Il était minuit passé. La Lune était à son dernier croissant, éclairant avec peine à travers une petite trouée, seul accès à ses rayons parmi toute une immensité céleste empli de sombres nuages. Et en cette heure tardive, bon nombre d’honnêtes citoyens akkatoniens se reposaient sereinement, chacun dans son logis, ignorant ou ayant connaissance que la nuit était source d’activités pour des individus moins respectables. Bien que l’Empire possédait une solide société, basé à travers des lois et des règles de vie à respecter, il ne pouvait tout contrôler. Comme dans la nature, le faible n’avait pas sa place dans les trafics en tout genre. Si on était faible, on finissait en taule, voir pire… on était jugé à la hauteur de ses délits et de ses crimes, ici, dans la capitale d’Airain. Mais comme tout métier, honnête comme malhonnête, quand il y avait de l’argent à se faire…. Et cette nuit-là, l’ombre attendait patiemment que la lune soit entièrement voilées pour sortir de sa cachette, sous l’arche d’un long toit. Mais elle, ce n’était pas que pour l’argent qu’elle agissait cette nuit.

La lumière lunaire s’étiola, cédant sa place aux ténèbres. L’ombre sortit de sa cache, levant la tête pour s’assurer qu’il serait au mieux camoufler pour accomplir sa mission. Il se redressa à moitié, laissant à peine dévoiler sa large carrure. Tout vêtu de noir, la tête et le visage entouré d’une chèche tout aussi ténébreuses que sa tenue, il se laissa tomber en souplesse de son perchoir, pour aborder un autre toit, qui se situait en contrebas de son perchoir. Et le tout en silence. On devinait que ce n’était pas un amateur. Même sa tunique en cuir avait été assouplie et travaillé de telle sort que pas un seul frottement ou craquement de cette peau tannée ne se fassent entendre.

Un bref instant, l’ombre écouta les environs, avant de se faufiler à nouveau vers un autre toit. Là, il stoppa et se planqua dans l’ombre… la garde patrouillait non loin, et une stationnait par le balcon où il voulait entrer… Il attendit. Et il n’eut pas longtemps à attendre. La petite patrouille s’éloigna et la sentinelle, devant en avoir marre de se retenir, s’était retournée pour trouver un recoin où uriner.

L’ombre attrapa son couteau, qu’il avait dissimulé à sa botte droite. A sa ceinture, il portait une arme à feu de poing. Juste au cas où, qu’il n’utiliserait qu’en dernier ressort. Puis, sans attendre, il bondit. Heureusement que la sentinelle n’était pas très loin de sa position. Il lui tomba dessus, le frappant du pommeau de sa courte lame. Assommée, le malheureux garde de balcon n’eut pas le temps de prendre conscience de ce qui venait de lui arriver. Et sans perdre de temps, l’ombre la tira à l’intérieur. Heureusement la fenêtre était ouverte.

L’intérieur était un petit bureau, qui ressemblait plus à un salon pour discuter politique autour d’un bon bourbon. L’ombre attendit que ses yeux s’habituent à l’obscurité pour commencer à fouiller. Son but ? Le petit coffret richement ouvragé qui traînait sur le bureau. Si ses renseignements étaient exacts, l’ombre trouverait à l’intérieur des documents qui apporteraient des preuves accablantes de certaines personnes vivant en Eilynster et qui compromettraient sa sécurité. Toujours son couteau en main, il usa de la pointe pour faire sauter la serrure et s’empara de tous les documents. Il fera le tri plus tard, quand il sera certain de courir le moindre risque.

Bien, maintenant, il était temps de dégager.

Les mois s'étaient écoulés à une vitesse impressionnante depuis qu'elle avait disparu des rangs Eïlynsteriens. Les temps sombres avaient fait leur oeuvre sur la capitaine des corps d'armée terrestres. Elle était prête à retourner à son poste mais rien ne serait plus jamais pareil. Il lui restait cependant une mission de haute importance à réaliser avant tout cela.

Lorsqu'on l'avait contacté pour récupérer de la paperasse, la demi-elfe avait d'abord catégoriquement refusé. Cependant, il s'agissait d'informations pouvant compromettre plusieurs agents dormants d'Ikhyld dans différentes nations, des agents dont elle faisait partie. Elle n'avait pu alors refuser de les récupérer. Qui sait ce qu'il faisait déjà dans une ville akkatonnienne comme la cité d'Airain, ce n'était pas comme si on lui avait donné toutes les clés de l'affaire. Une heure, une adresse et de la discrétion. En somme, la tâche semblait simple.

Ne portant que sa combinaison d'écailles, elle avait laissé de côté sa brigandine, trop voyante et reconnaissable. Fendant la foule, elle avait rejoint le petit bâtiment qui faisait face à celui dans lequel elle devrait s'introduire. Une chambre, une fenêtre, plus qu'à attendre la tombée de la nuit et le tour serait joué. A part observer dans l'ombre de la fenêtre ce qui se passait dans son vis-à-vis, elle s'était parée pour l'occasion. Irina était une espionne et bien qu'elle sache se fondre dans la masse, elle n'était pas voleuse de métier. Elle n'avait donc pas une attirail adapté. En chemin pour la capital, elle avait investi dans une cape à longues manches sombre, des gants et des cuissardes en tissu. Il ne manquait que la cagoule qui cacherait, en plus de la capuche, son visage excepté ses yeux froids. Sans même s'en rendre compte, quiconque la connaîtrait, ne verrait plus rien dans ceux-ci. Une étendue grisâtre sans aucune émotion.

Alors que le soleil se couchait, elle allumait la dernière cigarette de son étui. Une large bouffée de fumée âcre et tremblante, une dépendance incertaine à ce minuscule cylindre de plantes sèches. Un moyen de calmer ses pensées et ses réflexions, seule chose à laquelle elle tenait encore vraiment.

Le ciel de minuit s'affichait déjà lorsqu'elle enfila sa cagoule, coinçant méticuleusement chaque pointe de ses cheveux d'argents, masse de cheveux qui avait grandement diminuée depuis quelques mois. Fixant son pistolet à l'intérieur de sa cape, elle avait abandonné son arme de prédilection, aussi reconnaissable que son armure. Ce n'était qu'une sûreté si jamais elle se trouvait en position délicate. Elle effaça toutes traces de son passage, glissant son étui ne contenant que son briquet près de sa poitrine.

La jeune femme avait bien observé le roulement des gardes, de la rue comme du balcon. Impassible, elle observait celui qui lui bouchait l'entrée avec attention tout en jetant une oreille au bruit de la patrouille qui se trouvait en contre bas. Il était presque temps d'agir alors que la lune se couvrait entièrement, abandonnant à la nuit la capitale akkatonnienne. Avant qu'elle ne puisse réagir, lorsque l'occasion fut parfaite, un mouvement dans l'ombre la pris par surprise. Une ombre noire atterrit sur le garde, l’assommant par surprise. La seconde suivante, le balcon était vide, comme s'il avait toujours été.

Sans aucune hésitation, elle sauta de sa fenêtre d'un bond élégant mais plutôt lourd. Le bruit qu'elle fit en touchant le sol n'était pas des plus impressionnants mais des oreilles averties l'auraient sans doute remarqué. Elle passa vers l'intérieur sans s'en soucier, tirant d'une main la capuche pour l'enfoncer sur son crâne. D'une rapidité ahurissante, l'ombre s'était déjà emparé des documents qui lui était précieux. Ils se faisaient à présent face à face alors qu'elle bouchait l'échappatoire la plus pratique de la pièce. Complètement vêtu de sombre, seul ses yeux filtraient. Il ne semblait pas être un amateur, Irina était mal barrée sur cette mission qui devait être un jeu d'enfant.

A peine tenait-il l’objet de sa convoitise, cette paperasse qui pourra contribuer la sécurité de son pays natal, qu’un léger soucis se pointa. Quelque chose venait de tomber avec une certain souplesse dans son dos. Il se retourna vivement, couteau déjà levé pour se préparer à toute attaque vicieuse. Déjà, il sourcilla en voyant une nouvelle ombre se dresser entre lui, le bureau et la sortie qu’était la fenêtre. Qu’est ce que c’était qu’encore que ça ? Etait-ce de la concurrence ? Un garde qu’il n’aurait pas repéré, qui était là pour surveiller toute intrusion de son genre ? Artane n’eut pas longtemps à réfléchir de toute façon. Il avait ses papiers à ramener à qui de droit pour faire tomber la tête des espions qui menaçaient Eilynster. Il rangea les documents dans sa tunique sombre, tout en gardant un regard sévère à l’intrus.

*Bon, maintenant, il faut que je réussisse à sortir d’ici*

Et rapidement surtout. Il n’avait pas envie de se faire choper et de finir ses jours en taule. Il n’avait pas envie d’user de son couteau pour éliminer la gêne qu’était cet individu. Il répugnait à tuer, mais s’il n’avait pas d’autres choix, il le ferait. Il n’avait pas fait tout ce chemin pour perdre ce qu’il portait sur lui désormais. C’était bien trop important. Alors, sans quitter de vue son adversaire ; comment le définir autrement, il commença à doucement se décaler sur le côté. Couteau levé, il fit un léger mouvement pour faire comprendre qu’il ne baisserait pas sa garde, qu’il était sérieux avec son arme. Et si cette personne ne s’écartait pas de suite…. Ah diantre ! Assez de perdre du temps à réfléchir. Et puis, ils pouvaient être surpris, tous les deux, par la patrouille ou un relais de garde. Alors, sans attendre, il invoqua sa magie, usa d’un geste pour guider son invocation et libéra une bourrasque de vent. Le sort sera juste assez puissant pour repousser l’inconnu gênant et libérer l’accès à la fenêtre. Mais le bruit que cela allait engendrer attirera l’attention, et donc, dans la foulée, les gardes. Sans attendre, l’obstacle à deux jambes hors de son champ de fuite, il se mit déjà au pas de course, partant le plus rapidement possible. Une fois sur le balcon, il sauta sur la balustrade et au risque de se louper et de se blesser dans une lourde chute, il y prit appui et bondit dans les airs, tout en rangeant son couteau dans la tunique pour ne pas le perdre. Il eut de la chance d’attraper le rebord du toit d’en face et à la force de ses bras il s’y hissa.

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