Le Professeur déposa l’épée à plat non loin du socle de la statue du lieutenant et se dirigea vers le mur juste en face pour s’adosser entre une peinture et une bannière. Il se laissa lentement glisser au sol pour se retrouver assis là, par terre, la jambe droite tendue, le bras gauche reposant sur son genou gauche plié, la tête en arrière posée contre la pierre froide du mur.

Donovan était entrain d’accuser la révélation, que la sculpture n’était pas réaliste, qu'elle était réelle, qu’il n’y avait pas d’ami artiste sculpteur mort il y a dix ans, que le Hall de la Mémoire ne rendait pas hommage aux morts, mais à ceux qui avaient eu peur de mourir. Lorsque M.Frâlan s’enquit de savoir si le processus était réversible, le Professeur lui répondit d’une voix absente:

”Exact, au fond il ne s’agit que d’une pétrification un peu particulière, n’importe quel mage de terre suffisamment puissant pourrait retourner le processus, moyennant un peu de recherche.” Beldurande d’Élusie se racla la gorge pour conserver une voix claire. ”Cependant il n’a de l’agonie que la posture. Sous stase, il n’est plus conscient, ne ressent plus rien. De plus ma pétrification soigne passivement au fil du temps, la pierre qui constituait la pointe de l’épée a changé de nature pour réparer les tissus qui constituent maintenant son abdomen. Il est en parfaite santé.”

Donovan reprit la parole, ce coup ci il prononça à haute voix les pensées accablantes qui avaient torturé le Professeur pendant des décennies, ou des siècles.

”Eïlynsterrien, j’ai combattu à ses côtés pendant un an, il s’occupait de missions extérieures, de maintenance du mur et de surveillance des territoires limitrophes. Comme Teïder s’agitaient énormément à cette époque il avait récupéré des escouades de mercenaires supplémentaires pour lui donner un coup de main.
Un jour les teïderriens ont attaqué par surprise pendant qu’on faisait des contrôles dans un gros village, il fallait acheter le temps de faire évacuer tout le monde. Il a donné l’ordre de rester et de se battre.” Beldurande marqua un temps d’arrêt, les souvenirs du sacrifice de sa mère de façon trop similaire le reprenaient d’assaut. ”Nous nous sommes battus, tous. Mais les teïderriens étaient bien plus nombreux et nous tombions tous tour à tour, j’ai utilisé un artifice avec ma magie de la terre pour feindre ma mort et m’enfouir sous le sol. Des heures plus tard, quand j’en suis ressorti, seul le silence des morts était là pour m’accueillir… et les gémissements du lieutenant qui m’appellait. Ils l’avaient laissé pour mort dans la boue et la merde. Quand je l’ai approché, il avait peur. Il avait peur de la mort. Mais surtout il avait peur de ne pas avoir pu en faire assez, peur d’avoir échoué. Je lui ai proposé une alternative, une perspective moins effrayante, un moyen de quelque part pouvoir continuer à surveiller les vivants.”

Le Professeur se releva douloureusement pour s’approcher lentement et se poster debout derrière Donovan. Tout en faisant cela il poursuivit:

”Seulement en leur offrant cette échappatoire, ils sont maintenant hors de leur temps, figé dans un monde qu’ils ne connaissent plus.” Il tournait la tête pour inspecter le reste du Hall. ”Certains d’entre eux pourraient peut-être parvenir à retourner à une vie normale, s’ils échappent aux condamnations et aux dettes qui leur pèsent dessus encore aujourd’hui.” Il reporta son attention sur le lieutenant. ”Cependant je suis quasi persuadé que le lieutenant connaissait des spécificité sur le mur qui font qu’aujourd’hui il serait accueilli à bras ouvert puis éliminé d’une façon ou d’une autre pour sceller avec lui les secrets de jadis, peut-être même torturé pour savoir ce qu'il aurait pu divulguer pendant ses 450 ans d'absence. Le retourner à la normale serait un sort pire que la mort. Malheureusement Donovan je ne peux pas tuer un ami. Je ne peux plus le faire.”

Le Professeur avait les yeux fermés, il pouvait réentendre les voix du passé hurler à ses oreilles et la douleur des blessures qu’il pensait avoir refermé venait de se rouvrir dans un rugissement cinglant. Il en avait déjà dit beaucoup, alors il attendit la réaction de l’homme accroupi devant son compatriote.

Ses paupières se rouvrirent quand il entendit Beldurande s'asseoir contre le mur, ou plutôt, se laisser glisser le long du mur. Artane. Il ne lui accorda pas un seul coup d'oeil, se retenant de trembler comme il pouvait de ce qu'il commençait à apprendre. Le professeur narra un peu le processus de pétrification, tout en rajoutant par après les détails de l'histoire de cet inconnu, de pourquoi Beldurande l'avait figé dans le temps et la pierre. L'Estien ne donnait pas l'impression d'écouter, le regard perdu sur la contemplation de cette sculpture, qui était un homme qui avait été de chair et de sang... Un Eïlynstien, qui avait combattu jusqu'au bout de ses capacités, s'étant préparé à sacrifier sa vie pour sauver le maximum des siens...

Artane entendait les paroles de l'Homme-Arbre, même s'il en donnait pas l'air. Pris dans un tourbillon d'émotions, il veillait à demeurer au centre du maelstrom qui naissant dans son esprit, pour ne pas se faire emporter et ballotter dans tous les sens. Il analysait point par point... Il n'avait pas d'autres choix pour ne pas se laisser prendre par la folie qui pourrait éclore de tout ce bordel émotionnel. Ses dents se serrèrent plus à s'en faire souffrir les muscles maxillaires.

Beldurande avait donc combattu au côté de ce Lieutenant, qui avait fini par se faire blesser gravement et laissé pour mort sur le champ de bataille... pendant que son frère d'arme s'était enterré dans le sol pour fuir... mais pouvait-on parler de fuite quand la situation devenait désespéré... Les Eîlynsteriens se battaient jusqu'au bout ! Mais l'âme restait ce qu'elle était et quand la peur vous prenait, on pouvait guère lui résister. Le professeur avait combattu avec un patriote... pas qu'il en était un. Rien que cela était un point important. Et l'officier avait eu peur de mourir, peur de partir avec l'idée d'avoir échoué dans sa mission. La mort était effrayante quand on la voyait approcher. Artane en savait quelque chose et pensait comprendre le ressenti de son frère de Mur d'un autre temps. Lui à l'inverse, il avait presque invité de ses voeux durant son séjour dans les sales geôles de Teïder. rien qu'à se rappeler cette phase de son existence, il frémit plus fortement encore. La fuite par la mort, c'était une forme de lâcheté. La fuite par la pétrification en était une aussi.

Peur de mourir, peur de se confronter à ce qui passait pour un échec... la fuite par le geste d'un ami. Ces pensées n'avaient de cesse de se bousculer et se percuter. Et son sortilège, pourquoi Beldurande ne l'avait pas annulé une fois cet homme guéri ? Pourquoi tout ce temps à le laisser à l'état de roc ? Peut-être parce que Beldurande avait compris le ressenti de son, et le tout après lui avait dit qu'il pourrait veiller sur les vivants en devenant minéral. Mais en lui offrant cette fuite dans l'éternité silencieuse de la pierre, ne lui avait-il pas menti ? N'avait-il pas renforcer un sentiment de lâche ?

Et de ce qu'il entendit sur Eïlynster, il eut une montée de rage. Son pays n'était pas Teïder ! Les siens n'avaient rien à voir avec ces chiens ! Il avait envie de le hurler, se mordant profondément la lèvre pour taire cet accès de colère. Il se rappelait que trop bien sur le coup de comment lui même avait été considéré à son retour, quand il avait réussi à s'échapper. Mais sa situation n'avait rien de comparable, au contraire de ce lieutenant, qui regardait le ciel d'un regard vide de toute vie, la main tendue en supplique vers les cieux...Il sursauta quand, en tournant un peu la tête, il aperçut Beldurande tout près de lui. Diantre, son coeur battait à en rendre sa poitrine douloureuse. Pourquoi ne l'avait-il pas senti tout à l'heure.

Il leva la tête vers Beldurande, qui paraissait attendre qu'il prenne la parole, comme attendant d'être plus accablé encore... Il avait révélé ce secret qui pesait dans son être intérieur, prenant le risque d'énoncer une vérité à un parfait inconnu.

''Ce lieutenant.... il a eu peur de mourir, qui est une réaction normale. Mais il a eu peur de mourir en lâche, croyant qu'à l'échec et pas qu'au bien qu'il a fait, en luttant jusqu'au bout pour préserver des vies. Vous... Vous l'avez confronté à cette idée, tout en lui laissant miroitant une vaine réalité, avant que son esprit ne se fige dans cette... statue. Et vous l'avez maintenu dans cet état jusqu'à aujourd’hui, croyant qu'Eïlynster agissait comme Teïder...Sa voix était tendue. ''Eîlynster n'est pas Teïder ! Jamais ses frères du Mur ne se rabaisseraient à le torturer, ou à se jouer de lui pour traîtreusement l'éliminer. ''

A travers le maelstrom, il trouva une trouée, dans lequel il s'y engouffra.

''Son sort sera pire que la mort si Teïder apprend ce qu'est cette statue et n'auront aucun scrupule à se l'accaparer. Tuer, massacrer... vous savez ce dont ils sont capables pour arriver à leur fin. Votre ami connaîtra une souffrance sans nom, sans pouvoir mourir, poussé à la question à un tel point qu'il finira par rompre ses serments et dévoiler les secrets du Mur. Si cela se produit, en répondant à son dernier voeu, vous lui offrez le risque de connaître un destin funeste...''

Et ça, après ce que lui avait subi et vécu, il ne le souhaitait à personne !

''Eïlynster est sa patrie. Le doute de sa loyauté sera remise en cause, mais il y a dans les rangs du Mur des guerriers qui l'auront sans doute connu, malgré les 450 années passés. Des registres qui parlera de ses actes de bravoures.... Des historiens qui sauront rétablir la vérité. Vous ne souhaitez pas tuer votre ami... Mais vous pouvez lui épargner de se faire tuer, par ses abjects ennemis. Ne laissez pas cela se produire ! En retournant à son pays natal, il apprendra qu'il n'aura pas échouer. En l'aidant, vous lui rendrez bien plus que la vie. Vous lui redonnerez l'image de l'homme que vous avez vu combattre jusqu'au bout....tout en continuant de protéger Eïlynster en ne laissant aucune opportunité d'être pris par Teïder ! ''

Et ainsi, ne plus être un homme brisé par son propre désaveu... Puis, ce fut à son tour de s'asseoir, plus avachi que droit, croisant ses bras sur le dessus de ses genoux, limite à avoir son front collé à dessus. Diantre ! Si Beldurande refusait cette voie, il n'aura sans doute pas le choix d'une autre solution, pour préserver l'intégrité d'Eïlynster. Et ça... un goût amer lui prit la gorge.

Beldurande était secoué par l’accès de Donovan, il sentait derrière ses paroles la tourmente que son invité lui rendait le service de contrôler tant bien que mal. Les mots de l’homme le transperçaient à l’instar de la lame teïderrienne sur la statue tantôt, car il avait raison. À l’époque, des siècles avant qu’il ne s’affuble du titre de Professeur, il allait sous un autre surnom, dans le groupe d’une dizaine de mercenaires parmi lequel il traînait, ils l’appellaient le Golstoïen. Le sobriquet était dérivé d’un mot simplifié en langue des esprit qui signifie “le Mur, ou ce qui arrête, ce qui enferme” et il lui avait été donné en raison de son style de combat beaucoup plus physique et imposant qu’il employait alors, il était un autre homme, rongé par la colère, la tristesse et le deuil. Sauf que depuis il n’avait jamais trouvé le courage de détruire ces statues, ou pour ceux qui pouvaient l’être de retourner à leur état normal des gens qui avaient désormais tout perdu, biens,  famille et sans doute aussi amis.

”Hhhh.” Mais aucun mot ne sortait de sa bouche, il se tut à nouveau pendant que Donovan continuait.

M.Frâlan semblait presque réfléchir à haute voix maintenant, considérant les risques de la situation et tentant de décider de la bonne chose à faire. Il semblait vouloir inciter le Professeur à inverser le reste de l’affliction du lieutenant, il y avait déjà songé, et même si celui-ci ne serait pas soumis à la Question en retournant dans sa patrie, il y aurait d’autres problèmes qui surviendraient alors. Beldurande, toujours en faisant face à l’Estien tourna la tête pour contempler le reste des statues du Hall.

”Si Eïlynster sera content de retrouver un des leurs après une si longue absence, que penseront-ils par contre, de ceux-ci. Malheureusement, laisser partir mon vieil ami, c’est mettre en danger tout les autres.” L’essence toussa, sa diction se faisait plus difficile et il devait articuler avec plus de distinction. ”À l’époque, j’étais bien différent, un monstre si vous me demandez mon avis. Et je n’aurai jamais dû interférer avec la mort de ces gens, aussi difficile soit-elle pour eux… Ou pour moi. Il ne se passe pas une journée sans que je le regrette.”

C’est aussi la raison pour laquelle il les avait exposé ici. Ces statues attendant le trépas étaient les rappels de ses erreurs, une note concrète qu'il ne pouvait pas fuir pour le maintenir conscient de ce qu’il avait autrefois été et qu’il ne voulait plus être.
Aujourd’hui, il ne pouvait plus trouver le courage ou la haine d’être la main qui donnerai le coup final à ces gens, mais il ne pouvait pas non plus les laisser s’en aller.

”Je comprends vos inquiétudes par rapport à Teïder ceci étant, et effectivement vous avez raison Donovan. Le lieutenant ne peut pas tomber entre leurs mains. Je le protégerai jusqu’à mon dernier souffle, ou alors si je trouve le courage un jour de réparer mes propres erreurs, et de lui accorder le repos qu’il aurait dû trouver sur ce champs de bataille.” Il déglutit. ”Cela dit… je comprendrai également… que vous considériez que nous n’avons pas ce temps.”

Le Professeur redressa son cou pour regarder de nouveau M.Frâlan dans les yeux, accusant son regard. Normalement il appréciait deviner les émotions de ses interlocuteurs, ou relever les détails et enchaîner les déductions comme il l’avait fait précédemment, mais pas ici. Il ne voulait pas réfléchir à ce qu’il pouvait lire dans le visage ou la voix de son invité, parce qu’il ne pouvait pas lui faire face.

Il avait oublié ce détail : les autres statues.... Elles étaient devenues inexistantes pour lui. Pourtant, c'était tout autant des personnes vivantes, que Beldurande avait mis en stase, tout comme le Lieutenant, pour les préserver de la mort, mais pour garder une marque pour qu'il fasse pénitence. Une pénitence qui le dévorait à chaque fois qu'il voyait ces gens qu'il avait connus, lui rappelant ses actes. Mais Diantre, comment pouvait-il s'infliger cela depuis plusieurs siècles ! Il se mentait à lui même de ce fait ! Le professeur reprit la parole, apportant en quelque sorte une petite défense quand à ce que venait presque de suppliquer Artane.  Et comme l'Estien le redoutait, l'Homme Arbre ne pouvait répondre à sa requête... Car il y avait les autres figés. Il tenait à les protéger. Si ce lieutenant revenait à la vie et retrouvait les siens, ce ne serait qu'une question de temps  avant qu'il ne parle de son passé... et les conséquences seront sans appel, autant pour Beldurande, son école et ses étudiants, qui eux, étaient dans l'ignorance la plus totale, dans l’innocence de leur érudition. Les dommages seraient incommensurables. Mais ce n'était rien quand il fallait préserver une nation entière, toute sa population, toute sa lutte face à ces chiens de Teïder !

Artane finit par se relever et fit face à Beldurande. Ses poings étaient serrés. Ils tremblaient sous la tension musculaire que s'imposait l'humain pour retenir le chaos émotionnel. En lutte contre lui même, en lutte contre ses principes et de ceux qu'il avait appris depuis qu'il se rendait en dehors du Mur, il y avait tellement de points à prendre en compte ! La voie qu'il avait espéré s'était refermée. L'amertume s'était faite plus présente, à l'en écoeurer. Et le professeur n'aura jamais le courage de faire ce qu'il y avait à accomplir, pour le bien du plus grand nombre. Par un choix qu'il avait cru secourable, pour offrir le choix d'un homme, il compromettait plus de vie maintenant. Est ce qu'on pourrait dire que cela avait été un choix égoïste, un geste qui datait désormais de plusieurs siècles ? Donc, non, cela n'avait pas été de l'égoïsme.... Beldurande avait été porté par la compassion, rien d'autres, sans savoir ce que cela engendrerait dans le futur...

Artane ferma les yeux, grimaçant de cette colère qui sourdait en lui. Il en voulait à Beldurande d'avoir fait ça. Il en voulait à ce Lieutenant de pas avoir accepter la mort par crainte de l'échec. Il en voulait.... Bon sang  ! Il s'en voulait surtout d'avoir accepté cette mission et d'avoir accepté d'apprendre cette vérité ! Heureux étaient les simples d'esprits. Et maintenant ? Et maintenant ! Il n'avait pas d'autres choix que d'agir.

Sa respiration était saccadée. Pour Eïlynster... pour préserver des vies. Pour le repos de l'âme de cet officier.

''Le temps est ce qui vous manquera, Beldurande. Si vous ne pouvez pas lui offrir le repos.. Alors je le ferai. Ayez le courage de lui offrir cela, même si ce ne sera pas de votre main. ''

Un frère du Mur devant tuer un autre frère. Il déglutit. Il avait toujours cru ne pas avoir à accomplir pareil acte... Mais c'était pour Eîlynster... pour ce lieutenant.

''Il ne faudrait pas qu'il se réveille ici, parmi toutes ces statues, et ces peintures......''

Comme dans son fond intérieur, il voulait épargner les autres personnes minérales de fixer ou d'entendre ce qu'il avait l'intention de faire.

''Il mérite de se réveiller dans la dignité avant......''

Sa gorge se serra. Il n'arrivait pas à vocaliser le reste.

''Avez vous un lieu où le déplacer ? Comprenez que vous ne pouvez plus reculer....''

*Car si vous reculez, Beldurande... là vous serez un monstre....*pensa-t-il. Qu'il accepte bordel ! S'il n'avait pas le courage de le faire lui-même, qu'il accorde la finalité par un tiers, c'est à dire lui, un lieutenant d'Eïlynster... Quelle ironie en même temps... un Lieutenant aidant un autre Lieutenant à trouver le repos dans l'honneur...

Tandis que les deux personnes se tenaient silencieusement debout dans le Hall, en réfléchissant vainement à une échappatoire à leur inextricable dilemme, ils tentaient tout deux de se contenir.

L’une des malédictions de la longévité -et aussi de la mémoire qui l’accompagne souvent-, c’est qu’on a tout le temps du monde pour vivre avec ses regrets. Beldurande espérait quelque part au fond lui que l’Estien fermerait les yeux, qu’il partirait, qu’un jour le Professeur puisse venir au terme avec lui même et accepter de se pardonner, qu’il puisse enfin faire ce qui était juste. Il savait fort bien que la justice n’est pas d’aboutir à une situation juste, mais plutôt de partir du monde déséquilibré et amoral qu’est celui dans lequel on vit, et de choisir la meilleure décision. Pourtant ici la réalité le rattrapait et lui faisait aujourd’hui comprendre que nul ne peut repousser éternellement une décision aussi importante, et M.Frâlan était comme le Procureur de la providence, juge et bourreau.

Quand celui ci lui annonça qu’il s’occuperait personnellement de l'exécution, le Professeur dévia juste son regard vers le bas, honteux. Il se retourna vers la statue du lieutenant en sortant sa main droite de sa poche, et tendant les doigts il leva lentement son bras alors que la sculpture imitait son mouvement grâce à la télékinésie, lévitant à un petit mètre au dessus du sol.

”Il serait sans doute mieux de faire ceci dans la cour.”

Écarter ses lèvres après ce silence lui avait coûté plus d’effort que l’utilisation de sa magie, maintenant qu’elles étaient entre-ouvertes, il en profita pour rajouter:

”La statue peut être détruite comme telle, sans qu’il ne ressente quoi que ce soit, ni ne le sache jamais. Si je le ramène à la normale, il sera d’abord paniqué et confus mais il sera conscient immédiatement. Je…” Il se mit à marcher, comme si l’action de mouvement de ses jambes auraient un effet similaire sur ses pensées. ”Je n’ai aucune idée de quoi lui dire une fois que je l’aurai fait.”

Il avait dit ça un peu comme à soit même, démarrant sa phrase pour formuler sa crainte d'affronter celui qu'il avait plongé dans le sommeil de pierre, mais changeant d'avis au courant de sa phrase. Il avait considéré le fait de tuer le lieutenant tel quel mais la pensée de l'exécuter sans jamais lui avoir ré-adressé la parole était peut-être plus désagréable encore. Les morts emportent avec eux tout les secrets qu'ils n'auront jamais révélés, mais ils laissent les vivants avec le regret de tout ce que ceux ci n'auront jamais pu leur avoir dit, il ne voulait pas fermer ce chapitre sans avoir pu demander le pardon à son ancien partenaire.

Ils descendirent les escaliers pour se retrouver de retour dans le Hall Principal, où tout avait commencé, en passant entre les quatre grosses colonnes de maintient ornées des valeurs de l’École, ils étaient maintenant devant l’entrée de la cour intérieur du bâtiment. Quatre grand kiosk disposés en croix meublaient le grand jardin d’herbe verte, chacun d’entre eux possédaient en leur centre une fontaine dont les jets d’eau rafraîchissaient sérieusement l’air pendant les jours de chaleur des saisons chaudes. Sur les côtés de la cour étaient disposés des bancs, des par-terre de fleurs et divers petit meubles permettant d’habitude aux élèves de se livrer à des activités en extérieur. Tout ces aménagements faisaient normalement de l’endroit un havre vivant et grouillant dans lequel il était agréable de se ballader, mais la cour était vide et le silence des deux personnes à l’entrée de la plus grande porte n’était troublé que par le clapoti irrégulier des fontaines des kiosks et des carpes dans le bassin à leur gauche. En levant la tête, le soleil du début d’après midi inondait le jardin de ses rayons lumineux.

Pendant que l’espace d’un instant il marqua une brève halte dans le cadre voûté de la porte, il laissait ses yeux s’habituer à la vivacité aveuglante de la lumière extérieure, mais alors qu’il s’apprêtait à reprendre la marche, une pensée lui traversa l’esprit et le figea dans son élan.

”Donovan.” Il regardait fixement l’Estien, un regard inquiet sur le visage. ”Si… si je ramène le lieutenant à la vie, il est également possible que devant la situation il souhaite mettre fin à ses jours lui-même plutôt que de vous laisser le tuer.” Le Professeur ne savait pas quoi en penser. ”Je… je ne suis pas sûr d’être confortable non plus avec cette idée, mais je suppose qu’il à le droit de choisir… jusqu’au bout.” Il sondait Donovan pour chercher un semblant de validation externe.

Artane avait lui aussi détourné la tête,pour esquiver ce qu'il pourrait lire comme reflet d'émotions dans les cinq yeux du Professeur. En même temps, Il lui épargnait l'éclat emploi de froideur de son regard brun quand à la décision prise... La rage était encore bouillonnante, mais lentement, elle refluait, pour laisser doucement place à quelques reproches qu'il gardait pour lui et surtout... du remord. Ou était-ce de la tristesse ? En tout cas, c'était quelque chose qu'il n'aimait pas....

Sans mot dire, Beldurande usa de sa magie pour commencer à faire léviter la statue, en expliquant où sera sa destination. Les épaules d'Artane s'affaissèrent de soulagement. Au moins, Beldurande ne cherchait pas à fuir ce qui devait être fait.... Mais tant que tout n'était pas achevé, il ne pourra se montrer compatissant. Mais le pourra-t-il par après ? Il ne saurait le dire.

''Va pour la Cour. Détruire ce qu'il est, là maintenant, ce serait plonger son âme dans la croyance de son échec. Et dans un cas comme le sien, il ne faut pas réfléchir à quoi répondre... Vous verrez bien une fois sa délivrance minérale de faite...''

L'humain se doutait bien que la peur dévorait le coeur et l'esprit de l'Homme Arbre. Beldurande allait se retrouver confronter à ce qu'il avait toujours fui, même si son erreur avait demeuré sous ses yeux durant toutes ces années. Le temps était venu d'affronter ses peurs. Il n'avait plus le droit de reculer. Tout se payait un jour ou l'autre....Et de plus, Artane ne pourrait plus se regarder dans une glace s'il venait à tuer son frère de Mur sans que celui-ci ne sache la vérité. Détruire la statue reviendrait à détruire une chose, un simple objet sans, juste bon à jeter. Non, il était un être vivant !

Ils descendirent en direction de la Cour, prenant la voie du Hall Principal avant de se retrouver dans la cour intérieur. Le silence des lieux était toujours plus oppressant.. ou l'était-il plus encore, alors qu'ils n'étaient pas encore à la fin de la journée. La fourmilière estudiantine qui avait été présente moins d'une heure plutôt, laissant un vide au sein de l'Ecole, tel qu'Artane avait l'impression de se trouver dans un autre monde. Il crut même se sentir mal... devenant plus un bourreau amenant le supplicié à l'échafaud que d'être un Eïlynsterien allant apporter le repos digne et mérité d'un autre Eïlynsterien. Ses mains tremblaient, devenant poisseuses. Son coeur reprit un rythme cognant, rendant chaque souffle douloureux.

Les deux uniques vivants des lieux stoppèrent à hauteur du cadre voûté. Tout comme Beldurande, Artane plissa les yeux devant la vive luminosité de l'extérieur. De ce qu'il vit lui donner un peu de baume apaisant au coeur. La splendeur du jardin était peut être le meilleur cadre qu'on pouvait offrir à ce lieutenant... Le chant des fontaines appelaient à la sérénité, à la paix de l'esprit.Bien... il fallait avancer. Le Professeur l'interpella avant qu'il ne fasse le pas en avant pour pénétrer ce jardin.

Il tourna la tête vers le Professeur.

''S'il vient à prendre de lui-même la décision, vous ne pourrez vous estimer fautif de son choix. Au contraire, vous lui ferez grâce d'une totale liberté décisionnelle, même si ce sera dur, autant pour lui que pour vous, j'en ai conscience. ''
°Et que dire pour moi, qui vais, quelque chose la voie prise, aura provoqué la mort de cet homme pour préserver des vies et Eïlynster ? °
''Il est temps....''

Aux alentours de 1530, quelque part à Teïder, non loin de la Muraille d’Acier

Il avait échoué.

Les fumiers de Teïder les avait pris par surprise en lançant l’attaque sur le village, il n’y avait pourtant rien d’intérêt dedans si ce n’était de supprimer des rebelles teïderriens sympathisant à une cause libre, mais il supposait que pour ces fils de l’enfer rien que le sang versé était une motivation suffisante pour faire quoi que ce soit de leurs misérables vies.

Il avait échoué.

Le chien de cavalier qui l’avait flanqué lui avait laissé un petit cadeau souvenir en acier, qui mesurait à peu près 60 centimètres de long et se tenait debout bien logé dans son abdomen. Il devait avoir l’estomac percé parce qu’il pouvait sentir le sang commencer à remonter dans sa gorge. Ses forces le quittaient et sa tête tournait, il ne savait pas si tout ses membres n’étaient que douleur ou s’il perdait peu à peu ses sens sous l’épuisement de son corps mourant à petit feu dans la boue et le sang de ses hommes.

C’était terminé. Il allait mourir là, maintenant. Comme ça. Comme un chien. Non, comme un soldat, c’est ce qu’il avait toujours voulu n’est-ce pas? C’était comme ça qu’il se l’était toujours imaginé.

Ses bras retombèrent sur le côté et sa tête bascula pour contempler le reste du champ de bataille. Les teïderriens étaient parti depuis quelques dizaines de minutes maintenant, aussi vite qu’ils étaient venus, et derrière eux ils avaient semé le paysage désolé qui s’offrait maintenant à lui. Il voyait les maisons brûler, ses hommes morts couchés face dans la merde, certains civils infortunés qui n’avaient pas pu fuir étaient également pourfendu ça et là, bientôt pensa-t’il ils seront rejoins par leur proche, la cavalerie les auront sûrement rattrapé avant qu’ils n’atteignent la Muraille d’Acier à une dizaine de kilomètres d’ici.

Les regrets commencèrent à arriver tandis que les bords de sa vision s’assombrissaient.
Il avait failli à protéger ces villageois, pire il avait même quelque part provoqué l’attaque sur le village en voulant y faire des contrôles de sécurité, jamais Teïder n’aurait prit la peine d’y mettre les pieds aussi proche du Mur sinon. Il les avait condamné. Il cru apercevoir une femme morte devant le perron d’une maison en flamme. Sargas eut une pensée pour sa femme, Lizzie et son enfant. Il ne pourrait plus les revoir. A ce moment là son corps se braqua comme mû par son instinct de survie, il ne pouvait pas abandonner sa famille, pas de la même manière qu’il avait abandonné ses hommes.
Ses hommes putain. En entendant les clairons des guetteurs il avait réfléchi dans l’urgence de la situation et ordonné de diviser leurs forces pour évacuer les civils et acheter du temps. Son erreur de jugement leur avait coûté la vie à tous. Il ne pouvait pas mourrir là, il ne voulait pas que ces regrets soient ses dernières pensées, partir avec l’amertume de ne pas avoir été à la hauteur des valeurs qu’il défendait.

D’une main il agrippa le tranchant de la lame qui le clouait au sol, tentant de se relever en vain, ce qui lui arracha tout de même un cri de douleur. Contre toute attente une voix retentit au milieu du charnier en hurlant désespérément pour crier son nom.

”Sargas? Sargas c’est toi? Où es tu?”

Cette voix… C’était le Golstoïen, alors lui il avait survécu? Il gémit de douleur sous l’effort en tentant de lui répondre mais tout ce qu’il parvint à faire était de murmurer à voix basse. Cela suffit à se faire entendre parmis le silence des martyrs, parce qu’il vit le heaume aux cornes lugubre du Golstoïen trancher le bleu azuréen du ciel, se penchant vers lui. Il était salement blessé lui aussi. Son armure de gré d’habitude grise comme le roc était teintée de rouge vermeil, et une partie du plastron et la totalité des protections du bras gauche avaient étées détruites, son bras était inerte, pendant avec ses mouvements. Sa voix qui résonnait dans son heaume lui donnait un aspect caverneux sinistre:

”Oh Sargas, je suis désolé.”

”Argh argh.” Parler coûtait au Lieutenant un effort sur-humain. ”Où sont les autres Doménéris?”

”Morts. Tous.”

”Bel, j’ai vécu toute ma vie pour servir mon pays, je ne veux pas mourir en les ayant tous failli. J’ai peur de la mort. Je…” Les larmes commencèrent à couler sur les joues du Lieutenant, la douleur qu’il ressentait dans son coeur était plus grande encore que celle qui lui déchirait les tripes. Si le Golstoïen avait encore un peu d’énergie en lui, il savait qu’il pourrait faire quelque chose. ”Sauve moi Bel. Ne me laisse pas je t’en prie.” Ramassant ses dernières forces, il tendit la main vers le ciel pour prendre celle de son ami. Il dévisageait Beldurande, cherchant son visage au travers des trous de la visière du casque sans pouvoir y trouver un regard, tandis que tout devenait lentement noir…


Lorsqu’il recouvra la vision, il hurla… se palpant frénétiquement le bas ventre pour en ôter l’épée avec des forces qu’il ignorait qu’il possédait encore mais ses mains ne brassèrent que de l’air. Relevant la tête il pris conscience que la douleur également avait disparue, ainsi que son état d’épuisement. Il se redressa pour s’asseoir sur le sol… fait de pierre?

En réalisant le soudain changement de son environnement il se rendit compte qu’il était complètement ailleurs, il avait eu une autre conception de ce à quoi l’au-delà ressemblait, même s’il se rendait peu à peu compte que ses sensations étaient bien trop réelles. Il se trouvait dans un joli jardin, assis sur une dalle de pierre au milieu de ce qui ressemblait à un petit temple ou à une riche demeure. Il ne comprenait pas ce qui s’était passé, l’instant d’avant il était allongé dans la boue et la terre, au porte de la mort et là… En tournant la tête il remarqua les deux personnes à sa gauche, il n’en reconnaissait qu’une d’entre elle, ou du moins partiellement. S’il n’avait jamais vu le Golstoïen sans son armure, il l’avait tout de même souvent vu sans casque, et il était physiquement bien différent d’il y a quelques secondes. Dans l’instant il était crédule, il se doutait de ce qui avait dû se passer, Beldurande lui avait souvent raconté des histoires sur la magie de pétrification et il l’avait même plusieurs fois vu à l’oeuvre.

”B… bb-b-Bel? On est où?” Il se sentait pas blessé mais il se rendit compte qu’il lui restait du sang dans la gorge. Tout en se relevant précautionneusement, il cracha visqueusement dans l’herbe en passant sa langue sur l’intérieur de ses joues pour tenter d’en laver le goût cuivreux. Il regarda aussi l’autre homme à côté de son ami, un type au visage aussi charcuté que le dos du Lieutenant. ”Et vous, qui êtes vous? Que s'est-il passé? Est-ce que... est-ce que les villageois sont sains et saufs?”

Le lieutenant Helkin SARGAS attendait une réponse pendant qu’il reprennait peu à peu son calme.

Beldurande avait agi avec l'aide de sa magie pour redonner chair et vie à l'homme figé dans la pierre. L'Estien ne put qu'être estomaqué en voyant la statue donner les couleurs de la vie à l'officier. La vie de cet homme avait cessé à l'instant ou l'Homme Arbre l'avait touché pour le minéraliser. Et quand l'homme hurla sa souffrance,  Artane ne put réprimer un frisson en entendant son cri d'agonie. Vivement, le réveille tâta son corps, cherchant l'épée honnie qui avait condamnée son existence à la mort. Surpris de découvrir que la lame mortelle n'était plus en place, il se redressa, totalement éberlué. Artane préférait attendre qu'il termine de reprendre ses esprits.

Il essaya pendant ce ''retour à la vie'' , d'être à sa place... cet homme devait se rappeler être sur le point de mourir avait d'être statufié. Comme lui avait expliqué Beldurande, les individus qu'il pétrifiait n'avaient aucune notion du temps qui passait. En clair, ce lieutenant n'avait pas perçu le passage du temps, de plus de quatre siècles... Là, il venait de se réveiller... comme si ce qu'il avait vécu datait de quelques instants... Quelle sensation perturbante cela devait être... Artane serra les dents. Ce n'était pas le moment de faire dans le sentimentalisme.

L'officier termina de se remettre de ses émotions, crachant le dernier reliquat d'une meurtrissure qui aurait dû le mener à la mort. Le sol dallé du jardin reçut un des reliquats d'un passé révolu, et pourtant bien réel. Puis, le réveillé fixa tour à tour, portant son interrogation sur Artane.

Voyant que Beldurande ne paraissait pas réagir immédiatement ; essayant de trouver les justes mots pour son ami, Artane s'était rapproché, s'accroupissant pour mettre un genou à terre et fixa son homologue militaire. Après lui avoir fait un salut de frère d'arme à frère d'arme, il tâcha de se présenter comme il se devait, et le tout dans le parler eïlynsterien, celui de son pays natal. Nul doute que Beldurande comprendra ce qu'il dira. Mais pour ce Lieutenant ? Plusieurs siècles pouvait avoir imposé des différences linguistiques ! Tant pis, Artane s'était lancé. Et tant pis si Donovan disparaît au profit de sa véritable identité.

''Frère du Mur.....Je suis le Lieutenant Nordan, de la 3eme brigade de cavalerie d'harceleur. Il s'est passé que.... votre ami...''Dit-il en tournant un peu la tête dans la direction du professeur..... a répondu à votre souhait. Pour vous répondre, une grosse partie des villageois ont pu réchapper à l'infâme attaque de ces chiens teïderiens.

Artane ne pouvait esquiver le dégoût de prononcer le nom de leur ennemi juré qui le prenait à la gorge et qui vibrait de ce fait dans sa voix.

''Votre ami m'a narré votre dévouement combattif, à tenir jusqu'au bout.. et de ce qu'il m'a raconté, avant de vous... figer, est que vous pensiez avoir échoué. Vous n'avez pas échoué... Vous avez tenu jusqu'au bout, au péril de votre vie, la sacrifiant avec honneur.  ''

Il sentit une boule se former dans ses tripes... il arrivait à un épisode délicat. Bordel ! Pourquoi cela lui incombait ! Il maudit un bref instant la lâcheté de Beldurande.

''Mais... en devenant pierre, vous n'avez pas senti le temps passé. Plus de quatre siècles sont passés..... Mais le Mur est toujours là ! Notre Nation, Eirlynter est toujours vivante ! Elle n'a jamais capitulé face à ses abjectes ennemies ! Vous avez combattu par le passé, vous avez tenu tête à nos ennemis ! Ne croyez pas à l'échec.... Le mur est toujours debout ! Vous avez aidé à sauver des vies, vous avez contribué à préserver Eïlynster !''

Artane sentit ses yeux le piquer. Etait-ce des larmes qui lui montaient aux yeux ! Diantre, lui qui voulait éviter les effusions émotifs... C'était raté !

La peur est souvent le résultat de l’inconnu. Ne pas savoir ce qu’il va se passer ensuite, ne pas connaître les intentions d’un adversaire, ne pas être sûr des risques qu’on prend. Beldurande se doutait de tout ce qui pouvait se passer une fois qu’il réveillerai le lieutenant, cependant ce qu’il ignorait -et qui le terrifiait- était de savoir de combien de temps il aurait besoin pour s’en remettre, pour combien de temps est-ce que ce qu’il s’apprêtait à vivre allait le hanter. Tandis que Donovan se présentait au Lieutenant en utilisant sa langue natale, il restait impassible, derrière l’Estien, son Eïlynsterien était rouillé comparé à l’époque mais il avait tout de même aujourd’hui bien plus de facilité à le comprendre qu’à le parler, il écoutait M.Frâlan se présenter comme un militaire et rassurer le lieutenant à la fois sur la réussite de l’extraction des villageois et sur la pérennité de leur patrie à travers les âges.

”Qu…Quatre siècles?” Le Lieutenant pris le temps d’accuser l’information. ”Merde. Pourquoi? Golstoïen réponds moi, pourquoi?” Sa voix tremblait, il semblait à la fois dégoûté, trahis et sous le choc. Ces réactions étaient plus que compréhensibles pour Beldurande.

Le Professeur fit quelques pas vers l’avant et s’accroupis dans l’herbe pour être à leur hauteur, la mine sombre.

”Je pense que tu as le droit à des explications… alors, voilà…” Beldurande lui raconta ensuite comment il avait enterré la statue du Lieutenant sous le sol du champs de bataille, comment il était venu la rechercher plus tard. Pourquoi venant à peine de maîtriser la technique de pétrification de stase il avait eu énormément de mal à soigner l’état critique du Lieutenant, et que 70 ans plus tards, il avait pris la décision de conserver les statues pour les protéger dans son domaine élémentaire. Il expliqua aussi comment il avait finit par fonder une école, et comment Donovan était venu le chercher.

Pendant qu’il écoutait le récit de sa vie vue de l’extérieur, le Lieutenant regardait Beldurande avec tantôt perplexité, tantôt confusion. Lorsqu’il fut terminé, Sargas semblait réfléchir et se mit debout, puis il rendit enfin son salut militaire à M.Frâlan.

”Alors finalement je dois réellement mourir hein… Ha! Quelle longue journée de merde.” Le Lieutenant semblait étrangement accueillir la nouvelle. ”Dans ce cas laisse moi au moins le choix de l’arme, celui ci est un acier bien plus doux à mes oreilles…” Il tira du côté de sa cuisse sa dague cachée sous la jupe de la jambière. ”Qu’importe la mort, car nos frères reprendront le flambeau, qu’importe la mort, si nous ne périssons pas tel des agneaux .” Il avait récité la citation de son hymne patriotique avec une légère pointe de mélancolie dans sa voix. Il reprit: ”J’ai vécu par l’épée je périrai par l’épée ça fait partie de mes aspirations. Cependant…” Beldurande écarquilla les yeux lorsque le Lieutenant tendit le bras, pointant la fine lame en sa direction. ”Ma loyauté va à mon pays et à ma famille, ce sont eux que j’ai juré de protéger. Je suis navré Golstoïen. J’ai déjà cédé une première fois face à l’adversité, ce n’est pas pour céder une nouvelle fois face à un ami. Lieutenant Nordan, à quelle distance sommes nous de la Muraille d’Acier?” Des larmes coulaient à nouveau sur le visage du Lieutenant Sargas.

Artane ne pouvait imaginer ce que pouvait ressentir l'officier. Plus de quatre siècles s'était passé là où sa vie reprenait quelques secondes après avoir été figée... Le choc que cela devait être, de savoir ce temps qui avait défilé en une fraction de souffle. Comment accepter sans broncher qu'on avait perdu des amis, des membres de sa famille...toute une époque qui était passé sans lui, avant de s'enchaîner par une autre et une autre encore. Bien des générations étaient nées, avaient vécu et avaient péri avant qu'ils ne reviennent à la vie. Combien de gens se rappelleront de lui ? Combien d'amis capable de vivre des siècles lui restaient-ils encore, pour peu qu'ils n'étaient pas morts courageusement pour le Mur ?

L'Estien ne pouvait pas imaginer ce que ressentait le Lieutenant. Il fallait le vivre pour vraiment en ressentir les effets et les conséquences.

Beldurande s'était rapproché de son ami, s'accroupissant pour se tenir presque en face de lui. Là, il lui narra ce qui s'était passé, depuis le début de la pétrification de l'humain jusqu'à son retour à la vie, là, maintenant. Son ami l'écoutait, perdu entre bien des émotions, cherchant à comprendre et peut être même à être sûr de ne pas rêver. Artane avait mal pour lui sur l'instant.

Puis, quand le Professeur eut terminé son récit, l'humain demeurait silence. Il finit par se lever, salua Artane du salut militaire, comme s'il arrivait à reprendre pied, malgré ce qu'il était en train de vivre. Artane s'était levé quasiment en même temps. Là, il reprit enfin la parole. Aux premiers mots qui franchirent ses lèvres, on pourrait penser qu'il prenait bien les choses, malgré l'extraordinaire retour à la vie qu'il avait subi. Puis, sereinement, il tira une courte lame cachée dans ce qui lui restait de son armure, dernier vestige de sa vie passé, même si cela était le fracassant présent pour lui. Aussitôt, l'officier récita quelques mots de leur hymne national. Artane ne put s'empêcher murmurer, à la suite de la phrase dite, le refrain qui suivait.

''Au nom de la patrie, jusqu'au bout nous nous battrons. Au nom de la patrie, s'il le faut nous mourrons''

Diantre, il était devenu trop sentimentaliste sur le coup. Il serra les dents. Comment ne pas être ému de voir un compatriote d'un autre temps, qui avait combattu et repoussé l'ennemi ? Par contre, il n'avait pas prévu que le lieutenant pointerait sa lame vers son ami Beldurande, qui portait un autre nom à l'époque. Le Professeur en avait été stupéfiait. Etait-ce le geste, ou les paroles que l'officier eux à son égard ? Les deux sans doute....Comment ne se sentir trahi, après ce qu'il avait vécu ?

Puis, il s'adressa à Artane, pour savoir à quelle distance ils se trouvaient du Mur. Artane eut une crispation dans ses mâchoires. Est ce que cela le ferait changer d'avis ? Il espérait que non.

''Nous sommes loin de la Muraille, mon frère. Nous sommes dans la moitié sud du continent... A savoir à plus d'un millier de kilomètres...''dit-il en baissant légèrement la tête et en hochant cette dernière.

Le réveillé voulait sans doute revoir la Muraille une dernière fois...

Face à la réaction agressive du Lieutenant, Beldurande était pris au dépourvu, il n’avait pas songé à ce que le soldat le considère comme un obstacle pour regagner sa patrie. Il avait beau lui avoir expliqué que sa vie mettait en danger celle des autres dormeurs, il était visiblement impossible de lui faire entendre la raison.

”Lieutenant, je suis au regret de vous le signifier, mais après 450 ans, je crains que la famille que vous souhaitiez regagner ne soit plus tout à fait la même.” C’était la meilleure façon qu’il avait trouvé dans l’instant pour faire comprendre à son ami que l’ellipse temporelle dont il avait été victime avait de plus graves implications que ce qu’il semblait saisir.

Lorsque l’Eïlynsterien entendis la distance qui le séparait de la frontière d’Acier, son regard défailli sous le coup du doute et la main qui tenait la dague perdit grandement en conviction.

”Alors nous avons donc tout le temps de nous faire capturer sur le chemin du retour… Si tant est que quelqu’un nous lache des chiens de chasse aux trousses.”

”Et je le ferai. Je te l’ai dit, mais tu ne peux pas partir d’ici. Je t’ai offert un sursis factice et avec le temps je me suis rendu compte que je n’aurai pas dû. Chaque histoire a une fin, les faire durer ne fais souvent que les gâcher.”

”Mon histoire Golstoïen ne se finira ni ici ni aujourd’hui.” Il se tourna vers Donovan sans rabaisser son arme. ”J’ai hésité avant de me présenter, votre parler est étrange et je ne reconnaissais pas votre accent mais je suppose maintenant que c’est dû à l’évolution de notre langue. Je suis le Lieutenant Helkin SARGAS, 1ère Brigade d’Infanterie d’Expédition extra-muros, entendez mon nom Lieutenant Nordan, car tant qu’il y a encore des Frères du Mur en vie, je donnerai la mienne pour les défendre. Laisse moi partir Bel.” Il rassura sa prise autour de son arme en se rapprochant de telle sorte que la pointe de la dague fasse contact avec le plexus de l’Essence.

Le Professeur était perdu, il ne savait pas s’il devait s’insurger contre son vieil ami, accéder à sa demande, commencer à réfléchir à des mercenaires capables de les traquer et de le tuer, il ne savait pas du tout quoi faire. Ce qui lui causait le plus de tort, c’était le facteur inconnu qui se trouvait à sa droite, Donovan n’avait murmuré que quelques mots pour le moment et Beldurande ne savait pas s’il rejoindrait le parti du Lieutenant ou s’il resterait sur l’idée de départ qu’ils s’étaient tout deux fixé. Il savait que les hommes d’Eïlynster vouaient pour la plupart une loyauté exemplaire à leur nation, donc il avait tout de même une légère intuition sur ce que M.Frâlan-Nordan allait choisir. Il préféra donc le questionner directement pour être fixé:

”Donovan?” La lame sous la gorge, il regardait du coin de l’oeil son invité.

Beldurande n’était pas dans une position de force et il lui fallait trouver un moyen de récupérer au moins un début de contrôle sur la situation, malheureusement à cette distance il lui était impossible de démarrer la moindre incantation avant que la dague de Sargas ne l’arrête net. Il continua donc à réfléchir sans rien dire pendant un long moment.

Artane eut l'impression de prendre une gifle dans son esprit. Diantre, mais pourquoi ne l'avait-il pas vu venir ! Il aurait du se montrer plus explicite de la finalité de ce réveil ! Et voilà ce qui se tramait ! Le lieutenant réanimé menaçait le Professeur dans le but de l'occire si besoin était pour retourner à Eïlynster. Ca, ce n'était pas du tout prévu au programme. Il se maudissait de s'être laissé trop porté par les émotions qui résultaient d'avoir éveillé un compatriote dans le but de lui faire comprendre qu'il était lui-même une menace pour leur nation natal. Le fait qu'il ait sorti sa dague, Artane ne l'avait perçu que comme une mise en garde. Quel imbécile il avait été !

Maintenant que Beldurande était menacé par un ami qui avait pris la décision d'être Eïlynsterien à part entière et de retrouver la voie de sa patrie, Artane devrait se montrer prudent. Par son manque de jugeote, il avait laissé les choses lui échapper des mains. Voilà où on en était désormais, lui qui voulait éviter le moindre dommage collatéral. Si cela dérapait, cela entraînerait une avalanche d’événements qui ne pourra qu'être profitable aux ennemis du Mur... et les Teïderiens ne seraient que plus ravis d'avoir les autres contrées occuper sur un nouveau front. Et tout cela par sa faute ! Tout ce à cause de ce qu'il pensait être qu'une statue basique manquant de représenter un symbole propice à Teïder.

Il se rapprocha de Beldurande et du lieutenant Sargas, vu qu'il s'était présenté comme tel. Un nom qu'il avait du entendre dans quelques récits héroïques des batailles du passé.... En se rapprochant, il posa sa main sur le poignet armé, l'invitant, un peu de force à l'abaisser, tout en le regardant fixement droit dans les yeux.

''J'entends votre nom, Lieutenant Helkin et il vibre dans les histoires de batailles héroïques des siècles passés, inspirant bien de jeunes gens avides de devenir eux aussi de farouches combattants face à Teïder....Le temps est passé et vous l'entendez bien, mon frère. Mais est ce ce que cela vaut le prix de la mort de Beldurande, qui a été votre ami, votre allié dans votre dernier combat ? Oui, il a commis l'erreur de vous pétrifier et de vous maintenir de pierre, mais c'était un geste sincère et franc, comme tout ami pourrait être amené à faire pour sauver une vie, pour exaucer un choix. ''

Il serra les dents.

''Vous avez commis tous les deux une erreur qui aujourd'hui, si elle n'est pas réparée, aura des effets dévastateurs pour Eïlynster comme pour le reste du continent. Je n'ai pas précisé que j'étais venu pour vous aider à notre mère patrie, mon frère.... Si nous nous engageons sur la voie du retour, c'est que vous aurez occis Beldurande. Nous sommes dans les Duchés, actuellement en guerre contre Teïder. Si vous tuez le Professeur, les Duchéens auront tôt fait de savoir ce qui se sera passé, et viendront s'en prendre aux nôtres. Teïder ne sera que plus enchanté de voir une telle opportunité se passer.....''

Et maintenant, à lire d'apporter les véritables raisons de sa visite à l'Ecole.

''De base, je ne pensais que vous n'étiez qu'une statue, à laquelle je devais trouver une solution pour empêcher des agents de Teïder de vous découvrir et de vous mettre la main dessus. Car, vous représentiez aux premiers abords d'un risque de propagande pour ces fanatiques... mais maintenant que vous êtes dépétrifié, ils auront moins de boulot s'ils venaient à vous capturer. Et ça, je dois empêcher que cela arrive... Pour Eîlynster, je ne peux pas vous laisser partir....''

Il maugréa mentalement. Il était là pour accomplir une mission qui n'avait qu'une voie possible pour réussir. Le lieutenant représentait une menace et Beldurande avait parfaitement énoncé la couleur, songeant à la sécurité de son Ecole. Artane, lui pensait à la sécurité de leurs Soeurs et Frères de Mur...La mission au final était de trouver une solution pour que la sculpture de base ne serve pas les desseins de Teïder... et ce qu'il avait énoncé. Le laisser partir aurait été assez facile... Mais dans un monde qui avait avancé depuis 450 ans, qui était totalement différent... Le risque était bien trop grand à tenter. Même Artane ne tenterait pas cette folie... Mais à la place du Lieutenant, qu'aurait-il fait, après avoir appris tout cela ? Difficile à dire...

Sa main se serra un peu plus sur le poignet de son congénère.

''Frère.... vous représentez indirectement un risque pour Eïlynster... Au nom de la patrie, s'il le faut nous mourrons...''Récita-t-il à la fin....

Sargas écoutait les paroles de son confrère et sa mine se déconfit peu à peu lorsque celui ci lui apporta la confirmation de son trépas imminent. Lorsque le Lieutenant Nordan posa sa main sur son poignet pour le faire cesser de pointer le Golstoïen avec, il accepta de se calmer et redescendis son bras le long de son corps, la dague toujours en main.

”Lieutenant Nordan vous me voyez attristé par la situation dans laquelle vous vous trouvez désormais. Quant à toi…” Il jeta un bref coup d’oeil vers Beldurande. ”Tu me déçois, qu’est-ce qu’il s’est passé pour que tu en arrives là hein? Tu t’es bien ramolli.” Il se tourna à nouveau vers son compatriote qui citait à son tour l’hymne de l’Est et repris en même temps que lui. ”...S’il le faut nous mourrons. Alors qu’il en soit ainsi. Est-ce que votre mission comprenait la destruction comme moyen d’empêcher les teïdechiens de me mettre la main dessus?”

En le disant il leva le bras, et d’un rapide coup de poignet il envoya la dague faire un demi tour pour la rattraper par la lame, tendant ainsi le pommeau à son collègue d’une autre époque. Il ajouta:

”J’avais toujours pensé que la honte ultime serait de mourir d’un des miens parce que ça ne pourrait dire qu’une chose, que je serai passé au tribunal de guerre ou que j’aurai trahis ma nation. Pourtant, c’est sur le point d’arriver, et c’est pour la bonne cause. La vie est parfois bien étrange.”

Beldurande regarda toute la scène, interloqué. Alors que Donovan avait baissé de le bras du Lieutenant Sargas pour le calmer, il le rassura en lui admettant connaître son nom et peut-être un peu de son histoire, puis se mit à lui expliquer qu’il leur étaient impossible de retourner chez eux. L’Essence toujours un peu secouée pris quelques instants pour trier ses émotions, il savait qu’il avait commis une erreur et que c’était donc à lui de la réparer, mais ce faux-pas impliquait la mort non seulement d’un homme, mais d’un proche. Comment réparer un sauvetage? La vie de l’un mettait en danger celle des autres… La vie de l’un… et celle des autres? Est-ce qu’il pouvait réellement considérer les autres statues du Hall de la Mémoire comme en vie? Bien sûr elles étaient en réalité des organismes biologiques vivants mais certaines de ces statues ne pourraient pas être réanimées à cause des menaces qui les attendaient, condamnées jusqu’à la mort du Professeur à être figé dans ce coma artificiel. Ce n’était pas vraiment ce qu’il appelait être en vie. Les évènement d’aujourd’hui le confrontait à l’inévitabilité de la mort et finalement, si le Lieutenant avait peut-être un espoir, une infime chance de s’en sortir… Alors peut-être que sa vie vallait le sacrifice d’autres vies déjà sur la sellette? Il réfléchissait aussi bien qu’il le pouvait à la situation mais ne voyait pas de solution qui n’impliquait pas un meurtre, cependant quoi qu’il arrive, il allait y en avoir au moins un.

Lorsqu’une situation est injuste, le but n’est pas de faire ce qui est bien car c’est impossible, le but est de faire au mieux avec la situation donnée. C’est la philosophie de gestion que Beldurande enseigne à ses élèves lors du chapitre sur les situations de crises et les mouvements de panique. Il avait eu beau essayer, il ne voyait pas de solution qui puisse être bonne, seulement une qui pourrait être la moins pire. Lorsque Sargas déposa le pommeau de la dague dans la main du Lieutenant Nordan, le Professeur enveloppa la main de ce dernier de la sienne en ajoutant:

”J’ai dit tout à l’heure que tuer un ami n’est plus un fardeau que je suis capable de porter, mais je pense que c’en est un que je peux partager.” Il tourna la tête vers Helkin et lui dit ”Mourir de l’un des vôtres, et de la main d’un ami si vous acceptez de me pardonner et de me considérer comme tel… sinon, de celle d’un ennemi, si j’ai le droit de vous faire ce cadeau.”

”Je crois qu’à l’instant, tu es les deux, mais bien sûr, j’accepte. Promet moi que tu vas changer Bel, parce que tel que je te vois, tu n’as plus rien du Golstoïen.”

Le Lieutenant se redressa bien droit, la tête haute et le regard fixé fièrement à l’horizon. Il leva un bras pour faire le salut de l’infanterie d’Eïlynster et attendit.

Artane se détendit en même temps quand lson frère lieutenant se rétracta sur sa décision. Il retint de soupirer. A se demander s'il n'avait pas raté une vocation de diplomate quand à calmer les tensions entre deux parties. Néanmoins, il demeurait prudent, car l'officier avait toujours sa dague en main. Au moins, s'il perdait l'envie de pourfendre Beldurande, ce serait un point de gagner... mais il y avait l'autre à terminer, pour conclure toute l'histoire. Et cela ne lui plaisait absolument pas. Il sentit son coeur se serrer à l'idée d'exécuter la finalité de sa mission.

Le Lieutenant Sargas parut comprendre les enjeux qui étaient désormais en oeuvre. Il posa une seule question à Artane, à savoir si sa mission avait été de détruire la statue... le faux nommé Donovan dut se faire violence pour ne pas écarter son regard du sien. Il ne pouvait pas lui mentir après tout ce qu'il avait pu révéler. Entretemps, Sargas avait levé son bras, pour lancer avec une parfaite agilité sa dague dans les airs. Il la rattrapa, tendant le pommeau vers Artane. A peine réveillé depuis quelques heures et il était aussi vif qu'il y a 450 ans.... La magie du professeur était surprenante.

Puis, Artane hésita... Non, il ne devait pas reculer. Sa main tremblait en la dirigeant vers le pommeau pour le saisir.

''Je suis encore désolé qu'on en arrive là... Ma mission était que si je n'arrive pas à emporter l'objet cible, je devais le détruire.... Je sais que vous souffrez, et cela à cause de moi... Mais je ne voulais pas que vous disparaissiez sans savoir que l'honneur vous suivra et que votre âme rejoindra les glorieux héros de notre patrie''

Il fit un bref silence, avant de reprendre la parole. Pourquoi était-ce aussi difficile de parler dans ces circonstances que de tuer des ennemis ?

''En ce jour, c'est un acte exceptionnel.... et comme vous le dites, pour la bonne cause. ''

La main de Beldurande rejoignit la sienne. Il fut un peu estomaqué, ne s'étant pas du tout attendu à ce que l'Homme Arbre se motive de courage et vienne se joindre à l'acte en agissant de la sorte. Là, le Professeur l'impressionnait. Et de ce qui s'en suivit, Artane ne put qu'en être ému. Le Professeur qui avait fui si longtemps les actes de ce qu'il avait imposé à son propre ami, espérant le sauver de la mort, remportait un combat personnel : une lutte avec sa conscience. Il porta son regard vers lui, hochant doucement de la tête. Nul besoin de mot pour dire ce qu'ils ressentaient tous les deux.

Une fois que le Lieutenant eut énoncé ses derniers mots, il salua Artane, qui lui rendit dignement son salut militaire. Sa main qui serrait la poignée de la dague se serra fortement.

''Que nos héros d'antan t'accueille en chansons et en louages. Qu'ils t'accueilles comme un héros, à leur égal mon frère du Mur ! ''

D'un coup, il frappa la poitrine du Lieutenant Sargas. Un coup puissant à vous couper le souffle, à vous plonger dans l'inconscience. En même temps, l'autre main qui tenait la dague s'était écartée du mieux qu'il put, ne sachant pas l'étendue de la force du Professeur

Que s'était-il passé ?  Artane avait porté un coup de poing de toutes ses forces dans le plexus solaire de Sargas. Cela avait été si prompt et si rapide, que même Beldurande n'aurait pas eu l'impulsion de porter de sa force via sa main portée sur la dague de son ami et qui avait englobé la main du faux Donovan.

L'Estien d'un autre temps, eut une seconde de surprise avant de sombrer dans l'inconscience et de s'effondrer mollement sur le sol dallé du jardin.. Artane, les yeux fermés, peinait à retenir ses tremblement. La dague qu'il tenait dans sa main ? Il la lâcha, la laissant se plaindre de sa rencontre brutale avec le sol dans un tintement métallique...

''Voila, c'est chose faite... Je vais profiter qu'il soit inconscient pour l'emmener hors d'ici... Après tout, rien n'interdisait que MOI, je le fasse partir d'ici... ''

Maintenant, il y avait plus qu'à espérer que son choix aura été le meilleur.

''J'ai une connaissance qui pourra l'emmener par la voie des airs, tout en évitant de survoler Teïder. Elle est de confiance, donc elle saura taire une bonne partie de l'histoire....Je veillerai à ce que le Lieutenant Sargas soit reconnu comme un héros d'état... Il aura ainsi tous les honneurs qui lui seront dû...Et elle aussi. ''

Il s'accroupit, prit un bras de l'évanoui qu'il porta sur ses épaules et se redressa.

''Peut être que votre ami n'appréciera pas ce petit tour, mais c'était nécessaire.... Laissez moi le sortir d'ici. Et, promettez de changer... c'étaient ses dernières volontés et elles sont à prendre comme tel. Je sais que cela a été dur pour vous, et je m'en excuse. ''

Et il n'omettait pas un détail.

''Et pour la sécurité de l'Ecole, cette statue, vous avez trouvé un acheteur intéressé. Je vous ferai parvenir les fonds pour éviter toute interrogation....Je ne voulais pas en arriver là, Professeur.... mais la vie ne fait pas de cadeau...''

Mais est ce que Beldurande allait les laisser partir avec tout ce qui venait de se passer ? [

Beldurande avait le souffle coupé au moins aussi cours que son ami qui s’écroulait inerte au sol. Il s’était mentalement résigné à passer à l’acte et à exécuter Sargas, alors quand Donovan lui dit à la place qu’il pouvait faire évacuer le Lieutenant, il se sentait à nouveau perdu -et c’était trop de fois consécutives à son goût.

”Si… Si la capture en cours de route n’est plus un soucis, il subsiste tout de même la réaction du gouvernement d’Eïlynster. Comment agiront-ils quand ils apprendront que d’autres statues dont certaines sont des sympathisants à leur cause sont encore entreposée ici? Je… S’il suffisait simplement de… Je l’aurai fait avant.”

Le Professeur prit quelques instants pour se retourner, faire quelques pas pour s’aider à la réflexion par le mouvement et après une petite dizaines de secondes sans dire mot il dit à Donovan, sans lui faire face:

”La plupart de ces statues, sont des gens qui souhaitaient comme le Lieutenant ne pas affronter la mort de face. Par contre à l’inverse de notre ami, ils n’ont pas de faux regrets à éclaircir, de vie à laquelle retourner, ayant soit tout perdu -famille, biens et vie- soit des dettes à payer de leur vie et les faire revenir serait les condamner à une vie pire que le trépas. Peut-être…” Beldurande baissa la tête. ”Peut-être serait-il temps, que le Hall de la Mémoire devienne réellement un lieu d’exposition, et pas un mouroir. Si je trouve le courage de… ‘réparer’ mes erreurs, je suppose qu’il n’y aura pas de préjudice à votre fuite.”

Ce qu’il venait de dire n’était qu’à moitié vrai. En réalité le Professeur irait sûrement détruire les sculptures qui méritent de l’être après le départ de son invité, mais certainement pas la totalité d’entre elles parce qu’il n’avait pas besoin de le faire, il avait seulement besoin que Donovan le voit et pense que ce soit vrai. Beldurande se dit qu’ainsi si les deux Lieutenants viendraient à être interrogés par la magie ils répondraient en toute honnêteté alors que l’information serait erronée. Si M.Nordan pouvait s’en douter, il ne fallait surtout pas qu’il ait d’information lui permettant de confirmer sa déduction.

”Donc, c’est oui. Je suppose que vous pouvez partir. Avant cela y a t’il quoi que ce soit que je puisse faire pour vous Lieutenant Nor… Je veux dire Donovan Frâlan? De plus j’aimerai vous remercier, je devine que les évènements d’aujourd’hui étaient voués à arriver tôt ou tard et vous m’avez forcé à affronter le problème, je ne suis pas sûr que les choses auraient été aussi calmes si d’autres que vous étiez venu chercher les réponses à leurs questions concernant les sculptures du Hall.” Il redressa la tête et refis face à l’Estien. ”Merci, et pardon.”

De l’autre côté de la cour, dans la voûte qui dessine le cadre de la porte des Duchés -celle qui donne sur le Hall Principal- Himir fit son apparition, marchant lentement pour les rejoindre les mains dans les poches.

”Je vais demander à Himir de vous aider à apporter Sargas à votre amie, personnellement je vais devoir m'absenter après la fin de tout ceci, il me semble que j'ai à faire à l'étage.”

Artane, après avoir calé son congénère inconscient du mieux qu'il le put pour le tenir debout pendant qu'il sortira d'ici, réfléchissait à la situation dans laquelle se retrouverait Beldurande. Si on apprenait qu'une statue, avait été dépétrifié par sa magie, rendant la vie à l'être humain qui se cachait sous la pierre, on songerait aux autres statues et qu'elles aussi, pourraient renfermer d'autres alliés au Mur, voir des Estiens eux mêmes. Artane ne souhaitait en aucun cas provoquer de nouveaux désastres. Déjà que d'avoir poussé le Professeur dans ses retranchements, à accepter de finalement prendre une terrible décision envers un de ses amis.

''Vous n'aviez que le lieutenant en stase. Les autres statues n'étaient là que pour donner le change, pour le protéger entouré de vraies sculptures fabriquée par un génie duchéen de la taille de pierre non ? ''

N'est ce pas une petite partie de vérité ? Artane espérait déjà que Beldurande comprenne où il voulait en venir.

''Le lieutenant Sargas devra surmonter quelques difficultés au début, mais je veillerai personnellement à ce qu'on lui épargne la honte et le déshonneur. Et puis, un héros du passé qui revient, aura plus d'importance que de chercher à l'enterrer...Surtout en ce moment.''

Lui-même avait vécu la suspicion, le doute, voir d'être considéré comme un traître, car personne ne réchappait des prisons teïderiennes, sans devenir un espion, ou encore un converti à leur sale faux dieu. La chance avait été de la partie, comme sa détermination à tenir le plus longtemps malgré les contraintes de torture....Sargas, lui, n'aura pas à subir toute cette infamie. Surtout avec le rapport qu'il fournira, écrite de sa main, et que son amie veillera à apporter en même temps que le lieutenant.

''Vous avez trouvé le courage de joindre votre main à la mienne quand j'ai fait semblant de vouloir lui couper le fil de la vie. Vous avez fait un pas conséquent, Professeur. Même si je me suis joué de vous sur cet acte, si vous avez su le faire, vous saurez quoi prendre comme décision pour les autres. ''

Il vit Himir arriver tranquille les mains dans les poches. Artane plissa les sourcils. Depuis de temps était-il là ? Il ne souffla mot et se contenta d'acquiescer, avant de reprendre :

''Ce serait plutôt à moi de vous demander pardon pour ce subterfuge, vous poussant à la pression affective pour vous croire qu'il fallait en finir par la mort de votre ami. Bon, je vais y aller, je voudrai pas qu'il se réveille ici, même s'il en a encore pour quelques heures dans les bras du sommeil. Prenez soin de vous, Professeur. ''

S'il tenait parole, s'il ne lançait pas de poursuite contre lui, il sera tranquille. Mais il demeurera prudent, même après que le lieutenant aura été pris en charge... il devrait envisager de quitter la cité rapidement d'ailleurs, pour ne pas attirer l'attention sur lui, et pendant un petit moment d'ailleurs...

Tandis que le Lieutenant Nordan le réconfortait sur sa détermination nouvellement trouvée, Beldurande lui dit à son tour:

”Merci pour vos encouragement Donovan, décidément, je suis sûr que je vous aime bien, j’espère pouvoir vous revoir dans des circonstances plus… propices, peut-être autour d’un verre? Vous aviez l’air de bien apprécier un peu d’alcool alors je pourrai peut-être vous inviter à une table un jour… Si vous passez de nouveau dans le Duché de Liomaida, n’hésitez pas à m’écrire ou à venir rendre visite, vous serez la bienvenue.”

Le Professeur se retourna vers son Secrétaire qui était désormais à portée d’oreille:

”Himir, aide un peu Donovan a extraire le Lieutenant et retrouve moi dans le Hall quand c’est fait.” Beldurande s’excusa et se mit en marche vers la porte Est qu’il avaient failli emprunter pendant la visite guidée.

”Laissez moi vous donner un coup de main Monsieur… Frâlan c’est ça?” Himir passa l’autre bras du Lieutenant par dessus sa nuque et aida Donovan à porter son confrère vers l’extérieur du bâtiment. ”Il y a une entrée de service qui donne sur la petite rue qui longe l’École. Ce sera plus discret de sortir de là en portant un corps inanimé qu’en déboulant sur le parvis… Au fait, je dois vous remercier je suppose, vous avez réussi à convaincre le Professeur en quelques heures de faire quelque chose que je n’avais jamais pu lui faire faire en quarante ans.” Ces mots lui faisait mal rien qu’en les sortant, Himir le vivait un peu comme un échec personnel mais il pouvait comprendre qu’en tant qu’ami, il ne pouvait pas menacer Beldurande autant qu’il l’aurait souhaité.

Ils firent route vers le couloir ouest devant la remise et passèrent devant un petit escalier qui descendait vers la cave du bâtiment. Là ils trouvèrent la porte de sortie bien mieux dissimulée que la grande porte principale, Himir l’ouvrit avec son bras libre et derrière ils trouvèrent un grand orc bien costaud qui attendait adossé contre le mur. L’imposant gaillard portait une salopette bleue qui laissait à l’air libre ses énormes bras musclés, il avait un béret grossier en lin qui affublait sa tête à l’expression

”Herii?”

”Himir! Qu’est-ce que vous transportez là tout les deux? Un corps? On a fait fermer l’école pour un malaise vraiment? Attends, je vais m’en occuper tu devrais retourner avec Bel et faire rouvrir le plus vite possible, les élèves étaient pas très content qu’on ferme sans prévenir.”

Himir semblait hésitant à confier le Lieutenant au Concierge, il se doutait que la situation était déjà bien assez alambiquée comme ça à expliquer et il préférait ne pas éveiller les soupçons de l’orc en insistant pour refuser, il jeta un petit regard d’avertissement à Donovan pour tenter de lui faire comprendre qu’il fallait faire attention quant à ce qu’il disait autour du Concierge et en faisant demi-tour pour repartir, il posa un doigt sur ses lèvres pour lui signifier qu’Herii n’était pas dans la confidence, puis il s’éclipsa.

L’orc récupéra le corps de Sargas et le jeta délicatement par dessus son épaule massive pour le porter, le calant bien avec sa main droite. De la main gauche il referma la porte de service et suivi l’Estien le long de la ruelle calmement, au bout de quelques secondes, il prit la parole.

”Beau boulot Altahir” Il fit une pause pour observer la réaction du Lieutenant Nordan. ”HA HA HA, c’était bien ce que j’espérais en te donnant l’information. Le Professeur est réellement quelqu’un de bon, il essaie très dur de construire le futur mais il est enchaîné par son passé. Il manque un peu de jugeotte, quand on vit pendant des lustres c’est facile de penser qu’on a le temps pour tout. Toi et moi qui sommes bien plus mortels, nous sommes obligés de dialoguer avec nos émotions si on veut prendre des décisions qui font avancer les choses dans nos courtes vies n’est-ce pas? Il est bien que tu lui aies rappelé cette leçon aujourd’hui en venant lui ôter un poids qui l’empêchait d’aller de l’avant.” En parlant du poids, il fit de petits gestes de l’épaule pour faire rebondir le Lieutenant. ”Bon, on arrive au bout de la rue, je te le rends, ça va aller?”

Artane n'était pas certain de repasser dans la cité Duchéenne dans les prochains semaines. Il veillerait à laisser un peu d'eau couler sous les ponts avant de repointer le bout de sa moustache dans les parages, sauf si une mission lui imposait de revenir dans les environs. En attendant, l'invitation était intéressante, mais à voir quand elle sera applicable...

''Ce sera avec plaisir, Professeur''Dit-il avec un simple sourire.

Il était sûr de ce qu'il disait ? Le temps qu'il digère tout ce qu'il venait de se passer et des conséquences nouvelles qui s'impliquait dans sa vie, il n'était pas certain que cette assurance évoquée par Beldurande persiste. Quoique. Lui aussi l'appréciait bien. Il avait un bon fond. Oui, clairement, ce sera avec plaisir qu'il appréciera de le revoir et plus en la compagnie d'un bon verre. Puis, Himir, un des ''collègues'' du Professeur, obtempéra à l'injonction.

Artane se montra prudent, car même si les choses paraissaient se dénouer vers une belle fin, il ne savait pas à qui il avait affaire. Mais, il accepta l'aide.

''Oui, c'est Monsieur Frâlan''Confirma-t-il et acquiesça quand à la voie que le ''serviteur'' proposa. Au moins la sortie sera discrète, comme dit. Par contre, il se permit de dire : ''Il est difficile de rentrer dans le lard d'amis proches, vous savez. Ne vous en veuillez pas.

Ils poursuivirent leur cheminement, jusqu'à arriver à la remise et dès que la porte s'ouvrit, ils tombèrent sur l'imposant orc. Artane se crispa. Est ce qu'un grain de sable venait de s'infiltrer dans l'engrenage de la réussite ? Il croisa le regard d'Himir et comprit que lui aussi préférait taire la raison de pourquoi il avait un inconscient à leurs bras. L'orc finit par récupérer le lieutenant, qu'il porta sans le moindre effort sur son épaule, comme un simple sac de pommes de terre. Himir partit rejoindre Beldurande... Artane redouta alors le dérapage de dernier instant, se préparant à devoir se battre pour sortir Sargas de là une bonne fois pour toute.

Il écarquilla des yeux en apprenant qui était l'instigateur de la mission depuis le début. Il sourcilla en comprenant que l'orc était au courant depuis le début.

''vous rendez vous compte que j'aurai pu prendre véritablement la décision de tuer le Lieutenant Sargas ? C'était un pari dangereux que de récupérer l'objet de la mission, que de donner une leçon de vie au Professeur....'', maugréa-t-il.

Puis il soupira. Au moins, la mission se terminerait convenablement.

''Oui,ca va aller. Désolé de mon ton à l'instant, faut dire que la pression émotionnelle n'a pas été que pour lui....''

Sur ces derniers mots, il récupéra le lieutenant Sargas, salua l'orc et entreprit de vite quitter les lieux.