, au vu de l’étrangeté de la collection de statues qui étaient en faîtes des corps morts d’atamas. Au contraire elle était ans doute même plutôt neutre à ses yeux, vu que certains auraient put voir ça comme un tantinet troublant selon leurs mœurs ou origines, surtout vu que les dits « cadavres » étaient mis en scène et visibles. Elle ne semblait donc percevoir en rien en quoi son questionnement était trop frontal.

« Ma foi, de toute façon ce ne sont pas vraiment mes affaires, même s’il faut avouer que cela pouvait attirer ma curiosité. » Finira t-elle néanmoins par dire avec réflexion suite aux propos de Beldurande, mais elle disait sans doute cela pour indiquer qu’elle ne jugeait pas et changer de sujet, plutôt que pour dire qu’elle approuvait ou non. Clairement, pas mal de monde aurait eut une vision moins indulgente ou neutre que la vampire et on aurait put se demander si les familles des défunts statufiés  ici étaient bien d’accord entre autre… Quant à elle, elle supposait que ce n’était pas vraiment ses affaires, même si évidemment elle ne savait pas tout du coup sur tout cela...

« J’ai le sentiment que vous êtes plutôt fier de ce hall, soit visitons le plus en détail, nous discuterons paiement après. » Finira t-elle sinon par dire cordialement et avec une pointe d’amusement, se demandant bien quel message comptait lui adresser son hôte du jour par ce dit hall. Après tout, elle avait le sentiment qu’il n’était pas le genre de personne qui irait décorer ce genre d’endroit, uniquement pour qu’il soit esthétique.

Beldurande utilisa un sort de pétrification classique sur le corps pour l’empêcher de reprendre le processus de putréfaction immédiatement. Il la laissait là, allongée sur la table, il la remettrai en posture correcte pour l’exposition plus tard avec l’aide d’Himir. Pour le moment il souhaitait se concentrer sur le reste de la visite avec Dame Cassetti. Il se releva et l’invita à progresser avec lui dans le Hall.

Il observait tranquillement les statues, parcourant du regard l’ensemble pendant que son invité passait devant en les inspectant de son oeil observateur. Le Hall comptait douze emplacements de statues mais seulement onze d’entre eux étaient occupés, le dernier laissé vide par la visite d’un certain Lieutenant Estien il y a quelques mois. Sur celles demeurant dans ces murs, trois d’entre elles contenaient encore des personnes “vivantes” que le Professeur souhaitait relâcher quand les circonstances se seraient améliorées, pour le moment il fallait impérativement que Beldurande mette la main sur l’informateur qui avait craché le morceau, mettant de ce fait en danger le reste des pensionnaires du Hall. Les peintures que l’essence comptait commander à la vampire lui permettrait il l’espérait d’appréhender son suspect ou du moins de pouvoir au moins savoir quand il devait s’attendre à une nouvelle visite du même style.

”Je suppose qu’on pourrait dire ça oui, mais je ne pense pas que fierté soit exactement le terme que je mettrai sur l’émotion que cet endroit me suscite. Ce serait plutôt un sentiment de nécessité et donc aussi de complétion je dirai.”

Dame Cassetti passa devant une des toiles représentant un champs d’armes plantées dans le sol, baignant dans la lumière rouge-orangée du soleil couchant qui faisait écho aux tâches de sang qui avaient été repeintes par dessus l’oeuvre pour lui donner un aspect méta. Les deux sculptures entourant la peinture panoramique étaient figées dans des postures de désolation, l’une d’entre elle enfouissant son visage dans ses mains alors que l’autre tenait à peine debout tandis qu’elle rendait un ‘dernier’ soupir, mortellement blessée à la poitrine. Le Professeur reprit la parole.

”Celle là sera remplacée par ce que vous produirez. Il y en a deux autres de plus qui seront rangées dans la remise… celle-ci, et celle là.” Il marqua une pause d’hésitation. ”Dites moi Dame Cassetti, je me demande si ce n’est pas indiscret… Quel but cherchez vous à accomplir au travers de vos divers intérêts? Entre les arts, les sciences et la vie presque éternelle, il serait possible pour une érudite telle que vous de changer la société. Y a t’il quelque chose que vous convoitez?” Il avait posé la question de manière innocente, dans un ton invitant à l’introspection.

Pas de fierté donc dans ce hall qu’il lui fit visiter ? Cécilia se demanda pourquoi, mais supposa au vu de ce qu’ajouta l’essence, qu’il avait ses raisons. De la nécessité et le besoin de complétion ? Hum, c’était particulier, mais bon chacun avait ses raisons. Après tout, beaucoup de ses clients même s’ils aimaient sincèrement les arts, ne lui faisaient pas des commandes uniquement par amour de la beauté… Souvent c’était pour des raisons de propagande ou mise en valeur politique par exemple, mais pas que.

Mais elle devina en bonne partie le sens de tout cela, des œuvres d’arts assez travaillées qui ne glorifiaient guère la guère et la violence ? Ce n’était pas la première fois qu’elle voyait cela, mais ce n’était pas le plus courant, il faut dire il fallait le vouloir pour payer des œuvres d’arts en ce sens… Mais soit, elle avait vu plus étrange et c’était moins dérangeant que bien d’autres choses.

Quant aux questions que l’essence posa, Cécilia ne manqua pas de glisser avec amusement.

« C’est là une question à la réponse potentiellement complexe et multiple vous savez, mais j’essayerai d’y répondre de mon mieux. » Avant d’ajouter avec une dose d’humilité. « La société ne change jamais par les actes d’une seule personne aussi virtuose soit-elle et je ne suis pas la seule artiste et scientifiques active dans les duchés, mais j’apporte ma pierre à l’édifice à de multiples niveaux. » Avant de reprendre avec réflexion.

« Mes buts sont divers, en apprendre davantage sur mes différentes passions, approfondir donc mes connaissances, améliores mes talents, ou bien simplement m’occuper. Ce sont là plusieurs des raisons simples et évidentes, le reste dépend souvent de ma volonté du moment ou de ce qui me paraît intéressant. J’ai par exemple contribué comme beaucoup de nécromanciens dans le passé aux avancées sur les connaissances de l’anatomie et les prémices de la médecine moderne, même si maintenant celle-ci s’est davantage répandue et pas que sous notre impulsion. Je trouvais cela intéressant et utile. » Avant de reprendre amusée. « J’apprécie quoiqu’il en soit d’apporter ma touche à ce monde et ma contribution aussi, ou voir ce que laisse mon héritage, c’est là l’un des intérêts de l’immortalité aussi… Et puis, cela peut aussi amener à diverses rencontres intéressantes avec ceux partageant mes intérêts. » Et sur ces belles paroles...

« Et vous, pourquoi exercez vous vos passions ? » Finira t-elle par demander poliment...

Le Professeur écouta patiemment la vampire répondre à sa question, aussi quand celle-ci lui retourna la même demande il la regardait droit dans les yeux en faisant quelques pas pour venir se poster à ses côtés, puis détourna la tête pour contempler la peinture à leur droite.

”C’est ici je crois, que nos avis divergent. Certaines personnes connaissent une destinée exceptionnelle et marquent l’Histoire, que ce soit celle avec un grand H ou plus simplement celle de leur domaine ou de leur nation. Je pense à Ilfrido par exemple, même s’il a connu un destin funeste il a tout de même réussi à unifier un cours instant les Duchés, il a démontré que c’était possible. Ses actes ont inspirés certaines personnes à travailler vers un idéal de paix, de force et d’unicité dans l’adversité.”

Il se retourna vers Dame Cassetti

”Je crois que tant qu’on essaye, même si nous sommes voués à l’échec, nous montrons le chemin pour ceux qui nous succèderont. C’est comme cela que chacun d’entre nous peut changer la société en profondeur, sur le long terme. Qui sait, quelqu’un a peut-être un jour donné l’exemple à Ilfrido, quelqu’un sans qui cet exploit n’aurait jamais été réalisable.

Je crois qu’il est possible d’amener une paix sur Orzian, d’inviter les peuples à s’asseoir et à discuter plutôt que de se battre. Ce futur est loin, je serai bien chanceux de le voir de mon vivant, mais ce n’est pas grave. Si je ne peux pas y parvenir, alors je laisserai derrière moi les sillons nécessaires pour que les prochaines générations puissent s’y essayer à leur tour. Voilà mon but. Ce Hall par exemple, en fait partie. Tout comme cette école de gestion, mon réseau de contact, les actes et les choix que je mène tout les jours. Peut-être suis-je fou de penser de la sorte, mais personne n’a jamais rien accompli en visant juste à ses pieds, il faut savoir être ambitieux… et avoir un plan.”

Il se tut. Quand Dame Cassetti lui avait avoué qu'elle ne cherchait quasiment qu'à se divertir, il en avait été étonné, il lui semblait plus qu'elle était prisonnière de son éternité et tentait désespérement de fuire l'ennui qui pouvait guetter ceux qui avaient le temps de tout voir et de tout faire dans une vie.

”À vous entendre, je ne doute pas que vous ayez déjà beaucoup apporté aux sciences ne serait-ce que médicales, cependant quand je vous écoute... une seule question vient à ma bouche: Quand avez-vous cessé d'essayer?”

Cécilia parut un tantinet mitigée aux propos du professeur, sans doute car elle ne partageait pas exactement son point de vue au sujet des personnes à la grande destinée, ce avant de sourire et dire avec réflexion.

« Sans vouloir entrer dans des débats d’historiens sur la portée réelle des actes des grands hommes et s’ils sont plus bénéficiaires de l’histoire que réellement acteurs de leur destinée, c’est audacieux et peu courant d’associer Ilfrido à la paix, l’unité peut-être, mais ça c’est un idéal qu’apprécient peu de duchéens, par rapport à la liberté, qu’Ilfrido menaçait d’une certaine façon à son époque. Je parle en connaissance de cause. » Avant de reprendre pensivement.

« Ilfrido était un grand duc, mais aussi un ambitieux autoritaire avec un caractère détestable et tout à fait aussi désireux de réussite personnelle que n’importe quel duchéen. Ce n’est pas par la paix qu’il a unifié temporairement les Duchés et je doute qu’il en serait resté là. Difficile de dire ce qu’il serait advenu de ces terres s’il avait survécu, mais beaucoup pensent que ce n’est pas plus mal, qu’il n’ait pas survécu. » Elle haussera les épaules, comme si pour sa part elle n'avait pas trop d'avis à ce sujet, ce avant de reprendre calmement.

« Tout cela pour dire que ce genre de legs est souvent ambigu, soumit à débat et difficile à prendre en référence absolue. Difficile donc de dire quel est l’héritage d’Ilfrido, a t-il vraiment poussé les duchés à êtres plus unis ou bien à chérir davantage leur autonomie les uns par rapport aux autres, ce qui ferait que son rêve est mort avec lui ? Après tout, les rares qui se sont essayés au même projet par la suite, s’y sont cassés les dents. » Avant de reprendre ensuite avec réflexion aux paroles suivantes de l’essence qui avait confié ses ambitions.

« Chacun a ses ambitions, qu’elles soient nobles ou non. Difficile de dire quel idéal finira par s’imposer, mais il est bon d’avoir un but à vouloir accomplir à son niveau. Même si concernant l’idéal de paix qui peut être noble en soit, il existe bien des manières ou non de l’atteindre, un Akkatonien ou un Ikhyldien pourront vous dire par exemple que leurs empires apportent la paix, après la conquête qu’elle soit militaire ou culturelle, la fameuse paix Akkatonienne ou Ikhyldienne. Quant à celle que voulait imposer Ilfrido à sa manière entre les duchés eux-même, elle aurait tuée la liberté que beaucoup chérissent en ces terres. » Elle pointait donc que si la paix était un idéal, beaucoup en avaient d’autres qui passaient avant elle et pouvaient lui faire concurrence si on voulait imposer cette dite paix sans le consentement de ceux à qui on l’imposait. Donc c'était aussi une question de moyens et non de fins.

Ce avant de sembler légèrement souffler d’amusement à la dernière question de l’essence, avant de reprendre. « Je n’ai pas cessée d’essayer, je fais différemment, vise des objectifs différents, je suis alchimiste aussi vous savez. Il est juste des domaines où la nécromancie est moins efficace que d’autres magies, il faut donc essayer de l’améliorer dans ce dont elle est capable. » En somme, elle n’était pas du tout découragée en quoique ce soit, ce avant d’ajouter. « Il y a tant à faire dans tant de domaines différentes, il y a toujours quelque chose à apprendre ou innover en magie ou alchimie, vu qui êtes un mage de terre le savez fort bien après tout. On arrête jamais réellement d’apprendre. »

Beldurande se corrigea rapidement pour éviter que son invitée ne le prenne pour un fou furieux:

”Je n’ai pris Ilfrido qu’en exemple, je ne soutiens pas ses actions ni ses idéologies, mais pour le coup il est factuel qu’il a accompli quelque chose de presque impossible en s’y consacrant corps et âme, et ce qui est certain c’est que s’il ne l’avait pas fait, les mentalités seraient légèrement différentes aujourd’hui. Planter une graine dans la société, l’arroser, lui laisser le temps de germer, c’est ce que je souhaite faire car je n’ai pas la prétention de pouvoir changer les choses de manière radicale.”

Il cru bon de préciser également:

”J’aime d’ailleurs les Duchés comme ils le sont actuellement, la liberté et un élément essentiel de la vie d’une personne et ces contrées sont celles qui en regorgent le plus. Certes je préfèrerai tout de même un peu plus de conflit à la table des négociations que dans les campagnes et les villes mais c’est justement ce à quoi je m’attaque dans ma quête.”

Alors que Dame Cassetti lui répondit en lui expliquant qu’elle était également alchimiste, elle finit par dire qu’on ne cessait jamais de progresser. Le Professeur était au moins d’accord avec ça, et il savait bien que le chemin de l’apprentissage était un sentier sans fin, qui devenait simplement si large une fois les bases maîtrisée qu’un disciple pouvait partir dans n’importe quelle direction et continuer à s’améliorer.

”Bien sûr… Maintenant que vous avez visité le lieu d’exposition j’espère que cela a pu vous donner une image mentale suffisante pour en tirer quelque inspiration que ce soit. La visite s’achève ici, je vous suggère donc de retourner dans mon bureau discuter des honoraires et des derniers détails? J’ai également un petit cadeau de départ à vous remettre… ”

Cécilia glissera amusée, mais gentiment.

« Vous aimez beaucoup les analogies sous formes de jardinage, ce qui est fort pratique pour expliquer, mais qui pourrait donner des envies d’humour de mauvais goût à certains. » Avant de reprendre plus sérieusement. « L’avenir est difficile à prévoir, mais c’est son intérêt. Si la destinée était écrite, cela serait fort blasant, alors que dans les faits le fait que rien ne soit prédit avant, permet de tout envisager et de pouvoir mener avec confiance des ambitions telles que les vôtres. »

En tout cas c’était son avis, beaucoup devaient penser différemment en effet, mais pour sa part rien n’était vraiment écrit d’avance et c’est les innombrables possibilités qui s’accomplissaient ou étaient niées à chaque instant, qui finalement construisaient le présent et le futur.

« Hum en effet, par contre je me demande, vous voulez quelque chose de choquant ou de moins choquant ? Car d’après le message laissé par votre hall, les deux sont possibles. » Finira t-elle sinon par dire pensive à ce sujet, soulignant sans doute qu’elle avait déjà dû peindre des choses un peu aisées, mais bon après tout les duchéens étaient souvent assez ouverts d’esprits sur pas mal de choses… Cela et les puissants excentriques ça ne manquait pas en ces terres.

« Retournons dans votre bureau, concernant le cadeau, c’est la bouteille du sang que vous m’avez servis ? » Demandera t-elle sinon aimablement, mais un tantinet taquine. Il faut dire qu’elle avait bien appréciée l’attention, mais qu’en effet l’idée qu’il ait fait tout ces efforts pour la regarder boire son propre sang était assez amusant aussi… Ce avant d’ajouter en chemin.

« Vous devriez un jour visiter la galerie du bourgmestre Delma Dalatir, il est mort depuis longtemps, mais il avait fait peindre toute une série de peintures par un artiste anciennement inquisiteur, sur l’enfer des prisons et camps Teïderiens. Le message est fort, par contre c’est très dérangeant même pour les âmes solides. » Il faut dire, si ça avait été un ancien inquisiteur Teïder qui avait peint ces tableaux en plus...

Lorsque Cécilia émit la remarque sur les métaphores de jardinage dans le discours de Beldurande, le Professeur dut faire un effort de contrôle de soi colossal pour pouvoir se retenir de faire toute allusion sur le fait qu’une vampire pâle comme un linge faisait de la nécromancie blanche. Chaque cellule de son être était possédée par le démon de l’humour à la noix dont il était si friand et il pouvait sentir ses lèvres presque convulser à cause de la volonté viscérale de faire cette blague qui émanait des tréfonds de ses tripes. Afin de contrôler cette pulsion irrésistible il se mordit l’intérieur de la joue quasiment jusqu’au sang dans l’espoir vain que la douleur lui fasse passer ce pic gargantuesque de manifestation comique qui le prenait aussi brutalement. Son bas ventre était prit de spasmes musculaires caractéristique de la naissance des fou-rires qui éclatent à vive voix dans les théâtres les plus populaires. Ces sautes du diaphragme perturbaient également sa respiration et il pouvait sentir son front perler de transpiration alors que l’air s’expulsait de ses narines cachées à une vitesse plus rapide qu’à l’accoutumée. Les images mentales de bouffon de place publique aux chapeaux à grelots qui amusaient la galerie envahissaient soudainement son esprit mal oxygéné et ébranlait la fibre même de son essence (ha!) vitale. Les bouffons et les comédiens, ces rôles ingrats de la société qui étaient pourtant à la base des courants d’humour contemporains de leurs civilisation, permettaient d’esquisser le portrait des mœurs de leurs temps au travers de leur Oeuvre. C’était au final un devoir presque moral de prononcer les viles paroles qui constitueraient cette vanne pourtant médiocre et facile, mais qui traduirait le courant de pensée d’une époque torturée dans laquelle les malheureux atamas se rabaissaient à se moquer de ce qu’il pouvait, y compris l’apparence. Cependant son invité ne méritait pas ce déchaînement de bassesse humoristique et après tout, le développement personnel passait principalement par le dépassement de ses propres limites, le Professeur devait tout faire pour pouvoir protéger Dame Cassetti de cette épreuve insurmontable qu'il menait dans l'ouragan furieux de ses pensées quelles qu'en soient les conséquences, qu'importe s'il faillissait il fallait au moins qu'il essaye de se contenir. Tout ce débat intérieur prit place en une demie seconde dans le tintamare mental de l'Âme et finalement, Beldurande tourna lentement la tête vers Cécilia, un léger sourire aux lèvres. Il articula avec malice ces mots après un titanesque labeur intérieur dont seul lui-même sera à jamais le témoin:

”Ha, c’est marrant.”

Dans son fort intérieur, c’était une explosion intense qui en comparaison aurait fait passé le plus puissant archimage de feu de tout les temps pour un petit rigolo jouant avec des allumettes. Le Professeur regarda ses pieds quelques instants pour finir de se reprendre pendant que Cécilia le questionnait sur le style de l’oeuvre qu’il attendait pour son hall.

”Eh bien, rien de plus costaud que ce qui est déjà affiché ici. J’ai personnellement l’estomac bien accroché après avoir fait une centaine d’année de combat mais ce hall ne m’est pas seulement destiné, il permet aussi de transmettre des leçons aux plus jeunes.”

Il continua

”Touché, c’est effectivement une bouteille de sang. La différence avec le verre que vous avez bu précédemment est que cette bouteille est pure alors que le premier était parfumé à la lavande. Il en reste encore un peu d’ailleurs si vous en souhaitez un deuxième verre. Delma Dalatir? Je prendrai grand soin de me renseigner et j’irai y jeter un coup d’oeil…”

Il s’arrêta là dans sa phrase, il allait balayer la mise en garde de Dame Cassetti en argumentant qu’il avait certainement vu pire à la guerre et dans ses années de mercenariat avec les Doménéris, mais si une nécromancienne de haute volée le prévenait que quelque chose était perturbant c’est que ça ne devait effectivement pas être destiné aux enfants de coeur. Ils marchaient désormais pour retourner dans les bureaux où ils discuteraient des derniers détails de la commission.

Cécilia ne s’était pas le moins doutée du monde des efforts que dû faire l’essence pour juste adresser quelques mots, qui la surprirent légèrement. Disons qu’on lui sortait rarement qu’un de ses traits d’esprits était marrant sans ajouter autre chose à côté, mais la vampire ne sembla pas s'en choquer. Elle écarquilla juste légèrement les yeux et adressa un sourire simple à l’essence.

Tout en notant de ne pas faire de traits d’esprits sur l’apparence visiblement, enfin en général elle n’en faisaient qu’aux gens qui ne semblaient pas complexer à ce sujet, et sûrement pas en public. Une histoire de bon goût, mais aussi de tact. Quoiqu’il en soit, il ne voulait donc pas d’œuvre plus chargée que celles affichées ici ? Soit.

« Il est vrai que si ce ne sont pas des apprentis médecins ou nécromants, ils ne seront pas forcément habitués aux choses vraiment peu ragoûtantes. » Dira t-elle alors compréhensive et un tantinet amusée, et parlant d’expérience aussi. Après tout, il était fort à parier que la sublime dame avait plongée ses mains dans plus d’un cadavre et disséquées bien des chose.

« Je vais éviter de boire un second verre de votre sang devant vous, ne vous inquiétez pas je n’ai pas trop soif pour l’instant. » Glissera t-elle sinon amusée, avant de reprendre pensive. « Je note néanmoins que votre sang est rouge comme celui de la plupart des atamas, ce n’était pas gagné avec une essence après tout. Je suppose que de la sève aurait été plus complexe à traiter. » Avant d’ajouter alors qu’ils se dirigeaient vers le bureau du professeur.

« Je me suis déjà rendue plusieurs fois dans le plan élémentaire de la terre, il ne vous manque pas trop ? » Demandera t-elle curieuse, après tout certaines essences pouvaient avoir la mal du pays, pour une raison ou une autre, ça arrivait dira t-on.

Dame Cassetti exprima qu’elle n’avait pas manqué de constater que Beldurande saignait rouge et ne lui cacha pas qu’elle aurait pu s’attendre à ce que son sang soit tout aussi altéré par la magie du plan de la Terre que le reste de son apparence. Il rebondit donc sur le sujet.

”Exact, j’ai eu une fois l’occasion d’observer mon anatomie de près on va dire hé ho.” Il eut un petit rire devant l’implication morbide que sous-entendait sa phrase. ”Je suis constitué des mêmes organes qu’un atama classique, bien que les formes et les proportions ne soient pas tout à fait concordantes avec celle d’un humain par exemple. Je ne m’y connais pas assez en biologie pour ça mais je dirai qu’il y a fort à parier qu’en me biopsiant il soit possible de retracer la race originelle de ma famille.” Il jeta un coup d’oeil faussement nerveux à son invité pour appuyer la blague. ”Mais en y réfléchissant bien, c’est une information que je me passerai d’avoir ha ha. Désolé pour votre curiosité qui devra malheureusement en rester là.” Il surjoua la dramatisation de cette dernière phrase pour essayer d’amuser un peu la Dame puis il écouta sa question qui portait justement sur sa terre natale.

”Eh bien, ne vous méprenez pas ma Dame, j’aime le Plan de la Terre oui, je m’y sens confortable mais c’est justement la raison pour laquelle j’en suis parti. C’est un endroit en paix pour l’instant, il n’a pas réellement besoin que j’y reste. J’y retourne tout de même de temps en temps pour visiter mon ancienne demeure familiale mais celle-ci est bien cachée et garder par une épaisse forêt alors là encore je ne me fais pas de soucis. Pour ce qui est de la nostalgie, j’ai certes passé de très nombreuses années à l’intérieur du Plan de la Terre mais j’aime bien ma vie orziannaise. J’apprécie fortement le mode de vie duchéen actuel même si rien ne peut-être parfait, il peut toujours être perfectionné.”

Tout en reprenant la marche vers les bureaux, il fronça un pétal de son visage en tournant légèrement la tête vers Cécilia:

”Vous êtes donc allée plusieurs fois dans le Plan terrestre? À quelles occasions si je puis me permettre? Avez vous visité le bazar de Firidös? C’est un endroit amusant et rocambolesque, j’en ai gardé de bons souvenirs toutes les fois où j’y ai mis les pieds.”

Et d’ailleurs cette question lui en faisait venir une autre.

”Je suppose également que vous avez beaucoup voyagé, y a t’il des contrées que vous n’ayez pas encore vu ou exploré? Je serai curieux de savoir…Avez vous déjà vu le Royaume de Teïder de près?”

Cécilia hocha légèrement la tête aux propos de son interlocuteur, notant les informations qu’il lui donnait, sans spécialement insister, après tout c’était possiblement un sujet de discussion malaisant. Quant au trait d’humour qu’il avait fait, il n’était pas mauvais, mais l'amusement qu'elle afficha était surtout polit, sans doute car c’était le genre de chose qu’elle entendait trop souvent en tant que nécromancienne ou médecin pour en rire à nouveau aisément. Avant de finir par dire un tantinet sceptique.

« En paix ? Vous idéalisez peut-être un peu, pour m’y être déjà rendue et avoir pu m’instruire à ce sujet, je peux témoigner que certes les guerres à grande échelles ne s’y trouvent pas, mais il y a des conflits entre essences ou même avec des êtres d’autres plans ou du même, probablement plus rares. Mais quand même.» En somme elle pensait et sans doute avec de bonnes raisons que ce n’était pas non plus un paradis idyllique dénué de toute violence que le plan de la terre, ce avant d’ajouter pensive. « Beaucoup vont dans les Duchés pour trouver une nouvelle vie, pour de bonnes ou mauvaises raisons. » Pour dire qu’elle comprenait son cas, ce avant de répondre simplement.

« Pour diverses raisons en rapport avec mes passions, la recherche d’inspiration ou d’ingrédients alchimiques par exemple. Quant au bazar, je m’y suis rendue, comme dans toutes les cités duchéennes, j’en ai le temps pendant ma longue vie, et comme toutes les cités, il a ses propres charmes, mais je ne vous apprend rien. » Elle se doutait d’ailleurs qu’il essayait d’en apprendre plus sur elle, mais comme beaucoup de monde. Il faut dire, Cécilia avait beaucoup de charmes, donc ce n’est pas comme si elle n’était pas habituée à ce qu’on lui pose des questions ou cherche sa conversation... Puis elle finirait par dire pensive.

« Je ne suis jamais allée dans l’outremonde et un peu au-delà du continent Orzanien, que ce soit en Akkaton, Aros, Ikhyld, Akhavie ou Ilbrym et bien d’autres. Quant à Teïder, j’ai pu m’y rendre quelques fois, jamais sans excellente raison. » Puis de dire avec le plus grand sérieux. « Évitez de vous y rendre, la mort attend trop facilement les imprudents qui y vont. »

Il parcouraient maintenant le couloir dans le sens inverse pour revenir vers le bureau de Beldurande et le petit salon des invités. Sur le cours trajet le Professeur discutait avec l’artiste et il l’écouta sa réaction à ses propos tenus quelques instants auparavant, il fut quelque peu décontenancé par Dame Cassetti. C’était effectivement la deuxième fois déjà dans leur conversation qu’elle prenait au pieds de la lettre ses propos sans y accorder de nuance et il ne savait pas vraiment comment le prendre. Est-ce que son invité le prenait pour un simple d’esprit? Beldurande se sentait un peu gêné et il maintint le silence pendant que la vampire poursuivait en parlant de ses visites au plan de la Terre mais celui qui en était justement originaire continuait dans ses pensées, perturbé par la réaction de la vampire. En plus elle lui en avait parlé comme s’il ne connaissait pas l’endroit, et comment pouvait-elle comparer les rares vendetta familiales et les escarmouches si occasionnelles du plan avec le chaos perpétuel qui régnait à Orzian entre Teïder, les deux nouveaux empires aux ambitions oppressantes et la quasi anarchie des autres terres moins surveillées? Peut-être qu’elle n’y faisait pas attention, ou peut-être qu’une dame de son rang devait avoir l’habitude de faire face à des incultes peu éduqués. Beldurande fit un effort pour mettre l’évènement de côté et se reconcentrer dans la conversation, mais il en avait perdu le fil tandis que la femme le regardait dans les yeux en finissant une phrase avec une intonation de fin de parole. Paniquant intérieurement, il ne souhaitait pas faire l’affront de laisser son invité comprendre qu’il avait décroché de leur discussion, il prit donc un pari.

”Euh. Oui absolument. Vous avez raison.” C’était pitoyable mais si ça ne passerait pas il pourrait toujours se rattraper.

En tout cas ça semblait suffire, puisqu’arrivé devant la porte du Salon, elle répondit simplement à sa question sur les contrées qu’elle n’avait pas encore ajouté à sa collection de voyages… Avant de finir par lui adresser un avertissement sur Teïder! Ha! Si elle savait…

”Votre conseil est bon et il serait bien tombé… s’il était venu cinq cents ans de ça.” Il se permis un petit rire pour montrer qu’il était à l’aise d’en parler. ”À l’époque j’étais une sorte de lame à vendre, mercenaire n’était pas exactement le terme approprié pour me qualifier mais ce n’en était pas si loin que ça. J’ai donc passé la grosse partie d’une cinquantaine d’années à écumer à la fois les marais de Teïder et leurs forces armées. Je ne me suis pas battu uniquement contre eux, mais il faut dire que quand le monde vous déteste, nombreux sont les contrats sur votre tête. Je connaissais bien le Teïder de l’époque, je ne peux qu’imaginer la situation empirer de là et être bien pire aujourd’hui”

Une fois rentré à l’intérieur il poursuivit:

”Je ne suis moi non plus jamais allé dans l’Outre-Monde mais je suis les actualités qui le concerne de près, je prévois d’y faire une descente quelque part dans les années qui viennent, un nouvel endroit aussi vaste à découvrir ça ne peut qu’attiser ma curiosité.”

Il s’apprêtait à proposer de l’accompagner si Dame Cassetti prévoyait un jour une excursion dans le Monde d’en Bas mais il se retint. Il sentait que ce serait peut-être un peu déconvenu de chercher à s’imposer si la proposition venait de lui, et de plus le malaise qu’il avait ressenti tantôt lui faisait sous-entendre que sa compagnie n’était peut-être pas du goût de son interlocutrice. Il préféra donc s’arrêter là, il avait déjà manifesté son intérêt pour l’Outre-Monde donc si Cécilia envisageait une descente et qu’elle souhaitait qu’il l’accompagne elle viendrait d’elle-même le susciter.

”Le royaume que j’ai le moins visité serait sans doute la République d’Eïrn, je crois que je n’ai dû y mettre que deux fois les pieds, peut-être trois si j’en oublie une. Ce que j’apprécie avec le plan de la Terre c’est la connexion que j’y ressens avec la Nature, celle avec un n majuscule. À Eïrn cette connexion est également très forte, plus que partout ailleurs mais… je ne sais pas, c’est différent, je m’y sens mal à l’aise là bas. Comme si la nature est réticente, ou préoccupée.” Il cherchait visiblement le mot juste puis ses yeux s’élargirent lorsqu’il trouva le terme exact qui retranscrivait sa sensation. ”Il y a une absence d’harmonie voilà.”

Il marcha vers la petite commode et du tiroir le plus élevé sorti du papier et un set d’écriture.

”Eh bien, est-ce que vous pourriez m’estimer un devis pour les commandes?”