Une petite brise fraîche parcourait les rues de Liomaida ce matin. Enfin, en ce milieu de matinée dans la cité ducale de Liomaida, pour être plus précis. Même s'il faisait quelque peu frisquet, les gens vivants dans les parages de l'Ecole des Visionnaires s'affairaient à leurs taches du jour, allant au marché, se rendant à un rendez vous, menant un cheval sur le banc d'une charrette pour transporter de la marchandise. En somme, une journée comme une autre, banale et classique pour bien du monde. Même devant l'entrée de l'Ecole des Visionnaire, des élèves ou quelques ''maîtres'' entraient ou sortaient pour effectuer leurs devoirs quotidiens. Bref, une journée comme une autre, singulière et normale. Et c'était mieux ainsi.

Quand les choses suivaient normalement leur cours, on était plongé dans la masse, on était transparent aux yeux des autres ; ou presque. Un homme, portant une tenue élégante, parfaite, se tenait dignement devant l'entrée éminente de l'Ecole. Les cheveux coiffés en arrière étaient retenue par un petit ruban bleu, s'accommodant parfaitement à la nuance bleu cobalt des vêtements portés par le possible visiteur des lieux. La barbe et la moustache étaient proprement taillées et peignées, renforçant la petite touche nobliaute de l'individu, alors que la peau de son visage était marqué par une vieille et fine cicatrice qui lui barrait horizontalement une partie du visage, à hauteur de son nez. D'autres plus fines encore se discernaient à peine. D'ordinaire, les gens ''propres'' sur eux n'étaient pas marqué de la sorte, à moins d'être un mercenaire, ou un petit noble combattif... ou autre chose.

Artane regardait la devanture de l'Ecole. La contemplant, il resongeait à ce qu'il avait pu apprendre sur un élément qui pourrait s'avérer important pour son pays. Il y aurait à l'intérieur une ancienne statue à l'origine indéterminée, qui pourrait susciter un grand intérêt autant à Eïlynster qu'à Teïder. Comment une telle statue pourrait provoquer un tel émoi pour deux nations ennemis depuis des générations me diriez vous ? Sans doute pour la symbolique ? La portée historique connu que des plus sages ? Artane n'en savait pas plus, hormis ce qu'elle représentait. De ce qu'il avait pu acquérir comme information ; auprès des Courtiers de l'Ombre.... l'oeuvre d'art représenterait en échelle réelle un homme allongé à terre, une épée teïderienne plantée dans l'aine, le clouant ainsi au sol où il était allongé. Le plus surprenant serait qu'il aurait la main tendue vers le ciel.....En somme, un soldat sans identification possible, hormis le fait qu'une épée de l'ennemi honni le blessait peut être à mort.... Une oeuvre étrange comme fascinante... mais tant que le Renard ne l'aurait pas encore aperçu de ses propres yeux, il demeurait prudent. Oh, il ne doutait pas de la valeur des infos qu'il avait pu acquérir, mais ces derniers temps, il avait eu quelques déboires et il préférait progresser avec prudence....

Bon, il était temps de faire une petite reconnaissance, si cela était faisable... comme simple visiteur. Il s'approcha alors de l'entrée, essayant de voir qui il pourrait aborder pour demander à voir un responsable ou un maître des lieux pour savoir s'il y avait possibilité de voir quelques oeuvres d'art de nature exceptionnel que possédait l'Ecole....

C'était décidément une mauvaise journée. Le Professeur avait attrapé deux élèves entrain de rigoler en parlant d'informations confidentielles sur des clients consultants en sortant d'une des salles de classe ce matin même et a dû les gronder en conséquence, puis le vieux Oïnsha était venu l'informer du retard probable de la commande de vins pour la conférence de M.Brunswick qui devait se tenir dans une semaine. Il avait ensuite renversé son jus d'orange et ainsi tâché une de ses écharpes préférées et son secrétaire Himir Kiraman l'avait trouvé entrain de se changer dans son bureau pour lui annoncer que son rendez-vous important avec le Contremaître des cales sèches de Ramaïl serait reporté au mois prochain.

Alors qu'il sortait de son bureau et descendit les escaliers ouest jusqu'au hall principal en bougonnant sur les hasard malheureux de l'univers, il trouva Oïnsha en discussion animée avec un homme mature vêtu de beaux habits bleus. Beldurande approcha d'eux lentement pour glanner un morceau de la conversation avant d'arriver à leur hauteur. Visiblement l'individu était un simple visiteur qui souhaitait surtout voir le bâtiment de l'École plutôt que ses élèves. Lorsque le Professeur se tenait enfin derrière l'homme en bleu, il toussa poliment: "Bienvenue à l'École des Visionnaires, je suis le fondateur de cet établ..." Alors que son interlocuteur se retourna pour lui faire face, Beldurande fut un instant surpris à la vue des cicatrices qui lui barrait le visage. Un spectacle qu'il avait peu l'habitude de voir à l'intérieur de son école. Ses cinq petits yeux noirs en amande frétillèrent, ce visiteur atypique n'avait pas sa curiosité auparavant, mais il avait désormais ça et son attention. "...issement. Professeur Beldurande d'Élusie et vous êtes?" finit-il en tendant une main.

Beldurande avait grandement besoin d'oublier sa matinée mouvementée et il accueillait la distraction avec un plaisir secret, il était sensé trouver son secrétaire pour reprogrammer un rendez vous mais il pensait avoir trouvé quelque chose de plus amusant à faire. L'individu était visiblement trop âgé pour être un élève envoyé ici, bien qu'il aurait pû être le père d'un futur élève mais Kiraman ne l'avait pas informé d'une telle visite. Il se retourna vers l'intendant azurien pour le remercier et dit: "Ne t'en fait pas Oïnsha, je vais m'occuper de notre invité et lui tenir un peu compagnie. Que puis-je faire pour vous, il apparaît que c'est la première fois que vous venez alors sachez que nous offrons des services de consultation, nous prêtons des élèves en missions et nous hébergeons aussi des conférences et des séminaires."

Quand une école jouissait d'une belle réputation comme celle des Visionnaires, forcément, quand on cherchait quelqu'un, on trouvait toujours une personne assez rapidement. Surtout quand celle qui vous voit approcher des portes de l'Ecole se dirige d'emblée vers vous. Artane découvrit la venue d'un vieil Azurien juste en tournant le regard, pendant qu'il cherchait quelqu'un pour ''l'aider''. A voir sa démarche, cet individu avait du être un soldat, ou un mercenaire. Sa démarche demeurait sûre et on sentait dans son regard qu'il savait ce qu'il voulait et qu'il ne fallait pas remettre en question son autorité. Serait-il tombé sur un des hauts responsables ? Quelle veine ! Qui devient vite une déveine quand ce dernier répondit au contraire de ses attentes.

Au lieu de proposer un rendez-vous, ou plus d'approfondissement quand à la raison de sa venue, l'Azurien se montra fort ferme à son égard et tranchant, n'apportant pas plus d'indication. Pour lui, il y avait des règles et il fallait les respecter. Artane avait froncé les sourcils, en optant pour un ton poli, mais lui tenant tête. Il ne voulait pas être remis à la sortie, pas après tous les efforts qu'il s'était donné pour venir ici ; et pour se mettre en tenue convenable, qui plus était.

Puis, derrière lui, une autre personne arriva derrière lui, d'un pas un peu... pesant ? Celle-ci toussota comme pour briser le début de dispute entre les deux hommes. Artane se retourna, affichant un début de sourire poli devant l'accueil plus correct qui s'énonçait... avant d'être quelque peu bouche-bée devant l'être qui se dressa au dessus de lui. Bien qu'il en avait vu des choses dans sa vie, il ne se rappelait pas d'avoir vu pareil être. Donc, c'était bien un bref moment de stupéfaction qui apparut d'abord à son visage, fixant les cinq yeux en amande qui le regardait. Il n'avait même pas prêté à la surprise qui avait pris l'être végétal... ou arbre, ou en écorce... Ah, mais il avait un nom, il s'était présenté. Voyons, un peu de politesse, mon cher Artane, songea-t-il.

Il en oublia complètement la présence de l'autre emplumé un peu caractériel et se ressaisit.

''Pardonnez ma réaction, je ne souhaitais nullement vous offenser. Merci de me recevoir, Professeur Beldurande''dit Artane, tout en s'inclina courtoisement devant l'éminent professeur. Il n'était pas tombé sur n'importe qui.

''Je me nomme Donovan Frâlan''

Il tendit sa main pour accepter la salutation du Professeur

''Effectivement, c'est la première fois que je viens et je ne pouvais pas passer à côté du prestige que représente votre Etablissement. Comme j'effectue un bref voyage au sein des Duchés, j'essaie de prendre note de tous les références en terme d'apprentissage, de savoir, de connaissances...et comme vous parlez de services de consultation, et de... comment dites vous ? Prêt d'élèves ? Ah oui, un genre d'alternance si je ne m'abuse. Ca doit être très formateur pour vos étudiants ''

Il essaya de pas se laisser emporter dans le flot de la conversation, chose qu'on retrouvait chez certains bourgeois.

''Pensez-vous que je puis, sans abuser bien entendu, visiter votre Ecole ? Et en votre compagnie ? ''

Alors qu'Oïnsha sorti de derrière la table de réception pour aller à la rencontre d'un élève qui venait d'entrer, Beldurande serrait la main de M.Frâlan tout en finissant de le dévisager. Il avait quelque chose de jovial sur le visage, vous incitant vous même à sourire, ce qui donnait encore plus envie de rire au Professeur lorsque Donovan se confondit en excuses: "Ce n'est rien, mon physique est pour dire peu 'inhabituel', j'ai plus que l'habitude des premiers regards qu'on me porte aussi variés soient-ils." dit-il à moitié en rigolant. "Enchanté Monsieur Frâlan."

Beldurande relâcha la main de Donovan et récupéra une plume derrière le bureau de réception pour inscrire le nom du nouveau visiteur sur le registre. "Excusez moi un instant c'est à moi de vous enregistrer..." Il se releva en basculant la tête en arrière et continua à haute voix pour que toutes les personnes présentes dans le hall d'entrée puisse l'entendre "... Parce que quiconque était sensé le faire viens de me fausser compagnie lâchement et sans une once d'hésitation. JE NE SAIS PAS QUI C'EST MAIS ON NE PEUT DÉCIDÉMENT PAS COMPTER SUR LUI". Sa jérémiade obtint le rire de la demie-douzaine d'élève dans le hall et le regard mesquin de l'Intendant de l'autre côté du couloir qui se mit à secouer la tête en levant les yeux au ciel. Beldurande se retourna pour faire face à Donovan:
"Je suis flaté que vous marquiez le détour pour nous rendre visite, normalement nous ne faisons pas rentrer les visiteurs dans l'établissement mais il se trouve que je suis fortuitement libre ce matin et ce n'est pas tout les jours que des étrangers viennent nous voir sur place, d'habitude c'est plutôt nous qui venons à eux, alors je vous en prie suivez moi!"

Beldurande s'engagea dans le couloir Est en passant devant des élèves assis sur des bancs en train de discuter avec des visiteurs ou de potentiels futurs clients. Le couloir Est était décoré de grands miroirs, de moins grandes peintures et d'encore moins grandes plantes vertes entretenues par le Concierge ce qui donnait au hall un aspect de musée presque assumé. En repassant devant Oïnsha celui ci le sourire au bec se pencha vers Beldurande pour glisser "Je vous ai entendu tout à l'heure vous avez raison, l'Intendant est le plus mauvais que j'ai jamais connu, mais les rumeurs disent que le Directeur est cent fois pire!" Le-dit directeur se permi d'ignorer grâcieusement la remarque pourtant bien rétorquée et continua sa promenade ludique.

Alors qu'ils marchaient ensemble dans un long couloir, sur leur droite défilaient des salles de classes dans lesquelles une dizaines d'élèves étudiaient en silence. Le Professeur reprit:
"Si vous êtes intéressé par les techniques d'apprentissage alors vous êtes au bon endroit, l'École est construite sur des bases uniques d'apprentissage par la pratique et l'échange non pas entre un maître et un élève mais entre les élèves eux-mêmes! Ainsi chacun peut devenir le maître de l'autre car nous avons tous à apprendre d'autrui. C'est dans cet esprit d'apprendre du concret que l'alternance s'inscrit également. Nos élèves sont recrutés pour des missions de gestion que ce soit par les chefs de chantiers, les équipes d'investissement, les commerçants ou les petites entreprises... Et parfois même les forces armées."

Beldurande cru bon de rajouter la dernière partie en repensant aux cicatrices qui parsemaient le visage de M.Frâlan. Il avait déjà vu ces balafres il y a plusieurs centaines d'années chez des soldats, des rescapés civils torturés pendant la guerre et des espions et plus récemment pendant ses années d'homme à gage, chez des mercenaires. C'était pourquoi M.Frâlan l'intriguait autant, Beldurande aimait toujours découvrir l'histoire des gens qu'il avait en face de lui, voyant chaque être vivant comme un livre qui attendait d'être lu, il se demandait quelle était l'histoire de ce Donovan. Il s'arrêta devant la Porte d'Ikhyld qui donnait sur la cours, d'une main il incitait son invité à le suivre dehors, du visage il tentait de le questionner: "Et vous M.Frâlan, dans quel domaine exercez vous pour porter tant d'intérêt au savoir et à l'éducation? D'ailleurs je me demande également où vous exercez, vous m'avez dit n'être que de passage dans les Duchés. Habituellement les visiteurs que nous accueillons souhaitent recourir aux services de nos élèves et plus occasionellement de notre École, ils viennent rarement pour simplement admirer l'établissement..." se rendant compte de sa curiosité pressante et peut-être malvenue il enchaîna "Veuillez m'excuser si je paraît indiscret, je suis seulement de nature curieuse" en arborant un petit sourire.

Artane ne put que sourire à la réplique sage du Professeur ; on ne pouvait pas se fier aux apparences dès le premier regard. La preuve en était qu'une fois la stupéfaction passée, l'humain paraissait bien plus à l'aise désormais en sa présence. Bon certes, il le détailla du regard quelques secondes durant encore, car ce n'était pas tous les jours qu'on croisait un individu intelligent en forme d'arbre. Attention, il n'y avait pas de pensées péjoratives.

Et, maintenant, que les présentations étaient faites, le Professeur montra qu'il tenait en personne à faire les choses dans les règles des lieux, à savoir d'inscrire sur un registre de passage le nom de l'invité qu'était Artane, sous le nom de Donova Frâlan. Puis, d'une voix bien portante, il énonça une réplique qui visait personnellement l'Azurien, qui avait quitté l'arrière du pupitre quand le maître des lieux avait décidé de prendre en charge le nouveau venu. A attendre le rire des élèves présents, les deux êtres devaient souvent faire ce genre de jeu, preuve qu'il n'y avait pas que le travail entre eux d'eux mais une certaine amitié. Bon, l'Estien n'était sûr de rien, mais un lien de ce genre n'était pas à négliger, même s'il n'était pas totalement certain de la puissance même de celui-ci.

Après avoir lorgné un peu surpris l'Azurien qui s'occupait de d'autres tâches, il se permit de tourner la tête en direction du Professeur. Doucement, il sourit, un peu contrit par les compliments qu'il entendait à ses oreilles.

''C'est trop d'honneur, Cher Professeur. C'est à moi de me sentir honoré de l'attention que vous m'offrez. J'espère que ma venue n'aura pas provoquer de troubles entre vous et votre collègue azurien. ''

Il apparaissait comme un peu gêné de provoquer un tel trouble. Puis, il suivit avec grand plaisir l'être végétal, prenant plaisir à contempler les lieux où il était mené. Les lieux, pour le début de la visite, était splendide et naturelle avec le mélange savant entre les grands miroirs, les oeuvres d'art et les plantes en très bonne santé. L'aspect musée était peu dire... c'était même plus agréable à s'y retrouver, donnant envie de parcourir plus loin les couloirs et de voir si d'autres merveilles visuelles les attendaient plus loin ; ou plus haut. Puis, au détour, ils recroisèrent l'Azurien, qui trouva la bonne réplique pour se venger de l'acte précédent, à l'entrée. Artane fit mieux d'être un peu désolé d'être un vecteur perturbateur. Mais heureusement, l'affaire ne perdura pas et il put reprendre la visite. Donc plus loin, il aperçut les étudiants concentrés sur quelques ouvrages. Et en écoutant les méthodes d'apprentissages de ces jeunots, Artane fit mine d'être impressionné.

''Une forme de mise en concurrence tout en imposant une certaine forme de collaboration pour apprendre l'un de l'autre et donc progresser en même temps. C'est ingénieux, et surtout, cela doit donner le goût à vos élèves de vouloir apprendre des matières qui n'auraient été moins appréciés voir délaissés dans le cadre d'un apprentissage de maître à élève. Très ingénieux... Comme vous le disiez tantôt, c'est vous qui faites la sélection des élèves pour mériter ce prestige et cette qualité d'éducation. Mais si des personnes désirent passer par chez vous pour suivre le cursus de son établissement, comment doit-il s'y prendre, si la limite d'âge n'est pas un critère éliminant ? ''

Autant profiter de la visite pour répondre à sa soif de curiosité. Artane avait un intérêt premier à être là, mais cela ne lui interdisait pas d'en savoir plus encore, pour sa connaissance personnelle.

''Vos élèves doivent être d'un niveau hors pair pour que vous leur confier des missions de gestion au sein des forces armées. C'est relativement plus difficile, voir dangereux si la troupe à gérer doit venir à partir en mission.... mais suis-je bête... sans doute vouliez parliez de gestion financière ou logistique militaire....Pardonnez mon petit dérapage'

Pas si anodin que cela le petit dérapage.... Il n'avait pas abordé le sujet militaire sans raison. Car un bourgeois se baladant dans les Duchés avec son visage couturé de quelques cicatrices comme le sien ne passait, mais pas du tout inaperçu.

''Je débute dans la prospection commerciale.... A titre de reconversion. Vous deviez vous douter que mes cicatrices recelaient une histoire. J'étais un petit officier dans l'armée impériale d'Akkaton et les circonstances ont voulu que de graves blessures me réduisent physiquement...''dit-il terminant sa phrase en baissant le ton, comme encore attristé d'avoir perdu certaines capacités...''Pardonnez moi. Je n'ai pas à me lamenter, alors que j'ai encore la chance d'être encore en vie... et d'avoir un métier qui assurera un minimum de confort, tant que j'y mets du coeur à l'ouvrage. La personne qui m'a recruté démarre elle aussi dans la négoce et m'a confié la charge de voir ce qui pourrait lui convenir. Votre Ecole pourrait grandement l'intéresser pour certaines missions de gestion commerciale... Quand elle sera certaine d'avoir les reins solides sur le plan financier, bien entendu... et je ne doute pas un seul instant qu'elle le sera rapidement. Elle est passionnée par ce qu'elle fait.... et moi, de par mes débuts de voyage professionnel, je me suis découvert une passion néophyte pour l'art... ''

Il fit un petit sourire contrit.

''J'avoue avec culpabilité espérer voir quelques unes de vos oeuvres d'art, celles que les visiteurs n'ont pas la chance de voir.... Je comprendrai que j'abuse totalement de votre gentillesse....''

Adossé contre l'une des colonnes de la Porte d'Ikhyld, Beldurande écoutait attentivement Donovan, ils s'étaient finalement arrêtés à l'entrée de la cour où le soleil bientôt à son zénith ne pouvait pas les innonder de ses rayons bloqués par le balcon de la promenade à l'étage. Il avait brièvement balayé les inquiétudes du visiteur sur la petite scène avec l'Intendant en le rassurant que ces interactions constituaient le quotidien de l'école et participait à la culture chaleureuse qui y régnait. Maintenant il l'entendait s'enquérir sur le processus de sélection:

"Nous choisissons effectivement les profils qui viennent étudier ici. Cependant ce ne sont pas nos élèves qui candidatent ici, c'est nous qui allons les chercher directement dans les Académies. Je reconnais que nos tactiques de recrutement sont agressives mais je n'ai pas de scrupules à offrir un meilleur avenir à ceux qui sont capables d'accomplir de grandes choses. Comme nous chassons directement chez nos concurents la tranche d'âge est naturellement jeune, par contre si vous souhaitez apprendre, il vous suffit de vous réinscrire dans une Académie duchéenne classique ou plus simplement d'employer un de nos élèves pour une mission de transmission de connaissances."

Beldurande sentait que postuler à l'École n'était pas vraiment le motif de la visite de M.Frâlan, il devait y avoir autre chose, il était beaucoup plus simple de se renseigner directement ailleurs sans nécessiter de visite pour savoir qu'il serait inéligible ici. Aussi lorsque Donovan lui répondit sur la complexité des missions militaires il su qu'il avait fait mouche en devinant un passif discipliné.

"Effectivement, nos élèves sont des gestionnaires, ils facilitent les interactions entre les corps d'armées et les personnes civiles ou commerçantes bien que cela ne constitue pas une partie conséquentes des missions et que toute demande d'alternance doit être approuvée par l'Intendant ET moi-même. Nous évitons d'envoyer nos précieux chéris dans des missions dangereuses malgré l'inhérence du monde dans lequel nous vivons. Vous êtes donc en reconversion..." Le Professeur lui adressa un regard soutenu pour lui faire savoir qu'il lisait entre les lignes, "J'ai été aux premiers rangs aussi autrefois, je sais ce que c'est. Mes cicatrices à moi..." dit-il en tapotant tour à tour sa tempe puis son coeur "...sont ici. Douloureux, mais la douleur accompagne son porteur et l'aide à avancer, c'est la meilleure des mémoire, un souvenir qui ne s'efface pas, je suis sûr que les vôtres vous aideront un jour à devenir une meilleure version de vous même."

Le ton du Professeur était devenu plus grave, plus sérieux au fur et à mesure qu'il parlait. Ses propres souvenir des guerres du passé revenant à la surface comme à chaque fois qu'il se regardait dans la glace, sauf qu'ici c'étaient les balafres de son interlocuteur qui lui renvoyait son propre reflet. Son regard se perdit momentanément et pendant un instant bien qu'il fixait Donovan droit dans les yeux il voyait au delà des pupilles noires ses propres souvenirs. Il toussa pour se dégager la gorge, se ressaisir et reprit:

"C'est avec plaisir que notre établissement coopérera avec le vôtre, nous sommes ouverts à tout domaine d'activité tant que vous pouvez garantir la sécurité des élèves que vous emprunterez. Vous me ferez une note avec le nom, l'adresse, l'activité et la nation de votre petite entreprise en repartant, nous enverrons nous même notre agent pour vous vous observer et parler affaire concrètes."

Beldurande se remis en route en poursuivant dans la même direction qu'auparavant. Passant entre les tables de l'aire de repos où dormait un élève qui avait fait nuit blanche la tête enfoncée dans son livre pour accéder à l'escalier Est qui accédait au premier étage: "Quant à votre curiosité artistique, vous devez voir notre Hall de la Mémoire, je suis sûr que vous trouverez le nom 'approprié' et je vous en prie, le plaisir est partagé." Beldurande commença à monter les marches, satisfait de l'éclat d'excitation qu'il relevait dans les yeux de M.Frâlan

Rassuré de pas avoir provoqué de tensions entre les deux membres éminents de l'Ecole, Artane put se détendre un peu, accordant toute son attention de ce fait sur les détails apportés par son guide végétal. Il ne parut guère déçu quand le Professeur lui confirma que les jeunes gens étaient visés pour avoir le droit d'avoir une place en ces lieux. En même temps, un esprit qui était encore en train de mûrir était encore capable d'apprendre bien des choses, de comprendre les subtilités de certains savoirs....

''Peut-on vraiment parler de recrutement agressif quand il en va de l'avenir de jeunes gens dotés un potentiel à faire fructifier ? Je trouve que c'est une bonne méthode pour épargner une mauvaise voie de vie, de leur épargner certains déboires qui les mèneront à la prison, ou pire... à la mort... ''

Dans un sens, cela lui rappelait sa jeunesse, où seuls les plus forts et les plus doués pouvaient prétendre à un bel avenir au sein de leur nation. Se battre pour avoir le meilleur... n'était-ce pas une règle que la Nature prenait de temps à temps à son compte sur les êtres vivants doués d'intelligence ? Cela pourrait faire un bon sujet de philosophie, mais Artane n'était pas pour faire de l'esprit dans ce genre de territoire littéraire....

Par contre, il fit mine d'être très intéressé par la proposition de prendre sous contrat un élève pour apprendre quelque chose de cette éminente institution.

''Je n'avais point songé à passer par une Académie Duchéenne....C'est une solution que je devrai envisager, une fois que ma situation sera bien régularisée professionnellement parlant. Merci de ce conseil avisé, cher Professeur mais la possibilité de notifier un contrat pour avoir un de vos élèves est intéressant. Ma recruteuse va déjà être impatiente de travailler avec vous et vos étudiants...''

Puis, comme Artane avait ouvert la porte sur un domaine bien particulier, le Professeur en avait profité pour s'y engouffrer, tant pour expliquer comment était géré un étudiant choisi pour assurer un travail proche des forces armées, que pour un côté plus personnel. Le regard soutenu provenant des 5 yeux en amandes du grand professeur était comme pour le scruter plus en profondeur encore. Heureusement qu'il était lui même un combattant, certes pas reconverti dans les faits, songea Artane, mais dans les faits, il ne pouvait mentir sur certains points de son existence de militaire.

Ses yeux bruns ne se détournaient pas de ceux de son interlocuteur, comprenait parfaitement ce qu'il narrait, pendant que sa main d'écorces se posait sur sa tempe et son coeur....

''La douleur, la souffrance, une fois qu'elle s'ancre dans le corps et l'esprit....Murmura-t-il, pensant ne citer cela que dans sa tête. Non, il l'avait dit cela de manière audible. Diantre ! En même temps, quand il songeait à ses propres blessures, aux conditions de sa captivité. Il ferma les yeux pour chasser tout cela. Il avait lutté pour ne pas sombrer dans la folie de ces moments là, ce n'était pas pour manquer d'y replonger. Au moins, n'avait-il pas réellement besoin de jouer la comédie sur ce plan là.

Il rouvrit les yeux.

''Pardonnez moi mon moment d'égarement... Les souvenirs ne s'effacent jamais, mais il est bon d'oublier certains pour nous aider à avancer. Les séparer et ne garder que ceux qui nous aideront à rester à la surface est difficile quand l'esprit n'est guère en état. Mais lentement, j'avance, je me reconstruis et ma reconversion est déjà une bonne voie pour moi...Et c'est une bonne chose que vous épargniez à vos protégés les affres de la guerre. Si on peut leur épargner les horreurs de cette dernière....''

Puis, il essaya de se montrer un moins mélancolique, et de retrouver un semblant d'enthousiasme.

''Avec Dame Suladran, ils ne pourront qu'être en sécurité. L'entreprise qu'elle envisage d'ouvrir sera parfaitement légale et elle est citoyenne akkatonienne. Mais je vous écrirai tout cela comme souhaiter avant de repartir....''

L'agent pourra tomber sur la personne qu'il venait de citer... et avant que le simulacre ne tombe, il aura accompli son objectif. Mais pour l'instant, il n'en était pas là. Puis, il ne manqua pas en effet d'avoir les yeux luisants d'excitation quand à voir le dénommé Hall de la Mémoire. Rien que le nom voulait tout dire et il était certain de voir la cible.

''Oh, je vous en remercie ! Et en effet, rien que le nom est déjà très évocateur. Je sens que mes yeux ne vont plus savoir où se poser une fois entré dans ce Hall ''

Et il s'empressa d'emboîter le pas de son grand et végétal guide

Beldurande savait qu'il vallait parfois mieux ne rien dire et écouter patiemment lorsque quelqu'un s'ouvrait. Il hochait la tête lentemment alors que M.Frâlan semblait à son tour hâpé par son passé et il ne voulait pas troubler plus loin le visiteur qui n'avait pas demandé à être rappelé de tels souvenirs... sauf s'il souhaitait en parler. Alors que Donovan se recomposa et lui emboîta le pas ils continua de se montrer compréhensif envers son interlocuteur. Le Professeur fit une note mentale d'inviter Frâlan à aller échanger autour d'une table avant de repartir de Liomaida, il lui était sympatique et surtout Beldurande ressentait une grande empathie envers cet homme qui cherchait à clore un chapitre douloureux d'une violence qu'il ne connaissait lui-même que trop bien. Il souhaitait passer à un autre sujet avant d'arriver au Hall de la Mémoire qui serait sans doute un autre instant plus lourd et pensif.

En montant à l'étage ils furent accueillis par la lumière naturelle du soleil s'engouffrant entre les colonnes de soutien qui parsemaient le ponton de promenade en bois. Celle ci dessinait le pourtour de la cour et par endroit il n'y avait pas de mur de séparation entre les couloirs de l'École et la promenade ce qui permettait d'avoir une vue directe sur le jardin intérieur depuis certaines salles de l'étage. De l'autre côté du bâtiment il était aussi possible d'apercevoir les chambres résidentielles bien que de longs rideaux en occultait l'intérieur. Ils traversèrent donc l'École du nord au sud cette fois pour se rediriger vers l'avant du bâtiment et passèrent alors devant plusieurs salles abritant les bibliothèques fournies de l'École. Ici une douzaine d'élèves triaient, lisaient, rangeaient et étudiaient les ouvrages avec assiduité dans un silence monastique. Beldurande ouvrait la marche un pas devant M.Frâlan et tourna la tête vers lui pour expliquer à voix basse:

"Ces rayons sont remplis avec les ouvrages que nous rachetons ça et là à d'autres bourgeois, parfois des cadeaux à l'École pour nous remercier et parfois récupérés et sauvés des autodafés lors de coups d'états chaotiques. Certains sont accumulés par mes soins à travers les siècles." Il marqua une pause devant l'une des salles pour pointer un rayon du doigt. "Ceux ci sont des oeuvres qui datent des années 1500 que j'ai amassé à l'époque pendant mes années de mercenariat, aujourd'hui il n'en demeure que quelques copies. La plupart sont ordinaires mais nous en avons une paire sous vitrine extrêmements instructifs sur les moeurs d'antant. Principalement d'Eïlynster et de Teïder ceux là." Il reprit le cheminement. "Le Hall est plus loin au tournant des Salles d'Audit"

En effet plus loin dans le couloir une série de portes fermées faiblement espacées indiquait la présence de petites salles dans laquelle entrait justement une élève accompagnée d'une femme âgée modeste âgée dans la cinquantaine, à l'intérieur se déroulaient les sessions de conseils qui permettaient aux élèves de gagner un peu d'argent pour subsister et continuer leur formation.

Si Artane avait pu être capable de lire les pensées de son guide, il aurait presque été pris d'un peu de remord d'abuser de la confiance et de l'intérêt que lui portait le Professeur. Mais les circonstances étaient ce qu'elles étaient : il servait Eïlynster et le reste n'était que secondaire. Rien n'empêchait d'avoir des liens amicaux avec des gens qui ne vivaient pas derrière le Mur, mais sa loyauté était offert à son pays nation. Oh, il pouvait être loyal avec d'autres personnes, tant que cela ne représentait pas une menace pour Eïlynster. Loyal, mais loyal d'un cran en dessous, enfin... vous comprenez ! Et puis, pour mener à bien certaines opérations de terrain, il fallait savoir user des armes qu'on avait à sa disposition et le tout, sans trop faire de vagues... Et tant que les dommages collatéraux demeuraient juste psychique...

Ils montèrent à l'étage. Au fur et à mesure qu'ils s'avançaient dans cet étage Artane contempla la vue, notant au passage certains détails. Son cerveau analysait déjà les possibilités des lieux dans le cadre de sa mission. La présences des chambres des étudiants, bien que se trouvant dans un certain secteurs, n'étaient isolés que par des rideaux. Il suffirait d'un seul qui est une crise d'insomnie ou qui ait le sommeil léger et ce serait foutu, dans le cadre d'une visite de nuit un peu trop bruyante.... Mais pour le moment, il ne faisait qu'observer. Dans sa mission, il n'y avait que deux voies possibles : la réussite ou l'échec.... Si sa cible n'était pas possible à emporter, il faudrait la détruire... et le hic était qu'Artane ne voulait pas user de cette dernière option... Il y avait des jeunes gens ici, avide d'apprendre le monde et d'en devenir, un jour, un de ses acteurs. Et c'était risqué d'en blesser, voir pire.... et sans parler des dégâts matériels....Mais s'il n'avait pas le choix, pour préserver la sécurité de sa nation ? C'était là un dilemne qu'il devra résoudre avant de revenir ici.

Arrivant devant quelques bibliothèques où fourmillaient des étudiants chargés de les classer, les trier ou les étudier, le professeur fit une halte pour apporter des explications. Artane trouva cela des plus intéressants.

''C'est impressionnant. On pourrait presque déclarer votre Ecole comme une sorte de mémoire du monde en somme. Le temps que vous y avez consacré est colossal. Je suis certain que vous menez des recherches pour retrouver des ouvrages plus rares encore et qu'il faut protéger...''

Et qui devait attiser la jalousie de bien des collectionneurs ou de passionnées de savoir historique en tout genre. Chose qui l'interpellait par après était le fait que l'être végétal possédait des ouvrages dit ordinaires sur Teïder, mais aussi sur Eïlynster.... le savoir était une arme pour qui savait s'en servir. Des moeurs d'antan hein... il faudrait s'en assurer. Il fut tenté de poser quelques questions au Professeur mais mordit sur sa chique... C'était un peu trop temps encore. Il continua de suivre son guide.

En remontant encore le couloir qui menait au Hall de la Mémoire, on pouvait apercevoir des portes qui devaient donner chacune sur des petites pièces. Des lieux d'études ? Une élève escortée par une femme d'une cinquantaine d'années au moins, y entra. Artane observait la scène, mais sans plus. Après tout, les élèves pouvaient avoir droit à des conseils personnalisés sur des choses.... privées.

Bientôt, il mettra le pied dans le Hall de la Mémoire et pourra évaluer sa cible....

Amusé par l'émerveillement de Donovan devant les Bibliothèques et les collections exposées dans l'École, Beldurande profitait de le devancer légèrement pour réprimer le sourire qui voulait s'afficher sur son visage. 'La mémoire du monde' si c'était un titre déjà plus approprié à l'endroit vers lequel ils se dirigeaient ne s'appliquerait pas tellement aux ouvrages littéraires de la bibliothèque. Il supposait cependant que chaque livre aussi commun soit-il portait en sa trace l'ère de son temps donc que Donovan avait sans doute raison, il ne pouvait s'empêcher de trouver cette appelation grandiloquante en sachant que certains de ces ouvrages étaient des livres de cuisines, des registres de commandes de commerces et des manuels de fabrications à l'ancienne. Chacun trouve son trésor où il le souhaite.

"Euh, oui, oui oui bien sûr. Nous sommes toujours en quête de nouvelles acquisitions." 'Surtout d'élèves' rajouta-t'il à lui même en reprenant son sérieux.

Beldurande passa rapidement devant les Salles d'Audit en en présentant le concept à M.Frâlan, il se doutait que même avec l'intérêt que Donovan portait au cursus de l'école ces portes fermées par le secret n'étaient pas la partie la plus passionnante de la visite. À interval régulier le long de ce couloir des statues encadraient chaque porte, posées sur des socles en pierre à hauteur de la taille, représentant des personnages divers. Sur le socle était inscrit le nom des individus et un paragraphe expliquant leurs histoire et leur contribution à leur patrie, leur famille ou leur entreprise.

"Nous y sommes."

Juste là, derrière le tournant à la fin du couloir où ils se trouvaient désormais s'étendait devant eux le Hall de la Mémoire. Une grande salle soigneusement décorée, un long tapis central le traversait de part en part et sur ses côtés étaient accrochées des peintures entre lesquels des sculptures et des statues étaient exposées. Chaque sculpture était présentée avec un petit tapis qui se reliait au tapis central comme pour dessiner un chemin de visite et leurs formes étaient variées mais toutes représentaient un thème commun, toutes représentaient des soldats, des chevaliers, des mages, hommes, femmes, enfants, montures mortellement blessées, défigurées ou amputées. Ici un homme en armure complète, la tête haute et la posture héroïque droite alors que plusieurs piques s'introduisaient entre les défauts de sa cuirasse, tendant une main vers l'avant comme attendant d'y recevoir quelque chose. Là une femme elfe tendant les bras pour barrer la route, stoïque malgré les trois flèches lui perforant l'abdomen et la poitrine, l'expression de son visage affichant une détermination sans faille. Ailleurs un soldat à l'armure défaite, allongé au sol en lâchant son dernier soupir tandis qu'une lame teïderrienne le clouait au sol, une main désespérément tendue vers le ciel, ses doigts tentant de saisir quelque chose d'immatériel. Les statues étaient d'autant plus troublantes que leur niveau de détail était extrêmement réaliste, il était possible de distinguer les pupilles, les veines saillantes des muscles, chaque aspérité de la peau -et par conséquent des blessures- chaque mèche de cheveux. Cette précision dérangeante rendaient les expressions sur les visages d'autant plus parlant.
Les peintures qui alternaient entre chaque sculpture dépictaient des scènes tantôt héroïques de batailles rangées et de personnages illustres menant leur armée à la victoire, tantôt les paysages désolés et les terres brûlées d'un champ de bataille rythmés par les armes et les corps laissés au sol. Les bannières tendues pour encadrer les tableaux et les statues donnaient un aspect commémoratif solennel à la scène. Beldurande restait immobile, silencieux, prenant un instant pour accepter les souvenirs que ces sculptures lui rappelait chaque fois qu'il passait par ici, aujourd'hui il s'y sentait plus sensible qu'à l'accoutumée. Il tourna la tête vers M.Frâlan pour observer sa réaction et pendant que celui ci découvrait le lieux il lui expliqua d'une voix calme nuancée d'une pointe de mélancolie:

"Le Hall de la Mémoire contient les statues de ceux que l'Histoire a oublié. On a tendance à glorifier la guerre, la mettre sur un piédestal en ne racontant que l'histoire du point de vue des gagnants, à conter les légendes de ceux qui ont survécus en s'illustrant. J'ai tenu à montrer l'autre côté, celui de ceux qui ont donné leur vie pour des idéaux qu'ils ont emporté dans leur tombe, ceux qui sont les victimes infortunées d'une guerre qu'ils n'ont pas forcément choisi, ceux qui ont échoué à protéger ce qui leur était cher."

L'humain ne put s'empêcher d'avoir un sourire en coin. Quand on possédait une collection, on ne pouvait que chercher à l'agrandir, avec les plus belles pièces. La rareté à préserver devait être un des critère privilégié. Artane nota cela,car si un jour il venait à tomber sur un ouvrage ancien ou rare, cela pourrait potentiellement intéresser le Professeur, friand de savoir et de conservation de connaissances qu'il était. Bien entendu, ''l'acquisition''d'élèves demeurait la priorité pour l'Homme-Arbre, vu que c'était la manne principale de son établissement.

Au fur et à mesure que l'invité visiteur et son guide professeur approchaient du Hall de la Mémoire, Artane put contempler à loisir chacune des statues qui étaient tels des sentinelles gardant chaque accès des portes accessibles par ce couloir emprunté. Il eut le temps de survoler certains noms, quelques brides gravées sur leur socle respectif de leur résumé d'existence... peut être que notre visiteur connaissait quelques noms, mais il ne cherchait pas à creuser dans ses souvenirs, car ce n'était pas l'élément le plus important sur lequel il se concentrait.

Au détour du couloir, après avoir suivi l'angle imposé par le tour, le Hall de la Mémoire se présenta devant eux, offrant toute un étalage de statues figées dans des postures mortellement héroïques, comme si les créateurs de ces œuvres avaient chercher à figer un moment clé d'une guerre passée dans la pierre, le marbre, le gré et toute autre matière minérale suffisamment noble pour mériter d'être travaillée sous le burin d'un maître.

L'Estien s'était figé devant l'aspect si réaliste de chaque sculpture. Les détails étaient tels qu'on pouvait s'attendre à tout instant les voir respirer ou cligner des yeux. Un bref instant, il avait l'impression de se retrouver en plein milieu d'un conflit chaotique, car les peintures qui s'illustraient entre chaque statue déployaient un fond de batailles rangées, comme si on regardait à travers une fenêtre. Quand ce n'était pas deux armées qui se préparaient à s'affronter, c'étaient des terres dévastées, jonchés de corps... Oui, le lieutenant était saisi devant tout cela, car ne s'était pas tout imaginé une telle étendue artistique marquant les conséquences des conflits armées... Entre l'héroïsme, le sacrifice, la souffrance et la mort... il n'y avait suffit qu'un fil ténu.

Son regard avait pris le temps de regarder chaque statue, avant de se fixer sur celle qui représentait un homme mortellement blessé, une armure défait, très abîmé, une lame teïderienne plantée dans son aine. Sa main tendue vers les cieux étaient comme un appel vain porté à quelqu'un ou quelque chose.... y avait-il eu par le passé un objet se trouvant dans sa paume ? En tout cas, malgré le peu qu'il put voir de l'armure du soldat agonisait et il en était presque certain, c'était un Eïlynstérien... Et l'épée teïderienne était d'une facture tout à reconnaissable.

La voix du Professeur le tira un peu de sa contemplation. Il ne put qu'acquiescer les dires de son interlocuteur. Ce qu'il narrait était comme s'il avait voué ce Hall de la Mémoire à un culte des morts. Car visiblement, c'était cela, se rappeler des héros plus silencieux, qui n'avaient pas eu la chance de narrer de leurs vivants leur propre épopée, ou leur propre bravoure. Mort dans le silence, dans l'oubli, eux aussi méritaient une place dans l'Histoire. Et là, c'est ce qu'Artane voyait.

''Des héros anonymes qui ont versé leur sang et donner leur vie par choix ou par obligation... et que vous avez réuni ici.... C'est... magnifique''

Comment ne pas être un peu ému ? Même le temps de quelques secondes ?

''Si je ne m'abuse, vous avez une oeuvre qui se départ un peu des autres... celle avec l'épée qui parait être teïderienne... l'homme doit être de cette nationalité alors....

Il se permit d'approcher de quelques pas de l'oeuvre criante de réalisme.

''C'est de Teïder ? C'est plus rare de voir une oeuvre d'art de chez eux, pour peu qu'on peut croire qu'ils aient des artistes. ''

Il réussit à ravaler le dégoût de parler de ses ennemis.

''Cet homme a-t-il une histoire ? Ou alors, peut être que cela se retrouve dans les ouvrages que vous avez de cette nation et de l'autre.... hum, quel est son nom déjà. Ah ! Aïlaster... non... Eîlyster... Eïlynster ! Voilà. Quel nom pour ma pauvre langue... et d'ailleurs, que narrent vos précieux trésors ? Car ce n'est pas tous les jours qu'on entend parler dans l'histoire de ces deux pays qui se haïssent à un point que l'autodestruction sera leur chant du cygne''

Le Professseur étant un féru de savoir saura sans aucun doute lui résumer le contenu de ses précieux livres. Ce sera même plus facile que de chercher à les décortiquer au risque d'attirer l'attention sur son soudain intérêt pour Teïder et son propre pays... et il épargnera une opération de vol... Le Professeur préservait l'Histoire à sa façon et ces statues en étaient la preuve.... Mais une devra retrouver sa vraie place, à savoir à Eïlynster.... Mais porter une statue... Diantre ! Pourquoi les choses étaient si compliquées des fois ! Si ce n'était pas faisable, il ne faudrait pas qu'un agent teîderien mette la main dessus....

”Oh celle ci, ce n’est pas ma préférée…” Beldurande fit quelques pas pour rejoindre Donovan à sa droite, juste devant la statue à quelques dizaines de centimètres du socle. Il marqua une pause alors que M.Frâlan suggéra que l’homme au sol devait représenter un teïderrien, sa bouche restant entre-ouverte en suspens. Il était singulier de penser que la victime serait de Teïder en reconnaissant pourtant l’origine de la lame comme telle, surtout quand n’importe qui peut se retrouver de l’autre côté des armes de ces fanatiques. Alors que Beldurande hésitait à reprendre la parole, Donovan poursuivit en se méprenant sur l’origine de la sculpture, le Professeur se permit alors de le corriger:

”Par ‘l’homme’ vous voulez dire l’artiste? Non il était duchéen. C’est à lui que j’ai commandé la totalité des statues qui se tiennent dans ce bâtiment. Il est malheureusement décédé il y a une dizaine d’année en haute mer, ces pièces font partie des derniers restes qui témoignent de son talent.”

Beaucoup d’étrangers l’ignorent, mais dans les Duchés il est assez courant de croiser en étant seul en terrain neutre des villages très hospitaliers, vous accueillant à bras ouvert devant l’animation qu’apporte un voyageur, il est alors habituel que les habitants locaux vous nourrissent, vous logent pour la nuit, et que vous ne vous réveilliez pas le lendemain. La nourriture était droguée, les villageois étaient de mèche avec des mercenaires, et dans la nuit ceux ci sont venus pour de l’argent facile. Lorsque Beldurande avait mis les pieds pour la première fois dans un tel village il y a 60 ans, il avait eu la sensation que quelque chose clochait, que quelque chose était faux. Alors que Donovan parlait en lui demandant des détails sur les ouvrages de la bibliothèque, Beldurande avait à nouveau cette sensation qui lui remontait dans le dos. Il était là, figé, il avait l’impression qu’il avait vu ou entendu un détail important, mais il ne savait pas quoi, il n’arrivait tout simplement pas à mettre son doigt dessus. Alors que son invité avait fini sa phrase depuis déjà quelques secondes le Professeur se rendit compte que son expression mystifiée était sans doute visible sur son visage, il balaya ses à prioris et s’empressa de répondre:

”Les livres vous voulez dire? Hé ha ho hé hé. ” Il regarda son invité d’un air amusé en reprenant ”Comme je vous l’ai dit, il s’agit surtout de livres de cuisine, des registres de commerce, des recueils d’actualités des années 1500 et des manuels de fabrication de meubles ou d’objets anodins, ramassés après des batailles et des raids dans des villages.” Il reprit un ton sérieux. ”Pour le reste c’est plus ou moins varié, je dois avoir un ouvrage sur les techniques de forge et de métallurgie, un recueil religieux de prières et de pénitences, des manuels d’instructions de combat pour les enfants. Ce genre de choses.”

”Quant à l’histoire de cet homme ci” Dit-il en désignant d’un léger geste de la main le soldat de pierre à leur pieds. ”La statue représente une personne que j’ai connue autrefois, c’était un brave homme qui s’est battu corps et âme malgré une infériorité numérique écrasante. Lui et tout ceux qui servaient sous ses ordres sont tombés un par un, mais le temps qu’ils ont acheté a sauvé des vies civiles en donnant au reste de leur camarades le temps de s’organiser.”

C’était vague, mais Beldurande qui d’habitude était confortable dans le mensonge que ce soit en négociation ou dans de banales conversations se sentait troublé par la sensation qui l’avait saisi un instant auparavant et il préférait ne pas rentrer dans les détails. Il restait là devant la statue et tourna la tête vers Donovan.

”Cela dit vous me voyez tout de même heureux de l'intérêt que vous lui portez car vous honorez ainsi sa mémoire, alors que je ne me rappelle pourtant plus de son nom, les histoires M.Frâlan, sont là où vont les souvenirs lorsqu'on les oublie.”

Le Professeur apporta des éléments concernant la statue qu'observait toujours Artane. l'Estien put entendre et donc apprendre que cette sculpture avait été faite de la main d'un artiste duchéen. Et visiblement, lui qui était limite à baver d'admiration devant cette sculpture, Beldurande ne paraissait pas l'apprécier, que ce n'était pas sa préférée. L'humain allait apprendre juste après pourquoi. Mais pour l'instant, il était pensif sur ce qu'il avait noté

*Tu m'étonnes qu'il lui a commandé une grande partie de ces œuvres, elles sont incroyables et criantes de réalisme*

''Cela devait être un maître sculpteur hors pair, pour avoir réalisé de pareilles ouvrages. J'espère que mes questions n'ont pas remués la tristesse quand à la perte de votre ami...''Finit-il par dire sur un ton un peu désolé. En tout cas, il ne remarqua pas le visage végétal figé durant un bref instant de son interlocuteur. Et quand bien même l'aurait-il vu, est ce qu'il aurait été capable de saisir l'émotion affichée à travers les légers mouvements écorceux ?

Par la suite, il garda dans un recoin de son esprit les brefs détails des ouvrages possédés dans l'établissement. Aux premiers abords, ces écrits du passé ne représentaient pas un danger réel  pour Eïlynster si des personnes viendraient à les étudier... Mais ça, ce sera à voir avec ses supérieurs... Pour Artane, c'était plus la statue qui représentait un risque certain, tant en terme de propagande que de symbole si Teïder venait à se l'accaparer. Ces foutus fanatiques auraient une pièce d'art qui orienteraient leurs ouailles plus dans l'enfoncement de leurs folies religieuses...et d'apprendre déjà que le Professeur n'appréciait guère cette statue était un bon point pour Artane. De la voir disparaître ne l'affectera peut être énormément. Peut être sur le plan affectif vis à vis de son créateur, mais pas pour ce qu'elle représentait.... Ou presque. Car Beldurande narra également l'histoire de l'homme sculpté... Un combat qu'il aurait connu par le passé ? Il avait connu un Eïlysnterien ? Moultes questions pointaient déjà le bout de leur nez dans son esprit.

Il sut se retenir. Il devait demeurer vague. Du moins il devait continuer à demeurer Donovan. Pourtant, une petite question avait réussi à se présenter.

''Cela devait être un homme honorable, que vous avez connu, il y a très longtemps... Ne l'honorez vous pas, vous aussi, en le gardant en souvenir, dans votre coeur ? Le temps efface les noms, mais pas les actes....''

Si cet inconnu avait été si héroïque, pourquoi le faire représenter dans une statue qui ne paraissait pas plaire à son commanditaire ? Peut être que le Professeur avait besoin de garder une certaine forme visuelle de cet individu pour ne pas perdre justement le souvenir de ce qu'il avait été... Là aussi, il aurait souhaité plus interroger son hôte, mais la méfiance pourrait se réveiller chez lui. Autant rester à la surface des choses, c'est mieux ainsi...En tout cas, Artane avait un petit conflit de conscience dans son esprit quand à ce que cette statue deviendra.... Mais Eïlynster passait avant tout. Et en même temps, comme précédemment, il pensa mais en même temps de manière audible...

''Stupéfiant qu'un sculpteur d'excellence ait su prendre des détails d'un autre temps....''murmura-t-il.

Sur l'instant, il se maudit. Diantre ! Il avait encore pensé en parlant ! Il sentit ses tripes se serrer et essaya de rebondir d'une autre manière, en priant que cela passerait

''En tout cas, vous avez un Etablissement qui est faire pâlir d'envie bien des musées. N'avez-vous jamais songé à organiser des visites privées pour faire partager la splendeur de vos oeuvres d'art ? ''

Le Professeur avait fini de s’expliquer sur la dépiction de la statue, ses yeux se baladaient sur le visage de pierre son vieil ami mais ils étaient en réalité perdus dans les souvenirs lointains de celui qu’il était à l’époque. Il laissa passer la remarque sur la perte de son ‘ami sculpteur’, la tristesse de cette perte inexistante ne risquait pas de le chagriner mais il gardait la face et décida que le silence serait la meilleure couverture. Il ne sentait de toute façon plus d’humeur à trop broder son tissu de mensonge.

Beldurande complimentait donc son visiteur sur le devoir de mémoire qu’il honorait, et lorsque celui-ci lui rétorqua que lui aussi permettait à l’histoire de son ami de perdurer, il cru bon d’ajouter quelques détails, véridiques pour leur part:

”Vous avez raison, c’était un homme admirable, il prenait soin de ses hommes et ne les considérait pas comme des pions, mais comme des personnes, des frères. Aussi lorsqu’il donna ses ultimes ordres et les envoya tous à l’abbatoire lui-même compris, je fut pendant longtemps extrêmement déçu de lui, pensant que face à la mort il avait abandonné tout ce qui faisait de lui le lieutenant exemplaire qu’il était. C’est une de ces leçons qu’on entend sans comprendre, et qu’on ne comprends que trop tard.” Il marqua une pause pour recomposer sa voix avec plus de fermeté. ”J’aime cet homme, mais la statue me rappelle une version de moi-même que je préfère laisser derrière.”

Ils contemplèrent tout deux la statue pendant encore quelques instants avant que Donovan murmure faiblement un compliment sur la fidélité chronologique de la statue.

Là, c’était là.
Le tressaillement dans ses vertèbres qui lui parcourait le dos et remontait dans son cou, qui envoyait son coeur palpiter légèrement plus vite, qui lui faisait écarquiller ses cinq pupilles noires. Cette sensation de faux. Il choisi de s’écouter et de réfléchir. Comment un ex-soldat akkatonien, venant d’un empire aussi jeune en Orzian, pouvait dire que les détails d’un autre temps avaient été bien saisis? Est-ce qu’il avait reconnu l’origine du lieutenant? Il pouvait y avoir une autre explication, M.Frâlan pouvait être un érudit désormais, un peu féru d’histoire, après tout il s’était découvert une passion néophyte pour l’art alors pourquoi pas.
Celui ci enchaîna rapidement à l’adresse du Professeur, qui le regardait désormais droit dans les yeux, se tournant vers lui pour faire face à son invité. Donovan lui demandait pourquoi il n’avait pas songé à organiser des visites privées. Beldurande voulu lui répondre mais au même moment il se rendit compte de ce qui l’avait dérangé, et cela lui fit l’effet d’une douche froide.

Quel est son nom?
Quel est son nom déjà? Et ensuite il avait buté sur la prononciation d’Eïlynster, qui certe n’est pas facile à sortir pour un akkatonien, mais si c’était un simple défaut de diction, il n’aurait pas cherché l’espace d’un instant à se rappeller du mot il l'aurait simplement écorché, tandis que s’il avait oublié le nom d’une des six grande nations orzanienne, c’est que clairement il n’avait pas les connaissances pour reconnaître une lame teïderrienne, et encore moins établir la fidélité de la statue. La formulation n’avait pas de sens. Et si ça n’a pas de sens…

Alors c’est faux.

Il savait pertinemment qu’il fixait juste Donovan du regard, debout devant lui sans rien dire, mais il tentait de réfléchir le plus vite possible pour ne pas faire de faux pas. Jusqu’où allait le mensonge de M.Frâlan? Il pouvait y avoir une multitude de raisons valables pour lui cacher la vérité, mais certaines pourraient être fort déplaisantes au Professeur. Il fallait également compter la possibilité que M.Frâlan soit dangereux, et trop d’élèves étaient actuellement présents au sein de l’École. Il ne devait pas prendre le risque de confronter Donovan frontalement. Par contre il pouvait lui laisser savoir qu’il savait, et qu’il ne le menacerait pas. Après ce silence insupportable, il répondit enfin:

”L’exactitude des détails est toujours un gros travail de recherche, fastidieux et pénible.” Le regard soutenu qu’il adressait à son visiteur n’avait rien de subtil, au risque que Donovan le trouve un peu lunatique s’il n’avait en réalité rien à cacher. ”N’est-ce pas?”

Il décida d’ignorer la question des visites privées pour faire une proposition plus franche. Le changement de ton qu’il faisait subir à la conversation le ferait réellement passer pour un excentrique s’il se trompait:

”Monsieur Frâlan je ne souhaite nullement vous retenir si vous avez d’autre occupations qui vous appellent ce midi mais que diriez vous de déjeuner ensemble dans mes appartements? Ils sont juste au bout de ce couloir, on les a aperçu tout à l’heure de l’autre côté de l’École en passant devant les bibliothèques. Je serai désireux de discuter plus confortablement avec vous.”

En parlant Beldurande fit quelques pas pour faire le tour de Donovan, se postant désormais à sa gauche pour l’inviter en levant le bras vers le Salon des Invités.

Le Lieutenant pestait intérieurement. Encore une fois, il avait marmonné ses pensées, et une fois encore, elles avait été audibles. Une fois encore et cela avait été une fois de trop. Devant l'admiration qu'il avait ressenti et éprouvé devant les oeuvres sculptées qui mettaient en avant bien des valeurs adulées par Eïlynter, il s'était laissé avoir par ses propres émotions, par l'émerveillement que ce Hall de la Mémoire avait déployé dans son esprit. Et plus encore devant une statue qui mettait à l'honneur un héros des temps passés, qui avait battu fièrement et jusqu'à en donner sa vie pour sauver des gens innocents des mains immondes des Teïderiens. Car entre les paroles de souvenirs du Professeur et la position agonisante du soldat, l'histoire de ce lieutenant tombé dans l'oubli ressurgissait un peu des méandres des limbes de l'oubli. Avec de la chance, quand il s'en retournerai à Eïlynster, en fouillant dans les archives historiques, il pourrait retrouver l'acte héroïque de cet officier et aider Beldurande à se remémorer son nom...

Mais qu'est-ce qu'il était en train de songer là ? La pensée soudaine qui lui vint par après coup, en croisant le regard de son guide, fut :

*Et merde....*.

Là il pestait plus encore, car sa couverture était désormais compromise. Comment avait-il se laisser aller de la sorte ! Il avait réagi comme un débile de débutant ! Bien entendu, là, il sut rester totalement stoïque, pendant que son hôte le fixait en silence, comme attendant que quelque chose vienne sans doute confirmer le doute qui devait l'assaillir. D'ailleurs, son enthousiasme s'était un peu éclipsé. Le ton avait un ton quelque peu différent... et face à la réplique de l'être végétal, Artane ne put que répondre simplement :

''En effet. ''

Bien, comment allait-il sortir de ce guêpier maintenant ? Il y avait des élèves ici et il ne voulait pas provoquer de heurts. Prendre congé, comme cela de but en blanc ? Non, il ne ferait que confirmer les doutes du Professeur et manquerait de briser totalement sa couverture, certes compromise, mais qui demeurait encore assez entière... ou presque. Rien n'était moins sûr. Puis, Beldurande l'invita à déjeuner en sa compagnie, comme le temps de midi était proche. Pouvait-il se permettre de refuser, pour prétexter qu'il avait en effet des affaires qui l'attendaient en dehors de l'Ecole ? C'était le comportement classique qu'on attendait d'un homme qui se savait découvert. L'excuse serait flagrante, trop flagrante... Et puis, Beldurande était un guerrier, il avait connu la guerre. Bien qu'il n'avait pas combattu depuis des années, certaines bases demeuraient... et puis, il était largement plus imposant qu'Artane... et l'Estien s'en voudrait de devoir le blesser pour s'enfuir. Ce ne serait guère honorable, et en plus... il le trouvait sympathique.

Alors il opta pour une autre solution : celle d'accepter l'invitation. Advienne que pourra à ce moment là. Peut être que le Professeur cherchait déjà à le piéger, ou alors à le confronter seul à seul, loin des élèves, qu'il était normal de vouloir protéger. Si Beldurande avait connu cet officier estien par le passé, il devait avoir compris certaines de ces valeurs.... et puis, ne tenait-il pas à ce que ses élèves réussissent dans ce monde ? Il ne les choisissait pas pour s'en servir de bouclier.....et puis, suffisait de voir comment il optait pour les missions dans les forces armées... Bien, il devait énoncer sa réponse

D'un léger sourire enchanté, il suivit du regard le Professeur qui s'était déjà déplacé, l'invitant déjà à le suivre.

''Aucune occupation d'importance ne quémande ma présence. J'accepte avec plaisir votre invitation. je vous suis donc. ''

Advienne que pourra donc. Il avisera en fonction de ce que la situation lui réservera. Mais ce sera dans une totale sérénité qu'il suivra son guide.

Le bruit de leurs pas résonnaient dans le grand couloir au fur et à mesure qu’ils le traversaient pour s’approcher du Salon des Invités au tournant du bâtiment. Beldurande marchait légèrement devant Donovan pour que celui ci ne voit pas sa mine sombre tandis que les pensées fusaient dans sa tête.

Décidément c’était VRAIMENT une journée de merde, et il n’y a rien de plus désagréable que l’illusion que ça aille mieux avant qu’on ne vienne vous dire que c’était un faux espoir. Il se demandait quelle méthode employer pour la suite des évènements, Donovan -si c’était même son prénom- lui était tout de même sympatique et même s’il aurait menti sur son passé de soldat, les cicatrices elles témoignent tout de même qu’une partie de son discours sur les horreurs de la violence étaient sincères. Beldurande n’avait nullement l’envie de lui mettre le couteau sous la gorge, mais comme il ne s’agissait pas de sa propre protection, il ne pouvait pas faire uniquement comme bon lui semblait.

Le Salon des Invités est une pièce soignée, tapissée d’une fine laine pourpre brodée et meublée avec quelques fauteuils rembourrés, une table basse et une commode posée sur un grand tapis central, et un argentier au mur. Un des murs de la pièce était constitués de paravents qui cachaient le bureau et la chambre de Beldurande derrière.
En entrant à l’intérieur, le Professeur remarqua Himir qui l’attendait assis dans un des fauteuils et se releva à son arrivée en lui tendant un papier:

”Ah Bel, tient c’est…”

”Ferme l’École.” le coupa Beldurande, en allant jusqu’à l’argentier pour l’ouvrir et fouiller à l’intérieur.

Le Secrétaire parut surpris et haussa les sourcils avant de remarquer Donovan dans le cadre de la porte, il regarda son ami et hocha la tête silencieusement avant de saluer l’invité et de s’éclipser dans le couloir en direction du Hall, refermant la porte derrière lui.

”Mon cher Donovan, je vous apprécie énormément et par là je vous désigne en tant que personne. Cependant je sens que vous n’avez pas été entièrement honnête avec moi -car je ne vous crois pas akkatonien pas plus que je ne vous crois simple visiteur- ce qui n’est pas le problème.” Il produisit deux coupes en cristal et une bouteille de bourbon de l'argentier puis en referma la porte, les déposant sur la petite table au milieu de la pièce. ”Aussi avant de continuer j’aimerai vous informer de deux choses, la première c’est que vous êtes libre de partir d’ici à n’importe quel moment si vous le désirez. La deuxième c’est que je n’ai rien contre le mensonge, c’est une façon de se protéger n’est-ce pas? Sauf que je ne cherche pas à me protéger moi, mais d’autres, alors quand un individu rentre dans mon école, demande à en faire le tour et me ment sur son identité, je souhaite savoir pourquoi.”

Le Professeur servit deux verres de bourbons, en pris un et bu une gorgée. Il saisit l'autre et l'apporta à son invité, une fois arrivée à vingt centimètres de l'homme, il lui dit d'un ton grave:

”Donovan pendant la prochaine heure, vous me répondrez franchement, si vous me dites la vérité je crois en un échange de bon procédé, je vous laisserai donc me poser une question à laquelle je répondrai également par la vérité -parce que vous n'avez pas été le seul à mentir aujourd'hui. Si vous me mentez vous brisez le contrat. Avons nous un marché?”

Beldurande lui tendit sa main droite, une main de pierre... littéralement.

La Salle des Invités était coquette, parfaite pour recevoir des invités de marque, pour autant qu'ils étaient invités comme Artane à venir visiter l'Ecole. Sans doute qu'après lui, ces lieux recevront un peu moins de monde... hormis les contrats pour employer ses élèves. Elèves qui étaient une manne à protéger par dessus tout, car à peine le Professeur était-il arrivé en premier dans ses appartements qu'un homme d'âge mûr, après avoir tenté un début de discussion, reçut un ordre très direct de son supérieur ; si c'était bien cela la relation entretenue entre les deux individus.. Quoiqu'avec le tutoiement... Mais passons, ce petit détail était à peut être à noter, mais ce qui fut plus important fut l'injonction donnée par l'Homme-Arbre, à savoir de fermer l'école... Il tenait à ce que les élèves ne sont plus présents dans l'établissement...

L'homme sortit après avoir adressé un drôle d'air à Artane et ferma la porte derrière lui, laissant l'Estien seul avec le direction de l'établissement. Ce dernier s'était déjà rendu à son argentier, pour en sortir deux coupes en cristal, et une bouteille d'alcool. Du bourbon au premier abord. En même temps, il prit la parole. Comme l'avait pressentit le Lieutenant, il avait été percé à jour. Enfin, presque à jour... Et le Professeur ne cachait nullement son intérêt d'en connaître les raisons... ou les motifs, à voir, au choix. L'humain ne le quitta pas des yeux, demeurant toujours impavide, malgré sa situation devenue bancale. En même temps, il étudiait les lieux, de ce que son champ de vision pouvait lui offrir sans qu'il n'ait à tourner les yeux ; c'est à dire pas grand chose en terme de champ visuel, puisqu'il était concentré sur Beldurance, pour voir les possibilités de fuite. Ce ne serait qu'en cas extrême et encore, il ne croyait pas s'y retrouver.

Les deux verres furent servies, le Professeur s'était rapproché d'Artane pour se retrouver à une très courte distance de lui, imposant à l'Estien de devoir lever un peu la tête. Même s'il était d'une bonne carrure, l'humain ne parut guère oppressé, ni effrayé. Certes, son hôte était impressionnant, autant par sa nature que par ce qu'il serait encore capable d'infliger dans un combat. Il avait fait la guerre.... tiens d'ailleurs, pourquoi ne s'était-il pas demandé quel âge pouvait avoir Beldurande ? Quelques questions se suivirent, mais il ne pourrait qu'émettre des suppositions. Il accepta le verre de bourbon et le remercia d'un simple hochement de tête.

''Si vous vous inquiétiez pour vos étudiants, ils ne couraient aucun danger depuis le début, si c'est cela que vous souhaitiez savoir, Professeur. C'est bien aimable de votre part de m'informer que je peux partir quand je le désire, en toute liberté.... mais derrière cette permission, vous espérez que je reste, pour répondre à la question de ''pourquoi''.... ''

Il joua un instant avec le verre, provoquant un remous circulaire du bourbon dans son contenant cristallin. Il ne releva pas le reste, préférant laisser le Professeur dans le flou. Après tout, ce n'était pas mentir que de rien dire ou de rien confirmer. Et quand l'écorcé proposa comme un genre de contrat, il avait bien pressenti que le Professeur souhaitait lui aussi en savoir plus. L'affaire paraissait intéressante, mais où était l'entourloupe ? Quelle garantie avait-il de demeurer en vie après cela ? L'échange en tout cas ne pourrait qu'être instructif...mais où était le piège ? Il avait toute la liberté de partir de l'autre côté. Ne serait-il pas plus sage d'en rester là ?

Il but une gorgée du bourbon, qui était remarquable de goût en bouche. Il porta le verra à sa main gauche.

''Je veux bien du marché, si j'ai la certitude de ressortir en vie, en un seul morceau et sans être envoyé dans une geôle...''

A défaut d'apprendre des éléments de la statue ou autre, il apprendrait bien quelque chose de la part de Beldurande... Menteur contre menteur... Le ''contrat'' devenait un drôle d'enjeu pour la peine. Artane souriait d'une manière stupide, en son être intérieur... Un jour, les petites folies de ce genre lui coûteront la vie... Et la main du Professeur qui était de pierre... Ca puait le coup foireux magique. Mais comme il n'était pas genre à se débiner une fois la décision prise....

Il attrapa la main tendue du Professeur avec la sienne, la droite.

''Marché conclu ! ''

Si le contrat se briserait, il périrait ? Une bien étrange mort que ce serait. Il eut envie d'en rire. Puis quand il retira sa main de la prise rocheuse de son hôte végétal, il ne manqua pas de sourciller en regardant ce qui émanait de sa paume. Une rune magique luisait d'une pâle lueur verte. Il ne manqua pas de sourire non sans ironie.

''C'est pour une demande de fiançailles finalement. ''dit-il. Puis, il reprit avec plus de sérieux. ''Très bien, Professeur, allons-y pour cet ''échange de bons procédés''.... travaillez vous pour Teïder ? ''

la question avait le mérite d'être directe....

En se rasseyant dans le fauteuil moelleux, le Professeur déposa le bourbon sur le petit emplacement prévu à cet effet forgé dans l’accoudoir. Lorsque Donovan avait soulevé la question de sa sécurité il l’avait immédiatement rassuré:

“Tant que vous continuez à me dire la vérité, rien ne vous sera fait. Aucune blessure, aucun traumatisme. Pour ce qui est de la geôle, je vous l’ai dit vous êtes libre de partir selon votre gré. Je souhaite simplement pouvoir parler Donovan, le dialogue permet de résoudre tout les contentieux. Chaque guerre, chaque escarmouche, chaque dispute qui ont eu lieu à travers les siècles, auraient pu être évitées par la simple action de s’asseoir et parler.” Le Professeur marqua une pause et jeta un coup d’oeil à la rune sur la main de son invité en rajoutant. ”Mais pour que ça marche, tous doivent jouer le jeu. Cette rune s’assurera de pétrifier une partie de votre corps si vous mentez, les questions ne peuvent pas être très complexes mais je fais souvent avec. Vous pouvez également garder le silence. Ca ne me fait pas plaisir et je préfèrerai ne pas en arriver là mais je suis prêt à tout pour protéger ce qui a besoin de l’être. Je suis sûr que vous comprenez Donovan.”

Alors que leur échange de question commençait, Beldurande ne s’offusqua pas que M.Frâlan ouvre le ballet en premier, cependant lorsqu’il entendit le fond de la question, il ne put s’empêcher d’éclater de rire sous le coup de la surprise.

”AHAAHAAHAHAAah ahha haaaa” Il se courba en deux, inspira profondément, releva la tête vers Donovan avant de réprimer un nouvel éclat pour reprendre un ton neutre, détendu par le fait que son interlocuteur ait accepté de rentrer dans le dialogue. ”Mmpfr, excusez-moi hum, un jour, j’ai dû regarder ma mère se faire étriper par la cavalerie teïderrienne juste devant moi, impuissant à l’époque, et mon père n’a pas supporté le choc. Je ne travaille pas pour Teïder non, d’ailleurs je ne suis pas plus loyal que ça envers les Duchés non plus même si je les apprécie beaucoup, je ne crois qu’en mes idéaux de paix.”

Il enchaîna immédiatement:

”Je dois dire que vous m’économisez une question, je comptais vous demander la même chose.” Il prit un instant pour réfléchir, sa prochaine question devait être précise. ”Est-ce que si je venais à déterminer la véritable raison de votre venue ici ou votre identité, cela vous mettrait-il en danger par quelqu’un d’autre que moi?”

La question pouvait paraître alambiquée, mais il était important que Beldurande fasse croire à son adversaire que la rune pouvait réellement détecter le mensonge, et simplifier ses questions pour qu’elles puissent être répondues par oui ou non lui permettait d’entretenir le mythe.

Artane était demeuré debout là où Beldurande avait privilégié de s'asseoir. A chacun ses aises après tout, pourrait-on dire. L'Homme arbre assurait qu'il demeurait intègre s'il disait la vérité, mais derrière, il jouait déjà le jeu de la diplomatie... Il avait raison, quand au fait que bien des conflits auraient pu ne jamais exister si les opposants avaient pris la peine et le temps de converser ensemble... Mais cela n'était pas vrai pour certaines nations. Jamais Teïder ne pourra user de conversation dans un but de paix tant que ses dirigeants et ses citoyens se vouaient à un culte religieux extrême.... Beldurande devait parfaitement le savoir, mais comme il ne visait que la recherche de la paix.... Si ce n'était pas le cas à cent pour cent, Artane ne serait pas à là à discutailler avec lui.... Mais comme lui, dans le dialogue, on cherchait des informations. Le savoir était une arme redoutable pour qui savait l'utiliser dans toute sa force. Et pour l'Estien, nul doute que le Professeur en était devenu un fin expert. La preuve, la rune, qui brillait dans le creux de sa paume droite, qu'il regarda non sans un léger tic à ses lèvres. Il avait accepté le jeu après tout, il ne pouvait plus reculer.  Puis, il avait eu un sourire presque espiègle, comme si les risques encourus en cas de mensonges de sa part n'était qu'un risque calculé.

''C'est amusant... D'un côté, j'ai la liberté de partir ou de me taire, et de l'autre, vous espérez me voir parler avec une contrainte magique qui réagira si je mens, profitant que j'ai accepté de rester et de jouer le jeu... N'est ce pas un peu contradictoire, cher Professeur ? ''Son sourire s'était un peu élargi au coin de ses lèvres, pendant qu'il regarda le contenu de son verre. Ce bourbon avait une belle couleur, y avait pas dore. ''Je comprends la nécessité de protéger ce qui vous tient à coeur, quelque soit le prix, même si cela vous prend aux tripes. Après tout, c'est une des valeurs qui respire en partie dans le Hall de la Mémoire... être prêt à tout pour protéger ce qui doit l'être, au péril de sa vie... ou au détriment de d'autres vies qui seront jugées insignifiantes. ''

Il se permit une énième petite gorgée de bourbon, avant d'assister à l'énorme éclat de rire de son hôte face à sa question. A l'entendre rire, sur la première seconde, il se demandait ce qui pouvait être drôle, avant que Beldurande n'explique la raison, en narrant un épisode de sa vie, où sa famille et lui se sont retrouvés confrontés à l'horreur des exactions teïderiennes...

''J'en suis désolé''furent alors ses mains, avec une réelle franchise. Les Teïderiens n'étaient et ne seront jamais des êtres humains civilisés, tuant sans vergogne, tout ce qui n'était pas comme eux... Bon ! Au moins, il avait une réponse claire et il en était extrêmement ravi. Il regarda à nouveau la rune, avant de poser ses yeux bruns dans les cinq en amande de son interlocuteur. La question qui avait été énoncée était... presque à double sens. Le finaud... Hum. Comment pourrait-il répondre sans manquer de donner trop d'élément.

''Faudrait que vous arriviez à déterminer l'un des deux points, Professeur. Et comme vous n'avez pas réellement ce genre d'informations à votre disposition. Mais il faut une réponse, pour votre question....La réponse est non, je ne suis pas en danger, car je sais que vous n'avez rien... pour le moment....'' Et là, un sourire presque mutin remplaçait son sourire espiègle. Le professeur devait apprécier les parties d'échecs.

''A mon tour alors, vu qu'on dirait que je ne suis pas changé en pierre... Je ne sais pas si vous saurez m'accorder une place dans votre musée d'ailleurs, si cela venait à se produire... Bien... Est ce que vos élèves vous aident à obtenir des informations, bien gré, mal gré, que vous donnez ou vendez à un tiers ? ''

Beldurande était sûr de lui, confortablement installé dans son fauteuil habituel en sirotant le verre d’alcool. Il avait prit soin d’utiliser sa magie pour ne pas ressentir les effets éthyliques de la boisson, il aurait besoin de toutes ses capacités pour mener la danse qu’il échangeait avec son adversaire. En écoutant Donovan lui répondre sur les moyens déployés par le Professeur dans leur échange, il secoua légèrement la tête de désapprobation. Protéger ce qui doit l’être devait parfois être fait au détriment d’autres vies oui, mais chaque être vivant mérite de vivre. Même les teïderriens ont le droit d’expérimenter les privilèges de la vie et d’avoir une chance à la rédemption, bien qu’ils soient souvent peu enclin à apercevoir ne serait-ce que le début d’un chemin de salvation.

En posant sa question, Beldurande était plutôt content de lui-même, il allait pouvoir déterminer si M.Frâlan agissait seul ou sur l’injonction d’un groupe extérieur, et si oui s’il faisait partie d’un quelconque service ou plutôt d’une bande organisée. Lorsque Donovan répondit, le Professeur fut impressioné.

”Très malin, M.Frâlan bravo. Mais je vous en prie tel que vous me voyez je ne suis plus le professeur, alors appellez moi Beldurande.”

La réponse à caractère modulable nullifiait grandement une partie de l’intérêt de la question, cependant l’essence pouvait quand même en tirer des informations. Il n’avait pas nécessairement besoin d’identifier Donovan, seulement de connaître le but de sa mission. Il devait tout de même faire attention où il mettait les pieds, son invité ayant suggéré que creuser trop profondément pourrait lui coûter et même si Beldurande souhaitait protéger son école et ses membres, il désirait également préserver la sécurité de M.Frâlan. Il était également plus probable que celui ci opère pour un groupe ou un service, sinon il ne prendrait peut-être pas autant de précautions pour une question aussi large, ou il voulait justement pour une raison quelconque l’envoyer sur cette fausse piste.

Si les circonstances ne l’inquiétaient pas autant, le Professeur aurait jubiler de cette joute d’interrogatoire qui se présentait à lui avec un adversaire de ce calibre, il n’avait pas l’occasion de s’engager dans des jeux de ce type et la stimulation était excitante.

Bon finalement il n’était pas aussi avancé que ce qu’il l’espérait. Non, en fait si! Il se trompait, ce n’était pas une certitude, mais il y avait effectivement plus de chances pour que M.Frâlan fasse partie d’un service institutionnel ou travaille à son compte plutôt que pour un groupe privé. L’habileté dont il avait fait preuve (et peut-être même certaines des cicatrices sur son visage il était prêt à le parier) étaient la marque d’une expérience conséquente, donc Donovan devait être soit un espion soit un homme à gage habitué à ce genre de situation. Les prochaines questions devaient déterminer le motif de sa venue. Tout d’abord il fallait répondre à la question de son invité, et ce en toute franchise:

”Les livres sont la plus grande source d’information jamais inventés Donovan et il n'est pas inhabituel que mes élèves fournissent la bibliothèque.” Il leva la tête, une main sur le menton en regardant M.Frâlan de biais, souriant lui aussi avec malice devant la possibilité de gâcher la question de son invité, il décida pourtant de répondre convenablement à celle ci, espérant inciter son adversaire à lui donner des réponses moins cryptiques également.

”Mon école ne sert pas de lieu de recel d’info non, et mes élèves sont mêmes liés par le secret professionnel pour ne divulguer aucune information confidentielles sur leurs clients ou leurs missions d’alternance. Je ne pratiques ni le recueil, ni l’échange ou la revente d’informations.”

Beldurande se pencha en avant, accoudé sur ses genoux et les mains jointes.

”À moi. Est-ce que l’objectif principal de votre mission consiste à blesser une ou plusieurs personnes fréquentant cet établissement ou à obtenir des renseignements dessus pouvant lui ou leur porter préjudice?”

Beldurande avait eu peine à contenir sa surprise quand à la réponse qu'apporta son invité. Il profita de la réplique de celui-ci pour accepter de l'appeler par son nom et non plus par son titre professionnel. Ce sera une belle manière de cacher sa petite satisfaction personnelle d'avoir contourné à sa façon la question. Et il n'avait pas menti. La preuve était qu'il n'était pas encore devenu un tas de pierre sur deux jambes.

''Très bien, cher Beldurande. Je vous nommerai ainsi, puisque tel est votre souhait. ''

Il regarda son verre de bourbon. Dommage que le fond était presque atteint. Mine de rien, il était savoureux sous la langue. D'ordinaire, ce n'était pas son genre de boisson, et n'aurait pas dit non pour en reprendre une petite lampée. Mais, déjà son verre n'était pas vide et ensuite, cela ne ferait passer pour un individu ayant la décente facile ; ce qui était vrai quand il se lâchait dans une taverne. Mais là, il ''travaillait''. Il devait garder l'esprit clair. Mais heureusement, dans ses levées de coudes version bibine, ce n'était pas un petit verre de ce nectar qui le rendra enivré.

Maintenant, c'était à son tour d'entendre la réponse à sa question et ne put que sourire plus largement encore. Pas mal, songea-t-il, pas mal... à se demander si Beldurande avait lancé ce petit jeu de question réponse pour faire un combat de l'esprit ou c'était réellement dans le but d'en savoir plus encore sur lui... Pour les deux, en conclua-t-il. Après tout, on pouvait joindre l'agréable à l'utile, non ? Il fixa son hôte, une lueur amusé dans son regard brun.

''Vous avez parfaitement raison, les livres sont sans doute l'une des créations les plus importantes de ce monde, où on peut marquer l'histoire ou encore la connaissance, quelque soit son domaine de prédilection, d'être écrite en langue oubliée quon prendra le temps d'étudier pour la décrypter et percer ses mystères.... mais je m'égare. Vous ne pratiquez pas le recueil d'information ? ''

Petit sourire encore une fois aux coins de ses lèvres.

''Pourtant les livres sous bien des formes....  sont des recueils d'informations....''

En somme, peut être comme peut être pas, Beldurande emmagasinait bien des informations, avec ses étudiants qui pouvaient avoir accès sans grande restrictions....Mais là, Artane estimait s'égarer un peu loin. Le bénéfice du doute était grandement présent et donc, il estimait ne pas avoir devoir se perdre sur cette voie.

Une nouvelle question fusa de la bouche de l'Homme Arbre, qui avait pris une posture quelque peu sérieuses. L'interrogation aussi était très piquante, costaude même. Là, il n'avait pas droit au faux pas.  Artane joua avec son verre une brève seconde avant de répondre sans détours.

''Je ne vise ni à blesser ni à tuer quiconque. vous, vos collègues, amis et étudiants peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Aucun d'eux, aucun ne m'intéresse... Et votre établissement offre déjà tous les renseignements rêvés pour de jeunes têtes blondes en soif d'apprendre. Et vu que vous êtes très gourmand de détails, je ne vois pas ce que je pourrai chercher de précis, hormis répondre à ma curiosité....que vous avez déjà grandement étanché d'ailleurs et je vous en remercie ''

Il leva son verre en signe de remerciement renforcé, avant d'avaler d'une traite le reste de son verre.

La question était raide.... il ne doutait pas d'avoir laissé quelques ouvertures possibles pour l'Homme-Arbre, qui pourrait aisément s'y engouffrer. Mais la partie n'était pas terminé. Une heure qu'il avait énoncé quand il lui avait tendu sa main pierreuse... Intérieurement, il souriait. La partie allait être longue.

''que se passera-t-il si je venais à être pétrifié ? Serez vous ravi, ou déçu ? ''

”Bien évidemment, mais je pense que par ‘recueil’ vous aviez quelque chose de plus organisé et direct en tête alors j’ai pris la liberté de partir de ce principe.”

Son invité passait un temps considérable à inspecter le fond de son verre plutôt que le visage de Beldurande pendant qu’il lui donnait sa réponse, ce qui ne l’énervait pas du tout mais l’inquiétait plutôt de manquer à ses devoirs d’hôte maintenant qu’il savait ses élèves et amis hors de mire. Il ne pouvait pas décemment lui proposer un deuxième verre, Donovan ne possédant pas forcément les capacités magiques nécessaires pour ignorer les effets saoulant de l’alcool. À la place il lui proposa donc de l’eau et en profita pour lui demander s’il souhaitait manger, après tout il l’avait suivi ici sur la promesse bien évidemment fausse d’un déjeuner, mais si M.Frâlan avait les bonnes manières de jouer au jeu de l’honnêteté, qu’il ne soit pas rapporté que Beldurande ne savait pas en être reconnaissant.

”Souhaiteriez vous d’ailleurs déjeuner M.Frâlan? Je prendrai une salade de saison mais quelle est votre préférence? Attention il ne s’agit pas de la question du contrat! Vous avez le droit de me mentir si vos goût gastronomiques sont également tenus secrets ha ha HAHAaaa.” Le Professeur rit à l’idée que ce genre d’information soit secret-défense. Il s’imaginait des bourreaux torturer quelqu’un dans un cachot pour savoir si le supplicié préférait les paupiettes de veau ou le faux-filet. En mettant une main devant sa bouche pour reprendre son sérieux, il écouta la question de Donovan qui lui arracha un sourire. Il redressa la tête, s’asseyant bien droit dans le fauteuil et lui dit

”Mauvaise question Donovan, vous pouvez déjà en déduire la réponse.”

A ce moment là, la porte du Salon se rouvrit en coup de vent et Himir fit irruption dans la pièce en réajustant ses lunettes, il était un peu rouge et avait visiblement couru partout pour être sûr d’évacuer les élèves jusqu’au dernier.

”C’est bon. Qu’est-ce qu’il se passe?”

Le Secrétaire fit quelques pas pour traverser le salon en contournant M.Frâlan, pour venir s’asseoir sur l’accoudoir du fauteuil de Beldurande. Un grincement de bois se fit entendre bien que son origine pouvait être remise en doute.

”Je ne te dérange pas?”

”Non ça va.” Lui dit Himir en le regardant par dessus ses petites lunettes rondes avec un air faussement sincère pour se moquer de son ami. ”Tu comptes nous présenter un jour et m’expliquer pourquoi on ferme ou je vais continuer de courir?”

”Ah ça tombe bien que tu le proposes, tu peux aller chercher le repas du midi?”

Himir le regarda l’espace d’un instant pour jauger si le Professeur blaguait simplement ou était sérieux, et devant le regard amusé mais le mouvement de tête insistant, il se releva pour sortir une nouvelle fois non sans une petite courbette sarcastique et en se penchant bien bas:  ”Monseigneur.”

”J’ai répondu sincèrement en vous disant que vous pouviez déjà déduire la réponse”

Le Professeur se retournait enfin vers Donovan. Celui-ci lui avait indiqué ne pas être là pour une personne, il avait même précisé qu’aucun d’entre eux ne les intéressait, donc il n’en avait pas non plus après les renseignements sur des clients de ses élèves. Il ne restait que deux motifs possibles, le bâtiment ou un objet en son sein. Les deux possibilités étaient valables, ce n’était pas la première fois que Beldurande faisait face à quelqu’un voulant détruire l’école mais il ne croyait pas que M.Frâlan puisse être là pour ça, il avait l’air sincère lorsqu’il parlait et la complimentait. Reste un objet. M.Frâlan au cours de sa visite avait expressément demandé à voir les oeuvres d’art de l’École lorsqu’ils étaient sur le point d’entrer dans la cours et il avait manifesté beaucoup d’intérêts sur les livres anciens et les pièces du Hall, l’objet de son intérêt était donc là, dans les livres, ou dans le Hall de la Mémoire.

Cependant, si quelqu’un venait se donner autant de mal pour en arriver là, ça ne pouvait pas être pour quelques livres miteux sur le refroidissement en fonderie des lopins de fer en 1550. Le Professeur vida le reste de son verre de bourbon, et se releva en enfilant les mains dans les poches.

”Donovan, tout à l’heure je vous ai dit que vous n’aviez pas été la seule personne à mentir aujourd’hui. Alors ma question est la suivante; est-ce que vous désirez connaître la vérité derrière les statues du Hall de la Mémoire? Je vous préviens, l’information peut être dangereuse.” Beldurande transperçait l’homme du regard, le ton de sa voix n’avait plus rien de joueur.

Artane se contenta de répondre avec un simple sourire. Comme il s'y était un peu attendu, sa question avait été très surfaite, mais elle était aussi utile pour ne pas s'orienter sur certains points recherchés. S'il posait trop de questions en rapport avec l'établissement, ou encore ce qu'il recherchait, qui sait ce qui mettrait la puce à l'oreille. Mais par la réponse à déduire, selon Bedurande, Artane avait déjà, en quelque sorte déjà la réponse. Il aurait pu en rire avec légèreté, mais demeura juste souriant. Après tout, il était Donovan aujourd'hui... L'Homme Arbre ne nuira pas à Donovan... Il demeurait donc tout à fait détendu, acceptant avec plaisir de l'eau à la place de son bourbon et ne refusa pas la proposition de déjeuner en sa compagnie.

''Ah, je vois. Je ne peux mentir pour le sujet que nous abordons depuis tantôt, mais j'ai le droit de mentir pour ce qui touche à mes goûts culinaires. ''

Il se permit de joindre un petit rire à celui de son hôte, préférant ne pas tester. De toute façon, par ses entraînements qu'il avait suivi dans sa jeunesse, il avait appris à ne pas faire le difficile. Quand on mourait de faim, on ne faisait pas son délicat.

''Je ne suis pas difficile. Je prendrai ce que vous prendrez mon cher.... ''

Il tourna vivement la tête quand la porte s'ouvrit d'un coup, laissant apparaître l'homme d'âge mûr de tout à l'heure, qui était rouge au visage. Ah, il avait couru dans tous les recoins de l'Ecole pour faire partir les élèves.... Ils devaient y avoir eu un certain nombre de jeunes gens dans tous les recoins de l'établissement pour qu'il ait couru de la sorte... et de vérifier qu'il n'avait oublié personne. Ou alors, il manquait de souffle et devant l'urgence que lui avait énoncé Beldurande de faire fermer les portes....Chose certaine était qu'heureusement qu'il ne se trouvait pas dans un environnement hostile... car il aurait eu le réflexe malencontreux de porter sa main à sa fine lame dissimulée. Un geste de ce genre aurait conclu directement à la fin de la conversation.

Une fois Himir ressorti non sans faire une courbette moqueuse envers le Professeur, Beldurande reprit la conversation, répétant sa réponse de toute à l'heure. Artane avait fini par s'asseoir, vu qu'il partagera prochainement le repas avec son hôte. Autant prendre ses aises non ?

''Je vous crois, si cela peut vous rassurer. Mais toute question est toujours bonne à poser, que la réponse soit bonne ou mauvaise, car cette réponse peut toujours valoir quelque chose....''

Il but une petite gorgée d'eau. Ca changeait de l'alcool. Mais au moins, cela aidait à retirer le parfum qui collait encore à son palais. Ainsi, il ne finirait pas par céder à la tentation d'en demander un autre passage de la bouteille pour emplir le verre.

''Vous n'êtes pas rentré dans les détails, nuance, cher Beldurande. Donc, ce n'est pas vraiment mentir. Ne vous dévalorisez pas de la sorte, voyons. ''

La question qu'il lui offrit cette fois était attirante. Très attirante. Mais quelle était le revers de celle-ci ? Car le ton employé était devenu plus que sérieux... Comme dit, l'information pouvait être dangereuse. Mais dangereuse à quel niveau ? Déjà que de base, Artane était passé ici pour évaluer la cible minérale, pour voir si Teïder pourrait s'en servir pour endoctriner plus intensément sa populace, avec une symbolique forte. La propagande était une arme redoutable, capable de motiver les troupes adverses à un point de ferveur suicidaire. Une statue comme celle qu'il avait vu, volée par Teïder et remis à ses Inquisiteurs pourrait avoir des effets néfastes. Mais pour l'instant, cette oeuvre était ici, dans l'Etablissement, qui n'attirait guère les Teïderiens... Pour l'instant. S'ils avaient vent de l'existence de cette sculpture...

Il se gratta le côté de son menton barbu. Il était en pleine réflexion. Lui, il savait. Son supérieur savait... Mais si l'information ne sortait jamais d'ici ? S'il venait à faire son rapport en confirmant qu'il n'y avait rien susceptibles d'attirer l'attention de Teïder, hormis peut être quelques vieux ouvrages qui traitaient de leurs vieux et sales rites ? Beldurande pourrait se retrouver pris entre deux étaux broyeurs... et Artane estimait qu'il ne méritait pas cela. Une fois encore, il se retrouvait en plein cas de conscience.

Mais souvent, mentir permettrait de protéger bien des choses et surtout bien des gens.... Peut être que c'était la meilleure chose à faire pour protéger autant Eïlynster que le professeur, son école et ses étudiants chéris ? Mais pour mentir, il fallait connaître le niveau de dangerosité de l'information. Là, il pourra prendre la bonne décision.

''Information dangereuse que dès que je l'entendrai, je devrai prendre certaines dispositions, je présume... ''

Il regardait Beldurande avec un sérieux aussi transperçant que son interlocuteur.

''Enoncez moi la véritable histoire de vos statue de ce Hall...''

”Je préfère vous le montrer.”

Leurs pas résonnaient à nouveau dans le silence total de l’École désertique, martelant le pavé d’un rythme grave tandis que Beldurande et Donovan passèrent devant la statue centrale du couloir et parvenaient au Hall de la Mémoire, remettant les pieds sur le grand tapis qui ornait le corridor d’exposition. Là le Professeur s’arrêta lentement, il se devait de préparer son invité à ce qu’il s’apprêtait à voir, certains pouvaient mal réagir à cette nouvelle et il se souvenait de la manière dont Oïnsha l’avait encaissé, il chercha ses mots brièvement mais bafouilla le visage crispé:

”Je… Parfois il y a des choses qui devraient rester dans le … Enfin pardon, je veux dire que… Euh…” Il toussa pour dégager sa gorge nouée. Il était frustré que rien ne lui venait à l’esprit. Remarquant la rune toujours présente sur la main de son invité il claqua des doigts pour la dissiper en annulant son effet, ce faisant il aperçut à côté d’eux la statue qu’ils contemplaient ensemble il y a une grosse demie-heure, il s’en approcha lentement. ”Tout à l’heure, je ne vous ai pas menti quand j’ai dit avoir oublié son nom, et à bien des occasions ça m’est paru insupportable.”

Debout devant la statue il saisit de sa main droite le manche de l’épée teïderrienne de pierre comme on le ferait en tâtant une statue pour en vérifier la douceur. Tout en menant un effort de concentration pour canaliser sa magie il poursuivit d’une voix lugubre:

”Je ne pouvais plus me rappeller de son nom… Et à travers les années, il m’est souvent venu la tentation de simplement le lui demander” En prononçant cette phrase, sa main se replia fermement autour du manche de l’arme minérale et il dépétrifia une partie de la statue, seulement la lame. L’épée reprenait lentement sa texture de métal et de cuir, brillante comme si elle avait été affuté la veille en prévision d’un combat. Beldurande la releva légèrement et en sorti la pointe tronquée nette de la petite fente dans le plastron du soldat de pierre qui ne bougea pas d’un pouce. Sur le pommeau de l’épée, un symbole religieux teïderrien gravé dans le cuir avait été fraîchement renforcé comme le ferait un soldat pour un rituel.

Ceci lui était extrêmement pénible, il avait l'impression d'avoir été poussé devant le purgatoire et d'être forcé à contempler les erreurs de son passé qui l'avait déjà hanté des centaines d'années, lui qui aujourd'hui faisait tout pour s'en affranchir.
Le Professeur présenta la lame maintenant tout à fait ‘banale’ -pour ce qu’elle pouvait l’être- à M.Frâlan, le regardant d’un air grave.

”Dites moi Donovan, est-ce que votre curiosité est toujours aussi étanchée, ou est-ce que je n’ai pas été assez gourmand en détail?”

Ah, il allait lui montrer. Cela était donc plus sérieux qu'il ne l'imaginait... Il se leva du fauteuil confortable tout en déposant son verre sur la table toute proche et se mit à suivre Beldurande. Maintenant que les élèves n'étaient plus présents dans les couloirs et les salles d'études, seuls les pas du professeur résonnaient de concert, avec ceux plus léger de l'humain, donnant une atmosphère oppressante. Une personne moins aguerrie ou qui était un peu craintive de nature aurait du de quoi sentir ses entrailles se serrer de peur. Y avait encore peu, l'Etablissement grouillait de vie. Et maintenant.... c'était presque glacial. Est ce le temps s'était figé ?

Ils arrivèrent au Hall de la Mémoire. Artane contemplait la statue du supplicié, mortellement blessé par l'épée de l'ennemi honni. Quels secrets avait-elle donc pour que Beldurande se sente mal à l'aise, n'arrivant même pas à définir avec exactitude le fond de ses pensées ? Il regarda le professeur, avant de regarder la sculpture, cherchant à comprendre.

''Des choses qui devraient demeurer dans l'oubli ? Dans le néant ? ''

L'ignorance peut être ? En tout cas, l'Homme-Arbre devait sacrément prendre sur lui pour essayer d'aborder le mystère de cette oeuvre d'art. Puis, d'un claquement de doigts, il libéra Artane de la rune qui luisait toujours, comme un couperet au dessus de sa tête. Il regarda incrédule, la rune s'étioler, puis, totalement disparaître. Le geste voulait tout dire comme cela apporter un geste fort....

Beldurande se rapprocha de la statue, tendit sa main pour saisir la poignet de l'épée sculptée... Il expliquait quelques points... Attendez, comment cela, la tentation de demander le nom à cet homme ? Qu'est ce qu'il voulait dire par là. Artane fixa la statue ? Qu'est ce qu'il voulait dire ? Il écarquilla les yeux quand la lame de pierre devient une véritable épée de fer et de cuir. Le fil du tranchant luisait presque quand Beldurande la retira de son support.

''Mais qu'est ce que... ! ''

Diantre, il en avait vu des choses surprenante dans sa vie, mais jamais cela encore. La magie était capable de bien des choses, mais cela...Il avait reculé d'un pas quand le professeur lui présenta l'arme teïderienne. Il se retint de tendre la main et de la toucher. Un air de dégoût pointa brièvement dans son regard, pendant que ses yeux fixaient cette arme...La question du professeur lui permit de quitter la vision que représentait cette épée. Rien que par le fait que le pommeau soit frappé du symbole infâme de leur religion...

Il regarda Beldurande.

''Ma curiosité....''

Il tourna sa tête vers la statue. Donc...si cet homme était pétrifié.... si Beldurande employait sa magie sur lui, comme il l'avait fait pour l'arme tranchante, il reprenait vie ? Il frémit, un peu horrifié par ce qu'il venait de comprendre... Il serra les dents, et déglutit.

''Ma curiosité n'est pas encore étanchée....''réussit-il à dire, en se rapprochant de la statue... ''Cet homme est figé dans la pierre par votre magie c'est cela ? Sa vie est devenue pierre, mais le processus peut s'inverser, c'est cela ? Pourquoi l'avoir figé dans la pierre dans cette posture d'agonie ? ''

Il avait posé sa main sur l'épaule de cet homme anonyme... Sa main tremblait.

''Vous le connaissez donc, hormis son nom... Vous vous rappelez du sacrifice qu'il a accompli, mais au lieu de lui accorder la mort, vous l'avez transformé en pierre..... N'est-il pas insupportable de le voir ainsi, sans lui permettre le repos de son âme ? ''

Peut être qu'en étant figé dans la pierre, il ne percevait rien, comme sa vie elle même était devenue figée. Mais méritait-il pareil sort ? Sa main tremblante serra sa prise sur l'épaule du guerrier.

''Qu'il soit Eîlynsterien ou Duchéen, il a combattu les Teïderiens. Il ne mérite pas cela. Son âme ne connait pas le repos, il ne peut pas rejoindre les âmes de ses aînés. Et est ce la même chose pour les autres qui glorifient le Hall de la Mémoire ? Ce sont eux les mémoires du passé ? Des êtres vivants du passé figé dans la pierre pour que demeurent leur esprit et leurs souvenirs ? Est ce le prix de la connaissance et du savoir vaut.... tout cela ? ''

Bordel ! Si les Teïderiens apprenaient cela et mettait la main sur l'homme agonisant, totalement statufié, et qu'ils parvenaient à le dépétrifier, il deviendrait une source d'informations vitales pour eux. Le Mur risquait d'être en danger... Et ses mâchoires se crispèrent encore. Et à côté de cela, toutes ces statues avaient été des êtres vivants, qui pouvaient le redevenir par la seule volonté de Beldurande. Il ferma les yeux, essayant de trouver une voie au dilemme qui le dévorait plus encore. Beldurande avait fait cela dans un but louable, il se plaisait à penser ainsi. C'était un individu bien assez ancient pour savoir ce qu'il faisait et qui avait une approche différente de la vie et de la mort, qui avait sa vision de comment la vie était... Donc qui était-il pour blâmer ses actes ?

Comment se sortir de ce pétrin bordel !