Dans son enfance, c'était l'été que frappaient les puissantes inondations teïderiennes, mais en venant s'installer plus au sud, Eirina comme sa tribu avaient appris à composer plutôt avec les intenses pluies de l'automne duchéen. Qu'elles soient d'été ou d'automne, ou même qu'il s'agisse de giboulées diverses survenant de façon moins régulières en d'autres saisons, l'avis de la belle elfette sur les averses ne variait toutefois pas : elle n'aimait pas ça. Peut-être en raison de son lien profond à l'élément du feu, ou peut-être simplement parce qu'il était normal pour une nomade allant généralement par monts et par vaux de ne pas apprécier d'être trempée comme une soupe pendant son voyage – sans compter tout l'entretient que cela pouvait demander sur les parties métalliques de son équipement ! – elle n'aimait pas la pluie et, si elle pouvait voyager sous l'eau quand elle le devait, elle aimait autant que possible, dans ces moments-là, trouver refuge à l'intérieur, ou du moins dans un lieu abrité, et attendre au près d'un bon feu que les cieux se calment quelque peu.

Rien n'obligeait à ce que cet abri soit une taverne, mais quiconque la connaissait quelque peu n'aurait sans doute guère été surpris d'apprendre que les tavernes étaient pourtant largement en tête des lieux où elle se réfugiait, quand elle en avait le choix... mais en même temps c'était globalement le genre de lieu où elle aimait à s'arrêter, quelque soit la raison ou le prétexte ! De mauvaises langues auraient même pu dire qu'elle avait choisi la carrière de mercenaire solitaire en partie au moins parce que s'était dans ce genre de lieux que se signaient généralement les contrats des gens de sa sorte, et souvent les taverniers qui leur servaient de relais, mais cela aurait certainement été quelque peu exagéré, pour dire la vérité toute nue. Mais cela ne l'empêchait nullement de joindre l'utile à l'agréable à chaque fois qu'elle en avait l'occasion.

Elle s'était réfugiée tout à fait par hasard dans cette petite auberge perdue, qui était simplement la première qu'elle avait pu trouver après le début de l'averse, et si elle n'y arriva pas dans un état comparable à celui du groupe qui y trouverait refuge un peu plus tard elle était déjà bien trempée. Après avoir prit le temps de boire quelques bières pour se réchauffer à l'intérieur elle était partie prendre une douche chaude histoire de se réchauffer un peu à l'extérieur, et de se sentir un peu plus propre au passage. Cela expliquait son absence de la salle commune à l'arrivée du groupe venu de Vinche. Elle arriva alors que le tavernier était en train de répondre avec prudence mais fermeté à la demande de la jolie brune encrassée.

« On a tout l'étage de libre, à l'exception d'une chambre déjà prise, donc vous aurez d'la place. Par contre sauf vot' respect j'vous connais pas, et ici les étrangers payent avant de consommer. Et ne font pas d'ennuis. »

Sa voix était calme et raisonnable, mais également ferme et résolue... sans doute la tactique de commander et de s'enfuir sans payer était-elle trop courante chez les jeunes duchéens pour qu'un quelconque tavernier avec un peu d'expérience serve des étrangers sans rien demander en retour. Si Maria s'était avancée dans toute sa faste ducale sans doute les choses auraient-elles été différentes, mais sans doute ne voyait-il en elle, pour l'heure, que la meneuse crasseuse d'un groupe de mercenaires ou une petite bourgeoise perdue là avec son escorte, au mieux. Quoiqu'il en soit, après avoir jeté un coup d’œil au groupe attablé, Eirina s'approcha sur ses entrefaites.

« Si vous voulez en faire quand même faites le tout de suite s'il vous plaît ! Comme ça je peux gérer ça avant d'avoir trop bu, et avec de la chance on m'offrira une réduction sur les peintes pour la peine ! »

La magicienne s'était insérée dans la conversation avec le manque de gêne qui la caractérisait, tout en s'approchant du comptoir. Elle sortait tout juste de la douche, et portait des vêtements de cuir qui lui collaient un peu au corps, sans doute sa tenue de rechange, assez proche de sa mise habituelle, mais n'avait pas remise sa lourde veste protectrice de cuir, qu'elle tenait simplement sous son bras. Ses longs cheveux dorés lui coulaient dans le dos en une cascade encore humide, plutôt que d'être réunis en queue-de-cheval comme à son habitude, et son épée restait hors de vue, ce qui donnait sans doute globalement un tableau moins impressionnant qu'à l'accoutumé, mais mettait peut-être plus encore sa lumineuse beauté en avant. En tous cas, son assurance n'était pas diminuée alors qu'elle souriait aux arrivants.

« Sinon, si vous préférez une douche à des ennuis, la place est libre ! Vous devriez en profiter tant que l'eau est encore chaude, vous avez l'air d'en avoir rudement besoin ! »

L'elfette avait lancé cette phrase avec un grand sourire impudent, non pas sur un ton de défis mais plutôt d'amusement, considérant comme souvent qu'un peu de légèreté ne faisait pas de mal pour détendre l'atmosphère. Elle s'était approchée du bar tout en parlant et y déposa une pièce de cuivre, à la place de laquelle le tavernier déposa une choppe de bière, ce qui était peut-être une occasion de prouver qu'il fournissait bien les consommations payées... ou plus probablement un simple signe de sa soif puisque la guerrière bu aussitôt une bonne lampée de la boisson ainsi fournie !

La réplique de celle qu'Eirina supposait elle aussi, à ce stade, être la meneuse d'une petite bande de ses pairs mercenaires, à moins qu'il ne s'agisse d'une bourgeoise dotée d'un peu plus d'humour que la moyenne – mais certes pas en devinant avoir affaire à une Duchesse, encore moins d'une cité aussi importante que Vinche – fit rire l'elfette, et ce d'autant plus de bon cœur que le fait qu'elle allonge la monnaie dans la foulée ne pouvait que participer à détendre également l'atmosphère de toute la tension potentielle qui aurait pu y naître.

« Bwahahah, ce n'est certainement pas moi qui vais vous jeter la pierre en la matière ! J'en ai moi-même descendue quelques unes avant d'aller prendre une douche, et j'avais moins besoin de me réchauffer que vous il me semble, bwahahah ! »

Il était vrai que le petit groupe semblait en particulièrement sale état, même si cela ne semblait pas plus tracasser que cela le tenancier, qui devait sans doute avoir l'habitude de ce genre d'arrivée, surtout en cette saison. La bière fut donc dûment servie, alors qu'Eirina se félicitait de ne pas avoir à en appeler à son arme, du moins pour cette fois. Même si elle ne reculait jamais devant un bon combat, elle venait de sortir de la douche et préférait largement profiter de l'ambiance chaleureuse de la salle que de devoir la redécorer partiellement en cassant quelques têtes – et sans doute quelques tables aussi au passage. Elle sourit en voyant que la jeune femme s'installait à ses côtés, et rit de nouveau devant sa saillie à propos de ses compagnons.

« Bwahaha, ne vous en faites pas, j'ai été élevée au milieu de rudes gaillards pour qui ronfler était une seconde nature ! C'est pas un peu de bruit qui va m'empêcher de trouver le sommeil, surtout pas après un nombre satisfaisait de bière pour l'accompagner ! »

Difficile en effet de trouver quelque chose de plus bruyant en dormant qu'une tribu d'Orcs, du moins de l'avis d'Eirina, même si sa remarque pouvait paraître sans doute plus sibylline quand on ne connaissait pas son histoire, mais bon... ce n'était de toute façon pas son genre de parler autrement que franchement, et de fait les ronflements n'étaient pas une chose qui la dérangeait ! Elle laissa le groupe de mercenaires emporter leurs choppes puis, bien que la sienne soit déjà arrivée à la moitié de son niveau maximale à ce stade, trinqua en souriant avec son interlocutrice.

« À une bonne douche bien chaude alors, et au fait de ne pas avoir à se battre juste en en sortant pour ma part, bwahahah ! »

L'elfette aux cheveux d'or descendit une nouvelle gorgée de bière après avoir trinqué, avant de baisser sa choppe et de considérer celle qui se trouvait à ses côtés avec la curiosité du mercenaire professionnel qui essayait d'évaluer à qui il avait affaire. Même sous la couche de boue, il était évident qu'elle faisait face à une très belle femme, dont elle ne doutait pas que son charisme, surtout une fois débarrassée des affres de la route, était de taille à conduire un groupe de guerrier, et pourtant, à la façon dont elle buvait au bar avec un seul homme à l'attitude protectrice en laissant le reste de la compagnie s'attabler, elle n'était pas certaine d'avoir affaire à une consœur – bien qu'il y ait des capitaines plus snob que la moyenne qui ne frayait pas avec leurs hommes, certes. En tous cas, elle reprit avec un sourire.

« Au fait, puisque nous allons boire un coup ensemble plutôt que de nous taper dessus, autant nous présenter, non ? Je m'appelle Eirina, mercenaire de mon état, ce qui n'est guère original dans cette partie du monde, je vous l'accorde, bwahahah ! »