Akkaton, le grand voisin de l'Ouest... c'était une nation avec laquelle Aukheperu entretenait des liens à la fois profonds, nombreux et contradictoires avec le grand Empire. D'une part il en était originaire, si on voulait remonter à la racine, même s'il se considérait avant tout comme Duchéen : c'étaient dans les Duchés que s'étaient forgés son caractère, ses façons de combattre, de réfléchir, d'être... mais d'un autre côté c'était dans le Grand Désert qu'il était né, au sens propre et en tant que Vampire. Il avait largement profité de ses liens de « parenté » disons avec les tribus nagates du désert pour établir ses relations commerciales... mais d'un autre côté il avait toujours veillé à garder son indépendance vis à vis d'Akkaton, évidemment. Et la femme qu'il aimait venait du grand empire occidental, s'en était même une héroïne... mais même elle ne lui demandait pas de tout offrir à sa patrie, évidemment.

Quoiqu'il en soit, il n'allait certainement pas refuser une invitation du nouvel Empereur, pas plus d'ailleurs qu'il n'aurait refuser une invitation de la belle Impératrice-Phénix, du côté ikhyldien. Outre le fait que négocier directement avec le dirigeant – même si la notion de « dirigeant » était un peu floue en Akkaton, mais bon, on faisait avec ce qu'on avait – était toujours le plus efficace, à ses yeux, être invité en rencontre diplomatique par un personnage aussi prestigieux renforçait forcément son propre prestige, que ce soit aux yeux de ses administrés ou de ses voisins duchéens, en montrant qu'il était une force prise en compte par les grandes puissances du continent. Cela et puis dans ce cas précis, il avait de nombreuses raisons de venir discuter.

C'est ainsi qu'il avait été introduit dans le Palais d'Airain et conduit à la nuit tombante au près du monarque élu d'Akkaton, un peu amusé par l'heure choisie... pour un Vampire en soit toutes les heures se valaient, puisqu'ils ne dormaient pas. Il aurait pu apprécier l'attention s'il avait pensé devoir se battre, mais il espérait que ce ne soit pas le cas dans le palais de l'Empereur, tout de même ! Quoiqu'il en soit il arriva donc en face de celui-ci et inclina doucement la tête avant de lui serrer la main de sa poigne froide, ce qui n'était étonnant ni d'un Naga ni d'un Vampire et encore bien moins de sa part à lui, donc.

« C'est un honneur de vous rencontrer, Majesté. Je boirai volontiers un verre si vous me le proposez si aimablement. »

Il aurait pu ajouter « et si une certaine garde du corps n'a pas tout siroté », mais il avait tout de même un certain sens de l'étiquette, et ne connaissait pas encore assez Otmar pour se permettre ce genre de familiarité. Au lieu de cela, il prit donc place sur les cousins, comme on l'y invitait.

« Hmmm c'est vrai, mais on ne voit guère de Vampire non plus à ce genre de rang, et pourtant... il faut dire que les membres réguliers de mon peuple de naissance sont généralement peu du genre à prospérer dans les Duchés, les rares qui s'y établissent le font par esprit d'aventure... et ont plus de raison que moi de revenir dans le Grand Désert. »

Le Naga vampirique s'était permis un fin sourire, dévoilant une partie de ses crocs, plus développé encore que ceux de la plupart de ses frères de race en raison de son statut particulier, ce qui n'était guère dans les habitudes de ceux-ci d'ailleurs.

« Hé bien difficile de choisir un sujet pour entamer une telle rencontre. Que diriez-vous d'une demande de... permission. J'aimerais que vous accordiez une permission à l'une des membres de votre garde à la fin de ce mois. En effet, je compte l'épouser. »

Le Duc avait dit cela d'un petit ton anodin, et sans perdre son sourire, amusé mais sans être impertinent toutefois, trouvant simplement cela amusant de contourner ainsi l'adresse faite par l'Empereur et de le laisser peut-être avancer ensuite un sujet qui révélerait ses propres intentions...  

Aukheperu était globalement quelqu'un d'aimable, surtout lors des discussions, même lorsqu'il avait affaire à des gens qui étaient plus ou moins ses ennemis... après tout le fait d'être aimable et cordial n'empêchait nullement d'être efficace, du moins quand on était prêt à être suffisamment fourbe... ce qui en soit n'était sans doute pas très étonnant de la part d'un Duchéen comme lui ! Ici, il n'avait de plus pas affaire à un ennemi, et avait donc encore moins de raison de se montrer désagréable, d'autant plus quand l'empereur-élu avançait des compliments à son sujet.

« L'avantage d'être un Vampire c'est de pouvoir prendre son temps pour arriver à ses fins, je dirais... mais je vous remercie pour le compliment malgré tout, quoique la chance et l'audace aient aussi joué leur part, certainement. »

En somme, le Duc de Liomaida acceptait le compliment, qui en soit n'était pas faux, sans paraître spécialement s'en rengorger. Il préféra d'ailleurs aborder un sujet très différent, en amenant les choses sur le volet de son mariage, et sur le fait que sa promise obtienne une permission. Il vit bien la légère surprise de son interlocuteur, bien que celui-ci la maîtrise très bien – mais ce n'était pas très étonnant de la part d'un politicien assez consommé pour être parvenu au rang qu'occupait Otmar – souriant légèrement en miroir de son sourire à lui.

« Ahah, cela fait tout de même quelques mois qu'elle a rempilé, il me semble ? Elle a bien le droit de prendre quelques congés pour se marier, surtout qu'elle était loin d'avoir été au bout de ses années de retraite, me semble-t-il. »

Aukheperu semblait s'être bien renseigné sur la chose mais ce n'était sans doute pas très étonnant pour un Vampire vivant à la frontière d'Akkaton de bien connaître les lois akkatoniennes sur sa race. Peut-être avait-il à une époque songé à revenir en Akkaton ? Si c'était le cas en tous cas il n'en dit rien, et ce n'était de toute façon certainement plus à l'ordre du jour aujourd'hui vu sa position.

« C'est en effet un mariage d'amour, je vous remercie de vous en inquiété... par amitié pour Akemi, peut-être ? Enfin oui, je sais que je ne tirerai pas de bénéfice politique particulier... au mieux pourra-t-on dire que quand elle sera à mes côtés j'aurai au moins une lame d'exception dont je n'aurai pas à douter de la fidélité, ahah ! »

Cela pouvait paraître un peu léger mais de fait c'était en soit un bénéfice dans les Duchés, et un bénéfice qu'il n'aurait sans doute pas pu attendre d'un mariage duchéen, d'ailleurs ! Même si ce n'était certainement pas sa première raison d'épouser Akemi. En tous cas le sujet de son mariage semblait le mettre de bonne humeur, comme le montra son léger rire, qui révéla largement ses crocs plus développés que ceux d'un Naga ordinaire, et qu'il dévoilait avec moins de retenue que la plupart de ceux-ci, de plus.

« Mais enfin... le sacrifice amoureux n'est pas si grand, vous savez. Un mariage politique classique ne marcherait pas très bien avec moi, du moins dans les Duchés. Ce genre de lien peut tenir au mieux parce qu'un Duc aura l'espoir de voir son petit-fils ou sa petite-fille sur un autre trône ducal, mais ce genre d'option ne m'est guère permise. Quoique je ne pense pas que l'absence de cette donnée aurait changé mon choix. »

Aukheperu gardait une certaine réserve, ne fut-ce que parce qu'ils étaient dans un cadre officiel et pas forcément amical – non qu'il en veuille à Otmar mais il le connaissait tout simplement assez peu, ne l'ayant croisé qu'une ou deux fois sans vraiment dialoguer de façon construite avec lui – où il se voyait mal avouer qu'il avait aimé la belle Vampire dès le premier instant auquel remontaient ses souvenirs, quand elle lui avait fait cadeau d'une nouvelle vie.

« Et quant à votre invitation ma foi... volontiers, mais je lui laisserai la décision finale, ahah. J'ai promis à Akemi de ne pas en faire une réception politique, et ce sera donc un mariage purement privé. Elle m'a dit qu'elle inviterait du monde, notamment des militaires en effet, et je serai heureux de vous y voir à titre personnel, mais je ne peux vous inviter en tant qu'Empereur sans rompre ma promesse... ce que je me garderait bien de faire dans le cadre de ce mariage ahah ! Si je me met à lui mentir, elle pourrait décider de me découper en tranches, après tout, ahah ! »

La discussion se faisait jusque là sur un mode plutôt amical, ce qui n'était sans doute pas bien étonnant dans la mesure où aucun sujet bien grave n'avait été jusqu'ici abordé... difficile de se disputer en discutant de mariage, n'est-ce pas, sauf peut-être si on était en bisbille sur la relation amoureuse qui l'amenait, ce qui n'était clairement pas le cas ici, toutefois. Quoiqu'il en soit, Aukheperu hocha doucement la tête aux divers propos de l'empereur-élu sur la question de son mariage.

« En effet le mariage aura lieu dans deux mois, le temps de tout organiser et de laisser le temps à tous nos invités d'arriver. Même si nous n'en faisons pas un événement politique disons que certains de nos amis habitent loin, enfin, surtout ceux d'Akemi. »

Après tout en une si longue vie la belle jeune femme s'était faites des amis, notamment dans l'armée, dont tous ceux qu'elle voulait à ses côtés ne vivaient pas forcément sur Orzian. Placer le mariage dans deux mois avait semblé un bon compromis entre cette réalité et le fait qu'après une si longue attente le Naga vampirique n'allait certainement pas attendre des années encore, du moins pas s'il pouvait l'éviter ! Il ne répondit en tous cas pas à la question d'Otmar sur le déroulement de la demande en mariage, ne souhaitant sans doute pas exposer ainsi des détails personnels, et se contenta de boire lentement une gorgée de sang en écoutant le reste des propos de l'empereur-élu, jusqu'à ce qu'il en vienne finalement à un sujet un peu plus... disons politique, qui était après tout le type de raisons pour lesquels ils étaient ici.

« Voilà une question bien plus sérieuse que le mariage de deux Vampires, n'est-ce pas ? »

Le Duc de Liomaida eut un fin sourire en faisant tourner le reste de son sang dans son verre, comme il aurait pu le faire de vin s'il avait été d'une autre nature. Il en bu finalement une nouvelle gorgée, plus brève toutefois, avant de répondre sur un ton plus sérieux.

« Hé bien évidemment que tout cela m'inquiète. Certes, je ne suis en premier rang de rien, mais on peut dire que je suis à peu prêt en second rang de toutes les menaces : Teïder compte bien reconquérir tous les Duchés, et il m'étonnerait que si les soit-disant anciens dieux parvenaient à vous vaincre ils laisseraient tranquille un territoire gouverné par un Naga insoumis à leur frontière. Sans compter Césario dont la menace est assez universelle. »

Il était vrai que Liomaida ne se trouvait pas en frontière de Teïder, construit sur une immense ruine elfique ou en plein désert akkatonien, mais toutes les menaces en cours semblaient pouvoir le concerner à plus ou moins brève échéance.

« Et si ce dernier pourrait peut-être mieux considérer un Vampire qu'autre chose, je suis assez sûr d'être une sorte d'hérésie aux yeux des autres ahah ! En sommes oui, cela m'inquiète, comme cela devrait inquiéter tout le monde sur ce continent je dirais, même si, en dehors de quelques morts-vivants, Liomaida s'en sort bien jusqu'ici. »

Jusqu'à présent, les quelques morts-vivants ayant tenté de sévir sur son territoire n'avaient pas posé de difficultés majeures, même si cela pouvait bien entendu changer avec le temps, malheureusement...

« Et vous, je suppose que tout cela fais plus que vous inquiéter, enfin, j'espère ? Ne dit-on pas que l'armée akkatonienne est la plus puissantes du monde ? Quelles mesures avez-vous prévues pour... venir à bout, disons, de ces difficultés ? »  

Aukheperu s'était fait plus sérieux sur la question des troubles qui agitaient le continent en ce moment, ce qui n'était pas très étonnant car le sujet avait en effet une gravité certaine. Il n'en eut pas moins un fin sourire quand l'empereur-élu souligna que les chefs d'états se réunissaient rarement pour un mariage.

« Il me semble pourtant bien que nous étions réunis à cette fin il y a à peine plus d'un mois à Sarassi, et d'autres chefs d'état avec nous, n'est-ce pas ? Mais je comprend ce que vous voulez dire, bien entendu. »

La remarque avait simplement amusé le Naga vampirique, dans la mesure ou sa seule rencontre officielle avant aujourd'hui avec le chef d'état akkatonien avait justement été pour un mariage, et peu de temps au part avant encore. Il n'en écouta pas moins le reste des réponses d'Otmar, hochant parfois légèrement la tête, avant de sourire une nouvelle fois à la proposition de l'empereur-élu quant à une protection éventuelle envers Liomaida.

« Oh, je ne doute pas que si nous étions réellement en difficulté contre une invasion de morts-vivants par exemple vous trouveriez quelques renforts à nous envoyer... après tout je doute qu'Akkaton veuille qu'un bastion de Césario s'établisse à sa frontière, n'est-ce pas ? »

C'était purement de la realpolitik, mais les choses en allaient souvent ainsi entre états, du moins aux yeux d'Aukheperu, même si d'aucuns auraient pu dire qu'il avait une vision bien cynique des choses... et ils auraient probablement été dans le vrai, d'ailleurs.

« Enfin, nous verrons ma foi si la question se pose. J'espère ne pas vous offenser en soulignant que jusque-là, je préfère ne pas voir stationner des troupes akkatoniennes chez moi... enfin, sauf si on compte le détachement qui risque de « stationner » dans mes chambres d'invité lors de mon mariage, ahah ! »

Le Naga vampirique s'était permis cette petite pointe d'humour, en partie car la pensée l'avait réellement amusé, tout simplement, et en partie pour ne pas faire trop peser ses paroles comme un signe de défiance, même s'il était évident qu'en tant que voisin d'Akkaton, le fait de ne pas se faire annexer à terme par la force militaire de l'Empire occidental devait forcément être une préoccupation restant dans le fond de son esprit, au-delà des problèmes actuels du continent...

« Et en effet, je participe à la coalition, comme quasiment tous mes collègues... même si actuellement et jusqu'à ce que les Teïderiens fassent mine de revenir, s'ils le font, cela se résume surtout à participer au payement des compagnies que nous maintenons à la frontière. »

Après tout ce n'était pas comme si les Ducs avaient à leur disposition de vastes armées permanentes qu'ils auraient pu dépêcher, en partie, comme garnison dans le nord pour tenir la zone. Ils ne pouvaient que participer à solder les mercenaires maintenus en alerte dans la zone, puisque leurs armées étaient justement composées de mercenaires...

« J'ai entendu dire d'ailleurs que des troupes étrangères, y compris akkatoniennes je suppose, étaient également sur place ? Je gage bien sûr que l'Empire ne manquera pas de nous aider à repousser la tyrannie teïderienne si besoin, n'est-ce pas ? »

Aukheperu en savait peut-être un peu plus que sa question ne l'affirmait, mais bon, cerner plus précisément les intentions d'Akkaton tant qu'il était en tête-à-tête avec leur dirigeant n'était pas un mal, de son point de vue en tous cas...

La discussion se poursuivait donc, oscillant doucement entre sujets privés et éléments publiques, sans que cela ne semble troubler énormément Aukheperu. Sans doute parce que dans les Duchés la frontière entre les deux était très floue, la fortune d'un Duc et de son Duché se confondant souvent... et peut-être aussi tout simplement parce qu'il avait, tout comme son interlocuteur d'ailleurs, la vivacité d'esprit pour jongler facilement avec les deux !

« Hé bien j'ai une nette préférence pour les lingots d'or sur les lingots d'argent pour le cadeau de mariage ahah ! Plus sérieusement ma foi je ne suis guère difficile. Mais comme je suppose que c'est avant tout à Akemi que vous voudrez faire plaisir, elle a l'air de vouloir me faire construire une ménagerie, vous pourriez m'aider à la remplir je suppose, ahah ! »

La voix du Naga vampirique s'était faite plus douce, presque chaleureuse, quand il avait parlé de la lubie de sa belle, alors qu'un sourire étirait ses lèvres froides, révélant des crocs tout sauf rassurants dans l'absolut, mais guère menaçant en eux-mêmes vu le contexte, bien évidemment. Il eut du reste de nouveau un sourire quand Otmar parla du nombre d'invités, sourire qui se fit plus froid toutefois, plus typiquement serpentin, quand il revint sur la question d'un stationnement akkatonien un peu plus officiel chez lui en cas de problème.

« Ne m'en veuillez surtout pas mais j'ai étudié l'histoire d'Akkaton, tout comme celle d'Ikhyld d'ailleurs. Je sais combien de fois de simples « garnisons de maintiens de la paix » se sont petit à petit transformés en protectorat, puis en annexion de facto et enfin de jure. Liomaida accepterait volontiers une aide ponctuelle mais, à l'exception d'une de vos gardes en particulier, aucun autre militaire akkatonien ne sera bienvenue à stationner durablement chez moi... sauf s'il veut venir dépenser sa retraite dans mon Duché éventuellement. »

Aukheperu était loin d'être un imbécile, et pour se former à la politique efficacement il avait beaucoup lu, y compris les chroniques du passé. Il ne comptait pas ouvrir son territoire à la colonisation akkatonienne, nonobstant l'affection qu'il portait à l'une des plus remarquables servante du grand empire occidental. Et justement, après avoir glissé un compliment en passant sur ses talents de stratège, Otmar évoqua évidemment la question potentiellement fâcheuse de toute cette histoire : le sort de Teïder une fois vaincu...

« Hmmm... il est vrai que j'ai été général avant d'être Duc, et l'expérience de cette période me commande de ne pas partager la dépouille du vaincu avant la bataille. Mais personnellement, je dirais que l'important est de détruire leur dieu fou, son église sadique et leur cinglé de roi. Une fois fait, les Teïderiens devraient pouvoir gérer leur destin eux-mêmes. N'est-ce pas ce qu'ont fait les Duchés avec fruit en leur temps ? »

Bien sûr, lui-même ne pouvait pas espérer se tailler un bout de territoire teïderien, pas sans payer un prix prohibitif pour contrôler un territoire coupé du sien... postuler de laisser Teïder se trouver un nouveau chemin, en espérant sans doute, comme le laissait entendre son allusion aux Duchés, que le royaume exploserait en une constellation d'états rivaux ne lui coûtait donc pas grand chose, même s'il était assez réaliste pour savoir que cela ne serait probablement pas la fin que laisserait advenir tous les voisins directs du grand royaume central.

« Il est certain en tous cas que la chute de la grande menace orzanienne modifiera durablement l'équilibre du continent. Les Duchés, Eïlynster et Eïrn se sont largement construits, dans leur forme moderne, en réaction à Teïder après tout, et puis il font tampon entre vous et Ikhyld. J'espère que leur chute marquera une paix durable en Orzian, mais bien entendu Liomaida se tiendra tout de même prête à défendre son indépendance si une autre fin advient, juste au cas où... »

La disparition de Teïder aurait modifié en profondeur l'équilibre orzanien en lui-même, mais le plus grand risque était sans doute de voir Akkaton et Ikhyld se heurter, si ce rival embryonnaire mais si détestable tombait. Aukheperu vida doucement son verre en laissant cette idée flotter dans l'air doucement, avant de le reposer avec un mince sourire.

« Mais enfin, que voilà de funestes spéculations ! Massacrons d'abord autant de Teïderiens que nécessaires pour éclaircir la situation, et nous verrons ensuite ! C'est sans doute ce qui nous manquera le plus à tous si nous en venons à détruire Teïder : massacrer des teïderiens a toujours été un minimum sur lequel tout le monde pouvait s'entendre, ahah ! »

La conversation continuait donc, glissant d'un sujet à l'autre, l'empereur-élu des Akkatoniens ne semblant guère vouloir se fixer sur une seule question, et l'esprit agile du guerrier-serpent louvoyant donc pour rebondir d'un élément à l'autre, commençant par sourire à nouveau quand revint la question des animaux.

« Je suis certain que cela lui ferait plaisir, notamment parce que cela lui rappellerait sans doute son passé avant qu'elle ne soit affecté en Orzian. Je ne peux donc que vous en remercier en avance en notre nom à tous les deux, puisque la voir heureuse me fera également plaisir, bien entendu. »

Aukheperu pourrait sans doute en effet, à terme, tirer un certain prestige de toute cette histoire – et il avait déjà à vrai dire quelques éléments potentiels en tête pour divers profits dans divers domaines – mais ce n'était clairement pas son but principal dans cette affaire. N'ayant plus rien à boire il croisa doucement les mains en observant Otmar alors que celui-ci développait son point de vue sur la question teïderienne, semblant ne rien manquer des éléments avancés par le monarque élu et hochant doucement la tête de temps à autre, avant de laisser un sourire amusé s'étendre sur ses lèvres froides quand l'Akkatonien parla finalement du destin final du royaume central comme entre les mains potentielles des rebelles qui y combattaient depuis longtemps à présent.

« Loin de moi l'idée de vous traiter de menteur ou d'hypocrite, ou de sous-entendre que ceux qui se sont battu pour leur propre liberté ne la mériteraient point, mais même en imaginant que toutes ces factions rebelles parviennent à s'entendre sur un gouvernement unique, vous voudriez vraiment me faire croire que l'ogre akkatonien, à la légendaire faim de terres, ne saisirait pas l'occasion de croquer au moins un bout du grand gâteau teïderien ? En supposant qu'Ikhyld, Eïlynster ou mes confrères du Nord acceptent, je me permet de douter que vous parveniez à en convaincre votre propre sénat. Mais peut être mon grand voisin occidental me surprendra-t-il, certes. »

Le Naga vampirique ne semblait toutefois vraiment pas convaincu par cette éventualité, et ne faisait rien pour le cacher. Après tout si Akkaton était venu s'installer sur Orzian ce n'était pas pour le plaisir de bâtir une station thermale ou deux dans le désert. C'était, comme en Aros avant eux, pour les conquérir entièrement. La défaite de Teïder serait une bien trop belle occasion d'avancer cela pour qu'ils la laissent passer, du moins selon la vision du monde du Duc. Lequel sourit doucement quand son interlocuteur ramena le sujet sur la question des Duchés.

« Ilfrido était un fou, brillant mais fou. Son rêve est mort avec lui, et il serait mort de même quelque ait été la date ou les circonstances de son trépas. »

La phrase n'était pas dite sur un ton agressif mais simplement comme un constat, une évidence. Comme si pour le guerrier-serpent il était évident et incontestable que jamais les Duchés ne pourraient se retrouver unis longtemps sous un même sceptre, quel qu'il soit. Peut-être avait-il tord bien entendu mais ce n'était pas un point qu'il semblait envisager, et il était du genre à en envisager beaucoup.

« Quant à Teïder ma foi... dans d'autres circonstances leur disparition aurait pu, peut-être, changer quelque chose à l'esprit d'unité duchéen, mais je pense que mes concitoyens tout comme moi-même sont bien conscients qu'il y a aujourd'hui d'autres menaces qui valent la peine que nous nous unissons pour défendre notre liberté. »

Aukheperu était diplomate, il ne nomma donc pas la menace, mais ce n'était pas vraiment nécessaire, de toute façon. Le Duc marqua en revanche une légère surprise quand Otmar vira de nouveau totalement sur un autre sujet, levant un sourcil en se demandant bien où pouvait vouloir en venir son interlocuteur mais répondant tout de même, puisqu'il n'avait après tout aucun sujet à cacher.

« Hmmmm hé bien je dirais parce que la vie militaire akkatonienne ne me semblait pas tentante et qu'à l'époque je ressentais une certaine méfiance instinctive pour vous... je pense, vu ce que j'ai pu apprendre de ma tribu de naissance, que c'était là une réminiscence de celui que j'étais à l'origine. J'avais soif de liberté, d'un nouveau départ loin des restes fantomatiques d'un passé inaccessible, et les Duchés m'ont semblé la terre idéale pour ça, comme à tant d'autres, ahah ! Ceci dit, si une de vos Juges d'alors, aujourd'hui devenue membre de votre garde, avait eu envie de se montrer un peu plus persuasive je serais peut-être aujourd'hui officier dans votre armée qui sait... ce sont là les aléas de l'existence. »

Le Naga vampirique avait eut un mince sourire sur cette dernière phrase, qu'il conclu d'un léger haussement d'épaule. Il ne regrettait pas la vie qui était la sienne et la route qu'il avait suivie, mais il savait aussi que, au début en tous cas, il aurait pu prendre bien d'autres embranchements...

Le Naga vampirique ne manquait pas d'être franc dans ses réponses, même si, bien entendu, il ne franchissait jamais la ligne invisible entre la franchise et l'offense, tout au contraire. Il accepta avec un fin sourire la coupe de vin que lui tendait Otmar, un peu surpris par cette manière de faire lui-même le service, mais se disant que ce devait être là une affectation toute akkatonienne, une façon de montrer la modestie d'un empereur-élu, peut-être ? En tous cas il hocha doucement la tête en signe de gratitude puis revint à la conversation, son sourire se faisant un peu plus amusé aux propos de l'ethnologue sur le cas teïderien.

« Je ne prétend pas moi-même prédire les décisions de vos compatriotes, bien entendu, mais permettez-moi de souligner, au regard de l'histoire akkatonienne, que je serais bien étonné que votre Empire se contente d'un changement de régime en Teïder en sortant de la guerre... surtout qu'en soit ce qu'il leur faudrait surtout c'est un changement de religion, ahah ! Mais même au-delà de ça, l'appétit akkatonien est trop bien connu pour que vos voisins ne prévoient pas que votre peuple voudra croquer au moins un morceau du territoire teïderien, si pas plus, j'espère que vous le comprendrez... »

Clairement, le Duc ne croyait pas un instant à une retenue akkatonienne en la matière, et ne manquait pas de le dire ouvertement. S'ils n'avaient pas eut Ikhyld à côté et avaient pu en faire un état-satellite sans avoir de concurrence, peut-être, mais en l'état... hé bien disons que tout le monde savait qu'Akkaton n'avait pas pour projet de se contenter d'un morceau d'Orzian, du moins pas si on les laissait faire, et qu'ils n'avaient pas franchis sur l'eau une si grande distance pour le seul plaisir d'occuper un nouveau désert, si chargé en histoire soit-il...

« Quant à moi-même hé bien, je vous ai dis ce que je pensais du rêve d'Ilfrido, croyez-vous vraiment que je me désignerais moi-même comme candidat à la folie, ahah ? »

L'ancien mercenaire eut un petit rire amusé, plus chaud sans doute que celui de bien des Nagas, et ce en dépit de sa nature vampirique, semblant réellement trouver drôle cette idée de se placer dans les pas d'Ilfrido – et pas seulement parce qu'il n'avait pas de pied à y placer.

« Non, les Duchés ne sont pas faits pour être unis, ni par un duchéen ni par une puissance étrangère. Nous aimons trop notre liberté pour y renoncer durablement, comme le découvriront tôt ou tard tous ceux qui tenteront de nous en priver, qu'ils viennent de l'intérieur ou de l'extérieur. »

Aukheperu se répétait peut-être un peu, mais après tout c'était Otmar qui insistait en ce sens, et il considérait que cette idée ne serait jamais trop répétée aux enfants d'Akkat. C'était peut-être ce que le naga vampirique aimait le plus dans sa patrie d'adoption, cet attachement fondamental à la liberté de chacun, et pour lui vouloir en devenir le roi hégémonique aurait été renier cette idée...

« Et on ne peut pas vraiment dire que je suis arrivé en mendiant tout de même, vos soldats avaient plus de savoir-vivre que cela ahah ! J'avais mes armes, mon armure et aussi une bonne réserve de sang. Mais il est vrai que j'ai bâtit seul ma position, non que cela fasse de moi une exception ceci dit, loin de là ! »

Après tout, ils n'étaient pas si rares, dans les Duchés, ceux qui avaient bâtit seuls leur fortune que ce soit par le commerce, le mercenariat ou d'autres moyens moins légaux. La valeur s'éternisait rarement éternellement dans une seule famille, après tout, et toutes les lignées qui s'élevaient un jour finissaient toujours tôt ou tard par retomber. Quoiqu'il en soit, Otmar bifurqua ensuite à nouveau sur le sujet de son futur mariage, faisant une fois encore sourire doucement le Duc.

« Aahah il est certain que celui qui voudra faire rentrer ma chère et tendre dans une robe de bal a intérêt à s'armer de patience, et tant qu'à faire d'une bonne armure ahah ! Je ne pense pas que le pouvoir la changera beaucoup, ni qu'elle cherchera à en avoir réellement. J'ose espérer que c'est son affection pour ma modeste personne qui la pousse au mariage et non l'appât de l'or, ce qui en soit est une forme de luxe toute particulière pour quelqu'un dans ma position... »