[27 juin 2000, Orzian, Petitmont.]

Ah, Petitmont. La vie y est douce et agréable en ce début d’après midi. Calme. A son habitude, la ville transmettait une sensation de plénitude et de repos qui était connue dans les alentours. Par ailleurs, elle était aussi réputée pour son bon niveau de vie local et son marché plein de ressources et plein de vie. C’était aujourd’hui. Jour de marché où chacun y trouve son compte. Le marchand de légumes d’un côté qui vante ses produits frais de qualité, le boucher du coin qui a sorti son étal en gardant les plus grosses pièces au frais, le boulanger qui faisait cuire son pain sur place dans de délicieuses effluves de viennoiseries tout juste sorties du four…

Un petit groupe de jeunes avisait la foule peu conséquente d’un air tranquille. Ils étaient quatre. L’un tenait un ballon sous le bras, tandis qu’un autre discutait avec une jeune rousse au casque d’aviateur. Cette dernière était posée contre le mur, un pied s’y reposant, bras croisés dans le dos. Le petit Lucas observait tranquillement la foule, puis Abigale, silencieux. Puis l’un des trois pointa quelqu’un dans la foule rapidement.

Celle-là, tiens. Elle me paraît convenable.

Mais t’es fou ? C’est une des clientes de ma mère ! Elle habite pas loin en plus...

Abigale avait rétorqué sur le même ton de confidence que le premier qui avait parlé. Le groupe de jeunes gens semblaient visiblement à l’affût de la moindre oreille qui traîne, discrets autant qu’ils le pouvaient. Tour à tour, ils proposèrent des personnes cibles, toutes recevant le refus de la leader du groupe. Puis, Lucas prit la parole pour la première fois, désignant un étranger d’une voix sûre.

Lui. Il est pas d’ici. Ca se voit à son comportement et son matériel, haha. Alors Abi, t’y vas ?

Abigale avisa l’étranger avant d’acquiescer. Elle tira un coup sur ses mitaines en s’enfonçant dans la foule. Un peu plus tôt, les amis de la rousse l’avaient convaincue de leur montrer leur talents de voleuse qu’elle eut acquis à Teïder pour sa survie. Elle fut réticente à cette idée au début, mais sous les supplications de ses camarades… Quand on est jeune, même avec une grande part de maturité, il nous arrive de faire des bêtises, et ce à nmporte quel âge. C’est alors que, avec la plus grande des discrétions et agilité, l’Akkatonnienne s’approcha de sa cible.

Elle avait instinctivement repéré les lieux, en plus de se concentrer sur l’équipement de l’homme afin de planifier quelques secondes à l’avance ses action. Elle privilégia une approche par derrière, se faufilant dans la foule l’air de rien. La population devait à coups sûrs la couvrir et elle pourrait ainsi piquer un objet de petite valeur à l’étranger. Une fois à portée, elle approcha lentement la main d’une des bourses de l’homme, afin de la délacer. Elle suivait le mouvement, tentait de ne pas faire de faux pas. Son coeur s’accéléra.

Elle avait enfin parvenu à ouvrir la bourse avec délicatesse et y glissa les doigts, si proche du but… Et un pavé trop relevé la fit trébucher, et elle se cogna contre sa victime, la bousculant légèrement. Elle avait facilement repris l’équilibre, mais elle avait ouvert de grands yeux en relevant la tête vers l’étranger qui était déjà en train de se retourner… Et elle portait l’objet dans sa main, la surprise du moment ne lui ayant pas fait réagir assez tôt pour le cacher, bien en évidence aux yeux de l’homme.

La jeune voleuse écarquillait les yeux. Elle avisa sa victime, puis l’objet qu’elle avait en main. Le temps lui semblait éternel. Long. Puis elle revient capter le regard de l’homme qui l’avait repérée. En réalité, tout cela n’avait duré qu’une demi seconde, à peine, mais pour la jeune femme c’était une réelle attente.

Soudain, son sang ne fit qu’un tour dans ses veines. Elle fit brusquement demi tour en s’enfonçant dans la foule, gardant précieusement la fiole dans ses mains. Abigale espérait sincèrement que personne ne l’avait vue ainsi en flagrant délit, commençant petit à petit à regretter son action. Mais là n’était pas le temps aux réflexions ; elle avait choisi de fuir et il fallait qu’elle s’en tienne à ça. Après tout, elle avait déjà fuit plusieurs fois… Une fois le demi-tour effectué, elle s’enfonça dans la ruelle qu’elle avait repérée un peu plus tôt. Elle ne remerciera jamais assez son habitude à être prudente et toujours prévoir un chemin de sortie.

Une fois dans la petite rue, elle remarqua avec une certaine déception la présence de pavés particulièrement mal agencés, dont la plupart ressortaient en des rocs grossiers et vulgaires. Pour sûr, elle ne pourrait pas utiliser ses rollers. C’est alors qu’elle n’eut d’autre choix que de courir, fuir afin de ne pas se faire attrapper. Qui sait, peut-être qu’elle allait se faire arrêter, et qu’elle perdrait tout droits de citoyenne, ou pire encore. Il fallait qu’elle cesse d’y penser, c’était une meilleure manière d’éviter que ça se produise.

Elle s’engouffra dans une rue annexe à la rue qu’elle avait emprunté plus tôt. Malheur ! Un cul de sac. Elle avait certainement semé son poursuivant, mais elle n’en était pas sûre. Il fallait qu’elle trouve une solution. Les toits, hors de question. Il vaudrait mieux éviter de se retrouver à sauter sur les toits de sa propre ville, sans compter que la jeune femme était loin d’être méconnue dans le coin. Elle n’avait qu’une solution ; la décharge qui trônait là. Concrètement, elle n’avait pas d’autre choix, et elle s’empressa donc d’ouvrir le couvercle en bois et de se glisser à l’intérieur entre les sacs d’ordures en tissu. Elle avait connu bien pire et l’odeur, bien que désagréable, ne la surprenait pas. Elle referma doucement le large couvercle de la benne en bois afin de faire un minimum de bruit, avant de se laisser entre les sacs, attendant patiemment, presque immobile alors qu’elle s’était placée de manière à ne pas se faire voir...

Elle ne bougea pas. La rebelle était restée dans la décharge au dépit de sa propreté pour éviter de se faire attrapper. Heureusement, son expérience de la rue à Teïder lui a permis de se camoufler de manière presque parfaite parmi les détritus, du moins son poursuivant ne l’avait à peine remarquée en ouvrant la décharge où elle se trouvait. Elle respirait lentement. Elle voulu prendre plus d’air mais se contraint à reprendre son air à petite bouffées, tout en ignorant la putridité qui régnait dans l’air confiné de sa cachette.

La jeune voleuse entendit les pas s’éloigner, et elle patienta davantage. Elle attendit, longuement. Elle espérait que cet homme de la retrouverait jamais, et son coeur battait la chamade. Elle repensa à son acte, à son erreur. Elle avait honte de s’être autant emporté par sa vantardise et son assurance. Elle voulait montrer à ses copains de quoi elle était capable et voilà qu’elle se retrouvait avec un étranger qui est loin d’être lambda et qui avait vu son visage. Elle pensa aussi à l’horrible expression de ses parents quand ils apprendront que leur fille est une voleuse…

La rebelle chassa rapidement ces idées de sa tête et repris contenance. On verra bien où tout ça la mènera, et il était trop tard pour faire marche arrière. Elle porta la fiole qu’elle avait volé à son regard. Mais que pouvait-donc bien être cet homme pour avoir ce type de liquide ? Elle ne pouvait pas en identifier la substance et n’en avait aucune envie d’y goûter. Elle devina simplement que ce n’était pas quelqu chose de facilement accessible au grand public.

Elle accrocha la fiole à sa ceinture dans un pochon bien protégé qui devrait éviter la casse du contenant. Désormais, elle avait les mains libres, et elle avait assez attendu comme ça. C’est alors qu’elle ouvrit la grande porte pivotante du caisson pour doucement en sortir. Elle referma la benne peu après, sans pour autant se précipiter. En effet, elle estimait avoir semé son poursuivant et se contenta d’observer la ruelle adjacente pour s’assurer qu’elle était seule. Tout cela sans compter qu’elle était observée depuis le début...

La jeune rousse s'en alla ensuite, le visage bas et la démarche écrasée. Elle avait honte de ce qu'elle avait fait et ne voulait pas se faire remarquer davantage. Elle rejoint ses amis, victorieuse, mais en ayant appris ; elle s'était rendu compte ce que ça pouvait être que de voler de simple touristes, et elle ne recommencera pas, du moins sans raisons valables.