Cela faisait bien trop longtemps que l’archimage aux milles visages n’avait pas mis les pieds à Dasalvuri. La dernière fois que la jeune femme avait séjourné là-bas, c’était durant sa convalescence. La traque mortelle … son sauvetage par le dragon … son repos à Eïrn puis à Dasalvuri … Tout ça était désormais si lointain et pourtant, le souvenir de ces terres mystérieuses se rappelait à son esprit. Il régnait en Eïrn une paix des plus étranges, comme si l’élusive république échappait par on ne sait quelle sorcellerie au tumulte qui agitait le continent.

Le palais royal de Dasalvuri faisait partie de ces territoires en retrait qui bénéficiaient d’une prospérité étonnante tout en étant à l’écart des grands jeux politiques et militaires entre les nations orzaniennes et les empires étrangers. Le petit royaume, bien qu’intégré à la République d’Eïrn, jouissait d’une excellente réputation et surtout, sa situation géographique lui permettait d’être au cœur d’un réseau commercial intéressant à plus d’un titre pour les marchands venus d’Akkaton.

Mais cette apparente prospérité cachait un secret : celui de la sédition.

Car Dasalvuri était un royaume … et Eïrn, une république. Et nul ne pouvait ignorer que les républiques et les monarchies ne faisaient jamais bon ménage, surtout quand l’une était vassale de l’autre.

Le duché de Brunante n’avait que peu de relations avec la République d’Eïrn et encore moins avec le Royaume fédéré de Dasalvuri. A vrai dire, il n’y avait pas de raisons véritables pour lesquelles le duché de Brunante fasse affaire avec Dasalvuri au vu de l’éloignement de leurs territoires respectifs. Mais la Carence était capable de prévoir ses actions sur plusieurs décennies d’avance et le conseil oligarchique avait décidé de s’inviter dans les réceptions du Royaume insulaire, afin de voir ce qu’il pouvait tirer d’un potentiel rapprochement. La Carence avait envoyé pour l’occasion, Semblance, la plus jeune des membres du conseil secret de Brunante, afin de négocier … ce qu’elle pouvait … auprès du Royaume de Dasalvuri.

Louise d’Ambrerive, sous l’apparence de la conseillère Semblance, arriva au palais de Dasalvuri sans trop d’encombre. Portant le masque miroir fortunéen qui lui permettait d’afficher l’apparence la plus agréable aux yeux de ses observateurs, la jeune femme avait revêtu une élégante robe d’or et d’émeraude et des talons dorés afin de paraître à son avantage. Elle était venue seule, la Carence n’ayant pas besoin d’envoyer tout un cortège pour une rencontre protocolaire de faible importance. Il s’agissait, pour le conseil secret de Brunante, de tâter le terrain et de voir s’il y avait quelque chose à gagner à s’immiscer dans les affaires éïrniennes.

Mais il y avait une chose que la Carence ne savait pas et qui allait jouer en faveur de Louise pour cette entrevue : la demoiselle connaissait personnellement la princesse de Dasalvuri … Néanmoins, elle se devait de conserver un professionnalisme impeccable et l’intégrité de sa couverture. Nul ne devait savoir que sous le masque de Semblance se trouvait en réalité l’invocatrice. Une petite surprise qu’elle allait pouvoir utiliser à son avantage. Car si la Carence essayait surtout de tâter le terrain, Louise, elle, pensait pouvoir ajouter un atout dans sa manche.

Escortée dès son arrivée par des chevaliers en armure rutilante, Semblance franchit les différents portails et postes de garde qui la séparaient de la princesse de Dasalvuri. Introduite formellement par un serviteur en livrée, elle fut conduite jusqu’à l’entrée du grand palais, dont les portes étaient ouvertes, comme le voulait la tradition d’accueil. Au sommet de l’escalier de marbre rose se trouvait la princesse héritière de Dasalvury, Iryna … Louise ne l’avait pas vue depuis quelques années et cette dernière était toujours aussi resplendissante. Elle avait acquis une véritable stature de reine en devenir. Restait à savoir si la demoiselle avait affuté son esprit dans le même temps …

Semblance s’inclina bien bas, en signe de respect pour la princesse héritière. Elle ignorait totalement la nature du reflet qui était renvoyé à Iryna, mais elle espérait que le masque ferait son petit effet.

« Votre majesté, je vous remercie de vos mots, qui vont droit au cœur de la Carence et du peuple de Brunante. Je suis Semblance, conseillère de la Carence. Je représenterai les intérêts du conseil pour cette réunion. N’en doutez point, nos intentions sont des plus louables et nous sommes fiers de savoir que Dasalvuri nous considère comme ses amis. Soyez assurée que la réciproque est vraie. »

Le ton que Louise employait n’était pas véritablement ce à quoi elle était habituée. La demoiselle était de nature beaucoup plus brute et directe, mais le langage politique se devait d’être plus … policé et enrobé.