Dans une petite taverne pas trop mal entretenue, qui aurait eu une place pas trop indigne dans la capitale, un homme était attablé dans un coin, la tête à moitié vêtue d'une simple capuche de laine sur la tête. Il ne cachait pas complètement son visage mais dans son allure et dans sa tenue, il passait plus pour un paysan qui avait besoin de se soûler après une rude journée de labeurs et surtout, après avoir eu une sérieuse prise de tête avec sa bobonne. Si cette apparence convainquait, et bien tant mieux, notre homme visait ce genre d'image. Il avait besoin de se détendre les nerfs avec une bonne dose d'alcool dans les veines de toutes manières.

Mais qui était notre homme ? Etait-il réellement un paysan du coin ? Nullement. Il était bien Eilynterien en tout cas et était bien plus qu'un simple paysan. Mais pour l'instant, il passait pour autre chose qu'un guerrier.

Artane était encore amaigri de sa récente mésaventure et il récupérait à peine ses forces. Les retrouvailles avec les gens de son propre peuple ne s'étaient pas très bien déroulées au début, faute à l'épuisement total et à ses nerfs mis à rudes épreuves dans les geôles teïderiennes. On lui avait bien ordonné de se reposer tout en étant sous bonne garde, mais il avait passé outre et avait réussi à se sauver en douce. Quitte à le regretter en cours de route, car ses blessures -et surtout sa psychée- ne s'étaient pas encore bien remises des traitements reçues. La magie avait aidé à guérir la plupart de ses plaies, mais certaines, autant physiques que psychiques, peinaient encore à se refermer. Alors que de mieux que de prendre une bonne cuite pour oublier tout cela et savourer la profondeur d'un gros coma éthylique. C'était le cas idéal pour ne plus rien ressentir, ne rien percevoir... Car même s'il était attablé en ces lieux, à terminer de boire sa première bouteille de vin au goût douteux, il sentait encore la douleur de son dos, de sa cuisse blessée lors de sa fuite et son mental qui pourrait partir en éclat à n'importe quel moment.

Artane était un homme doté d'une forte volonté, qui n'avait pas été vraiment brisé durant son emprisonnement chez l'ennemi, mais il demeurait un homme, qui durant deux mois, avait subi le joug de la torture et bien d'autres choses. Il lui faudra donc encore du temps pour retrouver ce qu'il avait été avant. Et encore, cela dépendrait de bien des facteurs extérieurs. Depuis qu'il avait remis le pied dans le royaume avec Irina et ses hommes, qui avaient eu la chance de le trouver lors de son errance, des ragots avaient vite commencé à courir sur lui. On le prenait plus ou moins pour un traître, un espion... car très peu réussissaient à survivre aux hommes tortionnaires de Teïder... et encore moins à s'en échapper... Si ces abrutis savaient ! Il grommela dans sa barbe, grimaça en sentant un élan douloureux à ses récentes blessures. Il se tendait de trop. Allez, hop, il prit la bouteille et décida de la finir d'une traite. Il la posa sur sa table et demanda une autre :

''Tavernier, une autre ! Mon gosier a soif ! ''

Au moins, ici, il était tranquille. On ne savait pas qui il était... pour le moment. Et comme il avait filé en douce hors du campement d'Irina, il avait encore un peu de temps en tant qu'inconnu en ces lieux.

La bouteille n'arriva pas à arriver et il la prit déjà pour se remplir le verre qu'il but d'une traite. S'en remettrait-il ? Il revoyait encore l'acte inconsidéré qu'il avait eu à l'encontre d'Irina. Dans un songe bref de folie, il l'avait prise pour l'ennemi ! Il trembla à cette idée. Comment avait-il faire cela. Il se remplit à nouveau le verre, manquant d'en mettre plus à côté que dedans, tellement sa main tremblait. Il allait se soûler un bon coup pour oublier tout cela, c'était le mieux qu'il pouvait faire pour le moment.

La demi elfe se déplaçait d'un pas ferme dans le petit village Eïlynsterien. Il était déjà tard, la nuit avait pris place et le ciel était couvert de telle sorte qu'aucuns rayons de lune ne puissent éclairer le chemin. Peu importait, la jeune femme avançait, marchant dans les flaques de boue qui jonchaient le sol. Il fallait avouer qu'elle n'avait pas passer une très bonne journée. La veille, elle avait reçu une missive de la capitale lui indiquant de régler un soucis. Elle était à la fois contente de sortir de sa routine mais méfiante quant aux conséquences que cela impliquait. En effet, depuis sa dernière mission, elle et ses hommes étaient chargés de la surveillance de l'un de leur compagnon, si on pouvait toujours le nommer ainsi.

Artane avait été retenu prisonnier chez leurs ennemis de toujours, les teïderiens, et s'en était sortit vivant. Ce dernier détail avait amené à un grand nombre de rumeurs qui étaient remontés jusqu'à l'état qui ordonna en conséquence. Si le prétexte était le repos du blessé, elle n'appréciait pas de mentir à son ami. Son "ami", le mot était peut être un peu fort se dit-elle. Il était vrai que depuis que l'homme avait tenté de lui faire volontairement du mal, elle avait bien plus de mal à lui faire confiance. Du coin de l'oeil, Irina remarqua une auberge dans un coin sombre. Elle n'avait pas une devanture avenante, ce qui signifiait que personne d'important ne devait s'y trouver, parfait pour prendre un verre en solitaire et se détendre un peu. Avant cela, la capitaine s'adossa au mur de l'entrée et se mit à fouiller à l'intérieur de sa sacoche. Elle tentait de sentir du bout des doigts le métal froid de son étui à cigarettes tout en observant la rue désert, ou presque. Deux types se tenaient dans l'ombre de la ruelle en face du bar. Ils discutaient à voix basses et Irina ne put s'empêcher de grimacer lorsqu'elle vit l'un d'eux cracher la moitié de son poumon au sol. Même de là où elle se trouvait, elle pouvait distinguer sa couleur ignoble. Elle détourna le regard pour éviter l'envie de vomir et baissa la tête vers ce qu'elle cherchait.

Tout en sortant une cigarette, elle repensait à son retour de mission. Elle n'avait cessé de ressasser la sensation des doigts qui se crispaient sur sa gorge. Son malaise l'avait conduite à éviter le plus possible Artane. Bien qu'en temps normal, étant capitaine, elle avait beaucoup de travail, elle avait fait en sorte de l'éviter même lorsqu'elle avait un peu de temps libre. Alors, lorsqu'on lui avait ordonné de surveiller Artane, elle n'avait que pu grogner entre ses dents. Elle s'était assurée d'être tout de même présente malgré son envie de fuite car elle connaissait bien l'homme. Il était doué pour s'échapper discrètement. Elle espérait vivement le retrouver bien au chaud lorsqu'elle rentrerait au camp qui se situait à la sortie du village.

Cigarette entre les dents, elle essayait tant bien que mal d'allumer son briquet. En dernier recours, elle tenta de le faire rouler sur sa jambe tout en grommelant des insultes incompréhensibles.

   - On peut t'aider mademoiselle ?

Relevant les yeux, elle se rendit compte que les deux hommes s'étaient avancés jusqu'à elle et se tenaient à présent à quelques dizaines de centimètres. Trop près si dit-elle en sentant l'odeur qu'ils dégageaient. Un mélange d'alcool, de sueur et de quelque chose d'indescriptible mais tout à fait désagréable. De loin, elle ne l'aurait pas parié mais les deux types étaient plutôt grands, atteignant sa taille et dépassant sa carrure. S'ils pensaient l'effrayer, c'était raté. Ils ne savaient pas à qui ils avaient à faire. Irina, qui passait déjà une mauvaise journée, prit le temps de remettre la bouclette qui collait à son visage derrière son oreille. Puis, elle rangea son briquet dans l'étui et replaça celui-ci dans sa sacoche.

   - Hé, on te cause, lança le second.

Le "mademoiselle" de politesse semblait déjà loin. Agacée, trempée, elle leur lança un regard désagréable. Elle mâchonna sa cigarette jusqu'à ce qu'elle soit toute entière dans sa bouche avant de la recracher vivement au visage du premier qui s'était adressé à elle, le plus proche.

   - J'ai l'air d'avoir envie de demander de l'aide peut être ?

Ce n'était pas réellement une question mais plutôt une pique pleine d'arrogance et d'ironie. Evidemment, cette dernière fit mouche et l'avant bras de l'homme vint la coincer contre le mur derrière elle. La violence du choc l'empêcha de respirer pendant quelques secondes alors que l'haleine fétide avait un goût amère dans sa bouche entrouverte.

   - Sale garce, je vais t'apprendre à fermer ta grande gueule. Et je sais déjà quoi y mettre pour ça.

Ces deux types la dégouttaient sincèrement et alors qu'ils se mettaient à ricaner avec quelques hoquets glaireux de leur blague grasse, Irina asséna un coup fort dans la gorge de celui qui la maintenait. Comme elle, il en perdit le souffle et se recula un peu. Ce fut suffisant pour que celle-ci lui assène un coup de poing avec toute la force qu'elle put trouver en elle. Rapidement, elle s'écarta sur le côté alors que le deuxième homme posait une main sur l'épaule de celui qui tentait de reprendre son souffle. Le dépassant, il avança jusqu'à se retrouver en face de la demi-elfe. Apparemment, il ne semblait pas très heureux de son attitude et elle se plaça en position de défense. La seconde d'après, il la chargea mais au lieu de se retrouver coincé comme la première fois, elle heurta la porte de bois qui n'était pas fermée et se retrouva de l'autre côté. Sa course ne s'arrêta que lorsqu'ils heurtèrent le comptoir d'un bruit sourd.

L'homme s'écarta, prenant de l'élan pour lui mettre une droite de bourrin mais avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit, un coup de botte dans l'estomac le fit reculer jusqu'à tomber au sol. Définitivement pas prête à en rester là, Irina n'attendit pas pour s'approcher et allonger un deuxième coup de pied mais cette fois-ci dans les parties intimes de celui-ci qui, par réflexes, se plia sur le côté. Elle put entendre distinctement des commentaires et des interjections autour d'elle. Elle comprit que le bar n'était pas vide mais sans s’embarrasser à relever la tête pour observer son public, elle s'avança un peu plus aux côtés de l'homme que se tortillait au sol. L'attrapant au cou, juste au dessus de la trace de boue en forme de botte qui, maintenant, ornait le manteau de celui-ci, elle dit à haute voix :

   - Dégage avant que je m'énerve vraiment.

Un bruit lui fit relever la tête. Le deuxième homme à la capuche venait d'entrer devant elle et il n'était pas venu pour chercher son ami d'après l'expression de colère qu'elle pouvait lire sur son visage. Elle qui voulait se détendre, le destin en avait décidé autrement.

Le truc quand on cherchait à se soûler dans un coin était qu'on était toujours enquiquiné, quelque soit le coup du hasard. Quand ce n'était pas un tenancier désireux de fermer boutique pour le restant de la nuit, c'était une bagarre entre bourrés, qui avait cherché à entrer et qui s'étaient mis à se disputer pour des raisons stupides. Donc, Artane n'allait pas terminé sa bouteille au vue de ce qui venait d'entrer avec fracas. Il était en train de se servir un autre verre, entamant donc la seconde moitié de sa nouvelle bouteille quand il assista à l'entrée fracassante de deux individus : un homme et une femme. Le vin se répandit sur la table pendant que l'enivré fixait la rixe. Il grommela, autant pour le gaspillage de son breuvage que pour ce qu'il venait de voir. Irina ? Diantre ! Les ennuis qui s'annonçaient en perspectives...

En effet, il n'était pas dupe quand à la distance qui s'était installée entre lui et sa capitaine. Depuis son acte à son encontre, bien malgré lui, elle paraissait se montrer plus que méfiante envers lui, l'évitant un maximum. Il était bien conscient de ce qui s'était passé, alors qu'il s'était retrouvé plongé dans le flot fou de ses souvenirs de torture et d'emprisonnement. Il y avait de quoi rajouter des doutes et une perte de confiance quand on savait qu'il avait réussi à s'échapper des geôles de leurs ennemis de toujours, les Teïderiens, alors que personne ne survivaient bien longtemps. Entre son geste brutal et les ragots d'être un traître, un espion à la solde de Teïder. Il grommela et détourna la tête, pendant qu'Irina était en train de décocher un coup de pied bien senti à son agresseur. Avec de la chance, en restant dans l'ombre de sa capuche, elle ne remarquera pas sa présence. Mais là aussi, c'était sans compter la suite fallacieuse du hasard.

Il y eut bien quelques messes basses, Artane fixait son verre, en proie à bien des émotions. Un mois s'était écoulé depuis son évasion et d'avoir été retrouvé par les forces de sa patrie, par les forces même de sa capitaine. Une chance en quelque sorte, mais qui apportait un virage relationnel plus difficile avec elle... Il se sentait tellement coupable et avec ce qu'il avait osé commettre, cela l'isolait encore plus. Il but vivement son verre. Soudain, un second homme entra dans la taverne.

*Bordel.... je ne vais pas pouvoir me soûler en paix ici...*

Une brève idée de fuite lui avait secoué un neurone. Mais quand il croisa le regard de ce second venu, puis en voyant la position d'Irina, il prit d'une main tremblante la bouteille vide qui trônait non loin de celle qui était à moitié remplie. S'il fuyait, il attirerait l'attention et de plus, même si Irina lui avait tourné le dos, le reléguant dans le camp des gens à se méfier à jamais, elle restait sa supérieure et celle qui lui avait sauvé la vie ; enfin, plus celle qui avait contribué à ce qu'il ne meurt pas dans les marais de Teïder, vu qu'il était à bout de forces en tomber sur elle et ses hommes.

Sa main se serra sur la bouteille vide. Il essaya d'évaluer la distance... C'était risqué vu qu'il était soûl... Mais qu'est ce que l'enivrement quand on avait connu largement pire sous la torture teïderienne ? La vision flou, le cerveau marchant presque de travers, il se redressa à moitié. Le tavernier protestait déjà de l'altercation qu'il avait sous son nez, hurlant qu'ils aillent terminer leur bagarre dehors ! Artane cligna plusieurs fois des yeux. C'était risqué, mais tant pis. Irina était peut être de taille à se défendre, mais face à ces deux gugusses...

''Hé, l'gros lourdingue qui vient d'trer ! Oui, c'toi que je cause ! ''

Que de mieux que de causer avec un accent paysan à moitié atteint d'alcoolisme ? Le ton était déguisé et il espérait que cela suffirait à ne pas trop attiré l'attention... mais moins certains vu qu'il lança la bouteille vide vers le crétin qui avait tendu la tête vers lui. Cela frôla le sommet du crâne d'Irina, mais percuta de plein nez ce second abruti, qui tomba en arrière en se prenant son appendice nasal. Le tenancier hurla comme un taré, menaçant d'appeler la garde.

Artane se rassit, et prit son autre bouteille, s'y raccrochant comme une bouée de sauvetage. Qu'est ce qu'il ne fallait pas faire. Il porta le goulot à sa bouteille, le visage planqué dans l'ombre de sa vieille capuche.

Ce regard était terrifiant ou du moins, il en aurait terrorisé plus d'un. Irina, quant à elle, s'imaginait déjà y enfoncer ses deux pouces, sentir les globes s'écraser sous sa peau alors qu'elle emmêlerait ses doigts dans les cheveux gras de l'homme. Elle entendait déjà ses cris de souffrance, impatiente, elle salivait d'avance. Elle lâcha le cou de l'homme au sol pour se relever tout doucement, prête à agir rapidement. Une voix la ramena à la réalité en une seconde et alors qu'elle réalisait la folie douce dans laquelle elle avait failli plonger à la vue de tous, elle sentit quelque chose frôler le haut de sa tête suivit d'un bruit de verre brisé. La capitaine, à demi relevée, cligna plusieurs fois des yeux en voyant le sol jonché de bouts brillants et de gouttes de sang éparses.

D'un coup, elle était relevée, scrutant la pénombre pour voir quel ivrogne avait pris son partit. Irina réussit à distinguer une silhouette encapuchonnée de laquelle dépassaient quelques longues mèches brunes. L'homme semblait se raccrocher à la seconde bouteille qui se trouvait devant lui comme si sa vie en dépendait. Elle pensa un instant que se fut un grand sacrifice de sa part que de balancer l'une de ses précieuses bouteilles, vide ou non. Se retournant vers la situation préoccupante, elle se rendit compte que le tenancier hurlait derrière son comptoir qu'il allait prévenir la garde. Malgré la bouteille de vin, le coup de pied bien placé et ses capacités à se défendre, les deux types ne semblaient pas vouloir la lâcher. Ils étaient à nouveau tous les deux debout devant elle. Elle en eut assez.

- BON ! Hurla-t-elle pour faire taire tout ce petit monde, ce qui surprit un peu ses agresseurs. J'aurais probablement du commencer par là mais vous ne m'avez pas vraiment laissé le choix. Irina Baum, capitaine dans les corps d'armée terrestres. En somme, votre supérieure hiérarchique messieurs. Dois-je vous rappeler ce que coûte d'agresser un supérieur ? Amende, emprisonnement voir exil... Je vais voir votre sergent de ce pas ou vous vous cassez gentiment comme je vous l'ai demandé au départ ?

Les deux types se lancèrent un regard pour déterminer si elle bluffait ou non. Au bout d'une minute de silence longue et pesante, ils finirent par s'en aller. Le prix était trop cher payer s'il s'avérait qu'elle disait la vérité. Sans un mot, ils firent demi-tour pour passer la porte du lieu. Irina sentit des regards pesants sur elle, principalement venant du propriétaire. Il s'attendait sûrement à ce qu'elle suive le mouvement mais elle n'en fit rien. Elle se dirigea droit vers le bar qu'elle avait heurté, s'accouda et lança un sourire à l'homme qui la méprisait.

- Y avait pas besoin de la garde, vous voyez ? Maintenant, j'aimerais un truc fort, s'il vous plaît, dit-elle en articulant excessivement les derniers mots.

A contrecœur, celui-ci s’exécuta. Irina perdit de son sourire. Elle qui voulait rester anonyme pour se détendre et prendre un simple verre, c'était foutu. Avoir besoin de justifier son rang pour éviter une bagarre, elle était tombée bien bas. Jamais, auparavant, elle n'aurait fait cela. Qu'est ce qui ne tournait pas rond dans sa tête. Le barman revint avec une bouteille remplit d'un liquide ambré qu'elle sut définir immédiatement. La demi elfe n'était pas particulièrement une grande buveuse mais depuis qu'elle était arrivée en Eïlynster, son nombre de sorties alcoolisées s'étaient vu doublé voir triplé. On lui versa un verre mais avant qu'il ne puisse réagir, elle empoigna la bouteille de ses mains. Elle lâcha quelques pièces avant s'en retourner vers la sortie. La bouteille relevée en signe de remerciement, elle se retrouva de l'autre côté du mur. Une brise vint décrocher la mèche humide de derrière son oreille, voletant jusque devant ses yeux.

Cette fois-ci, la ruelle était bien vide. Elle s'assit contre le mur, posa la bouteille à ses côtés et décida qu'il était grand temps de fumer cette cigarette. Cette fois-ci, la roulette du briquet n'accrocha pas et une jolie flamme bleutée brilla dans la nuit noire. Elle secoua le zippo pour l'éteindre et le rangea dans son étui. Elle posa sa tête contre le bois, contemplant le regard vide les ronds de fumée qu'elle faisait. Elle attrapa la bouteille, tira avec ses dents sur le bouchon de liège pour le recracher au loin avant d'en avaler une large gorgée. Pas dégueulasse pour un rhum de mauvaise qualité se dit-elle en faisant la grimace. Elle se perdit dans ses pensées tout en continuant à avaler le liquide ambré. Son comportement l'intriguait réellement. Elle avait été déjà si sauvage et incontrôlable, cela tenait de l'irréel ce qui venait de se passer ce soir là. Elle avait l'impression de s'être ramollie. C'était comme, comme avoir de l'empathie. C'était quelque chose qu'elle n'aimait vraiment pas.

Il y avait de nombreuses choses qu'elle n'appréciait pas ses derniers temps d'elle même. Elle n'arrivait pas à mettre le doigt sur la source du problème jusque l'idée la frappe rudement. Evidemment, tout cela avait démarré avec cette histoire de mission, à cause d'Artane. La demi-elfe commençait réellement à être agacée par la situation et elle ne pouvait s'empêcher de repenser au visage désolé de son ami ce jour là. Son visage qui portait les marques de ses deux mois d'emprisonnement, les cheveux gras, le regard un peu fou, tremblant, comme s'accrocher à une bouée invisible. Tout à coup, quelque chose la dérangea dans sa dernière pensée. S'accrocher à une bouée. Comme si sa vie en dépendait...

- Non ! Dites moi que j'ai rêvé !

Se relevant brusquement, elle abandonna sa bouteille, ou ce qu'il en restait, sur le fronton pour se précipiter à l'intérieur du bar tout en grognant. Cette voix, cette silhouette, elle en était sûre. C'était Artane qui avait envoyé cette bouteille de vin !

Artane aurait presque souhaité ne plus être là quand Irina usa de son rang pour jouer d'autorité contre les deux abrutis. Quand la voix de sa capitaine tonna d'injonction, il crut se ratatiner sur sa chaise. Il connaissait Irina, et l'inverse était vrai. Enfin... avait été vrai. Là, il était crispé et se sentait comme pris pris au piège. Elle n'était clairement pas d'humeur ; surtout quand elle commandait quelque chose de très fort et si elle le trouvait là, alors qu'il était censé être sous surveillance et lui au repos... Il s'accrocha plus à sa bouteille, sentant qu'elle était encore empli de ce vin un peu dégueulasse qui lui laissera une bien belle et méchante cuite au réveil. Mais il n'avait pas encore assez bu.

Il porta à nouveau la bouteille à ses lèvres, pour faire descendre le vil breuvage dans son gosier. Plus vite il sombrera, plus vite il oubliera tout ce qui le bouffait intérieurement. Car il n'avait même pas besoin de se rappeler ses conditions de détention ; elles revenaient toutes seules le hanter ! En même temps, rien que de voir sa supérieure, qui lorgna quelques seconde du coin de l'oeil sans sortir son visage de l'ombre de sa capuche, cela suffisait pour raviver ce qu'il voulait fuir. Elle n'avait plus vraiment confiance en lui depuis qu'il l'avait prise pour un Teïderien, pensant qu'il était de nouveau dans une séance de torture. Il serra plus fortement sa main sur la bouteille dans laquelle restait un petit fond, à peine une bonne gorgée.

*J'aurai dû crever là-bas... au lieu de cela, j'ai lutté pour m'échapper et voilà ce que je récolte*

L'alcool ingéré frappa durement son cerveau et il réussit, presque, à ne pas commencer à se lamenter sur lui-même. En même temps, pourquoi repousser l'inéluctable effet éthylique de tout ce qu'il avait bu ? Certes, s'il le voulait, il jouait de sa volonté, mais après tout, pourquoi lutter.

Quand il essaya de voir avec ''discrétion'' la présence d'Irina, elle n'était plus là. Tant mieux songea-t-il... Il allait pouvoir terminer de se soûler et de rouler sous la table. Peu importait dans quel état il sera demain et où. Peut être dans la rue, dans le caniveau, ou en taule, qui sait. Il s'en foutait maintenant. Il termina la bouteille. Il la tendit bêtement vers le bas. Plus une goutte ! Diantre ! Mais il avait encore envie de boire !

''Hep... machin... encore une bouteille ! ''

Après l'épisode des deux crevards et de la capitaine Irina, le tenancier avait eu sa dose pour la soirée et grogna qu'il allait fermer. Artane jura dans sa barbe. Bon... il allait devoir trouver un autre lieu pour boire.

''Et si j't'prends une autre vinasse.... argent comptant ? ''

Les effets de la boisson étaient en train de le rattraper d'un coup. Il était d'ordinaire habitué à boire, mais il était encore loin d'avoir récupéré de ses mésaventures et donc, d'être capable de tenir la dose ingérée. A peine s'était-il mis debout qu'il tomba comme n'importe quel mort-plein d'alcool. Il tomba lourdement sur le dos, la tête lui tournant horriblement. Il entendit passivement le tenancier jurer dans son coin, qu'il allait devoir encore ramasser un bourré pour le foutre dehors. Bah, qu'il se fasse plaisir.

La porte s'ouvrit brutalement. Artane s'était redressé sur un coude, pendant que le sol tanguait atrocement autour de lui. Oh non.... Irina était revenue à la taverne. Quelle poisse. Tout ce qu'il trouva de mieux à faire, ce fut de tenter de rouler sous la table. Etait-ce là une vaine tentative de fuite ? Peut-être... lui-même n'en était plus vraiment sûr. Son esprit se perdait dans l'alcool qui se liait en lui. Diantre, il avait envie de vomir, tellement qu'il avait l'impression d'avoir le mal de mer. Il eut un bête réflexe, qui fut d'attraper mollement les pans de sa capuche pour s'en couvrir le visage. Espérait-il se cacher ainsi ? Stupidement ? Qui sait... même lui n'était plus réellement sûr de ce qu'il faisait. Au moins, il ne songeait plus du tout à Teïder et à ses horreurs vécues. Même la simple présence d'Irina ne réveillait plus ces mauvais souvenirs. Tant mieux !

La porte s'explosa brutalement contre le mur tandis que la capitaine faisait à nouveau irruption dans le bar, cette fois-ci, seule. Le visage de tenancier se décomposa en la voyant, parfaitement énervée, plus terrifiante que lors de sa première entrée. Il commençait vraiment à envisager une retraite anticipée si ces soldats continuaient d'envahir son bar. Irina, quant à elle, marmonnait dans sa barbe inexistante qu'elle se faisait des films, que c'était impossible. Elle s'avança un peu plus dans l'entrée jusqu'à pouvoir observer la table où s'était trouvé l'ivrogne. Elle avait bien dit "s'était" car effectivement, ce coin du bar était à présent désert. Elle jura, se disant qu'il avait du filer en douce. Elle se dirigea jusqu'au comptoir pour demander :

   - Il y avait bien un homme à cette table, dit-elle en pointant la dite table du doigt. Ou est-il partit ?

L'homme, partiellement convaincu par les allégations de la dame quant à son statut, mais ne souhaitant pas avoir de soucis, finit par faire un mouvement de tête en direction de la table. La demi-elfe fronça les sourcils sans comprendre alors que celui-ci indiquait qu'elle avait plutôt intérêt à se dépêcher puisqu'il allait fermer boutique. Le pas lourd, elle suivit les indications du tavernier jusqu'à se retrouver devant la table. Ne comprenant pas bien, elle se recula de quelques pas avant de se rendre compte qu'une forme indistincte était roulée en boule sous la table. D'une main, elle se frappa avec force le front.

   - Non mais quel imbécile.

Elle attrapa le pied qui dépassait de ses deux mains et tira en arrière pour faire glisser le cadavre de sous la table. Elle ne savait pas vraiment ce qu'il cherchait à faire mais l'homme tenait avec force les bords de son capuchon pour qu'il recouvre son visage. Elle voyait pourtant distinctement le catogan de cheveux bruns en dépasser.

   - Tu te fous vraiment de ma gueule !

Avec une grande délicatesse, elle prit soin de relever Artane jusqu'à se retrouver presque nez à nez avec celui-ci. Si elle doutait encore de son identité, elle put distinguer le visage de son ami sous la capuche, peu confiant de voir sa capitaine en face de lui. Elle lui fit un gentil sourire qui finit de le décrisper et ainsi, elle put passer l'un de ses bras par dessus ses épaules. Elle avait bien retenu la leçon. Cette fois-ci elle ne serait pas aussi brusque, ne voulant pas se retrouver avec une main enserrant son cou, peut-être incapable de faire marche arrière. Elle se tendit d'un coup, les poils hérissés en ayant cette pensée.

Puis comme un coup de poing, l'alcool qu'elle venait d'ingérer rapidement vint lui rappeler qu'il avait de l'effet sur elle. Elle sentit ses jambes fléchir, le rose lui monta aux oreilles et elle remarqua que le monde autour d'elle s'était mis en mouvement. La douceur de l'ivresse était une drogue dont il était difficile de se passer. Elle s'avança vers la sortie, tirant comme elle pouvait le poids mort qu'était Artane. Elle ne put s'empêcher de faire une remarque au propriétaire qui les regardait en grimaçant.

   - Faites pas cette tête, je vous ai débarrassé de bien des problèmes ce soir ! Regardez, vous aurez même pas à nettoyer son vomi, n'est-ce-pas formidable. Merci pour la bouteille, ajouta-t-elle en passant la porte pour la dernière fois de la soirée, elle se le jurait, sinon l'homme finirait par faire une crise cardiaque ou tenter de la tuer.

A l'extérieur, il faisait toujours nuit noire. Le ciel n'était pas dégagé mais la bouteille de rhum n'avait pas bougé d'un pouce, rien de plus satisfaisant. Elle tenta tant bien que mal de se baisser pour l'attraper, se contorsionnant de sorte de garder le bras d'Artane fermement accroché autour de son cou. Enfin, lorsqu'elle eut récupérer son bien, elle continua d'avancer dans les rues désertes de la petite ville. Il n'était pas particulièrement tard mais ce quartier ne paraissait pas très animé, c'était une chance. Irina prit le temps d'observer Artane dont le capuchon avait glissé en arrière. Il semblait particulièrement mal et elle s'attendait à tout moment à faire un bond de côté, évitant le vomi qui allait se déverser de sa bouche.

Et forcément, son pseudo désir de se cacher n'aboutit pas. Le tenancier, très désireux de se défaire de l'ivrogne roulé en boule sous sa table, désigna l'endroit où il se trouvait. Ce fut des pas décidés qui se rapprochèrent donc de l'homme à la limite de l'évanouissement éthylique. Puis, il n'entent plus rien. Etait-elle partie ? La réponse fut négative quand il sentit une forte poigne lui enserrer la cheville et le tirer de force hors de sa pathétique cachette. Tout ce que l'enivré put faire fut de serrer comme un cinglé sa capuche sur sa tête, comme pour se prémunir de ce qui allait arriver. Relevé de force, il se sentit vraiment mal, manquant de tomber. Mais Irina le tenait fermement, le regardant bien droit dans ses yeux.

*Oh diantre... même elle, elle tangue...*

Et pour sûr qu'il n'était pas confiant. Déjà son esprit ne répondait plus correctement, trop noyé d'alcool, mais en plus, il connaissait Irina, assez pour savoir qu'elle serait capable de le frapper, d'un bon coup de poing au visage. Mais au lieu de cela, il eut droit à un large sourire. Il manqua d'en être surpris, mais avec ce qu'il avait bu, avait-il eu seulement l'idée de cette stupéfaction ? On dira que non. Un voile brumeux lui bloqua une partie de ses capacités mentales et ne put que se laisser faire, quand à se faire porter par sa propre capitaine. Il sentit à peine qu'elle tituba un peu à son tour... Ah oui... elle avait bu ou pas. Il s'en rappelait plus trop. Oh, sa tête....

Artane entendit vaguement quelques mots adressés au tenancier, puis il fut emmené hors de la taverne. Et dire qu'il voulait encore boire un peu... Et une fois dehors, ce fut l'obscurité qui piqua un peu à ses yeux, imposant un jeu de mouvement à ses pupilles. Un geste si anodin et si réflexe secoua sa tête qui commençait à tambouriner en plus d'être pris de vertige... Oh qu'il se sentait mal. Il devait être livide. L'air frais eut le mérite de le soulager un peu. Tiens, qu'est ce que foutait Irina à se baisser de la sorte. Ah, elle se redressait.

*Pour une... bouteille.... Bonne idée, on va terminer.... la soirée*

Ils avancèrent encore un peu dans les rues heureusement vides. Y aura personne pour les enquiquiner. Mais c'était le cadet des soucis d'Artane, qui se sentait de plus en plus mal. La capitaine dut le remarquer. Ou alors ce n'était qu'une mauvaise impression. Puis, sans crier gare, ses jambes décidèrent de stopper à le porter, coupant court à son équilibre. Et comme il pesait son poids, malgré d'être encore émacié de ses derniers mésaventures, il emporta bien malgré lui Irina. Sa chère capitaine n'allait pas apprécié. Sauf si elle pensait qu'il était en train de rendre le contenu de son estomac. Et d'un geste, là on comprendra qu'il ne perdait pas le nord, rattrapa la malheureuse bouteille de la capitaine avant qu'elle ne se fracasse sur le sol.

''Sauvée...''

Il ne put s'empêcher de lâcher un rire bien typique des ivrognes morts plein.

''T... tu partages ? C'doit être d'bon cha....''

Il se laissa étaler sur le dos, fermant les yeux. Diantre que le monde autour de lui tournait... horrible ! Il n'avait pas assez bu pour virer dans les ténèbres de l'inconscience alcoolisée.... Au moins, d'être allongé lui soulageait un peu l'estomac et son mal de tête naissant. Il soupira.... La soirée était foutue. Et Irina allait lui passer un sacré sermon... A défaut de le foutre.... en geôle ! Il se crispa rien qu'à songer à ce mot ! Il tendit d'une main tremblante la bouteille de sa capitaine...

''Et puuuiisss, flûteuhhh... r'prends là. Et puis d'abord.... qu'esttce que t'fous là ? Qu'onnnn m'laisse me bourreeerr e'paix....''

Comme si on avait enfoncé son bouton d'arrêt d'urgence, Artane s'effondra en une seconde, entraînant à moitié sa capitaine. Son seul réflexe fut d'avancer pour se dégager du bras qu'elle retenait. Malheureusement, la bouteille glissa de sa main par la même occasion. Réflexe ou non, plutôt que d'essayer de se réceptionner ou de la réceptionner, l'ivrogne fit tout son possible pour l'attraper. Etalé sur le sol, le bras levé tenant ou retenant la bouteille d'alcool, Artane n'avait rien de plus pathétique. Bien qu'Irina l'ait déjà suivit dans des beuveries, elle ne l'avait jamais vu ainsi ou presque. D'ailleurs, elle put observer en temps réel l'apparition de nausées et d'un mal de crâne intense dans la tête de son ami. Une pointe de raison sembla émerger puisqu'il décida de lui rendre sa bouteille. Une goutte d'alcool de plus et il souffrirait vraiment, lui qui avait juste l'air de vouloir oublier. Oui, Irina n'était pas dupe, elle avait bien compris ce qu'il faisait là et d'un côté, elle était contente de l'avoir trouvé. Elle le regarda, un sourcil relevé.

Par réflexe, elle releva son pied, prête à taper gentiment dans le cadavre qu'il était mais, elle se retint. Il était évident que dans son état, quoi qu'il fasse, il ne réussirait pas à lui faire du mal. Elle ne préféra pas tenter le diable. Elle reposa son pied puis prit une large gorgée de sa bouteille ouverte. La demi elfe jeta un oeil à son contenu et décida qu'il faudrait la terminer avant de rentrer. Non, elle n'ignorait pas les paroles d'Artane. Elle savait que quoi qu'elle puisse dire, ses paroles entreraient dans une oreille pour en ressortir de l'autre. Alors, plutôt que de s'éparpiller en paroles, elle fit la chose la plus intelligente à laquelle elle put penser. D'une poigne de fer, elle s'empara de la capuche de l'homme et se mit à le traîner dans les rues vides, tentant de trouver un lieu où il ne réveillerait personne avec ses paroles d'ivrogne.

Et forcément, il ne trouva pas de réponse. Il était tellement ivre de toute façon qu'il aurait capté qu'à moitié les paroles de sa capitaine et encore... les aurait-il comprises ? Il se mit à marmonner dans sa barbe, oubliant déjà la présence de sa supérieure. Il ne réagissait même pas quand cette dernière eut commencé à lever son pied, pour prendre un malin plaisir à le tapoter. Peut être qu'il n'y avait plus aucune raison de se ''venger'' vu qu'il était plus une loque imbibé qu'un homme potentiellement capable de réagir et de se défendre.

Quelques instants d'après, il sentit comme une pression le tirer vers l'arrière.

''Hééééé ! ''

Bon, le cri de protestation était plus un geignement qu'autre chose, mais il mit sa tête en arrière et malgré le capuchon qui lui bouchait la vue, tendu puisqu'Irina avait commencé à le traîner par ce pan de ses habits, il vit la jeune femme à l'envers, de dos. Ohh, qu'il se sentait mal... Il avait envie de vomir, tellement il se sentait mal, comme s'il se trouvait à bord d'un navire qui était pris dans la tempête depuis des jours. Mais heureusement, pour sa dignité, il ne rendit rien de son estomac ; il en avait même pas conscience de ça tiens !

Il maugréa bien dans le langage typique des ivrognes, avant de finalement être de moins en moins causant. L'alcool venait de l'avoir, terminant de l'achever en l'emportant dans le coma éthylique visé. Ce sera vraiment un cadavre mort-plein que terminera de traîner Irina. Heureusement qu'elle ne croisera personne. Artane ne sentit plus rien, même plus ses vertiges tellement il vira dans le sommeil profond et débilitant des ivrognes.

Quand il se réveillera, ce sera pour sentir un mal de crâne carabiné, comme si un forgeron se servait de sa tête comme enclume. Un horrible âcre lui emplissait la gorge et à peine ouvrit-il les yeux que la lumière du matin lui agressa les yeux comme si on y enfonçait un tisonnier. Il grimaça et porta ses deux mains sur ses malheureux yeux, pour les protéger. Diantre, dans quel état il s'était mis cette fois !

*Parce que je l'ai bien voulu aussi*

Avant de rouvrir les yeux, il sentit qu'il était allongé sur le flanc, le dos contre un mur ou quelque chose de dur pour pas qu'il roule sur le dos. Enfin, il ouvrit les paupières et se frotta les yeux. Bon, au moins, de ce qu'il voyait, il ne paraissait pas avoir vomi. Tout était flou... Avant d'apparaître un peu plus net. Une odeur familière lui agressa les narines. Diantre, mais il était dans une grange ou dans une écurie ?

''Bordel.... comment je suis arrivé là moi....''

Il essaya de se relever et peina tellement qu'il se résolut à rester assis. Il avait ramené ses genoux contre son torse, les serrant de ses bras. Un bref instant, il avait cru délirer,, redoutant de retomber dans la réalité de ses conditions de détention. Non, il avait bu à s'en rendre malade et tomber dans le coma, il se rappelait qu'Irina.... Oh non, elle était là ? Et maintenant, elle était où ? Ouh là, il allait passer un sale quart d'heure.

D'une oreille distraite, elle put entendre le volume de l'ivrogne diminuer à mesure qu'ils s'avançaient dans la nuit. A un moment qu'elle ne saurait déterminer exactement, il n'eut plus rien que le bruit de ses pensées qui flottait dans les airs. Son bras commençait à perdre de l'emprise. Il fallait avouer que Artane n'était pas un poids plume. Sans qu'elle le veuille, sa main relâcha la capuche et elle put entendre la tête de son ami rencontrer douloureusement le sol. Elle se retourna pour l'observer mais ne voyant aucun mouvement de sa part, elle en déduit qu'il était entré dans un sommeil profond d'ivresse. Bien. S'il avait une bosse le lendemain, elle n'aurait qu'à faire semblant de ne rien savoir; de toute façon, il l'avait bien cherché avec ses bêtises.

Echangeant la bouteille de main, elle continua de tirer le poids mort jusqu'à apercevoir, un peu à l'extérieure de la ville, une grange. C'était l'endroit parfait pour qu'il vomisse comme il le souhaite sans qu'elle n'ait à s'inquiéter de quoi que ce soit. Les derniers mètres furent particulièrement laborieux dont les effets de l'alcool commençaient à devenir persistant. Heureusement, personne ne put voir la capitaine dans les corps d'armée terrestres tanguer avant de se décider à tirer de ses deux mains le capuchon, les fesses en arrière dans une position tout à fait ridicule. Les deux silhouettes finirent par disparaître dans l'ombre de l'intérieur de la grange. Si à l'extérieur, seuls les bruits de la nuit se jouaient, de l'intérieur les animaux somnolant faisaient un raffut monstrueux en comparaison.

Le premier box avait la porte grande ouverte et semblait vide, quelle veine ! Elle posa sa bouteille à l'entrée, certaine qu'aucun cheval n'oserait la lui voler, et attrapa son ami sous les aisselles. Ah ce qu'il sentait mauvais ! Son haleine avait un relent de bile qui eut presque raison de l'estomac d'Irina. Une fois contre le mur, elle le poussa du pied pour qu'il s'y colle mais en voyant la marque de boue sèche qu'elle avait laissé, elle ne put s'empêcher l'épousseter.

   - Toujours effacer les preuves, marmonna-t-elle.

Dans un soucis de confort, elle pensa à lui place un tas de foin sous la tête. Ensuite elle s'en retourna jusqu'à sa bouteille, sa balada un peu dans la grange qui n'était pas énorme. Elle abritait un cochon, une vache et deux chevaux, rien de bien extravagant. L'un de ces derniers la regardait avec curiosité. Il avait un beau manteau brun, une taille raisonnable, des yeux foncés et profonds, le souffle chaud et la crinière emmêlée. C'était un cheval tout ce qu'il y avait de plus banale mais il allait parfaitement avec Irina. Celle-ci vint lui gratter le poil et caresser son museau. Elle passa une bonne dizaine de minutes en sa compagnie, s'imaginant la conversation télépathique qu'ils pouvaient avoir au même moment puis elle se décida à terminer sa fameuse bouteille. Elle s'assit en face ou presque de la chambre d'Artane, alternant la contemplation des étoiles et ce cadavre d'alcool qui... Oui, c'était bien cela, il ronflait ! La demi elfe le jugea, les sourcils relevés et finit de se descendre la dernière goulée de liquide ambrée.

La tête lourde, fixant le sol, elle avait fini par attraper un caillou plutôt coupant et jouait avec. A une époque, voir les petites gouttes de sang rouler sur sa peau sans qu'elle ne ressente rien la frustrait énormément. Là, elle éprouvait surtout un certain amusement. La manche relevée, elle dessinait de petites entailles tout autour de la croix noire qui s'y trouvait. Lorsque l'alcool fit son chemin, que le monde fut trop flou et ses yeux trop humides de larmes, elle s'endormit.



Elle ouvrit les yeux au petit matin, alors que le soleil pointait seulement ses premiers rayons au dessus des cimes. Rien ne semblait l'avoir poussé hors de son sommeil, pourtant elle était là, prête à affronter le jour. L'avantage de ne ressentir aucune douleur était d'éviter la gueule de bois après une beuverie. Elle n'avait jamais expérimenté ce mal lancinant qui résonnait dans son crâne, de ce qu'on lui avait raconté. Par contre, elle ressentait l'engourdissement de ses muscles de s'être endormie dans cette position inconfortable. Après plusieurs minutes, elle se décida à s'étirer, renversant la bouteille vide par la même occasion. Le bruit se réverbéra dans la grange, ce qui sembla y réveiller la vie qui y somnolait. Il était temps d'aller voir ce que faisait l'ivrogne.

Elle fut étonnée de le retrouver adossé au mur contre lequel il avait dormi, les bras enserrant ses jambes comme un enfant. Elle s'avança jusque devant lui, se baissa à son niveau et :

   - Ça y est, t'as décuvé ? Tu m'entends maintenant ou tu vas encore te rouler sous une table ?

La capitaine put lire la douleur du au ton élevé de sa voix sur le visage de son camarade. Très bien, qu'il souffre. Elle se releva pour lui mettre un coup dans le mollet.

   - Je peux savoir ce qui t'a pris ? T'étais pas sensé bouger du camp et je te retrouve dans un bar, saoule au possible. Tu m'expliques ! Et te fous pas de ma gueule !!

Elle finit tout en le pointant du doigt et put se rendre compte des traînées de sang séchées qui ornaient son bras et sa main. Levant les yeux au ciel, elle rebaissa sa manche et frotta les tâches pour les faire légèrement disparaître de sa main. Elle se concentra à nouveau sur Artane pour lui lancer un regard terrifiant. Qu'il ne tente pas de mentir ou il pourrait le regretter affreusement.

Quand on songe de trop à quelqu'un, on finit par la voir débarquer. Irina arriva instantanément devant lui tout en se baissant à son niveau. Le ton qu'elle employa était autant celui d'une femme très poussée sur le ton réprobateur que celui de l'officier qui remettait en place son subalterne. Artane manqua de grimacer. Elle causait fortement, ce qui lui était douloureux pour sa tête malmené par sa gueule de bois. Mais il y avait une autre forme de douleur, qu'il peinait à dissimuler : celle d'être isolé. D'accord, il avait manqué de l'étrangler, mais depuis son retour, tout le monde le considérait de plus en plus comme un traître, un espion, un vendu à la solde de Teïder. Rien que cela lui aurait hérissé le poil, mais à quoi bon ? On l'avait déjà catalogué, et même sa supérieure. Il avait toujours apprécié Irina, mais au vue de ce qui se tramait, pouvait-il encore espéré qu'on le croit encore ? Il préféra ne pas y songer et raffermit sa prise autour des genoux. Il grogna en recevant un coup dans son mollet. Typique d'Irina ça. Mais il ne répliqua pas. Pourquoi faire finalement ?

Mais quand Irina se redressa, ce fut encore pour l’apostropher. elle exigeait de savoir ce qui lui avait pris. Ils avaient déjà bu des verres plusieurs fois, mais jamais Artane ne s'était mis dans cet état. Et quand il croisa son regard. Il se mordit sérieusement la lèvre, au point de réellement se la mordre et de la faire saigner. Il voulait hurler sa défense, dire ce qui lui pesait réellement sur le coeur, mais à quoi bon ? ce serait dépenser de l'énergie pour rien. Il se contenta de soupirer pour lui. Personne ne pourrait comprendre, car personne ne réchappait aux prisons de Teïder. Personne n'y survivait.

''Au moins, dans le bar, j'avais un répit. Je n'entendais pas des ragots sur mon dos, ou je ne croisais pas le regard de mes propres congénères, où je ne finis que par lire de la suspicion, des doutes et des reproches....Un répit pour oublier tout cela, c'est tout ce que je demandais, le temps d'une bonne murge. ''

Il reporta son regard dans celui de la capitaine. Oh oui, qu'il était effrayant, il aurait de quoi frémir, mais il réussit à encaisser ; un peu.

''Qu'est ce que tu peux savoir au final de ce que je ressens ? Deux mois à subir la torture teïderienne, des jours de souffrance pour qu'on me fasse parler et que j'ai su fermer ma gueule, jusqu'à ce qu'une opportunité se présente pour réussir à m'échapper et retourner derrière le mur... Au final, j'aurai mieux fait de crever là-bas. A côté de cela, on me prend pour un espion, un vendu. Tu réagirais comment si tu avais eu à vivre plus que l'enfer, réussissant à tenir ta langue alors que tu subissais la souffrance en quotidien, sous bien des formes ? Et qu'à ton retour...''

Il décida de se taire. A quoi bon s'échiner à essayer de défendre la loyauté qu'il avait toujours pour Eïlynster. Personne ne pourrait le comprendre. Et pourtant, il ne rendait pas encore les armes. Il tendit sa main gaiche, pour en dévoiler le dos, marqué d'une croix faite au fer rouge. La cicatrisation était terminé depuis récemment, mais on discernait clairement la marque qu'on apposait aux hérétiques reconnus de Teïder.

''Ca, c'est tellement une marque d'espion, ou de vendu, ne trouves-tu pas ? C'est tellement savoureux à subir ça, en comparaison du reste....''

Il y avait une certaine forme d'ironie fatiguée dans son ton. Il reposa sa tête sur ses genoux, après y avoir croisé les bras dessus.

''Depuis que tu m'as trouvé et récupéré, personne... personne n'a demandé ce qui s'était passé, personne n'a cherché à savoir les faits. Même toi....''

Et c'est là qu'il avait mal au coeur rien que d'y songer. Allez savoir pourquoi, mais il connaissait déjà la réponse, au plus profond de lui.

''T'as toujours été un bon chef...et j't'aime bien...On aura passé de longues années ensembles... Mais tu n'as pas besoin d'un point mort dans la troupe...''

Quand il aura totalement récupéré ses forces, il passera sans doute en justice, et on lui retirera son rang. Toutes ses années de services qui seront perdues alors qu'il aura eu la malchance de rester en vie à sa capture et jusqu'à son évasion. Quelle ironie cette vie...

Elle l'écouta sans sourciller. Elle l'écouta encore et encore mais sans se défaire de son expression énervée. Elle l'écouta sans bouger alors que son envie la plus chère était de s'arracher les cheveux. Non, de lui arracher les siens. Elle sentit qu'elle craquait lorsqu'il lui montra la marque qu'il portait sur la main. Quelle mauvaise capitaine elle faisait. Elle avait tant essayé de l'éviter qu'elle avait réussi, n'ayant même pas remarqué l'imposante et évidente cicatrice. Elle se ressaisit juste à temps et entendant ses derniers mots, alors qu'il avait la tête enfouie dans ses genoux, une certaine rage s'empara d'elle.

Elle fit demi-tour et n'eut pas besoin de chercher très longtemps pour mettre la main sur ce qu'elle voulait. Ils se trouvaient dans une grange avec des animaux après tout. Elle revint et déversa le seau d'eau sur la tête toujours cachée d'Artane. C'était surprenant comme acte mais elle n'avait trouvé que ça pour lui rafraîchir les idées et peut être plus encore. Elle déposa le seau à ses côtés puis lança :

- C'est bon ? Tu as fini de te lamenter ? Mais qui es-tu exactement ? Je ne connais pas d'Artane faible moi. Pas un qui aurait survécu à l'enfer et qui serait prêt à abandonner pour si peu.

Elle s'accroupit et s'approcha de lui alors qu'il se reculait. Il avait raison de le faire mais c'était peine perdu puisqu'il était déjà collé au mur. Quant à Irina, au diable son mal de ventre et les bonnes résolutions de lui laisser de l'espèce. S'il devait lui en coller une, qu'il le fasse, mais il était temps pour elle de lui remettre les idées en place. Elle l'attrapa au col, comme l'avait fait tant de fois à tant de monde et vint coller son front au sien.

- Pourquoi est-ce que je t'aurais demandé ? Je t'ai laissé de l'espace pour que tu respires, que tu sois pas étouffé, que tu ne m'étouffes pas ! MAIS JAMAIS ! Jamais je n'aurais douté de toi.

Et dans un instant rare, elle le prit dans ses bras pour une étreinte douce et ferme. Un moment de flottement se fit et dura un temps qui parut long. Irina brisa le silence sans le relâcher :

- Imbécile. J'attendais juste que tu sois prêt, chuchota-t-elle.

Elle ne put s'empêcher de lui mettre une petite tape derrière la tête alors qu'elle se décollait de lui et ajouta :

- Et non, t'es pas un poids mort. Imbécile.

A la voir partir ne fit que confronter ce qu'il redoutait le plus : ne plus avoir la confiance de personne. Même Irina, sa capitaine, le laissait là, dans son désarroi. Il manqua de frémir et serra les dents. Toutes ces années à servir la patrie, à suivre l'honneur, comme on lui avait appris, pour au final avoir quoi au retour ? Subir l'aversion, la suspicion, alors qu'on avait été sans reproche depuis des années, servant avec loyauté et honneur ? les véritables héros étaient ceux qui disparaissaient au combat, pas ceux qui revenaient de l'intérieur des terres ennemies, pour peu qu'on ait des informations à dispenser.

Oh cela, il en avait. Mais qui l'écouterait après tout ? Si on omettait sa marque d'hérétique sur le dos de sa main, il avait encore le dos à moitié lacéré des coups de fouet reçus à maintes reprises. On pourrait penser qu'il s'est totalement converti à leur sinistre religion. La aussi, il serra les dents, plus fortement encore, au point d'en avoir mal. Et entretemps, il avait fermé les yeux, ne voyant pas alors le retour de sa supérieure, qui tenait un seau bien empli d'eau. S'il avait eu les yeux ouverts, il aurait eu un retour inverse de ses pensées sombres.

La sape liquide et froide qu'il reçut le secoua fortement. Et pas qu'un peu. Combien de fois l'avait-on réveillé de la sorte à Teïder ? Forcément, il manqua de lâcher un sale juron et en voyant Irina en face de lui, sa première réaction fut de reculer, plus encore quand elle commença à l'enguirlander tout en même temps; Au moins, fut-elle presque heureux de ne pas retomber dans ses souvenirs atroces et de viré dingue ; enfin presque. Il se rappelait de ce qui s'était tramé tout récemment et il ne voulait pas recommencer. Voir Irina en face à face suffisait à avoir un point d'accroche sur la réalité.

Quand elle lui attrapa le col, c'était pour du front à front. Malgré les cheveux encore dégoulinants du demi-dépressif, Irina avait fait ce geste, malgré les risques possibles d'une sale réaction de la part de son subalterne. Mais rien d'agressif ne vint d'Artane, figé comme il était. Pourtant, il était au pied du mur, coincée par sa capitaine. Il était crispé. Et quand il entendit ses paroles, ce ne fut pas l'espace ou l'étouffement qui le fit trembler, mais par le fait qu'Irina n'avait pas de doute à son sujet. Elle ne doutait pas de lui ! et la suite fut encore plus stupéfiante.

Elle l'avait pris dans ses bras, dans une étreinte qui ne lui connaissait pas. Il en était stupéfait et rapidement, son esprit ne pensa plus qu'à la chaleur de ces bras qui l'entouraient. Les bras doux et fermes d'une femme capitaine qu'il appréciait... une femme et qui lui offrait une chaleur réconfortante et de confiance. S'il avait été plus serein et moins fixé à son sort actuel, il aurait remis sur le tapis le coup de ''Maman Irina''. Mais se retrouver dans les bras chauds et doux d'une femme telle qu'elle pourrait le pousser à d'autres pensées, qui heureusement ne purent trouver de voies.

Le petit moment de flottement s'approchait de son terme, quand Irina murmura de quoi le rassurer. Et quand elle se décolla malheureusement de lui, ce fut pour subir une tape derrière la tête.

''Aie !"

C'était bien Irina comme il l'avait toujours connu. Clair qu'il était un imbécile. Il se frottait la tête, tout en comprenant qu'il avait manqué de virer dans une sale abîme de dépression. Mais savoir que sa capitaine ne doutait pas de lui lui apportait beaucoup.

''Je crois que j'aurai bien besoin d'un bon bain chaud.... pour terminer de décuver....Merci Irina. ''

Il se retenait de faire une petite réplique plaisantine... et Diantre à la fin, pourquoi il se retiendrait ? Il se sentait un peu mieux, même s'il savait qu'il lui faudrait encore un peu de temps pour totalement se remettre de ses deux mois de captivité.

''Tu me masserais les épaules ? ''

Le sourire malicieux qui adressa alors à Irina voulait tout dire.

Elle réussit à lire quelque chose dans les yeux d'Artane, comme s'il était redevenu lui-même. L'homme qu'elle connaissait depuis si longtemps et qu'elle avait perdu ces derniers mois. Finalement son plan avait fonctionné. Le voir sourire la réconfortait presque. Elle savait qu'il n'était pas sorti d'affaire mais tout ne semblait pas perdu.

- Oh je pensais qu’une douche froide te ferait plus de bien pourtant, dit-elle en essuyant du pouce une goutte d’eau qui roulait sur son front.

Elle se recula et se releva alors qu’Artane lançait une réplique comique. Un massage donc ? Il ne perdait pas de temps. Elle répondit avec un sourire acéré puis fit craquer ses jointures tout en massant ses mains.

- Avec plaisir.

Elle étouffa la fin de sa phrase dans un rire franc en voyant la grimace que faisait son ami. En y repensant, cela aurait pu tourner si mal. Elle était très heureuse de la manière dont avait réagit Artane. C’était le moment rêvé pour le faire parler et c’est ce qu’elle fit, en quelque sorte. Elle s’accroupit à nouveau pour venir s’asseoir à côté de lui contre le mur. La tête relevée, elle fixa le plafond quelques instants. L'odeur du foin dans lequel elle était assise était presque palpable. Il y avait de l'humidité dans l'air, peut être un orage. Il ne faudrait pas trop tarder à rentrer au camp.

- Tu veux me raconter alors ?

Elle se retourna vers lui pour lui faire un sourire encourageant et rare. Elle qui n'aimait pas la faiblesse des hommes, elle compatissait aux malheurs de son ami. En voilà une chose nouvelle, encore. Lorsque cette affaire serait réglé, il serait bon de prendre un peu de distance. Toute cette histoire influait beaucoup trop sur la vie du capitaine à son goût.

Artane était redevenu lui-même en effet. Mais cela n'était sans doute que temporaire, car il était encore trop tôt pour qu'il soit entièrement rétabli de sa lourde mésaventure. Mais le seau d'eau froide avait aidé à recentrer un esprit mis à mal et qui se perdait un peu trop souvent. Au moins, Irina était certaine que cela allait durer un bon moment. Allez savoir pourquoi... Il ne put s'empêcher de ressentir quelque chose de chaleureux quand elle lui passa le pouce pour retirer une goutte d'eau qui s'écoulait le long de son front. Il allait répliquer quelque chose qui lui tenait à coeur quand il observa attentivement le petit jeu de doigts qu'Irina faisait sciemment craquer. Il afficha un petit sourire contrit.

''Hum.... finalement, cela ira. ''

En même temps, quand il songeait à l'état de la peau de son dos, il valait mieux éviter un massage spécial Irina, au risque d'avoir quelques... souffrances. Et il n'avait pas besoin de cela, pour le moment. Au moins, riait-elle et il put se détendre, se sentant bien plus à l'aise. La voir ainsi concluait qu'elle n'avait jamais douté à son sujet. Et qui sait ce que cela voulait signifier aussi....

Puis, elle revint s'installer à côté de lui, pendant qu'il sentait l'eau froide coller ses habits contre sa peau. Tant pis il aura un peu froid, et là il pourra prétendre à un bon bain chaud. Mais cette pensée se coupa vite quand elle lui posa une question qui le prit un peu de court. Elle lui demandait de lui raconter son affaire. Il ne put s'empêcher de trembler.

*Ce n'est pas le moment de me bloquer. Je n'ai pas à garder le silence alors que j'ai évoqué que personne n'avait cherché à savoir ce qui s'était passé*

Entre le penser et en parler réellement, la frontière était rude à franchir, voir même impossible ! Non, ce n'était pas impossible. Il avait cru ne jamais survivre à Teïder et pourtant, il avait réussi à s'en sortir. Rien n'était impossible ! Donc, il n'était pas impossible de parler de ses semaines de détention !

Il se mordit la lèvres inférieure et ferma les yeux. Il réussit à entamer le début de sa sale histoire, de comment les Teïderiens étaient tombés sur son groupe avant de se réveiller dans une de leurs geôles pourries. Il narra par la suite le calvaire grandissant que lui avaient infligés l'inquisiteur Sigismond. A quelques reprises, il ne manqua pas d'être injurieux, pour cet homme, cet animal qui méritait que la mort à ses yeux. Il raconta comment il s'était senti de plus en plus pris par le désespoir et de voir la mort arriver pour le délivrer de la souffrance infligée pour l'obliger à parler de leur Royaume. Jamais il n'avait parler, jamais il n'avait dévoilé les positions alliés, les campements secrets aux abords de la frontière avec les marécages...

Il n'avait pas tout détailler, il n'y avait pas eu besoin... et une fois qu'il eut terminé, il sentit comme une douloureuse culpabilité peser sur son coeur. Ses hommes étaient morts et lui seul avait survécu. Et il tremblait depuis le début de son récit de calvaire et de souffrance.

''Et si j'avais craqué et que j'avais fini par parler ? Et pourquoi suis-je le seul à avoir survécu. Aucun de mes hommes n'a survécu à l'attaque... aucun, sauf moi...''

Il savait que la mort avait été préférable pour ses hommes, leur épargnant ce qu'il avait eu à subir. Mais pourquoi ne l'avait-on pas tuer hein ? Il porta une main à ses yeux.

''Ca passera, le temps finira par m'aider à digérer tout cela....''

Elle sentit l'homme se crisper à sa demande. Evidemment que ce n'était pas facile de parler de ces deux mois mais c'était lui qui lui avait reproché de ne pas demander après tout. Lorsque les premières paroles sortirent enfin de sa bouche, ce fut un flot interrompu qui suivit. Il lui raconta tout, en détails ou pas vraiment mais ce qu'il disait suffisait à serrer les entrailles d'Irina. Plus le récit s'étalait dans le temps, plus elle sentait son coeur battre, comme si elle était à sa place. Comme si elle voyait cette même noirceur, cette lumière au bout du tunnel. Cette envie de mourir. Elle ne put s'empêcher de poser sa main sur son bras, d'y exercer une pression un peu plus forte à chaque moment de torture.

Elle comprit lorsqu'il finit sur ses questions qui devaient le hanter jour et nuit. Les mêmes qu'elle venait de se poser lorsqu'elle s'était imaginée à sa place. D'un autre côté, l'entendre vouloir être mort avec ses hommes la mettait dans une rage infinie. C'était comme si son esprit se divisait. La première partie n'avait qu'une envie et c'était de lui faire ressentir une douleur si intense que cela lui ferait comprendre à quel point il était en vie et qu'il devait la respecter. La seconde, était, comment dire, plus primitive encore. Ce fut celle-ci qui prit le dessus.

Délicatement, comme en transe, elle glissa ses mains derrière ses épaules alors qu'il se masquait les yeux. Contrairement à la dernière étreinte, il y avait une vraie douceur, une chaleur humaine sans précipitation. Irina se glissa contre Artane, son nez se cachant dans son cou encore moite du seau qu'elle lui avait versé. Son souffle chaud lui fit hérisser les poils, ce qui eut pour effet de faire enfouir un peu plus la tête de la demi elfe. Les deux corps se collaient l'un à l'autre, près à se mélanger. Les yeux clôts, elle se laissa aller à l'étreinte. La seconde de la journée. La seconde dans la même heure. Elle devenait dingue. Mais ça, elle s'en occuperait plus tard. Dans un murmure étouffé par la peau du soldat, elle ajouta après une longue minute :

- Je veux plus t'entendre dire ça. Plus jamais... Ok ?

Il ne s'était pas attendu à avoir une énième étreinte de la part de sa supérieure et amie. Il ne s'était attendue à rien en fait, hormis d'avoir un silence pesant et bref. Mais au lieu de cela, il sentit les bras de la jeune femme se blottir contre lui et cela manqua de le déstabiliser. Elle était si proche et sa chaleur contre lui repoussait la froideur humide du seau d'eau reçu précédemment. Elle était contre lui, comme le ferait une âme aimante auprès de sa moitié... Il ne put s'empêcher de l'entourer de ses bras, autant pour chercher un réconfort qu'il n'aurait jamais imaginé que pour profiter du contact de soutien que lui offrait cette femme qu'il appréciait grandement au plus profond de son être. Il commençait à se demander s'il n'était pas en train de rêver, s'il n'était pas retomber dans un délire fiévreux qu'aurait pu engendrer les tortures et son emprisonnement.

Non, il ne rêvait pas. Elle était bien là, contre lui... Qui aurait cru cela possible. Lui-même se demandait si c'était en train de se réaliser. La situation était particulière en même temps, et elle l'aidait à ne pas sombrer. Et quand il la regarda, elle était toujours contre lui, les yeux clos et paraissant chercher quelque chose en lui alors qu'il était trempé et collant d'humidité. Et s'il rêvait ? Il n'y avait qu'un moyen de le savoir. Si c'était un rêve, ce ne serait qu'un plaisir qui s'évanouirait dans ses songes. Rien qu'un rêve, ou tout était possible. Puis il se mordit la lèvre. La tentation était grande, mais il n'était pas cinglé au point de briser ce qui se tramait. Elle l'aidait avec son soutien, rien de plus. Et puis, il devait reprendre son existence en main, lentement mais sûrement.

Puis, enfin, sa voix résonna, tout en douceur comme ses gestes précédents. Non, il ne rêvait pas et avait réussi à ne pas commettre d'impair. Au moins, avait-il l'impression de se sentir plus léger, maintenant qu'il savait qu'Irina ne doutait pas de lui et qu'il avait pu déballer un peu l'horreur de ses deux derniers mois.

''Promis, je ne dirai plus jamais cela. Je n'ai pas envie que ma capitaine me mette de corvées de feuillets.... Est ce que tu me permets de rejoindre les bains, sans escorte ? ''

Comme sa situation n'était pas encore définitivement réglée, autant passer par la voie hiérarchique non ? Et puis dans les bains, à cette heure, il n'aurait pas de monde et pourra se détendre un peu en plus de se saler un peu. Car un seau d'eau n'était pas vraiment un bon moyen de se décrasser.

Ce qu'il était doux de se retrouver entourer par des bras emplit de chaleur humaine. Doucement, la capitaine se décolla de son ami une fois qu'il lui eut promis de ne plus parler de sa mort prochaine, passé ou présente. Tout en se relevant, elle tira l'homme par le bras pour qu'ils se retrouvent tous les deux sur leurs jambes.

   - Si c'était si simple, cher lieutenant, je n'aurais pas eu besoin de te traîner jusque ici cette nuit et tu serais resté sagement dans ta chambre. Mais le monde n'est pas fait ainsi. On va donc rentrer tous les deux au camp. Tu vas m'accompagner sagement devant mes imbéciles de soldats qui t'ont laissé t'échapper. Je leur passerai un savon avant que tu ne puisses te savonner toi même. Evidemment, ne t'imagine même pas être tranquille. Je ne peux pas t'accompagner dans les bains mais tu seras gracieusement accompagné de deux ou trois de tes compagnons.

Redevenant la supérieure hiérarchique qu'elle avait toujours été, elle s'approcha particulièrement près du visage de l'homme; son doigt accusateur s'interposant seul entre eux.

   - Avise toi de leur fausser compagnie et je viendrai expressément te chercher. Je me ferais un malin plaisir de te rappeler qui est la personne qui décide ici. Tu ne voudrais pas perdre une partie de ta virilité n'est ce pas ? Je ne me suis encore jamais amusée à brûler des poils pubiens, il serait peut être temps d'essayer...

Elle lâcha la dernière phrase en s'éloignant de lui, comme une réflexion pour elle-même, mais suffisamment distinctement pour qu'elle lui soit audible. La demi elfe réfléchissait déjà à la suite, pour tout avouer. Elle se disait que le temps qu'il se décrasse, elle pourrait s'atteler à écrire une missive pour ses supérieurs. Après tout, n'était-ce pas son travail de lui tirer les vers du nez pour vérifier qu'il n'était pas un traître ? Elle ne put s'empêcher de faire une grimace, comme si une pointe de culpabilité venait de s'enfoncer dans le bas de son dos.

Toutes les bonnes choses, même les plus simples ou les plus réconfortantes connaissaient une fin. Artane fut presque attristé, mais il savait qu'il ne devait pas se leurrer sur la situation qu'il vivait et de ce que faisait la capitaine à son égard. Puis, une fois remis debout, aidé par Irina, il eut la réponse à sa petite question. Il avait vraiment trop espéré avoir les brides lâches. En même temps, Irina ne pouvait pas oublier sa position de chef. Il songeait déjà à la tête des malheureux soldats qui devaient le garder sous un bon oeil et malgré son état, avaient réussi à ne pas le voir se sauver. En même temps, Artane n'était pas qu'un simple officier d'Eïlynster ; il se gardait de le crier sur tous les toits.

Malgré les conditions de détention, qui le marquaient encore un peu, Artane avait pu retrouvé quelques vieilles habitudes de roublards, devenant un bref moment le Renard, faussant ainsi compagnie à ses gradiens, le temps de chercher à se mettre une bonne biture. Bon les choses ne s'étaient pas déroulés comme il l'avait espéré, mais des points importants s'étaient dévoilés, qui ont et auront une certaine importance pour lui désormais.

Irina était rapidement redevenue sa supérieure hiérarchique, se rapprochant de lui pour le sermonner comme elle savait si bien le faire. Il ne manqua pas de blêmir à la menace faite s'il venait à désobéir, car il la savait très capable de le faire... enfin presque. Même si elle s'était éloignée, il avait capté jusqu'à ses derniers mots. Puis, il était temps de rentrer au campement....


Le temps de rentrer au campement, de se faire sermonner comme ses gardiens comme il fallait, puis de revenir à la cité, il fallut un moment qui parut une éternité pour Artane. Il faut dire qu'après son évasion, son corps reprenait doucement connaissance de certaines choses, comme de marcher en troupe. Le chemin n'était pas du tout long -au contraire !-, mais les muscles encore contrits des deux mois d'emprisonnements peinaient à fournir un effort que d'ordinaire le lieutenant savait faire sans aucun soucis. Heureusement, arriver à la cité. Et puis, le fait d'avoir faussé compagnie à sa garde et de se soûler un bon coup n'avait pas aidé. Heureusement, une fois à l'intérieur de la civilisation, il sentit une certaine joie lui donner du baume au coeur. Et dire qu'il avait manqué de plus du tout revoir tout cela.

Comme promis et surtout ordonné par Irina, Artane ne fut pas tout seul pour se rendre aux bains. Deux autres officiers du même grade que lui l'accompagnaient, pris entre le dépit de devoir jouer les nounous d'un homme encore en ''sursis'' et le plaisir d'avoir un petit moment de détente. Artane ne soufflait aucun mort en leur présence. Après tout, il n'était pas là pour faire la causette.

Les bains où il se retrouvait avec les deux autres clampins étaient assez sobres en décoration, visant l'utilité que l'élégance. Les bassins n'étaient pas grands, mais en nombre suffisant pour avoir un coin peinard. Quand Artane sortit des vestiaires, les deux autres étaient déjà dans l'eau d'un bain proche, guettant sa venue. Il sourcillait. Ils ne perdaient pas de temps eux...

''Avant de me baigner, je vais me raser....''

Et forcément, il y avait le nécessaire juste à portée. Ils pensaient à tout ces deux bougres. Il maugréa intérieurement et entreprit de faire le nécessaire. Avec un petit miroir mis à disposition, il réussit à se raser, se coupant un peu au passage et cela fait, termina de couper ses cheveux. Cela fait, il fut heureux de retrouver sa vraie tête.

*Voilà, je ressemble à quelque chose cette fois*

Pendant qu'il était occupé à sa ''toilette'', les deux autres officiers avaient eu le temps de l'observer, manquant de grimacer à chaque cicatrice qui marbrait le dos de leur compagnon retrouvé. Qu'elles eurent été récentes ou plus vieilles, ils murmurèrent sur les causes de ces traces. Artane sourcillait quand il comprit de quoi il causait. Car pour le bains, il était venu en pagne de bain, la taille entourée d'une serviette blanche et le reste nu... donc forcément, son dos était visible.

''Quoi ? Cela vous étonne peut-être ? Vous vous attendiez à voir quoi ? Un magnifique tatouage de danseuse ? ''

Le ton était acerbe. Il rangea les effets de rasage et se leva, décidant de se rendre dans la pièce principale, où il y avait les autres bassins. Il était temps de fausser compagnie à ces deux imbéciles.

Il se faufila rapidement dans la pièce visée. Les deux autres lieutenants pestèrent, se dépêchèrent de sortir de leur bassin pour suivre Artane. Et arrivés dans la salle principale, ils ne virent personne. Les quelques bassins présents n'avaient même pas une ridule à la surface ; hormis le mouvement de l'eau paisible habituelle qu'on trouvait en surface des bassins inoccupés

''Mais il est passé où ? "
"Il a dû aller se rhabiller pour partir sans nous et se carapater. La Capitaine ne va pas être contente si on ne le retrouve pas. ''
''On mangera pour notre grade, mais lui aussi, crois moi ! ''

Artane se retenait de glousser là où il se trouvait. Il attendit un peu avant de sortir très doucement sa tête hors de l'eau.

*Et voilà, un simple petit tour et j'ai la paix*

Il s'adossa un instant sur le mur, savourant la douceur tiède de l'eau. Puis, d'un sourire, il se laissa glisser dans les ondes, pour flotter entre deux eaux. Les bras croisés derrière la tête, il se laissait aller en apesanteur aquatique, profitant de l'enchantement de sa chevalière pour être comme un véritable poisson dans l'eau. Avec de la chance, les deux imbéciles ne reviendront pas avant un petit moment et il pourra ne faire qu'un avec ce petit monde de silence qu'était son bassin de baignade. Il n'y avait plus que le silence que l'eau imposait. Le silence et la quiétude.... Il ferma les yeux et en profita grandement.

Il arrivait par moment qu'Irina soit lasse d'engueuler les autres, de voir la peur dans leurs yeux. C'était de très rares moments dans ses 81 années d'existence. Un mélange de mauvaise nuit, d'alcool, de fatigue émotionnelle, et d'autres facteurs mais on pouvait dire que cette fois, c'était purement émotionnel. La manière dont elle avait agit avec Artane, ce n'était pas rien. Elle sentait ce poids nouveau sur ses épaules, comme si on venait d'ajouter un bloc de pierre sur ses épaules et un second au fond de son estomac. La demi elfe soupira, pour la dixième fois au moins depuis qu'ils avaient quitté cette grange.

En arrivant au petit fort que son groupe de soldats occupait, elle avait vu des visages se décomposer en voyant l'homme qu'elle ramenait avec elle. Il n'avait pas fallu beaucoup de temps pour retrouver les responsables de négligence. Ils en avaient pris pour leur grade, tout comme Artane. Capitaine était un poste à responsabilités après tout et elle ne pouvait pas laisser mollir ses troupes. Comme vengeance, elle avait obligé les pauvres malheureux à se charger du fugueur encore un peu plus de temps alors qu'ils étaient déjà épuisé par le stress de cette nuit.

Elle les abandonna tous pour retourner dans sa chambre spartiate qui contenait un lit et un bureau. Ces fournitures lui suffisaient amplement, la demi elfe n'ayant jamais eu d'intérêts pour le luxe ou l'argent. Elle fouilla un instant dans son sac jusqu'à trouver son étui à cigarettes. Elle récupéra le briquet qui s'y trouvait avant de poser l'étui sur son lit et d'allumer la bougie déjà entamée qui se trouvait sur le bureau. Elle s'assit à ce dernier avant de prendre de quoi écrire, une feuille ainsi qu'une enveloppe. Après une grande inspiration elle se mit à relater tout ce qu'elle avait appris de son ami une heure plus tôt. Les remords s'envolaient avec les mots inscrits sur le papier. C'était son travail, elle n'avait rien à se reprocher. Lorsqu'elle fut satisfaite de sa lettre, elle la plia puis l'enfila dans l'enveloppe qu'elle scella avec un peu de cire chaude de la bougie qu'elle faisait brûler. Hésitante, elle regarda du coin de l'oeil le carnet noir qui se trouvait à un coin du bureau. Après un instant, elle le prit et inscrit quelques mots à l'intérieur. Le refermant, elle le remit à sa place, souffla la bougie et s'en alla.

La lettre rangée dans sa sacoche, Irina s'avançait dans les rues du petit village. De jour, tout semblait moins sinistre et effrayant. La populace se promenait par cette journée agréable de septembre. Les rayons du soleil réchauffaient la peau. Tout allait pour le mieux jusqu'à ce que le destin décide qu'il manquait de drames. Alors que la capitaine se rapprochait de la taverne où se trouvait son contact, elle put voir débouler à quelques pas d'elle deux hommes, mal vêtu de leur armure, un air paniqué sur le visage. Ce n'est qu'après avoir reconnut les deux incompétents qu'elle avait assigné à la garde d'Artane qu'elle sentit qu'elle allait passer une mauvaise journée.

   - Merde, merde, merde ! On l'a vraiment perdu !
   - On est foutu.
   - Je peux savoir ce que vous avez perdu ?

Elle pouvait voir les poils de la nuque des deux soldats qui lui faisaient dos s'hérisser. Le ton était acerbe, presque lasse. Elle sentait bien que ce qu'elle allait entendre ensuite allait l'énerver au plus haut point.

   - Alors euh. Eh bien. C'est-à-dire que... Entendit-elle alors que l'homme blanc comme un linge se retournait vers sa supérieur.
   - Vraiment ? Ne me dites pas que l'avez encore perdu ?

Alors que le plus proche resté muet, le second baissa les yeux au sol.

   - Votre incompétence est si grande que je vais devoir faire un rapport sur vous. Oh et arrêtez de me donner des raisons pour vous crever les yeux, sinon ça va vraiment finir par arriver.

S'ils étaient possibles d'être aussi blancs sans être morts, elle en avait la preuve maintenant. La capitaine avait une telle réputation qu'ils savaient ce qu'elle était capable de faire et crever des yeux en faisait partit.

    - Explications. Main-tenant !
- On était dans les bains et il a changé de bassin...
- Le temps qu'on arrive, il n'était plus là. On a cherché partout dans le bâtiment sans le trouver.
- On dirait qu'il a disparu comme par magie.

Comme par magie ? Mais bien sûr, et elle pouvait le faire apparaître de la même façon.

- Bande d'imbéciles, dit-elle en les écartant de son chemin pour s'engouffrer dans les bains.

Les bains n'étaient pas des lieux mixtes et en passant devant le comptoir du propriétaire, celui-ci fit des gros yeux avant de se lancer à sa poursuite. Il criait que c'était réservé aux hommes, qu'elle ne pouvait pas être là. Bien, apparemment elle était trop débile pour se rendre compte qu'elle était une femme. Elle s'arrêta et l'homme lui rentra dedans. Se retournant, elle put le voir se frotter le nez alors qu'elle l'attrapait à la gorge.

- Toi, ferme-la.

Puis tout en continuant son chemin sans s'attarder sur le pauvre homme qui se tenait encore la gorge, abasourdi. Sur son passage, elle ouvrait chaque porte, le regard froid, scrutant chaque recoin pour voir où était cet imbécile. Evidemment qu'il n'avait pas disparu, pas aussi rapidement. Il avait simplement du se terrer dans un coin sans faire de bruits et ces deux incompétents étaient passés sans le voir. Par chance, les bains étaient quasiment vide à cette heure-ci. Elle ne tomba que sur un homme, nu, qui s'écria de surprise avec le cri le plus aiguë qu'elle n'ait jamais entendu. Elle prit quelques secondes pour le juger de haut en bas alors qu'il tentait tant bien que mal de cacher sa nudité.

Enfin elle arriva aux bains mais le lieu était désert. Cette fois-ci, elle avança dans les lieux avec discrétion. On pouvait entendre le clapotis de l'eau, la vapeur d'eau embaumant l'air de chaleur et d'humidité. Irina sentit sa combinaison commencer à coller à son corps nu. Près du premier bassin, elle scruta l'eau pendant une bonne minute sans rien discerner. Elle continua à avancer jusqu'au second, l'oreille tendu. Alors qu'elle allait abandonné, une ombre attira son regard vers le coin le plus à l'abris des regards. Après quelques mouvements, elle put définitivement identifier une silhouette humaine sous l'eau. Silencieusement, Irina retira ses bottes et sa sacoche, les posant suffisamment loin de l'eau pour qu'ils soient à l'abris. Avec une lenteur infinie, elle s'accroupit et se glissa dans l'eau jusqu'à être immergée.

Le fait de ne pas ressentir la douleur l'avait grandement aidé à ouvrir les yeux sous l'eau. Maintenant qu'elle y était, elle put définitivement dire qu'il s'agissait de son homme. Elle s'avança, le regardant flotter entre deux eaux. Arrivée près de son corps, elle glissa sa main à quelques millimètres de sa cuisse puis, sans prévenir, avec une poigne forte, elle y enfonça ses ongles profondément. Elle put le voir ouvrir les yeux mais elle ne put deviner s'il avait vu son visage avant de remonter à la surface. Remontant, elle aussi, vers l'air qui commençait à lui manquer, elle se retrouva en face d'un homme qui la regardait éberlué. Elle pouvait sentir les gouttes d'eau ruisseler sur son visage et glisser dans sa combinaison. Ses mèches de cheveux argentées se collaient sur ses joues et sa nuque. Les corps mouillés sont ce qu'il y a de plus beaux disait-on, mais en voyant le regard meurtrier de la demi-elfe, on en oubliait bien vite son corps.

- J'espère vraiment pour toi que tu as une bonne excuse parce que quoi qu'il arrive, je vais te le faire amèrement regretter. Tout va dépendre de ce que tu vas m'expliquer. Maintenant.

Elle n'avait pas haussé le ton et c'était peut être pire encore que ses colères habituelles.

Flottant ainsi, il avait vraiment l'impression d'être dans un monde de sérénité et de calme. Rien n'y personne ne pouvait venir l'enquiquiner. Là, il demandait qu'à être seul et à profiter un peu de ce répit. Un peu de solitude n'était pas si mal pour son esprit encore perturbé par sa récente fin de captivité. Retrouver la liberté avait été quelque chose d'effrayant... revoir des têtes connues aussi, comme le doute qui s'en était suivi, autant pour eux que pour lui. Mais maintenant que les choses avaient commencé à se clarifier, en grande partie par l'intervention de sa capitaine, il se sentait moins infligé. Il ouvrit un instant les yeux dans l'eau, ce qui les lui piquait un peu bien entendu. Irina avait été dans une attitude d'un parfait capitaine... Mais avait-elle réellement et entièrement agi en tant que capitaine ? La question méritait d'être longuement étudiée. Il ne négligeait pas le nombre d'années qu'ils cumulaient tous les deux au sein de l'armée du royaume qu'il servait.

* Et puis, elle sait que j'ai eu un peu....*

Le béguin ? Etait-ce réellement le mot pour définir ce qu'il ressentait ? Les deux étreintes qu'elle lui avait offert, pour apporter un soutien humain qu'il n'avait jamais espéré dans sa détresse récente étaient pour lui un peu plus qu'un simple réconfort d'un officier à son subalterne. Il referma les yeux et se replongea dans le bien être aquatique. Tant de possibilités de réponses qu'il préférait ne pas aborder de suite. Elle demeurait sa supérieure et l'avait déjà éconduit officieusement à plusieurs reprises, au point que cela était devenu un jeu entre eux deux.

Il réussit ne plus y penser et chercha à détendre la moindre fibre de son corps. Certaines étaient encore raides des mauvais traitements reçus et l'eau du bassin, chaude comme il fallait, aidait doucement à les détendre ; pour peu que lui arrive à se détendre. Ce n'était pas évident, surtout quand des fois, son esprit jouait de traîtrise et faisait remonter à la surface un tumulte de souvenirs dont il se serait bien passé. Il s'accrocha à un vide chaleureux et soupira d'aise... Ahlalala, qu'il était bien. Allez encore quelques instants et après il irait retrouver les deux autres lourdauds, même pas fichus de chercher réellement partout. Dire qu'ils avaient déjà reçu un bon savon...

*Et moi aussi... D'ailleurs, cela va être encore ma fête si Irina l'apprend...*

Une vive douleur le prit à la cuisse, là où il avait reçu une flèche d'Irina, lors de sa fuite dans les marais. La douleur était piquante et forte, appuyant sur ce qui restait de ce coup reçu et qui terminait de cicatriser. Il en grimaça et ouvrit les yeux. Diantre ! Il y avait quelqu'un d'autre dans le bassin ! Et forcément, en découvrant cela, son premier réflexe fut de nager à l'opposé de cet inconnu, pour s'en écarter. Celui-ci fit surface. Il imita ce nouveau venu dans le bassin. Bordel, qui venait le faire chier comme cela et... oh.... oh les ennuis en perspectives.

Et pour être éberlué, il l'était. Il avait Irina même en face de lui. Elle était pas mal avec les cheveux trempés comme cela qui lui collaient à la peau, comme cela. Et les reflets de l'eau du bassin rendaient ses cheveux humides plus argentées encore, comme s'ils scintillaient et ses yeux.... n'avaient rien de scintillants eux. Au contraire, ils étaient d'un niveau tel qu'Artane cessa de penser à la première image qu'il voyait d'Irina et manqua d'avoir un très petit sourire contrit, qui devient rapidement un petit sourire tout simple.

''Une bonne excuse pour les deux autres lieutenants, Capitaine ? Oui j'admets que je me suis planqué dans ce bassin, dans le but de les faire partir. Ce n'est pas de ma faute s'ils sont inaptes à procéder à des fouilles convenables. Mais je tiens à préciser une chose Capitaine. Ce sont eux qui sont partis. Je ne leur ai pas faussé compagnie depuis le début. ''

Il fit un tout petit sourire mutin. C'était vraiment tendre le bâton pour se faire battre, alors qu'Irina avait été si chaleureuse en l'aidant tout à l'heure. Leurs étreintes... Il en eut un léger goût de manque, allez savoir pourquoi. Mais il revint rapidement à la situation actuelle.

''Donc, dans un sens, j'ai respecté les ordres non ? Et vous Capitaine, vous êtes venu expressément dans les bains pour me le faire regretter ou alors pour autre chose ? Non, car là, vous êtes chez les hommes... ''

Elle avait atteint un stade où il était difficile de dire si elle était en colère ou en rage. Le petit sourire sur la face stupide de l'homme qui lui faisait face ne fit qu'aggraver les choses. Oh, il tentait de faire de l'humour en plus ? Apparemment Artane avait oublié que des fois, il valait mieux la fermer lorsque la demi elfe était dans cet état. Inaptes et imbéciles, elle acquiesçait. Lui, malin ? Il se croyait peut être mais elle allait lui rappeler la réalité.

Elle se rapprocha de lui, moins que ce qu'elle avait été quelques heures plus tôt mais tout de même si proche qu'il partageait leur espace vital. Sa main droite glissa à travers l'eau jusqu'à atteindre le bas ventre de l'homme. Glissant contre la serviette, seul objet qui protégeait sa nudité, elle finit par arriver au niveau recherché. Si au début, on pouvait croire qu'elle ne faisait que tâter, avec les secondes sa poigne s'intensifiait et forcément, le plaisir se transforma en son contraire. Elle serrait à présent particulièrement fort le paquet si sensible de son ami.

- Tu te crois drôle ou malin peut être ? Tu crois que j'ai que ça à foutre de venir te chercher ici ? Je t'ai demandé un truc. UN ! T'es même pas foutu de le faire. Tu me fais perdre mon temps. Et en plus tu voudrais que je t'aide à écraser ces rumeurs de traîtrise. Tu franchis les limites de ma patience aujourd'hui Artane.

Lâchant enfin son emprise, elle se retourna et rejoint le bord par lequel elle était entrée dans le bassin. Elle se hissa hors de l'eau et une fois debout, elle ajouta sur un ton toujours acerbe :

- T'as intérêt à sortir de là maintenant, t'as assez barboté pour aujourd'hui.

Détachant ses cheveux, elle les essora au dessus du bassin avant de les laisser pendre dans son dos. Ceux-ci frôlaient le début de ses fesses. Cela faisait trop de temps qu'elle ne les avait pas coupé. Elle le ferait une fois de retour à la capitale car les poids de ses cheveux mouillés tiraient sur l'arrière de son crâne. Même si l'air était chaud dans les bains, elle eut tout de même un petit frisson. Elle repéra un tas de serviettes blanches parfaitement pliées et posées à côté d'un lavabo. Elle en attrapa une et s'essuya le visage. La tirette de sa combinaison étant abaissée, l'eau s'était infiltrée à l'intérieur. Dans un soupir lasse, elle tira sur celle-ci jusqu'à atteindre ses hanches. Dos au bassin, elle retira les manches collantes pour qu'elles retombent le long de son corps.

Sous ces écailles se cachaient seulement une brassière pour supporter la poitrine de la capitaine. Elle n'avait pas d'attributs imposants, rien ne servait de porter de jolies sous vêtements. Une simple brassière grise lui suffisait amplement, de plus elle soulignait les croix noires qui parcouraient son corps. Tout en s'essuyant, elle se dit qu'elle avait du suffisamment effrayer le propriétaire et l'autre homme pour qu'ils n'osent pas venir dans les bassins. Elle fit descendre la serviette le long de ses jambes toujours protégées des écailles et retira les gouttes indisciplinées qui tentaient de s'y accrocher. Elle entendit le bruit de l'eau et en déduit qu'Artane venait enfin de sortir du bassin. Tout en posant le serviette sur ses cheveux, elle se retourna pour l'observer.

Forcément, quand on songe qu'on va se faire battre par le bâton tendu, le sens littéral passait souvent en sens d'action. Et quand Irina s'approcha, Artane sut qu'il avait été trop loin, beaucoup trop loin. Mais en même temps, quand un esprit comme le sien n'a pas encore retrouvé un semblant de stabilité, il ne fallait pas s'attendre à ce qu'il soit opérationnel comme un gentil toutou qui obéit à son maître. Et forcément avec Irina, il fallait en payer le prix. Un prix qui se fit bien sentir par la forte poigne du capitaine. Et encore forte poigne était assez peu fort comme terme pour expliquer la pression subie par le lieutenant sur ses parties masculines.

Et dire qu'en la voyant se rapprocher, de la voir mettre la main sous l'eau, passer par la serviette et commencer à tâter, il se demandait ce qui se tramait, avant de comprendre... Non, cela n'aurait pas été du genre d'Irina d'aller tâtonner le terrain dans d'autres conditions. Il aurait fallu une autre atmosphère, des conditions plus adéquates pour passer à ce stade et leur relation n'en était pas à un tel genre... d'intimité.

Avez-vous déjà casser deux noix dans une seule main ? Imaginez que ces noix soient vivantes et ressentez la pression que cela subit sous la poigne énervée de la capitaine, vous comprendrez qu'une faible partie de la souffrance que subissait le malheureux. Et même si Artane avait déjà subi pire comme douleurs, cela restait quand même sensible. Il ne put s'empêcher de d'abord grimacer, avant d'avoir un rictus vraiment de souffreteux sous une contrainte oppressante. Au moins, réussit-il à lâcher qu'un grognement qui était plus de la plainte gémissante de très courte durée qu'un véritable hurlement. Au moins, sa dignité était quelque peu sauve, même s'ils n'étaient que tous les deux dans le bassin.

*Diantre... j'ai pas loupé mon coup... cette fois  !*

Ce fut plus qu'une libération... C'était une joie de vivre même que de retrouver la liberté de ses parties. Il soupira de soulagement, mais sentant encore la pulsion de la pression exercée. Et il se retint de serrer les dents, pendant qu'Irina lui lâchait des ordres.

''Bien... Capitaine. ''

Mais il ne réagit pas sur le coup, préférant attendre de plus avoir mal à l'entrejambe pour ne pas avoir à marcher en crabe. Irina fut plus prompte à sortir et se figea de sa présence, commençant à se dévêtir, sans aucune gêne. Peut-être qu'elle pensait qu'il était en train de regarder ailleurs.

L'homme n'avait jamais vraiment eu l'occasion de croiser le dos nu -équipé d'une brassière, n'oublions pas-. Et de la voir avce les cheveux détachés qui tombaient jusqu'à hauteur de son bassin... cela apportait une allure féminine qui ne lui connaissait pas vraiment. Ca et la ligne de son corps... Il secoua sa tête et entreprit de sortir, pour ne pas raviver la colère de sa supérieure. Et ce fut à son tour de sortir de l'eau. Et forcément, il fera dos à son officier supérieur. Mais une question demeurait encore, car autre ''chose'' avait arrivé son attention : qu'étaient-ce ces tatouages en forme de croix ? Il en se rappelait pas d'évocation à ce sujet. Il en avait bien vu un ou deux sur les mains de la capitaine, mais il n'en avait encore jamais vu sur le reste du corps. Il avait sourcillé à ce mystère, avant de se rappeler l'ordre coléreux de la capitaine.

Il avait toujours la serviette autour de sa taille, et quand il sortit de l'eau, qui ruisselait sur sa peau, cette dernière suivait les dignes cicatrisées qui zébraient erratiquement son dos. Certaines étaient anciennes, d'autres récentes et à peine terminer de cicatriser. le bref mouvement des épaules et des bras faisaient rouler sous la peau des muscles qui avaient connu une meilleure forme, mais on décelait que l'homme était un combattant et qu'il avait veillé à entretenir la forme, juste avant d'être prisonnier. Il était encore un émacié de son emprisonnement.

Et sans attendre, il se dirigea vers les vestiaires. Il était temps de se rhabiller. Une fois cela de fait et une fois bien séché bien entendu, il attendra Irina à l'entrée des bains, dos contre l'un des piliers, bras croisés à attendre qu'elle sorte. Au moins, il montrerait qu'il ne cherchait pas à se carapater, une fois encore.

Irina entreprit de détailler Artane, non comme un prédateur regarde sa proie car il fallait se l'avouer, même si la demi elfe ne s'intéressait pas vraiment à cela, Artane était tout de même un homme bien fait. Non, sa colère était légèrement retombée en voyant les cicatrices qui zébraient son dos. Elle ne put s'empêcher de les étudier et bien qu'elle ne fit aucune grimace sur son visage coléreux, elle se sentit légèrement nauséeuse. Au fond d'elle, elle savait que sur un autre, elle aurait prit du plaisir à contempler cela. Se dépêchant d'effacer cette pensée, elle détailla chacune d'elles autant qu'elle le put avant que le lieutenant ne disparaisse.

Il y avait une nette différence de cicatrisation ce qui leur donnait un ordre chronologique. Elle se doutait que durant le temps passé à Teïder, certaines avaient du s'infecter. Ces dernières laissaient toujours des cicatrices plus visibles et presque indélébiles. Avec son non ressenti de la douleur, elle se sentait immunisée à la compassion, mais toute cette histoire lui prouvait le contraire. Même si elle ne connaîtrait probablement jamais cela, elle savait qu'il en avait fallu beaucoup à Artane pour ne pas ouvrir sa bouche. Elle détacha son regard de lui lorsqu'il disparut dans le couloir des vestiaires.

Irina s'assit sur un banc et continua à frotter ses cheveux fortement. Elle sentait que son cuir chevelu n'appréciait guère le traitement mais, à ce stade, elle s'en fichait légèrement. Lorsqu'elle estima que son être était suffisamment au sec, elle enfila à nouveau sa combinaison et ses bottes. Elle passa la hanse de sa sacoche à une épaule et rattacha ses cheveux en hauteur. Tout en sortant, elle passa devant le comptoir où se trouvait le propriétaire des bains. S'il lui lança un regard mauvais et légèrement effrayé, elle haussa les sourcils avant de lui faire un sourire faux et un petit hochement de tête pour le remercier.

Dehors elle retrouva les trois officiers et sans un regard pour Artane, n'oubliant pas qu'elle était toujours en colère, elle lança :

   - Je pense que vous en avez fait pour aujourd'hui non ? Rentrez au camp, j'ai encore des choses à faire. Oh, et... Croyez-moi, vous allez en entendre parler. Bande d'incompétents.

Sans plus de mots à leur égard, elle s'en retourna en direction de la taverne, bien décidée cette fois-ci à amener sa lettre à son contact. Elle aurait d'ailleurs quelques mots à ajouter à l'oral avec lui. Une sanction ne serait pas déméritée.