Grande Rue Principale, Abords du Grand Palais, Cité de Jade,
9 Junon 2000 de l'âge d'Acier,





En ce jour, mon moral était au beau fixe. Je m'en étais plutôt bien tiré de mon entrevue avec notre impératrice deux jour plus tôt et par là, j'entendais que j'étais vivant et intègre. Si je suis encore là pour vous le conter et que l'histoire qui va prendre place par la suite a pu avoir lieu, c'est bien parce que je suis resté en vie ! Et j'ai potentiellement pu me rétablir... Rapidement... Potentiellement. Elle devait être dans un bon jour. Ou peut être que je lui avais vraiment quelque peu manqué. Un démon ? Non, loin de moi l'idée de vous en donner l'impression. Ils sont atroces. Ils vous enjôlent, vous nourrissent de belles paroles et de belles promesses, vous endorment et vous volent votre âme. Les démons sont cruels. Elle ? Saeki ? Croyez-moi, vous ne souhaiteriez pas être son ennemi. Même un démon y réfléchirait à deux f... à douze fois ! Parole du Kitsune de Saphir et c'est le démon qui le dit !

Toujours était-il que j'étais heureux. Une bonne journée en perspective. Si la journée du 7 avait été mouvementée, celle d'hier avait été tout l'inverse. J'avais passé ma journée dans mes quartiers au Grand Palais, affairé à rattraper tout ce qui devait l'être. J'avais même dû faire des heures supplémentaires, seul, avec ma secrétaire. Une brune, avec des lunettes, mignonne ? Oui, je sais, mais non. Croyez moi. Il y a Saeki et sur la même ligne, il y a  Kurogane. Libre à vous de tenter de réaliser votre fantasme mais moi, je passe mon tour. Tout Kitsune que je sois, ma vie est trop courte. Kuro ? Elle n'a pas dame et ce n'est pas une blague facile en rapport avec son arcane des ténèbres. Non, ce serait bien trop facile. Si j'étais si heureux, c'était tout bonnement parce qu'en cette matinée, je sortais du bureau. La veille, toute la journée, plus toute la nuit, plus tout ce début de matinée. Je n'avais pas dormi.  Enfin... Si, deux heures en grattant des minutes par-ci par-là. Là, je pouvais enfin jouir d'un vrai repos sans craintes. Plus besoin de me cacher. J'avais envie de faire plein de choses, de voir plein de lieux, de rendre visite à diverses personnes.

Posant le pied hors du palais, je m'étirais longuement en inspirant avec avidité et délectation l'air ambiant. Du bon air de chez moi. Magique. Je regardais le ciel, dardant mes prunelles de renard sur un nuage dont la forme me fit sourire. Araki n'étant pas là, Xin et Saeki ayant été vus, il me restait une petite liste d'Arcanes à croiser et j'étais d'humeur à les taquiner un peu plus fort aujourd'hui. Toutefois, pour le moment, j'avais besoin de repos. Je balayais les environs du regard, pas de traces de Yôko. elle qui avait pour habitude de venir me chercher lorsqu'elle ne restait pas avec moi, n'était pas là du tout. Je me mis en marche, me stoppant à nouveau en quittant l'enceinte.  

"Hmfffff... Elle doit vraiment m'en vouloir.... Je devrais peut être lui proposer un dîner ce soir. A moins qu'un kimono, non... un katana... non... Je ne sais pas... On verra après avoir dormi."

Je baillais longuement, m'étirais et me remettais en route. Complètement déçu de ne pas avoir vu mon ombre, mais heureux quand même. Il me faudrait juste m'excuser, comme à l'habituel. Aucune crainte à avoir, aujourd'hui c'était mon jour, rien ne pourrait gâcher ça. Sifflant un air guilleret, je m'engageais alors dans la Grande Rue Principale, direction la maison.

Mon prénom. Ce fut ce que j'entendis. Quelqu'un m'avait hélé. Je m'arrêtais. Mon rythme cardiaque s'emballait, j'en connaissais la voix qui l'avait prononcé. D'un geste vif, comme si j'avais eu peur qu'il ne soit un mirage ou même qu'il ne disparaisse, comme un enfant jouant à "un, deux, trois, soleil", j'avais fait volte-face d'un bon limpide, fluide et précis. Les yeux écarquillés, le sourire aux lèvres.

«  Araki !? »

Bien sûr, qui d'autre ? C'était plus rhétorique qu'autre chose. Alors qu'il me parlait, ma mine se décomposait. Non pas par peur ni même à cause de ce qu'il me disait. Non, j'avais l'air soupçonneux, limite déçu. Je me penchais un peu avant, le dévisageant, mes sourcils s'arquant à tour de rôle puis après un instant, je brisais le silence que j'avais laissé s'installer.

«  Hmmm... Ce visage là hein... Je crois que c'est bien le tien vu que tu l'as quand tu reviens à la normale donc j'avoue que ça reste mon préféré. C'est celui du kitsune le plus beau d'Ikhyld, juste après moi bien sûr... Sans ça, nous ne pourrions pas être le duo terrible que ce soit en matière de farces, d'efficacité que lorsqu'il s'agit de faire chavirer les coeurs » Je rigolais.
« Je suis déçu, je pensais que tu me jouerais un tour mais on dirait que non... Bizarre, bizarre... En tout cas, je suis heureux de te revoir mon frère mais n'est-ce pas plutôt toi qui m'esquivait ? Tu venais à chaque fois durant mes déplacements et j'apprenais ton passage un fois que tu étais parti, à mon retour. Tu sais quoi ? Laisse tomber. J'ai compris. C'st Saeki, elle a dû comprendre que réunir ses deux plus beaux arcanes au même endroit pourrait créer une émeute. Les femmes aurient tout mis à feu et à sang pour nous marier. »

J'avais alors éclaté de rire, content de mon idiote remarque. Je n'y croyais pas un seul instant mais ça m'amusait de tout simplement le penser.


«  C'est vraiment bon de te voir et c'est une grande mais ô combien agréable surprise de te voir. Grande sœur Saeki et Tonton Xin m'ont dit que tu étais dans les Duchés, je ne pensais pas te croiser de si tôt. Quels sont les nouvelles ? Et interdit de me faire croire que tu vas t'enfermer dans ton bureau, nous sommes pareils toi et moi à ce sujet. »

Un clin d’œil malicieux lui fut adressé. J'étais tout sourire, joyeux de le revoir enfin. Le meilleur moment de ma journée, assurément. Quand je vous disais que cette journée, je la sentais bien...

Me transformer en femme ? Regard en coin. Hochements de tête désapprobateurs vifs. Moue boudeuse et joues embrasées, j'avais de manière inconsciente, semblait-il, croisé les bras devant mon torse, les mains venant épouser chacune l'épaule opposée. Une attitude féminine imprimée dans mon corps non pas parce qu'elle était de ma nature profonde mais bel et bien parce qu'elle était en moi, gravée au fer rouge, vestige d'un passé pas tant lointain que ça. Ce tour, je le connaissais très bien et au final, je ne regrettais pas qu'il n'ait pas eu l'idée de me piéger à prime abord. En regardant tout autour, il y avait foule et nombreux étaient les hommes. Je n'avais clairement pas l'envie de voir leurs regards lubriques posés sur moi, ces regards abjects et répugnants. Comme si ses mots avaient été vides de sens, comme s'il ne s'était agis que de simples salutations, il avait poursuivi son discours. Angéliquement démoniaque. Un autre type d'incarnation parfaite de kitsune : Yukinaga Araki, tout bonnement.

Alors que j'écoutais mon ami, mon frère, débiter ses paroles, je m'y plongeais, me laissant guider avec un sérieux relatif à notre condition de farceurs invétérés, les lèvres déformées par un sourire empli de malice,  les bras croisés, le regard d'une personne concentrée. J'accompagnait ses paroles par de simples hochements de têtes approbateurs agrémentés de courts mais appuyés "Hmmm" comme le voulait la tradition autrefois. Chez nous, c'était une chose bien vu de procéder ainsi car cela démontrait tout le respect et l'attention que nous portions à notre interlocuteur. C'était un usage qui tendait à se perdre avec le système de noblesse de notre Empire mais qui avait toujours prise parmi les anciennes familles nobles kitsunéennes.

« Dis-moi, dis-moi, dis-moi, dis moi ! »

J'avais prononcé ces paroles avec empressement en une fraction de seconde, ma curiosité chauffée à blanc alors qu'il laissait sa phrase en suspens. Je ne me doutais alors pas le moins du monde de ce qui allait se passer. Tout sembla ralentir autour de moi, le Temps lui-même, complice de la douce cruauté malicieuse du Kitsune d'argent. Une poitrine s'imposa à la partie basse de mon champ de vision alors que des lèvres de mon frère laissaient place à celles d'une personne que je connaissaient toute aussi bien. Je parle bien ici des lèvres. Mes yeux s'écarquillaient et je tentais un mouvement de recul mais mes saphirs furent captés par une arme redoutable et imparable : des oreilles mignonnes et velues, au pelage mauve, sur la tête de ce que je savais être un clone de Valéria en la personne d'Araki mais c'était imparable. La perfection même ! Il avait réussi à magnifier une femme que je trouvais déjà très belle en la rendant parfaite. Une vision d'elle en Kitsune. J'étais faible. Il le savait. Il avait pallié à mon sens de la fuite inné et m'avait acculé comme une meute de chien acculait un renard, le tout en se servant de mon idéal féminin appliqué à ce que je trouvais déjà à la limite de la perfection. J'étais à la merci du chasseur et ce dernier allait m'apporter le coup de grâce sans plus attendre. Un baiser sur la joue.

Je ne savais plus combien de queues de renard mon humeur du jour laissait apparaître, brouillant les pistes sur mon âge par simple plaisir de jouer, mais comme à chaque fois que je me retrouvais emprunt de gêne profonde et non feinte, autant que toute autre forte émotion, je les relâchais toutes et là, c'était le cas.  Le visage brûlant sous la honte et la timidité, j'avais plongé la tête dans une mer azurée de poils doux et soyeux, mes précieuses queues venant me masquer entièrement.

« C.. C'est... C...Ca ne me fait rien du tout !!!! Je.. J.. Je ne suis pas troublé par ce genre de choses !!!!! » Mes propos ne trompaient personne. Nul n'était dupe et encore moins lui. Enfoui dans cette touffe volumineuse de poils, ma voix était en grande partie étouffée. Je sortis cependant, juste le haut de mon visage de cette masse, de manière à ce qu'il soit visible jusqu'à mes yeux.

« Bien sûr que je veux bien t'aider, je ne te refuse jamais mon aide, pour le meilleur comme pour le pire, tu le sais mais... mais... ne recommence plus ça s'il te plait. Et... Et j'espère que ta noble est gentille, kitsune et célibataire, le temps passe et....  Et... » Je m'enfonçais un peu plus dans ma cachette confortable et sécurisante, rassurante.

« ...j'aimerais bien rencontrer l'amour moi aussi, fonder une famille. Devenir stable. Bref ! En quoi consiste cette affaire ? » Je disparaissais de nouveau, prenant le temps de souffler et tant bien que mal, je tentais de lui faire face en faisant montre d'un semblant de contenance.

Avouer que cette Valéria existait me ferait plaisir ? Il n'en était pas question ! Non, non, non et non ! Pourquoi tant de vigueur ? Simplement parce que je ne voulais pas l'admettre. En soi, il avait raison. C'était une version améliorée faite sur mesure. Tout était similaire à l'exception d'atouts kitsunéens, des ajouts ou plutôt, comme diraient des akkatoniens, des optimisations dernier cri au poil. Elle était belle comme ça mais je ne crachais et ne cracherais pas sur la beauté de la véritable. De surcroît, si je refusais de l'admettre à voix haute, c'était aussi pour la simple et bonne raison que j'aimais cette version réelle de la vampire. Elle avait toujours fait partie de mon monde, d'aussi loin que je me souvenais, visage familier de mon entourage, figure adulte entourant celle de ma mère parmi lesquels se trouvaient Saeki, Xin et mamie Mizuno, la mère de ma mère. Valéria, Tata comme je l'appelais affectueusement était une personne que j'avais en haute estime, un e personne que j'aimais grandement et pour rien au monde, rien de rien, je n'aurais voulue l'échanger, ni elle, ni aucun autre de mes compagnons et ce fourbe d'Araki en faisait parti. Ma famille.  Malgré mon mutisme et ma résolution, ma tête s'était laissée capturer par le renard espiègle et lui avait répondu sans que je n'en ai véritablement conscience, hochant de haut en bas.

Araki s'était transformé à nouveau, reprenant son apparence habituelle, ce qui n'était pas déplaisant, facilitant la concentration. Cependant, il l'avait fait en plein rire et cela me fit frissonner violemment.  Passer du rire de Tante Valéria au sien, sans transition, c'était... déroutant ! Peux importait le nombre de siècles à venir autant que ceux passés, je ne pouvais et ne pourrai jamais m'y faire. Impossible ! Surnaturel ! A moins d'être un blasé de la vie, chose à laquelle je me refusais avec obstination vive et rigoureuse.

« Cela a beau faire moult années que nous nous connaissons et je n'arrive toujours pas à m'y faire. Ton rire fondu avec celui de ta transformation... » nouveau frisson et petite moue. « Tu te transformes avec autant d'aisance que moi en renard. C'est juste hallucinant. J'y suis habitué mais ça produit toujours son effet. Tu n'es pas mon frère et la Sommité Transformiste pour rien ! Une légende, c'est un fait, une légende au coôté de laquelle je souhaite figurer dans un lointain, figures légendaires glorifiées et respectées. Oui, nous le serons, que ce soit de la Farce autant que de par nos actions ministérielles et d'Arcane, sans pour autant oublier celles de notre être basique respectif. »

J'eus alors un rire de renard fourbe et espiègle, comme si j'allais passer à l'action, un tour à jouer en tête, me léchant les babines devant un fromage captif d'un bec de corbeau. L'imagination de ces propos était grisante. Je secouais la tête.

« Je m'gare pardon... Je  suis des plus sérieux et peu m'importe la nature de la noble. Tout ceci n'est que superficialité. A mes yeux, aucun ikhylidien ne peut être laid, il y a juste diverses beautés dont certaines qui m'échappent mais elles sont là. Il s'agît de ton amie alors je serai encore plus... disons... je me donnerai davantage. Il en va de son sourire et du tien. Tu me connais, pour le sourire d'un ikhyldien le Kitsune de Saphir se donne toujours à fond.  Je te suis donc, par contre... Le vieux renard te dit bien des choses petit morveux effronté et insolent va ! »

Mon ton s'était fait plus dur et menaçant mais on sentait clairement que c'était de la rigolade. Je lui avait administré une petite tape sur l'arrière de la tête, légère avant d'éclater de rire. Un rire cristallin marqué par l'amour d'un frère qu'il porte à son petit frère.

« Et arrête d'être plus grand que moi, les petits frères sont comme le nom l'indique, faits pour être petits ! Je vais finir par me faire un tour de rein à lever les bras pour toi ! Hahaha. Allez, en route ! Ta piste doit être examinée, ce rival a l'air d'être un bon point de départ. Autant qu'une potentielle ligne d'arrivée. »