Celà faisait plusieurs jours que Gruddùr Gruddùrsson avait quitté le Pic Rouge avec quelques uns de ses guerriers. Depuis plusieurs semaines, des rumeurs racontaient que dans une ruine à quelques jours de marche de son fief, les morts se levaient et attaquaient les pilleurs de son clan qui avaient l'audace de s'approcher trop prêt. Une situation étrange, surtout depuis qu'un héraut de la mort s'était présenté devant sa forteresse, exigeant son allégeance et sa soumission au nom d'un Empereur prétendument Éternel. Cesario ... Gruddùr n'avait jamais entendu parler d'un Cesario, mais la Voix de la Montagne semblait inquiète, inquiète au point qu'elle envoya Gruddùr voir par lui-même ces prétendants à sa domination sur la région.

Gruddùr était parti avec une trentaine de guerriers, des vétérans pour la plupart. D'un autre côté, dans ces terres glacés et hostiles, on pouvait, généralement, retrouver que deux sortes de guerriers : des vétérans ou des débutants, les derniers devenant au bout de quelques mois les premiers, si ils n'étaient pas morts avant. Si l'Éternel voulait la bagarre, voulait la guerre, les orcs de Gruddùr étaient partant, ils ne savaient faire que ça d'ailleurs.

Gruddùr et ses compères établirent leur campement en hauteur, adossé à une paroi de la Montagne qui les protégeait aussi de la pluie ou de la neige. Malgré la fourrure des orcs et l'arrivée du printemps, le froid restait mordant, ce qui obligea le groupe à allumer un feu qui illuminait les parois gelées qui les entouraient, se reflètant au loin. Ce n'était pas discret, mais ça avait le mérite de maintenir en vie. Quand à l'éventualité où ça attirerait des prédateurs, Gruddùr considérait que ça éviterait d'avoir a chasser. De plus, leur position leur permettait de voir de loin et des tours de garde étaient organisées pour maintenir une certaine vigilance.Le seigneur de guerre Orc comptait aussi sur la vigilance de Mâchkrân', ainsi que de son flair, le Wyverne avait toujours faim et le fantasme de l'approche d'une proie ne faisait que renforcer ses sens.

Quand à la ruine, elle n'était plus qu'à quelques heures de marche, le groupe estimait y être aux alentours de midi le lendemain.

Uahbra cheminait donc vers le nord, pour affronter, une fois encore, le champion d'une puissance maligne, qui cherchait à forcer les mortels tout à la fois à la soumission et à l'adoration... si, parmi tous ceux qui avaient de telles folies, les anciens dieux nagas étaient évidemment ceux qui concentraient le plus sa haine et sa vindicte, les autres n'étaient pas en reste, pour diverses raisons, ne fut-ce que par la nouvelle famille qu'il s'était forgée en Eïlynster, puisque le Seigneur de la Souffrance autant que Césario avaient jadis cherché à conquérir le royaume, et qu'il ne faisait aucun doute qu'ils le feraient à nouveau si d'avantage on les laissait reprendre l'avantage. D'où la nécessité de les neutraliser, eux ou à défaut leurs sbires et serviteurs, et d'où, donc, son avancée à travers les terres du grand nord en direction de certaines ruines bien précises.

Il savait bien entendu que ce n'étaient pas les seules à être dangereuses, mais apparemment celles-là recelaient un danger particulier. Cependant ce n'était pas pour cela qu'il ne faisait pas attention à ce qui se passait sur sa route et il ne pu manquer de voir, pas très loin d'autres ruines peut-être plus modestes, un grand feu de camp semblant indiquer la présence de nombreux guerriers... amis ou ennemis ? C'était là toute la question, et le guerrier-serpent hésita un moment en contemplant le campement de loin. Il était possible qu'il s'agisse de serviteur des morts-vivants, puisqu'il savait que certaines tribus de la région avaient ainsi fait allégeance au nouveau pouvoir qui se relevait dans le Nord. Il était possible aussi qu'il s'agisse au contraire de leurs ennemis, venus tenter de nettoyer ces ruines pour éviter justement de devoir se soumettre. Et il était possible encore que ce ne soit qu'un hasard, qu'ils campent juste là sans rien avoir affaire avec tout cela.

Sans doute le faux mercenaire aurait-il pu simplement éviter le camp, mais il décida que s'il s'agissait de renforts venus protéger les ruines qui étaient sa destination, il ne pouvait guère se permettre de les voir venir les prendre à revers quand ils seraient déjà aux prises avec les morts-vivants... il décida donc de courir le risque et s'avança vers le camp, guerrier-serpent n'arborant aucune arme mais entouré d'une lourde cape grise, qui leva une main amicale quand il arriva au camp, constatant qu'il s'agissait d'un camp d'Orcs, visiblement des locaux.

« Olà du campement ! Je viens sans mauvaise intention, et sans armes ! »

Il s'était annoncé une fois déjà proche du campement et, sauf à être sous la menace d'armes, il continua de s'avancer jusqu'au feu de camp... si d'aventure il était arrêté avant, il parlerait avant, tout simplement. Il ne disait que la vérité, même s'il ne précisait évidemment pas qu'il aurait pu invoquer ses lames meurtrières d'une simple pensée, bien entendu...

« Je suis Uahbra, et je voyage vers le nord. Puis-je profiter de la chaleur de votre campement ? »

Après tout demander frontalement « êtes vous les esclaves des non-morts ? » était peut-être un peu trop abrupt comme approche... avec de la chance même s'ils étaient ennemis il pourrait du moins les disperser s'il faisait preuve d'assez de subtilité, en tuant les meneurs, par exemple, même s'il espérait ne pas avoir à en venir là, bien entendu.

Uahbra avait donc été vu, mais on l'avait laissé avancer vers le campement des Orcs. Ceux-ci semblaient être de puissants guerriers, mais ce n'était pas très étonnant pour une tribu qui survivait aussi loin dans le grand nord... mais étaient-ils des environs immédiats, ou bien venus de plus loin pour servir, ou pour défier, les occupants de ces ruines ? Il n'avait encore aucun moyen de le savoir, et restait donc sur ses gardes, car ils ne semblaient certainement pas être un camp de commerçants ou même de simples nomades, mais bien spécifiquement une troupe de combattants, qui devaient bien être là pour une raison, en tous cas. Il aurait certainement du mal à tous les abattre s'ils se révélaient être des ennemis, mais il espérait au moins pouvoir les disperser si le cas se posait, histoire d'éviter qu'ils ne viennent en renforts ennemis lors de la mission qui l'amenait si loin au nord.

Dans ce genre de groupe, il n'était pas très difficile d'identifier le chef : c'était celui qui semblait le plus redoutable. Le fait qu'il ait à ses côtés une puissante Wyverne était aussi un bon élément pour l'identifier dans le cas présent, surtout que ce n'était le cas d'aucun autre de ses compagnons. Alors qu'il s'approchait, Uahbra n'eut pas de mal à percevoir son dégoût devant son apparence, ce qui semblait révéler qu'il n'avait jamais vu de Naga, et n'était pas très friand de son apparence exotique... mais bon, il n'était pas du genre à se soucier de ce genre de détails. Visiblement, le guerrier du nord ne parlait pas très bien le dérivé d'Akkatonien qui servait de langue commune dans le nord comme dans beaucoup d'endroits, et que le faux mercenaire avait naturellement utilisé, et il ne tarda pas, après avoir tenté d'y annoncer une réponse, à passer dans la langue orc pour préciser un peu plus sa pensée.

« Je ne suis pas un serviteur de Césario. Je n'ai aucun maître. »

Uahbra avait répondu en commun, car s'il avait de vagues notions de langue orc, comme de la plupart des langages, il ne la maîtrisait pas très bien, car c'était une langue assez peu souvent utilisée hors de leurs communautés. Il avait parfaitement compris ce qu'avait dit celui qu'il supposait être le chef tribal, ou du moins le chef de guerre de cette expédition, grâce à la magie qui résidait dans son collier et lui permettait de comprendre la substance des mots même dans une langue qu'il ne comprenait pas. Si son interlocuteur parlait si mal la langue la plus commune du continent, il n'avait pas idée de quelle langue employer pour mieux s'en faire éventuellement comprendre, et continua donc dans celle-ci, en faisant des phrases courtes et simples.

« Je vais vers le nord. Je suis venu à vous pour savoir ce que vous faites ici. Mais je ne suis pas si facile à écraser... »

Même s'il ne se tenait pas spécialement en garde, il était toujours prêt à esquiver un coup surprise, et ensuite à riposter... au moins ne semblaient-ils pas servir Césario, vu les paroles prononcées, mais de là à savoir s'ils se montreraient amicaux, ce serait encore une autre histoire...