Le prince venait de terminer son repas, il s'était fait servir de multiples mets aux origines diverses et dont le prix aurait probablement pu permettre de nourrir une centaine de familles, pourtant, cela ne l'empêcha nullement de s'en délecter sans penser une seule seconde aux actes charitables qu'il aurait pu faire avec l'argent ainsi dépensé. Après tout, il y avait un temps pour tout et celui de la charité n'était pas encore arrivé.

Ce repas avait été à l'image même du train de vie fastueux dans lequel vivait la famille royale, d'autant plus que Vlad Nebojsa n'était pas un cousin éloigné ou un membre mineur de cette famille, mais bien un potentiel successeur et l'un des hommes de pouvoir de l'administration royale. Il s'était retiré dans les jardins privés de ses appartements, un des palais annexes du puissant palais royal qui servait de résidence au souverain suprême et tout-puissant de Teïder. Prenant l'air tout en écoutant quelques rapports que lui faisait l'un de ses nombreux assistants à propos d'un administrateur de comté véreux, ce genre de personnage pouvait avoir une certaine utilité lorsque leurs tares n'entravait pas leur travail de gestionnaire. Néanmoins, lorsqu'il se mettait à détourner d'importantes sommes d'argents sans combler le manque à gagner pour la couronne par d'autres moyens, cela devenait problématique.

Vlad réfléchissait a signer son mandat d'arrestation et de destitution, en effet, le dit serviteur d'état n'avait pas encore franchis la ligne rouge de la corruption et bien qu'il se permettait quelques écarts, au sein du duché affilié, son territoire administré prospérait de façon plutôt avantageuse. Le Prince se contenta donc d'ordonner de poursuivre la surveillance de ce serviteur, après tout, ces informations étaient un excellent moyen de pression en cas de besoin.

Se levant pour rejoindre son bureau, Vlad fut intercepté par un serviteur personnel du Roi. Ce dernier avait bien entendu la tête baissée, se contentant d'observer les chaussures de son interlocuteur alors qu'il annonçait la convocation royale pour le ministre. Ce dernier se contenta d'acquiescer tout en renvoyant le messager, pensif. Les convocations royales étaient à double tranchant, elles étaient soit positif, soit négatif. Dernièrement, le Premier Administrateur n'avait rien fait qui aurait pu contredire la volonté royale mais celle-ci était fluctuante et il ne fallait guère compter sur la logique à propos des Rois.

Il quitta immédiatement les jardins afin de rejoindre le palais principal, le plus imposant : celui du Roi. Accompagné de quelques suivants, il se présenta aussi vite que possible au devant de la salle du trône, attendant d'être annoncé. Sitôt ceci fait, il put s'avancer au devant du Roi, là où tout ses serviteurs se retrouver à avancer voûter, il marcha fièrement jusqu'à son cousin et devant lui, ploya genou à terre et baissa légèrement la tête en signe de respect :

« Votre Majesté, à votre demande, je me trouve devant vous aujourd'hui. »

Le genou du Prince le démangea, il n'avait clairement pas l'habitude de devoir s'incliner devant quiconque, après tout, en tant que membre de la famille royale, toute la population de Teïder devait effectuer ce qu'il était en train de faire mais envers lui-même. Il s'abstint de relever la tête alors que ses suivants étaient congédiés par le Roi, quoi de plus normal après tout, une audience entre deux des principales personnalités du royaume ne pouvait être écouté par n'importe qui.

Il était plutôt rare que le Roi convoque des membres de la famille royale, sauf bien entendu, lorsqu'il s'agissait de punir, d'exécuter ou comme aujourd'hui, de devoirs politiques. Les gardes ne pouvaient qu'apprécier la scène, pour eux, simples mortels qu'ils étaient, il s'agissait de deux êtres choisis par le Père de la Souffrance dont la bénédiction coulait dans leurs veines. La beauté des royaux présents dans la salle aurait pu illuminer toutes les femmes d'Akkaton mais elle ne pouvait malheureusement que toucher les quelques gardes présents actuellement.

Il se retint de relever la tête alors que le Roi lui demandait des comptes personnellement quand à ses activités récentes. Émettait-il des doutes vis à vis des messagers ou du prince-ministre en personne ? Ce dernier empêcha un gloussement qui se profila à l'intérieur de sa gorge avant de lâcher un sourire que l'on pouvait deviner depuis le point de vue royal, relevant légèrement la tête, sans toutefois lui-même se relever, il répondit au Roi :

« Des rapports ? C'est un honneur de me voir accorder votre temps pour cela, Majesté. »

Il fouilla rapidement dans sa mémoire, que pouvez bien vouloir le Roi en particulier ? Les résultats de ses territoires administrés étaient plutôt bons, il n'avait guère besoin de se creuser la tête pour en trouver mais plutôt pour trouver ceux qui pouvaient le plus satisfaire le Roi. La chasse aux hérétiques ? La natalité ? Le taux d'engagement ? Difficile à dire. Il valait mieux ne pas prendre de risque  :

« Un résultat en particulier vous intéresse-t-il ? J'ai de nombreux points à vous exposer en vertu de l'immensité de mes terres administrées mais je doute que tout les sujets attirent votre intérêt. »

Au moins, cela avait l'avantage de flatter son travail mais ne cacher pas pour autant la vérité. Un Grand Administrateur avait de nombreuses tâches et les rapports qu'ils fournissaient à la couronne étaient extrêmement vaste, il valait mieux quelques précisions avant de poursuivre.

Le Roi avait la dure tâche de devoir ménager les différentes prétentions des membres de la famille royale, même s'il était tous puissant en Teïder, les flatteries ne coûtaient rien au puissant monarque qu'il était et ne pouvait que lui garantir une loyauté supplémentaire de la part de ses sujets. Comme pour remercier le Roi de son intérêt pour son travail, Vlad inclina encore un peu plus la tête.

Les traîtres et les impies n'étaient pas rares à Teïder, ils existaient depuis la nuit des temps et étaient d'ailleurs une raison supplémentaire pour maintenir la tyrannie de l'Inquisition et des renseignements royaux, après tout, sans traîtres et impies à chasser, il n'existerait plus de raison pour ces organisations de subsister. Il ne serait donc pas difficile à trouver des cas d'interventions réalisées par le Prince ou ses agents dans ce cadre de chasse aux sorcières quasi permanente :

« La rébellion est présente, comme partout, mais elle est systématiquement pourchassé et éradiquée par mes agents. Je ne puis me permettre, pour la croissance des territoires que vous m'avez généreusement confié, que la gangrène ne se répande. »

Néanmoins, les serviteurs de l'état n'était pas exempté des purges, certains disaient même qu'il était plus dangereux à Teïder d'être serviteur de l'état que d'être rebelle. Il ne put ainsi que rajouter les quelques destitutions récentes qu'il avait été contraint de faire :

« Et même au sein de vos loyaux serviteurs, il peut arriver que des gouverneurs s'égarent mais je me tâche de les rappeler à l'ordre et de m'assurer que leurs travaux sont accomplis en bonne et dû forme . Dans le cas contraire, soyez assurés que leurs fiefs se voient remis à des personnes de compétence supérieure. »

Le Roi quitta son sublime trône afin de se rapprocher de son sous-fifre ou plutôt, dans cette situation, de son cousin. Il répondit aux paroles de Vlad par une nouvelle référence à la gangrène que ce dernier était évoqué, l'image était parfaite, correspondant parfaitement à ce qu'était la rébellion : une gangrène qui devait être brûlée et détruite sitôt qu'elle se manifestait dans une province, dans un territoire, car si on la laissait se propager, on prenait le risque de jouer avec le grand destin de Teïder.

Voir un jour le Royaume s'effondrer entre les mains de la rébellion, ce serait donner Orzian aux étrangers, aux envahisseurs venus des autres continents et qui ne souhaitaient qu'une chose : exploiter massivement Orzian afin de la laisser mourir pour la gloire de leurs patries. Les Akkatoniens avaient déjà massacrés les natifs et établis leurs lourdes zones industrielles, s'opposant à la magie divine du Père de la Souffrance, car nul magie ne pouvait prospérer là où résider la vermine d'Akkaton et l'inverse était tout aussi vrai.


Invité à boire par son cher cousin, Vlad se permit de se relever afin de se tenir aux côtés de celui-ci. Il aurait été inconsidéré de boire en étant agenouillé, il acquiesça aux paroles de son Roi. Il suffisait d'un mauvais gouverneur pour entraîner une insurrection dans sa province et l'inverse était tout aussi dangereux, un gouverneur trop ambitieux pourrait être tenté de détournement ou de sécession, les choix que faisait Vlad était cruciaux pour le Royaume, dont il gérait les plus riches province. Observant la jeune servante qui arrivait, il la toisa du regard de la tête aux pieds avant de répondre :

« Les hommes ambitieux ont des avantages mais aussi beaucoup de défauts, le choix des Gouverneurs est une tâche ardue mais dont je m'acquitterais avec le plus grand des soins, suivant les recommandations de Sa Majesté. »

Il prit le verre que lui tendait le Roi et ajouta d'une voix calme :

« A la gloire de Teïder, de son Roi et du Père de la Souffrance ! »