Après de longs mois passés loin de sa patrie d’origine, l’elfe évanescent avait décidé de rentrer au bercail. Son voyage au sein des Duchés du Sud s’était révélé particulièrement fructueux et il avait appris d’innombrables choses. Sans oublier, le pillage du tombeau d’Ilfrido le Conquérant et la découverte d’un étrange objet de forme pyramidale et orné d’inscriptions en nain ancien. Valandir ne désespérait pas d’en percer un jour tous les secrets.

Hormis ces aventures archéologiques, l’elfe à la chevelure d’écume avait assisté au retour de l’Empereur Éternel et profité de cet événement pour se rapprocher de sa quête d’immortalité. Césario était, avec le père de la souffrance, l’un des plus puissants nécromants connu à ce jour et il ferait un mentor remarquable. C’est la raison pour laquelle Valandir avait conclu avec ce dernier une alliance secrète. Le nécromancien avait conscience de jouer un jeu dangereux, avec un prix à payer, mais il était prêt à faire un tel sacrifice afin d’atteindre ses objectifs. Par ailleurs, l’elfe avait un plan en tête et espérait se hisser vers les plus hautes-sphères en briguant le poste d’arcane de la Mort. Bien entendu, la réalisation d’un tel but se révèlerait extrêmement ardu et c’est la raison pour laquelle celui-ci envisageait de quérir les conseils de son oncle Xin. Ce dernier était lui-même un arcane respecté et devait connaitre les moyens d’intégrer ce cercle très fermé.

En attendant de le rencontrer, Valandir savourait quelques moments de quiétude dans le jardin de sa demeure, située un peu l’extérieur de la Cité de Jade. Installé à l’ombre d’une rotonde, sur un siège confortable, l’elfe buvait une tasse de thé. Un peu de sérénité lui faisait le plus grand bien après la déferlante d’événements incroyables qui s’étaient déroulés ces derniers mois. Une ancienne cité Elfique était même réapparue comme par enchantement et le nécromancien lunaire avait découvert que dans ses veines coulait un sang impérial. Peut-être cet élément pourrait lui être utile par la suite et lui donner un avantage dans la poursuite de sa quête.

Valandir absorba une gorgée de thé sucré et ses prunelles céruléennes se couvrir d’une ombre pensive en se rappelant les paroles du mystérieux personnage rencontré au cœur de l’ancienne cité Elfique. En tant qu’agent de Césario, il devrait redoubler de prudence et demeurer très discret et circonspect concernant les activités occultes de son ordre religieux. C’est pourquoi l’elfe lactescent avait jugé plus prudent de confier le rôle officiel de dirigeant de l’ordre à son second, tout en continuant à tirer les ficelles dans l’ombre.
Le jeune juge était perdu dans ses pensées, lorsque soudain un bruissement soyeux le tira de ses méditations et il discerna une silhouette équestre et brumeuse quelques mètres devant lui.

Valandir aperçut à quelques mètres de lui la silhouette éthérée d’un équidé semblant tout droit sorti d’un songe. La mystérieuse créature qui lui faisait face possédait une magnificence à couper le souffle et même les plus somptueux coursiers Elfiques étaient loin de l’égaler en grâce et en beauté. L’elfe évanescent admira sa robe d’une blancheur lunaire et ses prunelles luisantes d’intelligence. Une brume nimbait le corps de cette splendide monture, renforçant l’impression onirique et irréelle qui émanait d’elle. C’est alors que celle-ci prit la parole, s’adressant au nécromant au moyen de la télépathie et dans une langue inconnue des mortels, mais qu’il avait la capacité de comprendre. Les sonorités de sa voix féminine paraissaient lointaines et venues d’un autre monde, celui des rêves ou d’outre-tombe.

La jument lactescente s’exprimait en employant un ton révérencieux, le nommant prince à l’instar du cristal dans l’antique cité Elfique. Valandir se demanda comment cette radieuse créature venue d’un autre temps était parvenue à retrouver sa trace et à se rendre jusqu’à sa demeure. Sans nul doute, cette dernière devait posséder certains pouvoirs, ne serait-ce qu’en terme de déplacement et de conscience, car rares étaient les animaux dotés d’une telle intelligence et d’un moyen de communiquer télépathiquement.

A son tour l’elfe diaphane prit la parole pour questionner la jument impériale afin d’en apprendre davantage à son sujet.

- Ainsi vous étiez captive des limbes de l’ancienne cité Elfique et je suis bien aise que sa réapparition ait permis votre délivrance. Mon nom est Valandir Arandan et puisse savoir quel est votre nom ou comment dois-je nommer si vous n’en possédez aucun ?  Je serai également ravi d’en apprendre plus sur l’ancienne lignée impériale. Après tout, leur sang coule dans mes veines et il est toujours bon de connaitre ses origines.

Puis d’un ton songeur, le nécromant blanc poursuivit :

- Le monde a en effet bien changé depuis l’époque où l’empire d’or Elfique régnait et même si les elfes sont encore honorés et respectés à la juste valeur dans l’empire Ikkylhd, certains sont nostalgiques de cette époque révolue et espère le voir renaître de ses cendres, tel le phénix.

- Dans ce cas, je choisis pour toi le nom de « Celebrían », qui signifie Reine d’Argent en Elfique. Je trouve qu’il te sied à ravir et s’associe très harmonieusement avec ton titre d’impératrice des brumes.

Un titre très poétique pour une créature au charme ineffable et à la beauté crépusculaire et onirique. Cette rencontre inattendue représentait une chance inespérée pour l’elfe lunaire et celui-ci songea, non sans une certaine excitation, à tout ce qu’il serait en mesure d’accomplir avec cette magnifique jument à ses côtés. Ses pouvoirs lui seraient certainement d’une grande utilité, surtout si cette dernière le reconnaissait comme son maitre. Valandir ne possédait aucune compétence en équitation et n’éprouvait aucun intérêt pour l’espèce équine en général, mais cette créature était différente. Peut-etre pourrait-il la chevaucher et user à sa guise de son incroyable faculté de déplacement et de ses innombrables connaissances du passé.

Conformément à la demande du nécromant blanc, Celebrían évoqua les temps, aujourd’hui révolus, durant lesquels l’Empire d’Or Elfique rayonnait et connaissait son apogée culturelle et politique. Depuis lors, de nombreux changements étaient survenus et cet Empire jadis florissant faisait aujourd’hui office de souvenir. Seuls certains elfes, parmi les plus patriotiques, espéraient le voir un jour renaitre de ses cendres, tel le phénix, l’animal mythique qui représentait son emblème. Depuis lors, de nouvelles races étaient apparues et d’autres Empires avaient émergés, tentant de modeler le continent d’Orzian à leur image.

- Rien n’est éternel et aujourd’hui l’Empire d’Or Elfique fait office de légende, seul le souvenir de sa grandeur passé demeure à jamais dans les mémoires. Toutefois, certains Elfes n’ont pas renoncé à le voir renaitre, peut-etre sous une forme différente, car rien n’est immuable. Ils espèrent la venue d’une sorte de messie qui par ses actions redonneraient vie à la splendeur d’antan et mèneraient les Elfes vers un nouvel âge d’or et de prospérité.

Valandir écouta avec attention les réponses de l’impératrice des brumes concernant ses aïeuls impériaux. Voilà qui était très intéressant et le nécromancien pouvait, s’il le désirait, retirer un certain prestige d’une telle ascendance ou l’utiliser afin d’accomplir ses desseins. Nul ne savait quelles possibilités le sang qui coulait dans ses veines lui ouvrirait à l’avenir. L’elfe réfléchit brièvement à la question de Celebrian au sujet de l’évolution de cette auguste lignée au fil des générations.

- Aujourd’hui, cette lignée est divisée en plusieurs branches et ses membres vivent principalement à Ikkyld où ils occupent des postes importants de fonctionnaires. Mais parmi ses illustres représentants certains se trouvent également à Eirn et sont dirigeants de factions indépendantes.

Depuis le début de leur discussion, l’elfe lunaire pouvait sentir la voix télépathique de la jument onirique s’insinuer dans son esprit et effleurer sa psyché, aussi agréablement qu’une caresse. La créature mirifique poursuivit d’un ton suave afin de lui indiquer qu’elle appréciait le nom poétique que Valandir venait de lui donner. Un fin sourire ourla les lèvres rosées de ce dernier en constatant que leur relation débutait sous les meilleurs auspices. Comme il était amusant de constater qu’un caprice du destin pouvait réunir deux êtres séparés par plusieurs siècles d’existence.

Le nécromant opalescent fronça légèrement les sourcils quand Celebrian évoqua ses questionnements à propos de l’installation d’un nouvel empire sur les terres des nagas. Aux yeux de la jument brumeuse, le monde avait connu d’innombrables changements, passant par la décadence de l’empire d’or elfique à la renaissance des anciennes divinités nagas.

- En effet les nagas possèdent une incommensurable sagesse et dissimulent maintes secrets…J’ignore s’ils consentiront à les partager, d’autant plus que la crainte doit habiter leur cœur depuis le réveil de certains de leurs dieux honnis. J’ai combattu jadis auprès de l’un d’entre eux pour empêcher le retour de l’empereur éternel, peut-être que ce naga acceptera de partager avec moi une part de leur savoir ancestral, dit Valandir d’un ton pensif.

Le nécromancien n’avait guère oublié la bataille qui s’était livrée ce jour-là aux côtés d’alliés improvisés afin d’empêcher le reveil d’une terrible menace. Pourtant depuis ce combat mémorable, l’elfe aux cheveux laiteux avait conclu une sombre alliance avec Césario, même si c’était dans le plus grand secret.

- Tu as raison chère impératrice des brumes, j’ai de grandes aspirations et pour le moment l’un de mes souhaits les plus chers est de parvenir à me hisser au rang d’arcane de la Mort. Ton aide me sera d’une grande utilité car pour ce faire je devrais accomplir de nombreux exploits et parfaire ma magie ainsi qu’étendre ma renommée.

Valandir ne doutait pas que cette jument enchanteresse qui s’était présentée à lui, comme envoyée par la providence, saurait l’aider à concrétiser ses projets en lui prodiguant des conseils avisés et son assistance magique.

La voix éthérée de la jument continuait à résonner dans l’esprit de Valandir, débitant un flot de paroles aussi limpides que les eaux d’une rivière. La créature venue d’un autre temps interrogeait son nouveau maître sur les grands événements qui s’étaient produits durant son absence et se questionnait sur une éventuelle décadence de cette nouvelle ère.

- Bien des choses se sont produites depuis la chute de l’Empire d’or Elfique, souffla l’elfe lunaire. Mais il serait trop long pour moi de vous les résumer maintenant, toutefois je peux vous dire qu’à présent Orzian est une terre divisée entre deux idéologies opposées et représentées par deux empires différents. A savoir l’Empire d’Ikkylhd dirigé par une impératrice et un conseil composé d’arcanes et l’empire d’Akkaton. Le premier s’attache à défendre l’importance de la magie tandis que le second prône la suprématie de la technologie. Grossièrement, il s’agit de leur différence majeure, bien que d’autres puissent être citées. Et d’autres nations jouent un rôle notable sur ce gigantesque échiquier géopolitique, comme Teider, un royaume anti-magie totalitaire, les duchés du sud qui incarnent à merveille un régime ploutocratique, Elynster une nation militariste ainsi que la mystique contrée d’Eirn. Quant à juger de la décadence ou du rayonnement d’une époque, tout n’est que question de point de vue ma chère. Certains passéistes regrettent un âge d’or idéalisé et déplorent la dégradation des mœurs actuelles mais je vous laisse en juger par vous-même.

La jument immaculée semblait prêter une grande attention aux réponses de l’elfe, mais au fil de leur conversation, un voile de perplexité assombrit son regard. Le nécromancien marqua un temps d’hésitation quand elle fit référence à l’empereur éternel. Pour l’instant, mieux valait rester évasif concernant un personnage aussi sombre et décrié que Césario.

- L’empereur Eternel est le surnom que les habitants d’Orzian donnent à un puissant nécromant nommé Césario. Il a vécu plusieurs siècles auparavant mais est connu pour ses exploits. Récemment, ce puissant mage des ténèbres a à braver la mort et à revenir du royaume des ombres afin d’étendre sa domination sur le monde. Mais pour le moment, je ne peux pas t’en dire plus à son sujet.

Valandir acquiesça d’un signe de tête et ajouta d’une voix douce :

- Oui, nous reparlerons plus tard de la fonction d’arcane au sein de l’empire d’Ikkylhd mais pour l’heure j’attends un visiteur et j’ignore comment celui-ci réagira en votre présence. Peut-être vaut-il mieux que vous vous éclipsiez le temps de notre entretien ? hasarda l’elfe opalescent en fixant la jument évanescente.

Valandir prit soin de répondre aux questions de la jument éthérée et de dépeindre aussi fidèlement que possible cette « nouvelle » époque. Du moins, de son point de vue.  La créature d’un autre temps semblait dresser une oreille attentive à ses paroles, et un sentiment d’amusement gagna l’elfe en songeant à l’étrangeté de la situation. Après tout, ce n’était pas tous les jours qu’il avait l’occasion de s’entretenir par voie télépathique avec un animal légendaire, issu d’un lointain passé.

- Je suppose qu’il doit être rassurant de songer que quoi qu’il arrive rien n’arrêtera la marche du monde ou ne brisera la merveilleuse mécanique universelle. Les Empires naissent et meurent à mesure que se succèdent les époques, mais le soleil et la lune continuent à s’élever dans les cieux.
Comme pour appuyer ses propos, les prunelles azurées du nécromant fixèrent le firmament et il poursuivit d’un ton calme :

- Si les astres pouvaient parler, ils nous conteraient la multitude d’existence qu’ils ont vu fouler cette terre. Et pourtant, même eux ne sont pas éternels et la plus brillante des étoiles peut voir son éclat englouti par l’obscurité des âges.

L’évocation de la technologie sembla autant intriguée qu’inquiéter Celebrian, ce qui n’était guère étonnant étant donné qu’elle devait son existence à la magie.

- J’espère aussi que la technologie ne fera jamais disparaitre la magie et les merveilles qui en découlent. En tout cas, je ferai tout pour que cela n’arrive jamais, dit-il avec fermeté.

La jument manifesta également une certaine réserve quant aux ambitions démesurées et aux desseins de l’empereur éternel. Valandir, quant à lui, ne se faisait aucune illusion quant à la soif de pouvoir et de domination de Césario. Restait à savoir ce qui en découlerait à l’avenir.

- Dans certaines circonstances la folie recèle une part de génie et la question du bien et du mal relève de la morale. Parfois, il est presque impossible d’en délimiter les frontières et le malheur peut découler d’une bonne intention, tout comme le bien advenir d’un dessein peu avouable, dit-il en guise de conclusion.

Dès après, la jument évanescente s’éclipsa car Valandir attendait un invité en la personne de son oncle Xin, et ce dernier ne tarda pas à apparaitre. L’arcane manifesta sa joie de revoir son neveu et le questionna sur son voyage. L’elfe lunaire se leva de son siège afin d’accueillir dignement son visiteur.

- Bonjour, mon oncle. Je suis également très heureux de vous revoir, dit-il en le gratifiant d’un sourire affable.

Puis d’un geste de la main, celui-ci l’invita à prendre place dans l’un des fauteuils, merveilleusement décoré, sur lequel était disposé un coussin moelleux.

- Installez-vous confortablement avant je ne vous fasse le récit de mon voyage. Désirez-vous également boire une tasse de thé ?

Après que son neveu l’y ait invité, Xin prit place dans l’un des fauteuils mis à sa disposition et ajouta avec espièglerie que celui-ci n’avait guère perdu son sens du raffinement.

- Vous m’en voyez ravi mon cher oncle. Je suis heureux de vous l’entendre dire. C’est d’ailleurs lors de ce voyage que j’ai pris conscience de l’importance de mes racines Ikkylhdiennes. Et j’ajouterai que le sens de la beauté et du raffinement est si solidement ancré en moi qu’il est presque impossible de l’en déraciner.

Disant cela, Valandir s’approcha d’une table de jardin, de forme ovale, réalisée dans un marbre translucide aux reflets bleutés. Puis, il prit une petite clochette en or et la fit tinter. Un instant plus tard, une jeune servante de type oriental, vêtue d’une robe bleu-nuit, apparut et s’inclina révérencieusement devant les deux elfes.

- Tamako, peux-tu nous apporter deux tasses de thé et quelques confiseries ?

Ensuite, l’elfe s’approche d’elle et lui glissa également quelques mots à l’oreille.
La jeune fille s’inclina une nouvelle fois et disparut afin de s’acquitter de sa mission. Après son départ, Valandir reprit place dans son fauteuil et écouta les questions de l’arcane concernant son voyage.

- Certes, je mentirais en disant que ce voyage était ennuyeux à mourir, sans quoi j’aurais bien vite regagner ma patrie natale, en jurant de ne plus jamais remettre les pieds au sein des contrées Duchéennes, répondit le nécromant en riant. Mais je dois avouer que ces terres possèdent un certain charme bien qu’elles n’égalent guère à mes yeux les merveilles architecturales que recèlent Ikkylhd. Si l’amour de l’argent anime les Duchéens, tous ne sont pas dotés d’un sens poussé de l’élégance ou de l’esthétisme.

Un fin sourire apparut sur les lèvres de l’elfe lunaire avant qu’il ne poursuive d’un ton amusé.

- Toutefois, vous conviendrez que je manque d’objectivité à ce sujet. Disons, que la leçon principale que j’ai retenue de mon périple là-bas est que les Duchés du sud incarnent un paradis pour les aventuriers ou ceux qui rêvent de s’enrichir ainsi que de s’élever dans la classe sociale. J’avoue que cette vie de bohème s’est révélée un moment amusante et m’a distrait de mes obligations fort agréablement avant que ne naisse une certaine lassitude. Aussi ne suis-je guère mécontent d’être rentré. Avez-vous des questions particulières ou désirez-vous connaitre certaines anecdotes croustillantes ?

Entre-temps, Tamako était revenue, portant un plateau d’argent sur lequel étaient disposées des tasses en porcelaine et une théière ainsi qu’un plat rempli de délicieuses confiseries. Une autre servante l’accompagnait, également habillée avec goût d’une robe couleur émeraude. Cette dernière tenait un paquet soigneusement emballé et s’inclina à l’instar de sa comparse.

Pendant que Tamako versait le thé et disposait les tasses sur la table, Valandir désigna le paquet en question.

- J’ai pris la liberté de vous ramener un souvenir de mon voyage. J’espère qu’il vous plaira. Vous pouvez le déballer immédiatement ou bien je demanderai à Minako de le mettre de côté pour tard, à votre convenance.

Pendant que Valandir et son oncle poursuivaient leur discussion, un peu plus loin dans le jardin, plusieurs jeunes filles de type oriental, vêtues de kimonos aux couleurs chatoyantes, s’étaient rassemblées afin de former un orchestre et commencèrent à jouer de leurs instruments. Les rayons du soleil faisaient naître des reflets moirés sur leurs kimonos de soie finement brodés et révélaient l’éclat de leur teint satiné. Leurs yeux étirés en amandes étaient obombrés de cils recourbés et leurs cheveux d’un noir de jais rassemblés en un épais chignon. Les musiciennes étaient jeunes et belles et leurs doigts habiles caressaient les instruments avec une douce sensualité qui faisait naître des notes mélodieuses. La symphonie se répandait dans le parc et se mêlait au chant du vent dans le feuillage des arbres, formant une atmosphère propice à la quiétude et à la méditation.

Valandir les observait d’un air rêveur, le menton appuyé sur la main. Xin paraissait satisfait de ses réponses ainsi que de voir son neveu manifester de l’intérêt pour la vie politique et l’avenir de sa nation. Peut-etre que ce dernier mettait cet élan patriotique sur le compte de son séjour au sein de contrées éloignées et de son récent retour à Ikhyld. En effet, il n’était pas rare que de jeunes nobles Ikhyldiens, perclus d’ennui en raison d’une existence désœuvrée, se découvrent l’envie de voyager à l’étranger et reviennent plus convaincus que jamais de la supériorité de leur patrie sur le reste du monde.

Cependant, en son for intérieur, le nécromant opalescent savait qu’en ce qui le concernait, la réalité s’avérait autrement plus complexe. De même que les raisons de son départ pour les Duchés du Sud répondait à une logique secrète et n’avait guère pour but de se vautrer dans l’opulence, le vice et les plaisirs illicites en menant une vie dissolue ; les motifs de son retour reposaient en grande partie sur sa récente alliance avec l’Empereur Eternel. Bien sûr, une telle collaboration devait demeurer sous le sceau du secret et l’elfe ne pouvait dévoiler ses véritables motivations à qui que ce soit.

Valandir ne s’était rendu dans les Duchés du Sud que dans le but de mener des expériences interdites et d’effectuer des recherches en vue de conquérir la jeunesse éternelle et l’immortalité, sous couvert d’un ordre religieux dont il était secrètement le fondateur. Toutefois, ses pérégrinations sur les terres Duchéennes ne s’étaient pas révélées vaines, car celui-ci avait fait la rencontre d’un puissant nécromant, revenu miraculeusement d’entre-les morts. Un exploit qui forçait l’admiration. Le monde avait été modelé et l’Histoire écrite par des individus de poigne, au cœur d’acier et habités par la soif de conquête et l’ambition.

Le nécromant opalescent ressemblait à l’astre lunaire, il en possédait la blancheur éclatante et la face cachée. Ombre et lumières se conjuguaient chez cet être à la psyché ambiguë. Valandir n’était pas assez naïf pour croire que la culture seule permettrait à Ikhyld de prendre l’avantage sur Akkaton. Il fallait aussi la puissance, celle issue de la haute magie. Mais peut-etre que cette alliance secrète avec l’empereur éternel permettrait l’avènement d’un nouvel âge d’or pour Ikhyld. En tant qu’individu affilié à la magie, l’elfe lunaire avait tout intérêt à voir celle-ci prendre l’ascendant sur Orzian plutôt que la technologie.

Aux yeux de l’elfe aux cheveux laiteux, le poste d’arcane n’était pas une fin en soi, juste un moyen de rendre son alliance avec Césario plus palpitante et plus fructueuse. S’il parvenait à se hisser à un tel sommet et à infiltrer les hautes sphères politiques, il pourrait aider l’empereur éternel à accomplir ses plans et jouer un rôle dans les événements à venir. Valandir respectait le ténébreux nécromancien pour sa volonté implacable et son esprit de domination prêt à embraser le monde. Sans compter que la puissance nécromantique de Césario lui permettrait d’accomplir des actes extraordinaires, inégalés par la grande majorité des nécromants.

Lorsque son oncle avoua, un tantinet amusé, que même si le savoir représentait le pouvoir, ce dernier ne pouvait pas tout révéler. Valandir acquiesça d’un léger signe de tête et répondit avec douceur :

- Nous avons tous notre jardin secret et certaines choses demeurent inavouables, même aux êtres qui nous sont le plus proche.

En découvrant son cadeau, Xin manifesta sa satisfaction et proposa de lui rendre la pareille. Valandir prit sa tasse de thé et la porta délicatement à ses lèvres avant de répondre avec un fin sourire.

- Faites à votre guise. En ce qui me concerne je n’attends pas spécialement quelque chose en retour, car votre présence représente déjà un plaisir suffisant.

L’elfe porta une oreille attentive à la suite des conseils de Xin et poursuivit du même ton amène qu’il employait depuis le début de leur discussion.

- Bien, je m’y emploierai. Je pratique déjà activement le mécénat en offrant mon soutien financier à des académies de magies et artistiques ainsi qu'à des associations caritatives, car j’éprouve un intérêt tout particulier pour la magie et l’art, à tel point que j’ai fait construire une annexe à ma demeure, destinée à abriter les œuvres d’artistes prometteurs et je ne me lasse jamais d’admirer la beauté de certains tableaux, termina-t-il en arborant une expression rêveuse.