Mi Mars

Ce n'est pas souvent, pour ne pas dire quasiment jamais que Xin se rendait dans le territoire Teïderien, mais disons qu'un de ses hommes, du moins parmi les rares, voir très rares étant arrivés à s'infiltrer au cours des siècles dans le royaume d'Eïlynster, avait promit qu'il lui amènerait en ce jour quelqu'un d'intéressant à un point de rendez-vous donné qui était une cachette Ikhyldienne au sein de ce pays marécageux. Ce sans contraindre cette personne dans les faits vu qu'elle penserait que ce serait pour une toute autre raison qu'elle serait menée ici. L'espion avait sinon promit à Xin que voir cette personne serait aussi surprenant pour le ministre que pour elle, mais qu'il ne pourrait pas lui communiquer son identité avant cette rencontre, au risque sinon de voir sa couverture s'envole trop tôt.

C'est ainsi que l'arcane, étant venu ici à l'aide d'un cristal de téléportation de l'empire et escorté de seulement quelques gardes, attendait au sein d'une ruine souterrain qui était l'un des nombreux vestiges de l'ancien empire elfique Orzanien qui persistait encore en ces terres dirigées par une nation ô combien obscurantiste et peu amicale… Il était triste d'ailleurs que cet endroit ait été depuis longtemps vidé de toutes ses richesses par les pilleurs pensa t-il. Néanmoins, cela faisait que quasiment personne ne penserait à venir ici ou ne voudrait, l'endroit étant réputé pour être hanté par toutes sortes de créatures malveillantes en plus d'être loin de tout et surtout proche de la frontière avec Eïlynster. Ce qui n'était pas plus mal d'ailleurs, parce que les cachettes aussi fiables étaient malheureusement une denrée trop rare en cette nation à cause des services de renseignements extrêmement compétents des Teïderiens.

Par contre, il craignait que cette cachette soit connue des Eïlynsteriens à la fin de ce jour, mais au pire ce n'était guère important, après tout ce n'est pas eux qu'elle servait à espionner. De plus, il restait à voir qui allait-on lui amener pensa t-il alors que quelques domestiques venus pour l’occasion avaient aménagés une ancienne salle à manger pour y mettre le nécessaire pour boire un peu de thé et se restaurer. Une telle attention qui pourrait paraître inutile certes, mais que Xin trouvait intéressante dans l'optique de faire une certaine impression à la personne qu'on lui amènerait, après tout il était hors de question de s'amuser aux jeux des pays barbares comme Teïder dans la réception de tels invités, même si ni étrangers, ni amis d'Ikhyld probablement...

C’était avec force de prudence et de suspicion que j’avais accepté de rejoindre le point de rendez-vous. Quelques jours plus tôt, l’une de mes sentinelles avait reçu un pli cacheté des mains d’un homme au visage masqué, une lettre qui m’était adressée. D’après le message, je devais rencontrer un chef rebelle Teïderien de l’autre côté de la frontière, prétextant qu’il avait des informations stratégiques à nous confier à propos de notre ennemi séculaire. Le message contenait les instructions pour me rendre au point de rendez-vous, ainsi qu’un mot de passe. Bien entendu, je devais m’y présenter seule et n’en parler à personne, ce qui allait à l’encontre même des principes de fraternité Eïlynsteriens. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais la destinataire de ce message, les affaires d’espionnage et de tractations diplomatiques souterraines n’étant pas dans mes attributions ; et tout ceci avait surtout l’apparence d’un piège grossier, bien trop grossier pour que cela est une chance d’en être un au final.

Prétextant partir en chasse et repérage, j’avais quitté Eïlynster la veille. Le point de rendez-vous, bien que proche de notre frontière, se trouvait assez éloigné au coeur des marécages Teïderiens, et rien ne me garantissait de ne pas tomber sur une patrouille de nos ennemis. Raison pour laquelle je préférais encore me déplacer de nuit jusqu’aux vestiges souterrains de l’empire elfique qui avait autrefois prospéré en ces terres. Un lieu de rendez-vous étonnant, mais intelligent. La réputation maudite qui entourait les lieux se voulait suffisante pour tenir les inopportuns et les curieux à l’écart, peut-être pas les inconscients. Réflexion faite, c’était un excellent endroit pour quiconque cherchait à échapper à la répression Teïderienne, ce qui ne rendait ce rendez-vous que plus crédible.

Arc à la main, une flèche encochée, j’étais prête à réagir à la moindre menace en arpentant les restes délabrés des vestiges. Les marécages avaient repris leurs droits depuis bien longtemps sur ces terres oubliées, la flore envahissant les rares murs encore debout, les lieux grouillant d’insectes qui peu à peu reprenaient vigueur à l’approche du printemps. J’avançai vers ce qu’il restait d’émergent des ruines souterraines, apercevant quelques formes humanoïdes. Et en m’approchant, je décelai que quelque chose clochait. Les tenues des rares hommes postés à l’extérieur n’étaient pas celles coutumières de Teïder, mais bel et bien de ma patrie natale. Soit les rebelles Teïderiens étaient désespérés et se tournaient vers plusieurs ennemis du régime, soit l’invitation très personnelle que j’avais reçue émanait directement d’Ikhyld. Dans les deux cas, je me montrais d’autant plus sur mes gardes.

Mon arc et sa flèche se voulaient pointés vers le sol alors que je m’approchais de l’un des hommes en faction - un garde humain - en signe de non-agression. Ce dernier leva la main, paume ouverte, pour m’inciter à m’arrêter. Je pus lire une certaine surprise sur son visage en découvrant mes traits. Il ne devait certainement pas s’attendre à rencontrer une elfe d’Eïlynster tant nous étions rares à vivre en ce pays. Lui comme son compère ne montrèrent aucune hostilité apparente, aussi je remisai la flèche encochée dans son carquois, avant de lui confier le mot de passe que l’on m’avait donné.

“On vous attend en bas,” m’informa le garde en faction tout en me désignant l’entrée d’un signe de tête. J’opinai du chef en silence avant de m’engager dans la pénombre des ruines. Il ne me fallut guère de temps pour rejoindre ce qui semblait être une salle de réception, rapidement réaménagée par mes interlocuteurs pour me recevoir. Un peu de lumière, une table où se trouvait disposés quelques mets, une odeur de thé parfumant l’atmosphère, quelques domestiques tirés à quatre épingles de raffinement ; et lui. Xin Nahalëm, Arcane de l’invocation et Ministre du Renseignement qui se tenait là.

Je l’avais immédiatement reconnu. Sous le choc et la stupeur, je m’arrêtai instantanément, manquant de peu de laisser mon arc me glisser entre les doigts. Une surprise qui serait parfaitement lisible sur mes traits, malgré la légère pénombre que devait projeter ma capuche sur ceux-ci. J’hésitai tandis que le temps me semblait suspendu, entre cauchemar et réalité. Je ne savais que faire. Je pouvais simplement tourner les talons et m’enfuir, fuir encore et toujours ce passé qui ne m’appartenait plus ; ou l’affronter. Nulle embuscade, nul Teïderien qui tentait de me faire la peau, mais je me sentais pourtant piégée. Lèvres crispées, mâchoires serrées, je finissais malgré tout par avancer vers lui d’une démarche lente et hésitante, dans un silence pesant.

Qui était-ce ? Pensa Xin en voyant arriver la personne dont lui avait parlé l'espion. Une personne qui lui donnait une forte impression de déjà vu en la contemplant, une impression qui ne manqua pas dans les faits de se faire de plus en plus perturbante d'instant en instant… D'ailleurs, il ne semblait pas le seul surprit pensa t-il en se demandant dorénavant et pour de bon avec un intérêt certain qui était cette Eïlynsterienne, convaincu qu'il le savait au fond de lui, mais qu'il manquait juste un détail, un indice, pour qu'il s'en rappelle exactement.

« Salutations à vous ma dame. » Finit-il donc par dire avec une amabilité courtoise et qui n'était point fausse, même si évidemment cette réunion n'était purement pas du style de celles qui pouvaient avoir lieu quand deux amis se rencontraient autour d'une tasse de thé. Néanmoins, il se permit tout de même d'ajouter avec politesse. « Je vous en prie, ne restez pas debout, asseyez vous en face de moi si vous le désirez. » Il lui désigna alors une chaise de belle facture se trouvant face à lui, ce avant d'ajouter avec cordialité. « Quel rustre serais-je après tout de laisser une invitée debout pendant que moi je suis assis ? Désirez-vous sinon une tasse de thé ou un quelconque rafraîchissement ? N'hésitez pas si tel et le cas et ne vous inquiétez pas, rien n'est empoisonné. » Conclut-il alors avec un léger amusement, puis il reprit plus sérieusement, mais toujours aimable.

« Xin Nahalëm, pour vous servir, à qui ais-je l'honneur ? » Cela il le demandait de manière paisible, mais en voyait dans son regard qu'il accordait plus d'intérêt que la normale à cette réponse, ce avant d'ajouter d'un air assumé.

« L'homme qui a organisé ce rendez-vous m'avez promis que vous étiez une personne très intéressante et que vous voir me surprendrait autant que cela vous surprendrait, je me demande bien pourquoi… Je suppose que ce n'est pas votre désir de me faciliter les choses en me l'avouant immédiatement, n'est-ce pas ? » Demanda t-il alors sur le ton de l'humour, ce avant d'ajouter d'un ton presque paternel. « Rassurez-vous, nous ne sommes pas comme ces sauvages de Teïder, et Eïlynster n'est pas notre ennemi aux dernières nouvelles. Vous ressortirez donc d'ici vivante et en bon état… Non, je voulais surtout vous propose un marché disons, un marché qui pourrait vous intéresser, vous et votre pays. » Il posa légèrement ses coudes sur la table, puis reprit avec un air malicieux.

« Je suis le ministre des services de renseignement de mon honorable et honoré empire. Et nos services de renseignements sont loin d'être mauvais sachez le et il se trouve… Que j'ai peut-être à disposition des informations qui pourrez vous intéresser, mais comme vous vous en doutez, rien n'est gratuit quand on parle de géopolitique, j'aimerai donc vous proposer un marché. Des informations, contre des informations, qu'en dîtes vous ? Bien entendu, rien ne vous oblige à répondre à toutes les questions que je vous poserai, ni à me dire la vérité, mais évidemment, ma conciliance sera proportionnelle à la votre. » Qu'allait-elle répondre à cela ? Il partait du principe pour sa part que c'était une occasion trop belle à saisir pour une Eïlynsterienne pour répondre catégoriquement non à ceci. Le fait qu'il proposait d'ailleurs de rendre la pareille en terme d'informations données avait de quoi sans doute ménager sa très probable méfiance. Pas qu'elle se méfierait forcément moins de lui, mais ce serait donc une tractation où les deux partis tiendraient à avoir ce qu'ils désirent, ce qui évidemment changeait la donne. Mais bon, tout cela évidemment dépendait surtout des propos prochains de cette dame elfique, dame qui en chaque instant qui passait, donnait de plus en plus l'impression à Xin qu'il savait qui elle était, mais qu'il était juste à un fil de la deviner… Un fil néanmoins encore insaisissable pour le moment.

Je me stoppais dans mon avancée lorsque Xin prit la parole, surprise une seconde fois. Ainsi donc, malgré que ses services soient à l’origine de notre rencontre, il ignorait qui j’étais ? C’était très inattendu, et cela me faisait d’autant plus me questionner sur les intentions de l’individu masqué, auteur du pli cacheté que j’avais reçu. Nul doute que cet homme-là avait deviné mon identité passée. La véritable question restait de savoir jusqu’à quel point, et si Xin jouait parfaitement franc jeu en prétendant ignorer mon identité. Peut-être était-ce là une manoeuvre pour adoucir ma méfiance ?

Je ne doutais pas que les mets et boissons servis soient sains. Le poison n’était pas un usage Ikhyldien, pour ce que je m’en rappelais. Son homme ne s’était pas trompé en avançant que notre rencontre serait pour le moins surprenante. Le Ministre du Renseignement Ikhyldien chercha même à se montrer plus rassurant encore en m’assurant que je quitterai cet endroit saine et sauve. Et je le croyais volontiers. Les forces armées que j’avais pu croiser ne représentaient guère une menace pour un soldat Eïlynsterien, et à moins qu’une grande partie de son escorte ne soit dissimulée dans ces ruines, rien qui ne pouvait m’inquiéter. Dans mes souvenirs, l’Arcane de l’Invocation faisait preuve d’une grande intelligence. Jamais il n’aurait sous-estimé la valeur martiale d’un soldat Eïlynsterien. À dire vrai, malgré ses apparences, Xin et sa magie restait la seule véritable menace en ces lieux.

Je restais debout et immobile quelques instants encore, le laissant parler et me présenter ses intentions avant de décider ou non de m’asseoir à sa table. Ainsi donc il me proposait un marché typique de ce qui relevait de ses fonctions, informations contre informations. L’offre était intéressante, je ne pouvais le nier, même si bien moins alléchante que celle de rencontrer un rebelle Teïderien, bien plus proche de nos ennemis. Finalement, je m’avançais de quelques pas supplémentaires, posant une main gantée sur le dossier de la chaise proposée.

“Si je devais t’appeler rustre pour m’avoir laissée debout, Arcane ; comment devrai-je te qualifier pour m’avoir enterrée bien trop tôt ?” lui demandai-je alors d’une voix froide, laissant planer la question quelques instants avant d’abaisser ma capuche et dévoiler mon visage. À la suite de quoi, je décidais finalement de répondre à son invitation, prenant place sur la chaise, plantant mes yeux dans les siens.

“Il aura fallu deux siècles à tes services pour me retrouver. J’espère que les informations que tu souhaites marchander n’ont pas le même âge.” Le sarcasme était parfaitement perceptible. Je détournais le regard pour m’adresser à l’un des domestiques.

“Je prendrai un verre d’hydromel, Ikhyldien. C’est bien l’une des seules choses qui me manquent de ce pays.”

Xin écouta surprit, même s'il ne le parut que légèrement les paroles de la dame Eïlynsterienne qui dévoilaient une certaine… Rancune visible à son égard. Ce qui confirmait bien qu'il la connaissait et bien vite il finit par deviner qui s'était quand elle dévoila ensuite totalement son visage. Elle ! Pensa t-il, il n'avait pas eu de ses nouvelles depuis si longtemps, il l'avait cru mort et maintenant elle était ici en tant que soldat du royaume Eïlynsterien… Comment ? Comment elle avait pu passer du rang d'arcane honorée de l'empire à celle de guerrier se battant pour cette nation Orzaniennes ? Il avait bien du mal à imaginer la chose…

Néanmoins, se rendant compte qu'elle l'accusait, instinctivement il soutenait son regard au lieu de plier et se soumettre. Après tout elle était maintenant un soldat au service d'une autre nation que la sienne et elle ne paraissait pas le moins du monde amicale. Il se contenta donc de répondre avec calme, mais d'un calme très sérieux.

« De quoi parles tu ? Je ne t'ai pas abandonnée sans faire mon possible à ce que je sache, j'ai tâché de te chercher de mon mieux pour te retrouver, puis l'on m'a rapporté des preuves de ta mort et alors… J'ai dû me rendre compte de l'évidence, mais visiblement il semblerait que j'ai été trompé d'une manière ou d'une autre. » Il la regarda de manière dure, puis reprit.

« Je t'interdis en tout cas de me parler comme cela, je n'ai pas trahis notre amitié, alors cesse de m'accuser de quelque chose dont je ne suis pas responsable. Si tu dis vrai et que quelqu'un t'as abandonné ou laissé à ton triste sort, ce n'était pas moi et je n'en étais pas informé. Reproche moi de ne pas avoir pu te sauver si tu veux, mais ne vas pas dire que c'était volontaire de ma part. » Visiblement il semblait blessé par les paroles de l'elfe et ne cachait ni cela, ni l'irritation née de la peine que cela lui causait qui le rendait un peu aigre. Il ne manqua pas d'ailleurs d'ajouter de manière neutre en faisant le geste à un serviteur de servir à l'Eïlynsterienne de l'hydromel après que la Nordiste l'ait demandé.

« Je suppose que les Eïlynsteriens doivent être heureux en tout cas de disposer dorénavant d'une ancienne arcane d'Ikhyld dans leur armée, c'est à se demander presque pourquoi je n'ai pas entendu parler plus tôt de toi, parce que je suppose qu'une personne comme toi n'aurait pas eut de mal à gagner assez vite en grade. » Pour sa part il avait plutôt l'impression que c'était elle qui avait tournée le dos à son ancienne nation, mais soit. Elle avait fait son choix il y a longtemps et maintenant le passé était le passé supposa t-il. C'était une Eïlynsterienne et il ne devait pas se laisser marcher sur les pieds par elle, ancienne amie ou non. Il ne fallait pas après tout mettre en danger les intérêts d'Ikhyld par sentimentalisme.

« De toute manière je suppose qu'il est bien trop tard pour rattraper les pots cassés n'est-ce pas ? Soit, je vais donc simplement me réjouir intérieurement du fait que tu soit toujours envie, c'est déjà ça et me contenter de poser cette question. Est-ce que le marché que je te proposes t'intéresses ? Pensons au bien de nos deux nations, les rancunes personnelles n'ont pas à influer sur ceci après tout. » Finit-il donc par conclure calmement en tâchant de soutenir le regard de son amie. Chose difficile, mais pour l'avoir déjà fait par le passé, il se savait capable de tenir honorablement, ce qui n'aurait pas été à la portée de tous il fallait le dire. Après tout la force d'esprit a la présence de son ancienne collègue étaient indéniables.

Je haussai légèrement les sourcils en reportant mon regard vers l’Arcane, étonnée de sa réaction. Sa voix et son ton se voulaient calmes, mais les mots qu’il employait montraient que mes propos l’avaient piqué au vif. Xin se défendait d’accusations que j’aurai émises à son encontre, se défendant d’être responsable de ma disparition. Je n’avais jamais douté qu’il ait dû remuer ciel et terre pour me retrouver à l’époque, et ne le blâmais en rien de cela. Néanmoins, je préférais le laisser me présenter sa défense et ses arguments, m’emparant du verre d’hydromel servi par son domestique. Je contemplais l’intérieur du verre, m’amusant à faire lentement tournoyer le liquide pour en sentir tous les arômes durant quelques instants, avant de finalement en boire une gorgée.

Je savourais celle-ci avec une satisfaction non feinte, esquissant un mince sourire en sentant la chaleur de l’alcool irradier le long de ma gorge, puis reposais le verre devant moi. Je posais mes coudes sur la table et croisais les doigts, venant reposer la pointe de mon menton sur ceux-ci en soutenant le regard de l’Arcane, réfléchissant à ses derniers mots.

“Contrairement à ce que tu penses Xin, je ne t’accuse pas. L’avarice des Duchéens est seule responsable de ma captivité, et crois-moi, les responsables ont fini par en payer le prix.” L’expression de mon visage, particulièrement dure, ne laissait aucun doute quant à la nature du sous-entendu. “L’un d’eux m’a confessé qu’Ikhyld avait refusé de payer la rançon pour ma libération. Mais comme j’accorde une bien plus grande crédibilité à ta parole - quoique tu puisses penser de moi - qu’à celle d’un Duchéen agonisant, j’imagine que ce n’était qu’un mensonge de plus destiné à me tourmenter.”

Je marquais une pause pour boire une nouvelle gorgée d’hydromel, espérant laisser un peu de temps à l’Arcane pour digérer ce que je venais de lui dire, avant de reprendre d’un ton plus posé.

“Comme tu le sais, les habitants d’Eïlynster sont des gens extrêmement méfiants vis-à-vis des étrangers venant vivre sur leurs terres ; et c’est même un exploit que tu sois parvenu à placer l’un de tes hommes parmi eux.” Il y avait dans ma voix un étonnement nuancé d’une pointe de respect pour cet exploit. Je poursuivais, secouant légèrement la tête.

“Certains hommes sont nés et morts de vieillesse sans jamais avoir réussi à m’accepter, persuadée que j’étais une espionne à la solde d’Ikhyld. Il m’a fallu beaucoup de temps et d’efforts pour être acceptée comme une Eïlynsterienne. Si je m’étais présentée comme ancienne Arcane d’Ikhyld, ma loyauté aurait toujours été remise en doute.

J’ai tout fait pour cacher mon passé et ma magie. Je ne suis qu‘un humble Capitaine au sein des forces de reconnaissance d’Eïlynster. Peut-être ton homme a-t-il pensé que de te revoir, je serai tentée de retourner ma veste pour servir les intérêts d’Ikhyld. Peut-être l’espères-tu toi-même ? Alors tu vas être déçu,” conclus-je d’un ton assez fataliste.

Je basculais légèrement en arrière, plaquant mon dos contre le dossier de la chaise pour finir mon verre d’hydromel de quelques gorgées, avant de laisser un long soupir s’enfuir d’entre mes lèvres. Tout mon laïus n’avait pour but - autre que celui d’éclairer Xin sur ma situation - que de me permettre de gagner du temps de réflexion quant à son marché. Et j’avais bien du mal à me décider, à peser le pour et le contre. Je reprenais d’un ton plus désinvolte, mais toujours sérieux.

“Dans mes souvenirs, tu étais plus sage et moins absolu, Nahalëm. Il n’est jamais trop tard pour réparer les pots cassés. Sache simplement que les valeurs d’Ikhyld ne sont plus les miennes. Ces sauvages de Teïderiens ne comprennent malheureusement que le langage de la guerre et de la violence, et mon caractère s’accorde bien mieux aux moeurs d’Eïlynster. Ainsi donc, si tes informations sont susceptibles d’aider ma nation dans ce combat, je suis prête à marchander avec toi. Qu’as-tu donc à me proposer ?”

Xin s'apaisa bien vite, surtout quand il vit la réaction de son ancienne collègue. Bien pensa t-il, autant ne plus trop laisser les émotions parler ainsi, lui qui l'avait connue différente se serait attendu à une autre réactions après tout, mais elle confirma très vite qu'au contraire elle avait beaucoup changée. Soit, même pour un elfe après tout, deux siècles représentaient beaucoup, assez pour changer du tout au tout d'une certaine manière.

Surtout que si elle était Eïlynsterienne maintenant, il ne doutait pas qu'elle avait dû plus ou moins être soumise à leur idéologie et être influencée par cette dernière. On pouvait dire après tout beaucoup de choses différentes sur les guerriers venant des terres protégées par la grande muraille d'acier, mais leurs méthodes pour créer la fidélité des leurs étaient très efficaces.

« Le problème, même si tu me crois, c'est que si un duchéen agonisant t'as dit que l'empire n'avait pas voulu te sauver, c'est soit qu'en effet quelqu'un par chez nous a interféré et n'en a informé personne et surtout pas moi, soit que le dit duchéen avait mentit pour une raison m'étant inconnue, soit c'est dû à une intervention extérieure à l'empire ayant voulu nuire à nos intérêts... » En somme, il devait y penser et marmonna sans vraiment cacher ce qu'il disait. « Cela pourrait être dû à une action des services de renseignements teïderiens. Ce n'est pas vraiment dans les méthodes des Akkatoniens après tout de faire ainsi, ils auraient trop aimés avoir le beau rôle en te sauvant soit disant et en exigeant des faveurs diplomatiques en retour. De plus je doute que les autres pays aient eu un quelconque intérêt à faire cela alors que nous représentons le rival d'Akkaton en Orzian… Il va donc falloir que je m'y penche. » En somme, rien pour le contenter, il fallait certes faire avec, mais il détestait l'idée que les services de renseignements teïderiens soient les meilleurs au monde, surtout si ça leur permettait éventuellement de faire ceci… Il serait inadmissible après tout pour le ministre qu'il était qu'ils se laissent toujours marcher sur les pieds.

« Rien n'est impossible, tu le sais bien, cela et puis en 200 ans, ça aurait été décevant que je n'y arrives pas je suppose… Je suis même arrivé à le faire à Teïder pour tout t'avouer, même si je dois souligner que j'ai dû déplorer quelques pertes que je regrette vraiment pour y arriver. Je ne suis pas du genre à gaspiller la vie de ceux à mon service tu le sais bien, mais malgré tous mes préparatifs cela n'a pas suffit malheureusement. » Puis il reprit pensif concernant les paroles de son ancienne collègue.

« Cela ne m'étonne pas que tu sois arrivée à te faire accepter là-bas en vérité. Surtout qu'en effet ta mentalité n'a jamais été trop éloignée de la leur sur certains aspects. Ma foi, si tu es heureuse par là-bas, tant mieux pour toi. Quant à espérer que tu reviennes dans notre pays, tu sais bien que je n'espère pas quand il s'agit de mon travail. J'envisage les possibilités, me prépare au pire et quand une bonne surprise arrive, je l'accepte. Et si aucune bonne surprise ne se dévoile, au moins je ne suis pas déçu… » Il resta un temps silencieux puis reprit sérieux concernant leur marché.

« Voilà ce que j'ai à te proposer, des informations concernant le royaume de Teïder, disons qu'un de mes espions est arrivé à s'infiltrer assez loin dans leur gouvernement avant de devoir… Disparaître de la circulation, du moins avant que sa couverture ne soit détruite. Cela ou d'autres informations sur d'autres nations si tu le désires, après tout vous devez vous douter que les choses bougent de plus en plus en Orzian. Je crains que la paix entre Akkaton et le reste du continent ne dure pas éternellement par exemple, ça ou bien dans un proche avenir les choses pourraient être amenées à changer drastiquement dans les Duchés du Sud. » Restait à voir ce qu'elle en pensait, c'était volontairement qu'il restait encore assez vague d'ailleurs, mais il estimait après tout qu'elle avait déjà une bonne idée de ce qu'elle voulait savoir.

« Une information pour une information je te rappelles. » Ne manqua t-il pas sinon d'ajouter avec un léger sourire, mais on sentait bien que c'était là un rappel qui n'était pas sans importance, du moins si elle espérait tirer quelque chose d'utile de cet échange...

Le dos toujours plaqué contre le dossier de la chaise, je laissais à mon ancien homologue tout le loisir de me délivrer ses réflexions à haute voix. Mon visage se ferma un peu plus alors qu’il énonçait différentes possibilités concernant ce qu’il avait bien pu advenir de cette hypothétique demande de rançon. Un long soupir quitta mes narines, mais je gardais malgré tout le silence. Mes doigts se serraient autour du verre vide alors que je sentais remonter en moi cette très vieille colère et rancune.

Finalement, je me finissais par me relever, faisant les cent pas d’un bout à l’autre de la table, me servant au passage d’une pomme disposée là en plus des autres mets. Je croquais dans le fruit et le mâchais pensivement sans cesser de déambuler dans la pièce, restant à l’écoute des propos du Ministre, et très particulièrement lorsqu’il fit mention des informations qu’il avait à échanger. S’il disait vrai, il pouvait disposer d’informations stratégiques sur Teïder, voire sur les autres nations du continent. L’Arcane pouvait s’avérer être un allié de poids, même si pour moi, la plus importante des informations était connue de toutes et tous : pour mettre Teïder à genoux, il fallait se débarrasser du roi. C’était aussi simple à dire que compliqué à mettre en oeuvre, mais je n’oubliais pas qu’Akkaton y était parvenu contre Balthazar.

“Si tu devais chercher des responsables pour cette histoire de rançon - pour peu qu’elle soit vraie - m’est d’avis que tu devrais te focaliser sur Ikhyld et les Arcanes de l’époque. Après tout, ma disparition éliminait une sérieuse concurrente à l’accession au titre d’empereur.” Je haussais les épaules, contournant la table pour venir du même côté que Xin. “Néanmoins à mes yeux, ce ne serait qu’une perte de temps. Toute cette histoire est déjà bien trop vieille…”

Nonchalamment, je m’asseyais sur le coin de la table, croisant les jambes et laissant courir mon regard sur les quelques domestiques présents avant de revenir vers le Ministre. “Concernant tes informations, hormis celles sur Teïder, je me moque bien pas mal des autres nations. Devenir une Eïlynsterienne ne m’a pas rendue idiote... ni nulle en géographie. Akkaton, les Duchés… Mon pays ne partage aucune frontière avec eux, et que mes ennemis se fassent la guerre ne me dérange pas.”

Mon ton se durcit légèrement en même temps que mes sourcils se froncèrent. Contrairement au Ministre, je n’avais aucune envie de sourire de la situation.

“Ce qui me dérange par contre, c’est que tu me réclames des informations sans ne m’avoir rien vendu d’autre que l’histoire de ton ex-infiltré Teïderien. Autant dire que si les Teïdeirens l’ont démasqué, il y a une très forte probabilité que les informations qu’il a pu recueillir ne soient plus d’actualité pour tout ou partie. À l’inverse et contrairement aux Eïlynsteriens, tu sais qui je suis et qui j’ai été. Des informations qui n’ont peut-être aucune valeur à tes yeux, mais que je tiens à garder pour moi.” Ma voix grondait d’une colère sourde et froide, difficilement contenue.

“En acceptant de me révéler à toi, je t’accorde ma confiance, en gage de bonne foi. Une information qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour moi si tu décidais de la révéler. Avoir dissimulé ma nature magique sera considéré comme un acte de trahison.” Je me penchais légèrement en avant, rapprochant mon visage de celui de Xin en plantant mon regard courroucé dans le sien. “Autant te dire que je ne plaisante pas avec ça. Surtout… Surtout que tu n’es pas le seul à le savoir.”

Je glissais à nouveau un rapide regard vers les domestiques avant de revenir vers lui. “Tes servants ont non seulement des yeux et des oreilles ; mais ils ont surtout une bouche. Alors donne-moi un gage de bonne foi, Xin.” Je me penchais encore un peu plus, soufflant à voix basse en laissant planer la menace sans pour autant l'énoncer. "Une information pour une information.”

« Je chercherai et je n'omettrai aucune piste, j'envisagerai toutes les possibilités jusqu'à enfin trouver la bonne réponse et c'est seulement là que je m'estimerais satisfait. » Se contenta t-il de dire calmement quand l'ancienne arcane des ténèbres lui conseilla d'enquêter au sujet des anciennes arcanes, soit pensa t-il, il est vrai que c'était une possibilité, surtout qu'en effet elle aurait pu être une rivale de poids pour n'importe qui concernant l'accession au trône impérial. Il aurait même été prêt à parier qu'elle aurait aimé l'idée de pouvoir peut-être devenir impératrice si elle avait eut telle possibilité. Quant au fait que cette histoire était bien trop vieille, il ne commenta pas ce fait, après tout 200 ans ce n'était pas trop vieux à ses yeux, même si d'un point de vue humain ça l'était sans doute, après tout c'était sur le très long terme qu'on construisait un empire, par seulement sur quelques siècles…

« Tu sais bien qu'il serait arrogant de vous croire à l'abri malgré le fait qu'ils ne sont pas vos voisins directs, on ne sait jamais après tout en géopolitique, cela et puis, si vous laissez le continent vivre de son côté sans vraiment essayer d'y réagir, c'est courir au risque un jour que quelque chose de défavorable vous arrive sans que vous ne puissiez rien y faire pour l'en empêcher, il n'y a pas que Teïder après tout qui devrait compter pour Eïlynster… Cela et puis, je n'ignore pas qu'Eïlynster a disons certains intérêts dans les Duchés et que vous n'aimeriez pas par exemple que Teïder s'amuse à les annexer... » De quels « intérêts » parlait-il ? Rien qu'il ne précisa, il se contenta juste d'ajouter ensuite calmement avec un léger sourire alors que son ancienne collègue parlait avec une froide colère en rapprochant son visage de lui et en soulignant que ses domestiques avaient des yeux et des oreilles. Etait-il intimidé au fond de lui ? Peut-être, mais il savait le cacher si c'était le cas, en tout cas il n'allait pas contre le désir de la mage des ténèbres.

« Il est vrai que d'apprendre que tu as cachée à ta nouvelle nation de cœur qui tu étais et qui tu es vraiment est en soit une information intéressante pour moi à apprendre… Je vais donc être bon joueur et t'en concéder une en échange » Ce avant de glisser avec sérieux. « Quant aux domestiques, ne t'inquiète pas, ils savent tenir leur langues, ils ne me serviraient pas sinon. » Sur ce il tapa quelques instants des doigts sur la table, puis reprit de fil en aiguille.

« Je vais donc te concéder une information qui t'intéresseras sans doute à titre personnel, car soyons sincères, tu vas partir du principe que tu vas garder celle que tu m'as confiée pour moi. Certains des tiens et ce n'est pas un secret sont envoyés dans les duchés aussi bien pour s'entraîner que pour faire de la surveillance, mais que penserai tu si je te disais qu'ils ne surveillent pas forcément que les duchéens mais autre chose ? Il semblerait que les tiens gardent secrets ou dissimulés certaines choses à l'étranger, je ne sais pas quoi, mais ils y font très attention pour aussi bien le garder secret… C'est pour cela que je pense que ça risque d'intéresser tes supérieurs que des informations sur les Duchés du Sud. » Il n'avait probablement pas confier ceci innocemment, mais c'était la vérité, sur ce il prit une gorgée de thé, puis ajouta paisiblement.

« Sur ce, par égard pour toi je vais prendre l'initiative et te confier une autre information, à toi de faire de même en retour. Nous avons appris grâce à notre agent que cela fait déjà plusieurs années de cela que les services de renseignement Teïderiens multiplient des opérations diverses, mais nous avons encore du mal à savoir pourquoi exactement, nous savons néanmoins ce ne sont pas les opérations de sécurité de sécurité interne ou de nuisance aux nations étrangères habituelles… Ils semblent se mêler indirectement à quelques opérations de pillages de ruines de l'ancien temp qu'elles soient elfiques ou naines à travers tout le continent par exemple… Je vous conseille de vous y intéresser, car je doute qu'ils le fassent innocemment. » Il attendait de voir sur ce ce qu'elle en pensait, mais surtout ce qu'elle pourrait bien lui offrir en retour.

Je me redressais plutôt lentement suite à la réponse de Xin, ne pouvant m’empêcher de jeter un nouveau regard particulièrement dubitatif en direction des domestiques. Je ne doutais pas de leur loyauté envers leur Ministre, ni même de leur capacité à savoir tenir leurs langues, tout du moins au sein d’Ikhyld. Mais Ikhyld n’était pas le monde. Ce dernier était vaste et éminemment dangereux, et leur présence ici représentait un risque. Risque que j’énonçais à haute voix.

“Je ne doute pas de la loyauté de tes gens,” commençai-je. “Simplement, nous tenons une entrevue en pays Teïderien, et comme tu le dis si bien, l’efficacité de leurs services de renseignement n’est jamais à sous-estimer. Si d’une manière ou d’une autre, ils avaient eu connaissance de notre rencontre et décidé de nous tendre une embuscade…” Je marquai un court silence. “Personne ne peut tenir sa langue indéfiniment entre les mains d’un Teïderien.”

Je n’avais pas manqué par la suite d’écouter attentivement les informations que me transmettait l’Arcane, même si en terme de contenu, il restait très évasif sur ce qu’il savait des opérations en cours dans les Duchés du Sud. Même moi je n’étais pas au fait des détails, n’en connaissant que les grandes lignes, aussi je doutais d’être en mesure de réellement lui apprendre quoi que ce soit de plus. Je n’intervenais pas directement dans les affaires Duchéennes. Je notais cependant ce détail dans un coin de ma tête. Transmettre cela à ma hiérarchie serait toujours utile. Si Eïlynster était déjà au courant, alors c’est que c’était approuvé en haut-lieu, sinon, la lumière serait faite.

L’information qu’il me confia “par égard” titilla cependant bien plus ma curiosité. Les Teïderiens qui s’intéressaient aux ruines des anciennes civilisations ? Voilà qui me donnait un peu plus matière à être satisfaite. Peut-être pourrais-je grâce à cela envoyer quelques unités d’éclaireurs sur les ruines que nous connaissions déjà, avec l’espoir de faire quelques prisonniers Teïderiens pour en apprendre plus. Après tout, si les Teïderiens restaient les maîtres incontestés en terme “d’extraction d’informations”, nous n’étions pas en reste de notre côté quant à ce genre de pratiques. Je devais donc fournir une information à Xin, en contrepartie de cette dernière. Je croquai une nouvelle bouchée dans ma pomme, savourant le fruit en réfléchissant à mes prochains mots, ne reprenant la parole qu’après de longues secondes.

“En tant que Capitaine d’infanterie, plus spécialement affectée aux missions de reconnaissance et d’extraction, il s’avère que je suis fréquemment en contact avec quelques groupes de rebelles Teïderiens, dont un particulièrement actif et organisé. Pour beaucoup d’entre eux, nous leur offrons un sauf-conduit hors des frontières de Teïder en échange de leurs informations. Mes attributions dans ce domaine se limitent à faire sortir ces rebelles de Teïder, puis assurer leur escorte jusqu’aux Duchés. Une fois là-bas, ils sont pris en charge par nos hommes afin d’être entraînés, avant d’être réintroduits auprès d’un groupe rebelle. Et parfois, quand des informations remontent des Duchés à l’attention de la rébellion par notre intermédiaire, nous nous chargeons simplement de les transmettre.

La déstabilisation politique de Teïder que notre alliance très officieuse cherche à mettre en place est en grande partie financée par les Duchés. Je sais qu’un certain nombre de compagnies de mercenaires sont dirigées par des Eïlynsteriens. Raison pour laquelle cela ne me dérangerait pas que Teïder et les Duchés entrent en guerre. Mais si tu veux plus de précisions à ce sujet, il va falloir que tu fasses deux choses pour moi. La première, il va falloir que tu sois plus précis sur cet ‘autre chose’ que surveillent les Eïlynsteriens. La seconde, il va falloir que tu envoies tes domestiques vérifier que le ciel soit toujours bleu dehors. Car ce que je compte révéler concerne la sécurité de bien plus de vies que la seule mienne.” Et comme pour appuyer ma dernière demande, je gardais ensuite le silence dans l’attente de sa réaction.

Xin ne répondit rien quand son ancienne collègue lui souligna que si jamais il arrivait que l'un des domestiques se fasse capturer par les services de renseignements Teïderiens, ce dernier ne pourrait garder le silence éternellement. En effet pensa le ministre, mais qu'avait-il à dire à cela ? Rien qu'il ne pouvait se permettre de dire en présence de la mage des ténèbres dans les faits, il se contenta donc de la regarder avec un certain sérieux, mais ne rajouta rien à ce sujet. Le mal était fait après tout, restait maintenant à faire en sorte qu'il ne s'aggrave pas et tout ce qu'elle pouvait faire c'était de lui faire confiance à ce sujet. Sauf si évidemment elle avait envie d'engager le combat ici pour faire en sorte qu'il n'y ait plus de témoins...

Ce qu'elle n'allait pas faire, il le savait fort bien, que ce soit parce qu'un combat entre-eux deux aurait une issue incertaine, mais aussi par égard pour lui pensa t-il, du moins il espérait. Après tout elle ne devait pas avoir oubliée qu'ils avaient été amis à l'époque, même si cela remontait à il y a bien longtemps de cela malheureusement… Trop pour que le choses redeviennent comme avant pensa t-il, soit, ce même s'il regrettait davantage sa perte pour Ikhyld que celle de l'ancienne arcane du feu et ministre de la guerre aux idéaux bien trop belliqueux et jusqu'au boutiste pour que cela soit acceptable à ses yeux.

« Hum, je vois, vous aussi vous vous amusés à aider les rebelles de teïder, même si d'une manière visiblement plus active et directe que nous. » Se contenta t-il sinon de dire légèrement amusé quand elle lui confia le fait que les Eïlynsteriens aidaient activement des groupes de rebelles opposés au régime tyrannique actuel qui est en place à Teïder. Ce qui ne l'étonnait pas vraiment dans les faits, même s'il n'aurait pas soupçonné qu'ils s'impliquent autant dans la chose. Quoique, les Eïlynsteriens étaient en permanence en guerre contre leur voisin, il n'était guère étonnant que pour leur part ils ne s’embarrassent pas trop de faux semblants diplomatiques ou politiques comme les autres nations traitant avec ces fanatiques…

« Je suis de tout cœur avec vous en tout cas si vous désirez déstabiliser Teïder, même si cela m'étonnerait que vous y arriviez avec facilité ou rapidement, ces fanatiques ne doivent pas êtres à leur premier coup d'essai à ce sujet. » Après tout l'on n'apprenait pas au vieux singe à faire la grimace… Dans tous les cas, il fit un signe discret à ses domestiques qui alors ne perdirent pas de temps pour sortir de la pièce, ce avant d'ajouter.

« Il n'y a pas qu'une, mais plusieurs choses que surveillent les tiens. » Commença t-il alors à dire calmement, ce avant d'ajouter. « Par exemple, j'ai de bonnes raisons de penser qu'ils ce sont amusés à dissimuler la tombe de Cesario, cet ancien haut officier de votre nation devenu fou quelque part dans les Duchés du Sud. Quant à savoir pourquoi là-bas et pas ailleurs, c'est une question à laquelle je n'ai pas la réponse… Cela et aussi certains artefacts maudits de l'ancien empire elfique qui ont été souillés il y a bien longtemps de cela. En somme, rien à quoi je n'ai spécialement envie de m'intéresser pour ma part, je connais après tout les dangers de ce genre de choses… Par contre, je connais le nom de quelques officiers Eïlynsteriens en sachant potentiellement un peu plus à ce sujet, mais je doute que cela t'intéresses, sauf pour éventuellement les protéger je suppose s'ils venaient à disparaître. » En somme il sous entendait bien que c'était parce que ça ne représentait rien de contrariant pour lui qu'elle le sache qu'il n'avait aucun mal à en parler, sur ce il attendit de voir ce qu'elle avait à dire en retour, surtout pour l'avoir ainsi invité à faire partir les domestiques pour êtres seuls à seuls.

À la remarque de l’Arcane concernant la difficulté ou la rapidité à laquelle nous pouvions espérer parvenir à déstabiliser Teïder, je dodelinais légèrement de la tête. Cependant, j’attendais que ses domestiques nous aient laissé seuls avant de lui répondre.

“Il aura fallu moins de vingt ans aux Akkatoniens pour faire ployer Balthazar et permettre à Ikhyld de devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Parvenir à atteindre le roi de Teïder et mettre fin à sa lignée serait un grand pas en avant. Mais je te l’accorde, ce ne sera pas une mince affaire. Encore faudra-t-il ensuite que l’on parvienne à placer notre homme à la tête du royaume Teïderien ; Dimitri Kalten, un Duchéen dont la lignée serait native de Teïder. De ce que j’en sais, il contribue fortement au financement de la rébellion. Inutile de te dire ô combien cette information serait précieuse pour les Teïderiens, voire même pour les Akkatoniens. Et je pense que ces derniers représenteront une sacrée menace quand cela arrivera. Kalten n’est pas un homme d’ambition, plutôt un homme de devoir ; mais vu son âge avancé, il n’est pas dit qu’il voie la couronne de Teïder de son vivant.”

Puis le ministre en vint à me faire des révélations que je n’aurais certainement pas espérées en venant ici. Ainsi, le corps endormi de Cesario aurait été déplacé dans les Duchés du Sud. Une information qui revêtait une importance toute particulière pour moi, mais que je tâchais de dissimuler derrière un visage parfaitement neutre. Inutile de chercher à éveiller de quelconques soupçons sur la raison véritable de ma présence en Eïlynster. Je faisais mine de réfléchir de longs instants, ma main caressant la pointe de mon menton. Finalement, j’acquiesçai d’un simple hochement de tête à l’attention de Xin.

“En effet, les noms de ces officiers ne m’intéressent pas,” mentis-je avec un aplomb outrecuidant. “Pour autant, je ne comprends pas la décision de déplacer des artefacts aussi dangereux dans une région aussi instable du continent. À la place de l'État-Major d’Eïlynster, j’aurais choisi de me tourner vers Ikhyld pour accueillir et dissimuler ces artefacts, ne serait-ce que pour avoir la certitude qu’ils ne finissent pas par tomber entre de mauvaises mains. Je ne peux que reconnaître que la sagesse et la maîtrise magique Ikhyldienne soit la plus à même de gérer ce type de menaces. Mais ce n’est pas là une décision qui m’appartient, et je doute que cela ait été fait sans arrière-pensée.”

Je marquais un profond silence, visiblement pensive. Mes derniers mots n’étaient pas dénués de sens. La malédiction de Cesario restait une arme de conquête, dont le pouvoir ne devait pas être sous-estimé. Je n’osais pas imaginer que l’on avait décidé de le déplacer dans les Duchés du Sud, et donc à l’opposé de nos terres, pour lâcher cette malédiction sur Teïder si jamais ceux-ci se décidaient une fois de plus à envahir leurs voisins méridionaux. C’était à moi seule que revenait la tâche de réveiller Cesario et mener son armée.

“Quoiqu’il en soit, c’est une information importante. Je vais donc t’en confier une dernière, car je n’aurais plus rien à t’apprendre ensuite. Je n’étais pas venue ici pour ça normalement. Si jamais tes services cherchent à s’impliquer davantage dans la lutte contre Teïder et la prise de renseignements au sein de ce royaume, tu devrais te mettre en quête d’une certaine Iffrid Griselune. Une des meneuses les plus actives et déterminées de la rébellion, en qui j’ai toute confiance.”

« Akkaton y est arrivé dans un contexte de guerre massif avec un empire Ikhyldien divisé, une grande partie des citoyens de notre empire ne soutenaient pas le tyran et ont donc rapidement tourné le dos à ce dernier quand les Akkatoniens ont enchaînés victoire sur victoire. Là le contexte est différent, vous voulez déstabiliser le royaume de Teïder avec des moyens subtiles sur le long terme et ce en jouant son propre jeu. Je ne dis pas que cela est impossible, mais tu fais bien de partir du principe que ça prendra du temps. » Ce avant d'ajouter avec amusement.

« Surtout que, rien ne dit que le royaume de Teïder après serait longtemps votre complice, il pourrait certes s'allier à vous ou devenir neutre, mais ça reste une puissante nation qui pourrait devenir rivale de la votre, ce même si son gouvernement change du tout au tout. Néanmoins, l'avantage c'est qu'un royaume plus modéré au niveau de son gouvernement serait toujours plus supportable pour le reste du continent, que ce soit parce qu'il serait moins belliqueux et les guerres qu'il provoquerait moins meurtrières... » Ce qui en soit serait déjà bien en effet, il ne manqua pas en tout cas d'agiter.

« Tu devrais plutôt dire les rébellions, car de ce que je sais les rebelles à Teïder sont loin d'êtres unifiés ou d'avoir les mêmes buts, j'ai même entendu dire que certains d'entre-eux voulaient une démocratie et pas une monarchie tempérée. Je ne pense pas que ces derniers auront ce qu'ils voudront de toute manière, mais il faudra peut-être composer avec eux si jamais Dimitri arrivait au pouvoir, eux et les possibles restes de l'ancien gouvernement Teïderien et surtout de leur clergé nauséabond qui a endoctriné la population. » Ce qui en soit serait tout aussi difficile que de se débarrasser du roi, après tout on ne rayait pas de la carte milles ans de fanatisme d'un simple revers de la main. Enfin dans tous les cas il ne manqua pas d'ajouter en souriant sinon au sujet des artefacts et du fait que la mage des ténèbres ne savaient pas pourquoi les siens les avaient dissimulés au sein des Duchés du Sud.

« Je ne saurais te répondre exactement, mais je peux émettre des suppositions. La première étant qu'ils ont dû se dire que le meilleur endroit pour cacher de tels artefacts est là où personne ne penserait qu'ils seraient ou bien car il est facile de dissimuler quelque chose en une terre aussi agitée que les Duchés. Je les soupçonne de plus dans le cas de Cesario par exemple d'avoir fait ainsi pour avoir le temps de se préparer et faire face à son retour si jamais il venait à se réveiller. Il est toujours mieux après tout qu'une menace majeure apparaisse en dehors des frontières d'un pays la craignant pour ce dernier qu'à l'intérieur… De plus, tu connais les tiens, ils ne font confiance à aucun étranger, alors se fier à nous pour gérer de telles choses… Ils auraient trop peur que nous en profitions ou soyons incapable d'être de bons gardiens. » En tout cas ça ne l'étonnerait pas, après tout Eïlynster était une nation habituée à se débrouiller seule depuis des millénaires, ce qui évidemment contribuait à donner certaines habitudes vivaces à celle-ci.

Et sur ce il se contenta sinon de hocher calmement de la tête aux dernières paroles de son ancienne amie, puis se permit d'ajouter tout de même après une certaine réflexion.

« Attend avant de repartir, si tu n'es pas pressée, cela te dirais de rester un peu ici pour discuter de choses moins graves ? Comme au bon vieux temps ? Cela fait après tout des siècles que nous ne nous sommes pas vu et je doute que nous nous revoyons de sitôt. En hommage à notre ancienne amitié disons. » Après cette demande faîte avec une apparente sincérité, il attendit alors la réponse de son amie, puis ajouta pensif.

« Ne serait-ce que me dire ce qu'il t'es arrivé quand nous t'avons perdue, que je puisse ainsi m'assurer s'il y a encore des coupables qu'ils puissent être châtiés pour cela. » Ce ne serait que justice après tout, même si évidemment il ne disait pas cela d'une manière qui sous entendait qu'il serait cruel, non, il voudrait seulement faire en sorte que justice soit faîte.

“Les différentes mouvances rebelles cherchent toutes à détrôner le régime actuel. Ce simple objectif me suffit pour l’instant. Ce qu’il feront du pouvoir ensuite ne m’importe pas, tant qu’ils cessent de menacer ma patrie et mes soldats,” avais-je simplement répondu au Ministre et sa vision déjà trop politicienne des choses.

Je ne doutais pas qu’anticiper et émettre des hypothèses était chez lui comme une seconde nature, ce qu’il ne tarda pas à prouver derechef quelques instants plus tard concernant les artefacts souillés dissimulés dans les Duchés, mais je mettais ça sur le compte d’une sorte de déformation professionnelle qu’il avait acquise. Il fallait admettre que la vie politique se voulait bien plus complexe à Ikhyld qu’elle ne pouvait l’être à Teïder ou Eïlynster. De ce côté-là, les deux royaumes ne pouvaient se targuer de rivaliser avec les autres nations. Tout était bien plus simple. Nous avions un ennemi séculaire qui nous emmerdait à longueur de temps, et on lui rendait sa politesse dans la gueule en contrepartie. Pas compliqué.

Je hochais néanmoins la tête à sa dernière remarque à propos des moeurs et de la méfiance Eïlynsterienne. Il était vrai que ma nation se voulait méfiante vis-à-vis des ses consoeurs, probablement à raison, mais j’estimais que leur tendance isolationnistes se voulaient souvent bien trop extrêmes. Pour ma part, j’aurais fait confiance aux Ikhyldiens sur ce point, mais seulement parce que je ne le savais que trop bien. Voilà qui devait conclure notre entrevue, ce que je manifestais en me relevant pour commencer à regagner ma place d’origine afin de récupérer mon arc. Mouvement que j’arrêtai à la demande de Xin. J’arquai un sourcil, étonnée et interdite, en entendant cette dernière. Je n’étais pas spécialement pressée en réalité, mais sa question, tout particulièrement à propos de ce qu’il m’était arrivé, et sa volonté de châtier d’éventuels responsables survivants me refroidirent assez rapidement. Ce n’était pas là des souvenirs qu’il m’était agréable de me remémorer, et encore moins de raconter. Néanmoins, par égard pour lui, je consentis à me rasseoir, ne regardant non pas l’Arcane, mais plutôt le sol à mes pieds. Les bras posés sur mes cuisses, les mains croisées entre mes genoux, je quittais péniblement le masque du Capitaine Eïlynsterien pour révéler celui plus grave et tourmenté de l’elfe profondément meurtrie.

“J’ai simplement échoué…” avais-je fini par glisser dans un soupir après de longues secondes de silence. “Échoué à employer la magie des ténèbres à des fins purement bienveillantes, échoué à protéger les vies sous ma responsabilité. Échoué à servir Ikhyld. Et tu aurais voulu que je revienne ?” demandai-je d’un ton aigre avant de lentement secouer la tête. Je déglutis.

“Nous avons été abordés par une flottille pirate dans les mers au Sud de la péninsule de Vinche lors d’une mission de reconnaissance. Nous avons été capturés et vendus comme esclaves. Et quand mon acquéreur a appris qui j’étais, il m’a fait torturer pour m’arracher les informations que je détenais et les revendre. Et après des semaines à subir le feu, la lumière, le sang et l’acier, j’ai fini par tout balancer. Ikhyld ne viendrait pas. Personne ne viendrait… Je voulais juste connaître la paix.” J’eus un petit ricanement amer alors que le cuir de mes gants craquait sous la constriction de mes doigts.

“Mais il n’y a pas eu de paix. Seulement plus de cruauté, de souffrance ; des mois, des années. Et quand je retrouvais ma liberté, il n’y avait plus rien. Ni raison, ni pensée, juste de la vengeance, de la folie, de la haine. J’ai pleinement embrassé mes ténèbres, usé de ma magie pour faire souffrir, pour rendre fou et pour tuer bien des hommes. Des marchands d’esclaves, des bourreaux, des mercenaires, tout ceux que j’estimais responsables, pour une raison ou une autre. Je m’en moquais. Je me repaissais de leur souffrance et de leur énergie vitale, mais aucun châtiment infligé ne m’apportait de réelle satisfaction. Alors j’ai fini par prendre un nouveau départ. Eïlynster me semblait le meilleur des choix. Donc pour répondre à ta proposition, tous ceux pratiquant l’esclavage, d’une manière ou d’une autre, seraient à châtier.” Il y avait de la détermination dans ma voix, froide et animée de cette profonde colère que suscitait à chaque fois ces souvenirs.

Lentement, je tournais la tête en direction du Ministre, mon regard vermillon en reflet de la profonde souffrance qui n’avait jamais cessée de m’habiter depuis. “Désolée Xin, mais l’Arcane que tu as connue s’est éteinte depuis longtemps,” conclus-je abruptement. Je prenais ensuite une longue inspiration, cherchant à calmer ma nervosité. Et au terme d’un soupir, je tâchais de changer de sujet. “J’ai pour projet de venir à Ikhyld au cours des prochains mois. Il paraît que la cité de Jade est une merveille, et j’aurai besoin de me rendre dans le plan astral des ténèbres. On pourrait donc se revoir plus tôt que tu ne le penses, du moins si tu le souhaites.” Je marquais une légère pause avant de m’intéresser à lui à mon tour. “Et toi alors ? Hormis que tu sois toujours Arcane, des évolutions dans ta vie ?”

Xin se contenta de sourire de manière légèrement chagrine sans rien ajouter quant au fait que Naruhen se fichait bien de qui arriverait au royaume de Teïder tant qu'ils arrêteraient de s'en prendre à sa nation… Car malheureusement pour elle, ce ne serait sans doute pas aussi simple, après tout quand ceux qui auraient été mis au pouvoir auraient laissés leur place à des héritiers, ceux-ci considéreront sans doute davantage ce genre de possibilités. S'ils voulaient vraiment la paix à long terme, il faudrait qu'ils fassent de Teïder un vassal docile ou l'annexent, ou bien sinon qu'il fragmentent cette nation pour l'affaiblir, car sinon le conflit finirait par revenir tôt ou tard, même si seulement dans quelques décennies...

Mais bon, même là ça restait assez imprévisible, après tout la politique était un art bien compliqué en soit. Il serait en tout cas curieux de voir ce que donnerait à l'avenir cette rivalité entre teïder et Eïlynster, ce même si dans les faits il doutait qu'Ikhyld soit éternellement neutre envers ces deux nations. Non pas qu'il pensait qu'il y aurait une guerre entre son pays et ces deux nations, mais disons qu'il faudrait bien que quelque chose se fasse dans un sens ou dans l'autre quand le rival Akkatonien déciderait de montrer les dents… Même si sincèrement, il doutait que qui que ce soit regrette le royaume de Teïder si celui-ci venait à se faire annexer… Quoique dans un tel cas, il doutait que les Eïlynsteriens apprécient l'idée d'être les voisins directs de l'empire de vapeur…

Enfin, de toute manière ils quittèrent peu après l'aspect politique de leur discussion, surtout au moment où l'entrevue aurait dû s'achever, mais où son ancienne amie décidé néanmoins de rester quand il lui demanda. Il vit alors à sa manière d'être qu'elle devait avoir bien souffert au cours des deux dernières siècles, ce avant même que ses paroles ne le confirme.

Avait-elle échoué ? D'une certaine manière oui, mais tout le monde ne réussit pas tous le temps… Si seulement elle n'avait pas été capturée pensa t-il… Tout aurait pu être différent, mais finalement le destin avait fait en sorte que les choses ne se passent pas ainsi malheureusement.

« Tant que l'on vit, il n'y a aucune faute qui est vraiment irrattrapable ou du moins que l'on ne peut racheter. » Se contenta t-il donc de répondre avec calme quand elle lui fit part qu'il aurait été vain de sa part de souhaiter qu'elle revienne alors qu'elle avait fauté. En effet elle avait fauté pensa t-il, mais comme il le disait on peut toujours se racheter. Même si à ses yeux le fait qu'elle ait échoué en faisant de son mieux au cours de la conquête des îles à l'Est du continent, n'était pas vraiment en soit une faute… Il n'était après tout de ceux qui réclament la perfection de la part de ses confrères et subordonnés, l'on apprend des fois plus de ses échecs après tout que de ses réussites…

« Je vois. » Se contenta t-il sinon de dire avec gravité, mais un air compréhensif et empathique quand elle lui avoua plus en détail ce qui s'était passé, ainsi que la souffrance et la haine qu'elle avait ressentie. Il comprenait mieux comment elle avait pu autant changer, pas grand monde après tout ne pouvait revenir indemne de telles épreuves, voir personne en vérité. En tant que ministre des services de renseignements de son pays il le savait fort bien et c'est pour cela qu'il faisait en sorte si possible qu'aucun de ses agents n'ait à connaître l'humidité des geôles Teïderiennes car ce n'était là que la promesse d'un sort bien funeste…

Dans tous les cas, aux dernières paroles de son ancienne collègue, il ne manqua pas de répondre aimablement et avec un fin sourire. « Ma foi, même si tu n'es plus des nôtres, ce serait avec joie que je t'aiderais à revenir ne serait-ce que pour un temps. Si tu as besoin d'un guide notamment pour visiter la cité de Jade, je tâcherai d'être disponible, ce n'est pas tous les jours après tout que l'on goûte à nouveau à la compagnie d'une vieille amie. Quant à ce que tu veux aller faire dans le plan astral des ténèbres, je ne comprends pourquoi tu aurais spécifiquement de venir chez nous pour cela. » Conclut-il amusé, ce avant de reprendre un peu plus sombre pour sa part.

« Tu sais, tu ne l'as jamais connu, mais j'avais un neveu nommé Valandir qui a dans les 200 ans… Il a disparu depuis quelques temps sans nous donner de nouvelles et j'avouerai être assez inquiet pour lui. Je ne pense pas que tu pourrais savoir où il se trouve à cause de ta situation actuelle, mais si jamais entend parler de lui, n'hésite pas à m'en faire part. » Ceci dit il reprit d'un air moins chagrin.

« En dehors de cela, disons que tout va bien, du moins à peu après. Cela doit t'étonner, mais je suis toujours célibataire. » Il finit par esquisser un sourire amusé après avoir dit cela, puis poursuivit avec un air taquin. « Et je suppose que c'est ton cas à toi aussi n'est-ce pas ? Non pas car à mes yeux tu n'attirerais personne, mais disons que je doute que grand monde soit à ton goût… Tu ne m'as après tout toujours donné l'impression d'être difficile à ce sujet. » Précisa t-il avec une certaine sincérité, après tout à ses yeux elle devait toujours avoir un certaine caractère et être pas mal exigeante… Si elle devait se trouver un mari un jour, ce serait sans doute un sacré phénomène, mais bon. Dans les faits il doutait que cela arrive, après tout elle devait avoir dépasser les 600 ans aujourd'hui et avait aussi d'autres préoccupations.

J’adressais un mince sourire qui se voulait amical et empli d’une certaine gratitude lorsque Xin se proposa de me servir de guide pour ma future visite d’Ikhyld ; sourire que j’appuyais d’un hochement de tête. À vrai dire, je craignais que l’Arcane se montre plus réservé quant à cela. Après tout, qui étais-je encore aux yeux de cette nation pour me permettre de m’y pointer comme si je n’y étais qu’une simple étrangère ? Même si à sa remarque sur mon désir d’emprunter le portail d’Hybra pour accéder au plan élémentaire des ténèbres, je me sentais obligée de lui répondre.

“Vue ma situation, je ne peux pas me permettre d’invoquer un portail transplanaire à Eïlynster et depuis ma capture, je n’ai pas eu l’occasion de retourner dans le plan astral des ténèbres. Je connais suffisamment les dangers de ce plan pour ne pas me risquer à invoquer un portail dont la destination se fera au petit bonheur la chance. Ensuite, je sais que tu n’es pas un Arcane élémentaire, mais en amont de l’invasion d’Orzian par Ikhyld, nous avions pour tâche de pacifier et préparer les portails d’accès de nos plans astraux respectifs depuis Orzian. Et le barycentre le moins coûteux en énergie pour accéder aux six plans depuis un unique point du continent Orzanien se trouvait justement être l’endroit où se dresse aujourd’hui la Grande Tour d’Hybra. Donc, en passant par le portail d’Hybra, je suis certaine d’arriver en terrain connu. Et ce sera aussi l’occasion de profiter de la grande bibliothèque,” avais-je expliqué avec un certain sérieux, mais d’un ton plus léger que jusqu’à lors.

Un ton que je perdais lorsque le Ministre me fit part de la disparition de son neveu. Ce nom ne me disait rien, particulièrement parmi les rares elfes qui vivaient en Eïlynster, et je doutais disposer d’autant de moyens que Xin pour retrouver la piste de quelqu’un. Néanmoins, je tâchais de me montrer compréhensive à son égard. “Je le ferai, ne t’en fais pas,” lui répondis-je tout simplement. Puis le sujet de notre discussion devint bien plus léger. Et effectivement, j’étais étonnée d’apprendre qu’il soit toujours célibataire. Un elfe de son rang et de sa stature ne devait pourtant pas manquer de prétendantes. Une remarque silencieuse qui m’arracha néanmoins un mince sourire amusé, chassant rapidement les restes encore lourds de nos précédents échanges.

Je finissais par lui répondre sur le même ton. “Tu peux me le dire si tu t'es marié, je ne serai pas jalouse, promis," plaisantais-je avant de poursuivre. "Disons qu’entre mes origines tribales très modestes, mon physique albinos et mon caractère, la noblesse Ikhyldienne n’a jamais été très prompte à me faire des avances. Mais d’un autre côté, j’ai toujours trouvé que les Ikhyldiens manquaient un peu de… fougue ? Et puis sincèrement, la magie reste mon seul amour, bien que je l’ai plutôt éconduit dernièrement. Après, ça ne m’a pas empêché d’avoir quelques relations - rien de sérieux loin de là - basées sur l’amusement ou la curiosité.” Je grimaçais légèrement. “Même si la curiosité à cette fâcheuse tendance à être réciproque, et qu’il devient vite pesant de supporter les regards qui se portent sur les brûlures et les cicatrices, et encore plus pesant d’y répondre.” Je marquais un court silence, avant de changer à nouveau de sujet. “Et sinon ? Qui est l’Arcane des Ténèbres maintenant ? D'ailleurs, mon successeur se montre-il à la hauteur ou est-ce que je vous manque de temps en temps ?” demandai-je finalement sur le ton de la plaisanterie plus familière.

« Ceci explique cela, ma foi, il semblerait que devenir Eïlynsterienne ne t'as pas rendu audacieuse au point de vouloir te lancer précairement dans une exploration improvisée du plan élémentaire des ténèbres. » Répondit-il avec humour, ce avant d'ajouter amicalement. « Ce sera avec joie que je te montrerais la grande bibliothèque si tu le désires, après tout ce n'est pas comme si tu méritais moins que les habituels visiteurs de la tour de visiter cette dernière. Bon courage par contre pour vraiment lire un nombre satisfaisant d'ouvrages là-bas... » On parlait après tout de l'une des plus grandes bibliothèques magiques au monde, même Xin pour sa part était loin d'avoir lu tous les ouvrages de celle-ci, ce en sachant fort bien qu'il y avait mit du cœur à l'ouvrage pourtant. C'en était presque triste d'une certaine manière, de se dire que même une vie d'elfe ne pouvait suffire à explorer toutes les connaissances accumulées par les civilisations qui existaient aujourd'hui… Cela le poussait même à ressentir une certaine pitié attendrie pour les races à la vie moin longue que la sienne.

Quant à son neveu, il doutait qu'elle puisse vraiment l'aider, mais il était tout à fait possible que ce soit le cas, même si peu probable, alors autant ne pas gâcher cette option. Mais bon, de toute manière ce n'est pas comme si Valandir avait été le genre d'elfe qui aurait rêvé d'une vie militaire à Eïlynster heureusement… Il était trop sensible et trop peu martial pour cela, tandis qu'une guerrière comme Naruhen… Au contraire c'était parfait pour elle, elle devait même s'y sentir comme un poisson dans l'eau. Au détail près qu'elle avait dû cacher sa vraie nature à ses actuels frères d'armes. En tout cas, si elle était heureuse de son choix et tant qu'Eïlynster et Ikhyld ne seraient pas ennemis, il n'avait rien à y redire et encore moins à s'inquiéter de l'avenir à ce sujet. Du moins l'espérait-il, après tout ça ne lui coûterait rien de tout même se montrer prudent à ce sujet...

« Oh, mais je suis marié très chère, à mon travail et c'est là un mariage à la fois exigeant et passionnant. » Glissa t-il sinon avec humour quand leur conversation devint plus légère, ce avant d'ajouter pensif quand elle voulut changer de sujet par la suite, ce qui fit qu'il n'insista pas sur ce dit sujet. « L'arcane des ténèbres actuelle est la pupille du successeur dont tu avais arrangé le fait qu'il arrive au pouvoir. Celui-ci a disons décidé de s'écarter du pouvoir et a donc nommée cette vampiresse encore jeune à sa place, une vampiresse qui m'a disons dans ses petits papiers, comme beaucoup d'autres arcanes... » Il sourit ironiquement et glissa. « Je pense que j'aurais beaucoup de personnes dans le conseil favorable au fait que je devienne empereur si l'actuel périssait, mais ce n'est là point mon désir… En tout cas sache que pour ma part tu me manques, mais que le conseil des arcanes n'est plus du tout le même que celui que tu as quitté. » Il haussa les épaules comme si ce n'était pas important, puis ajouta avec amusement.

« Q'est-ce qui te plaît d'ailleurs à Eïlynster ? La discipline militaire ? Le fort esprit de groupe et de camaraderie ? Le fait que tu puisses activement te battre contre un ennemi comme Teïder ? N'as tu pas envie un jour de leur avouer la vérité sinon ? Qui sait… S'il l'acceptent, tes dons magiques pourraient être un atout pour eux. » Mais bien entendu ce n'était là que son avis, surtout que c'était évidemment plus facile à dire qu'à faire, même si une fois fait ce serait sans doute à la fois profitable pour Eïlynster et source de soulagement pour Naruhen, du moins si tout se passait bien...

“Je te remercies,” répondis-je simplement à son acceptation de m’accueillir en Ikhyld pour poursuivre mes projets au sein de la tour d’Hybra. Puis j’écoutais avec un peu plus d’attention et de curiosité ce qu’il avait à m’apprendre sur l’actuel Conseil des Arcanes, ne pouvant me retenir d’esquisser un sourire lorsqu’il fit mention de mon ancien protégé ayant à son tour cédé sa place à une génération plus jeune. D’ailleurs, la remarque de Xin ne m’étonna guère lorsqu’il évoqua le fait d’être dans les petits papiers de bon nombre des arcanes en place. Si je comprenais bien, il était désormais le plus ancien en poste au sein du Conseil. Néanmoins, je ne pouvais retenir une petite remarque amusée quant à sa volonté de ne pas briguer le titre d’Empereur malgré la route toute tracée qui semblait s’ouvrir à lui.

“Fais attention Xin, si le titre d’Empereur ne t’intéresse pas, je pourrais être tentée de venir botter vos huit petits culs d’Ikhyldiens pour me revendiquer Impératrice,” plaisantai-je grossièrement avant de poursuivre. “En vérité, je ne suis même pas étonnée que tu sois marié à ton travail. J’ai encore souvenir de la quantité de boulot demandée par la fonction, et ce n’est certainement pas l’implantation de l’empire en Orzian qui a dû t’alléger la charge.” Il était vrai qu’entre le ministère dont nous avions la charge, les diverses réunions gouvernementales et l’étude et l’approfondissement de nos magies, le temps libre était un luxe pour un Arcane. Finalement, avec le recul, je ne me plaignais pas de ma nouvelle vie, même s’il m’arrivait parfois - très rarement - de regretter l’ancienne.

Je marquais un long silence avant de répondre aux dernières questions de l’Ikhyldien à propos de ma nation d’adoption. Ce qui me plaisait à Eïlynster ? Bien des choses en réalité, qui une fois ajoutées ne faisaient que renforcer la forte affection que j’avais pour ce royaume.

“Il y a un peu de tout ce que tu as cité en effet. Néanmoins, la première réponse qui me vient véritablement à l’esprit, c’est que c’est bien le premier endroit où j’ai l’impression d’appartenir à une véritable famille, peu importe mes origines et mes croyances,” confiai-je posément. Après tout, mes collègues Arcanes - dont Xin - de l’époque avaient su que j’avais toujours été en très grand froid avec les membres de ma famille et de mon clan originel - qui étaient certainement tous morts de vieillesse à ce jour - et que cela avait toujours été un sujet assez sensible me concernant. Je lâchais finalement un bref soupir.

“Il ne passe pas un jour sans que je n’ai envie de me libérer de ce mensonge. Dissimuler ma magie et la contenir, ne pas pouvoir en faire usage, me fatigue autant que cela m’exaspère. C’est quelque chose qui me manque, et les occasions de l’utiliser sont bien trop rares. Néanmoins, même s’ils l’acceptaient, même si je pouvais enfin lui laisser libre cours, Teïder finirait par l’apprendre. Pour l’instant, tant que tout le monde l’ignore, je conserve l’effet de surprise dans mon camp ; un avantage stratégique non négligeable si un conflit d’envergure devait se déclarer. Tant que je peux faire sans, je m’en contente, même si cela se fait au détriment de quelques sacrifices et défaites.” Il était évident que cet aveu n’était pas sans souffrance en ce qui me concernait, ni même une certaine crainte de voir mon petit s’effondrer et ma famille s’effriter, une fois de plus. Raison pour laquelle je déviais légèrement le sujet.

“En parlant de magie, tu seras ravi d’apprendre - ou pas en fait - que j’ai commencé à pratiquer l’invocation, même si pour des raisons évidentes, je ne peux y travailler avec beaucoup d’application. C’est assez utilitaire comme magie. Pas franchement familier ni aisé pour moi, mais utilitaire.”

« Viens essayer quand tu veux, je pense que tu risques d'être étonnée de la valeur de nos nouvelles arcanes, moi-même je soupçonne de ne pas toutes les égaler. » Répondit-il d'un air de défi amical à la plaisanterie de son amie, ce avant d'ajouter avec plus de sérieux concernant son travail. « Il faut bien que quelqu'un le fasse et d'une certaine manière c'est très satisfaisant de savoir que par ses actes l'on influence la destinée future de ce monde, mais aussi de sa propre nation. Certes, c'est là une lourde responsabilité, mais ce n'est pas en ayant aucune responsabilité que l'on peut vraiment avoir le pouvoir d'influer sur quoi que ce soit, ainsi est fait ce monde. »

Oui, ainsi était fait ce monde, la volonté était nécessaire pour accomplir de grandes choses, mais aussi la faculté de supporter la lourde charge de travail que cela amenait. Pour sa part Xin en était bien conscient et il tenait évidemment à avoir le plus d'influence possible sur le destin de ce vaste monde s'il le pouvait, non pas en devenant empereur, mais en se faisant d'une certaine manière le gardien du futur d'Ikhyld, mais aussi de l'équilibre des forces concernant le pouvoir impérial. Il ne désirait point après tout le retour d'un tyran comme Balthazar ou l'arrivé d'un empereur qui ne serait pas un minimum tenu en laisse par le conseil des arcanes. Certes, ce même conseil pouvait être perçu comme une conséquence de la défaite contre les Akkatoniens lors de la guerre qui a eut lieu contre eux il y a plus de cinq siècles de cela, mais pour sa part il voyait surtout l'aspect pratique de la chose et aussi la formidable sécurité que cela représentait pour la belle nation Ikhyldienne par rapport aux méfaits d'un nouveau tyran.

« Je vois, d'une certaine manière Eïlynster a comblé une sorte de manque chez toi. » Dit-il sinon compréhensif quand elle lui expliqua les nombreuses raisons pour laquelle elle avait rejoint cette nation si guerrière, ce notamment car maintenant elle avait l'impression d'appartenir à une vraie famille. Il est dommage dans les faits qu'elle n'ait pas pu connaître cela à Ikhyld pensa Xin avec un soupçon de tristesse, mais bon le passé est le passé… Ce qui comptait maintenant c'était le présent et surtout le futur qu'il fallait planifier et préparer au mieux….

Quant au sujet du pourquoi elle cachait le fait qu'elle maîtrisait aussi bien la magie des ténèbres aux siens. Soit pensa Xin, cela pouvait se comprendre, même s'il supposait que pour le coup c'était aussi des raisons assez audacieuses qui pouvaient pousser son ami à faire ainsi. Audacieuses, mais non dénuées de fondement car il est vrai que les services de renseignements Teïderiens étaient les meilleurs au monde. Il était donc tout à fait légitime de penser que si l'on ne prenait pas le plus de précautions possibles pour cacher une information sensible, ils finiraient par la connaître tôt ou tard… Lui-même en tant que ministre des services de renseignements Ikhyldiens ne le savait que trop bien. Sur ce, il reprit avec amusement concernant le fait qu'elle commençait à apprendre l'invocation.

« Alors comme cela tu t'es enfin mis à pratiquer la meilleure magie qui soit ? J'espère bien que tu comptes t'améliorer encore dans ce domaine... » Son sourire se fit malicieux et il ajouta en faisant apparaître une petite boule de lumière. « Pour ma part c'est la pratique de la magie lumineuse qui m'a intéressée dernièrement, va savoir pourquoi… Aucune autre magie ne me tentait autant, cela et puis je suppose que ça me serait utile si un jour nous devions nous affronter sur un champ de bataille. » Il plaisantait bien entendu comme le démontrait son ton, puis il conclut avec plus de sérieux.

« Hum, d'ailleurs quand j'y pense… Si tu devais revenir dans l'empire temporairement et je suppose bien entendu que tu voudrais le faire de manière à ne pas être remarquée, il faudrait que l'on s'arrange dans un tel cas… Que ce soit pour que personne ne te reconnaisses, mais surtout pour que ta présence à mes côtés soit justifiée… Aurais tu une idée en tête ? » Il en avait une bien entendu pour sa part, mais tenait à voir ce qu'elle pourrait bien lui proposer avant, après tout on ne savait jamais, certaines habitudes de politiciens pouvaient avoir la vie dure… Ce même quand on aimait aussi peu la politique que son ancienne amie.

Je ne pus retenir un petit rire à la remarque de Xin à propos des nouveaux arcanes, à la fois amusée et un brin curieuse. “Je pense que tu te sous-estimes très cher, quand bien même je serai ravie de pouvoir jauger de la valeur de tes nouveaux collègues. Cela me changerait du quotidien plus martial d’Eïlynster pour une fois.” Je laissais flotter un bref silence, pensive tout en écoutant ce qu’avait à me dire ensuite le Ministre du renseignement sur le poids et la valeur de ses responsabilités. Propos auxquels j’acquiesçais d’un lent hochement de tête.

“Je suis du même avis que toi, à la différence qu’à mon sens, Ikhyld n’aurait jamais dû venir en Orzian simplement pour tenir tête à Akkaton. Cela n’a fait que déstabiliser un peu plus la situation d’un continent déjà très complexe. Avec le recul, j’aurais dû voter contre l’invasion. En attendant, je vais faire tout mon possible pour devenir l’un des Grands Maîtres des Armées d’Eïlynster. J’ai beau dissimuler ma magie, ce n’est pas encore le cas de mes ambitions,” confiai-je d’une voix plus sérieuse, avant de me servir à mon tour une tasse de thé qui commençait à refroidir.

Et à nouveau, je me trouvais amusée de la petite pique lancée par Xin à mon égard, sur ma pratique nouvelle de l’invocation, et la sienne de la lumière. Néanmoins, je n’avais pu m’empêcher de poser un regard particulièrement méfiant sur la petite boule de lumière qu’il venait de faire jaillir. Un regard qui, au terme d’une pointe de concentration de ma part, fit changer la teinte chaude et crue - que je trouvais particulièrement agressive - de la sphère luminescente pour une lumière argentée, plus douce et apaisante.

“Voilà qui est quand même mieux… Et non, je ne pense pas développer ma maîtrise de l’invocation sur le long terme. Je m’en sers surtout pour son côté utilitaire, en invoquant de la nourriture lors de mes voyages, ou encore pour dissimuler mes vieilles affaires d’arcane. Quant à m’affronter sur un champ de bataille, nul besoin d’attendre une guerre entre nos deux nations si tu as envie de te mesurer à moi. Je serai ravie de te rafraîchir la mémoire sur mes facultés à te botter le cul, jeune impertinent. Il te faudra autre chose qu’une bouboule pour espérer m’inquiéter,” rétorquai-je avec un ton de plaisanterie encore plus prononcé, nuancé d’un certain défi, sirotant ensuite quelques gorgées de thé qui avait commencé à refroidir. Et comme l’avait été l’hydromel quelques instants plus tôt, je devais bien admettre que ce thé se voulait particulièrement exquis. De quoi me laisser le temps de reprendre un peu de sérieux quand il aborda les conditions de ma visite future en Ikhyld.

“Pour être tout à fait honnête, je ne compte pas mentir. Tout ce que je suis à Eïlynster n’est déjà que mensonge. Ma nature, mes origines, et même mon nom. Je n’ai pas envie d’emporter cela avec moi durant mon voyage. Je doute que beaucoup me reconnaissent à Ikhyld, et pour ceux le pouvant, ils ne seront pas dupes. Je ne serai au pire qu’une vieille arcane revenue au pays pour voir un vieil ami - chose que je ne compte pas crier sur les toits de toute manière - et je tâcherai d’éluder les questions sur ma vie présente. En revanche, je ne serai pas contre un petit coup de pouce pour obtenir une tenue plus appropriée que mes fripes de guerrière Eïlynsterienne. À moins que tu ais une autre idée derrière la tête ?”

« Moi qui croyais que tu te lassais doucement, mais sûrement à l'époque de l'attitude de la cour impériale, il semblerait que malgré tout tu appréciais ceci d'une manière ou autre pour ainsi ressentir un brin de nostalgie à ce sujet. » Dit-il avec amusement à ce sujet, pour sa part il était disons dans son élément au sein de la noblesse Ikhyldienne. Ce n'est pas qu'il était un intriguant, du moins pas plus que nécessaire, mais il aimait le raffinement Ikhyldiens et appréciait les valeurs prônées par l'empire et que celui-ci essayait d'appliquer au plus haut niveau, que ce soit la vénération de la magie ou l'adulation de l'art sous toutes ses formes.

« Le passé est le passé, il est trop tard pour le changer de toute manière, même si pour ma part je pense qu'au contraire nous n'avions pas trop le choix, de toute manière si nous laissons trop l'empire d'Akkaton se développer, il n'hésitera pas deux fois avant de faire du continent d'Ikhyld son nouveau terrain de jeu pour ses armées. Tu ne peux pas me reprocher après tout de mon mieux pour le bien de ma nation. » Les Akkatoniens se targuaient de nobles idéaux et pas vraiment de façon hypocrite certes, mais ils assumaient tant leur impérialisme que c'était évident qu'ils le feraient s'ils le pouvaient à terme, du moins selon lui. Après tout s'ils n'étaient pas venus avec l'idée de conquérir Orzian à terme, pourquoi s'installer dans la province désertique à l'Ouest de ce continent ? L'empire Akkatonien était une bête avide et toujours affamée, une bête qu'il fallait museler avant qu'elle ne décide de dévorer tout le monde.

C'est avec amusement sinon que Xin prit le fait que son ancienne collègue changea la nature de la lumière qui émanait de la boule magique qu'il avait invoqué. Soit, il est vrai qu'en tant que mage des ténèbres elle était plus à l'aise avec le doux éclat de la lune que l'ardente lueur du soleil. Cela lui faisait d'ailleurs penser à un concept elfique de comparer les hommes elfiques à la lune et les femmes au soleil alors que c'était plutôt l'inverse chez les humains. Il supposait que cela devait dépendre des point de vue, pour sa part il préférait en effet être comparé à l'astre lunaire que solaire, même si la magie qu'il commençait à maîtriser annoncerait clairement le contraire à l'avenir…

« Haha soit, peut-être pendant ta prochaine visite à Ikhyld dans ce cas, je te montrerais que la jeunesse est toujours destinée à surpasser ses aînés à terme. » Répondit-il donc en provoquant gentiment la mage de ténèbres quand celle-ci parla du fait qu'elle serait prêt à relever un de ses défis quand il voudrait. Pourquoi pas après tout ? Ce serait amusant et instructif, surtout qu'elle devait avoir un peu rouillé depuis le temps, alors autant la pousser à développer certains réflexes, ce serait après tout dommage de gâcher un tel talent en continuant encore longtemps à garder celui-ci sous silence...

« Une idée derrière la tête ? Pas vraiment, par contre si tu désires des meilleurs vêtements pour ta visite prochaine au pays, je peux demander à mon agent infiltré à Eïlynster de te les transmettre quand tu ne t'y attendras pas, après tout il serait dommage qu'il nuise sa couverture juste pour cela. » Il sourit à ces quelques paroles qu'il venait d'exprimer, puis reprit avec plus de sérieux, mais un sérieux teinté de curiosité. « Par contre je suis curieux de savoir comment tu comptes devenir grand maître des armées à terme. Pas que je ne crois pas en toi mon amie, loin de là, mais c'est quand même une sacrée position que tu vises là, surtout que connaissant tes frères Eïlynsteriens, ils ne te feront pas de cadeau à ce sujet. » Il finit son thé et conclut alors avec amusement. « Et surtout quelle partie de l'armée Eïlynsterienne désires tu diriger par hasard, la marine ? » Après tout elle avait été cela à l'origine, arcane de l'armée navale, il supposerait donc que ce serait assez cohérent d'une certaine manière.

J’arquai un sourcil, légèrement surprise en écoutant la proposition de Xin de me faire remettre une tenue Ikhyldienne par l’intermédiaire de son infiltré. J’inclinais quelques peu la tête sur le côté en le dévisageant, un sourire en coin étirant mes lèvres tandis que je lui répondais d’un ton de nouveau plaisantin et légèrement railleur.

“Ainsi donc l’Arcane de l’Invocation - certainement le meilleur invocateur du continent - ne serait pas capable d’invoquer quelques vêtements ? La jeunesse semble avoir encore quelques progrès à faire,” le titillais-je avec amusement, puis de poursuivre avec plus de sérieux. “Je te remercie pour le service en tout cas. Te connaissant, je ne doute pas que tu sauras me trouver une tenue parfaitement appropriée et raffinée, digne d’Ikhyld.”

Je finissais d’avaler ce qu’il restait de ma tasse de thé de quelques gorgées, reposant cette dernière sur la table tout en réfléchissant aux questions posées par Xin à propos de mon ambition à devenir Grand Maître des Armées. Et si je devais bien reconnaître que l’ambition était particulièrement simple à énoncer, elle était paradoxalement très difficile à réaliser.

“Je suppose qu’il faudra que je dévoile pleinement qui je suis pour continuer à gravir les échelons, et accomplir quelques hauts-faits que ma seule condition de guerrière ne me permet pas de réaliser actuellement. Quant à mes frères d’armes, ils auront beau ne pas me faire de cadeau, je ne suis pas réputée pour me laisser marcher sur les pieds ; et c’en serait insultant s’ils me facilitaient la tâche. J’ai beau être respectée en tant que simple officier, je ne suis pas vraiment admirée ni redoutée non plus. Déchaîner ma puissance magique sur mes ennemis pourrait faire pencher la balance en faveur de mon ascension,” révélais-je avec sincérité. Une sincérité qui se voulait nuancée d’un certain doute, décelable dans les sonorités de ma voix.

“Et au cours des derniers mois écoulés, j’ai le sentiment, l’intuition, que cet instant fatidique approche. Je ne saurai pas vraiment l’expliquer, mais il y a comme une tension de plus en plus palpable dans l’atmosphère. Et le fait que nous nous retrouvions aujourd’hui, après tant de temps, me conforte un peu plus dans cette impression.

Quant au corps d’armée convoité, s’il est vrai que j’ai de bien meilleures qualifications dans le domaine maritime et que l’armada d’Eïlynster n’a pas à rougir face à celle d’Ikhyld, du moins en terme de puissance plutôt qu’en nombre de vaisseaux, j’avoue avoir une certaine attirance pour les renseignements, ne serait-ce qu’en raison des quelques opérations auxquelles il m’arrive de prendre part et de la certaine proximité que j’entretiens avec les rebelles Teïderiens. Si cela devait être le cas, je suppose que nous aurions plus souvent l’occasion de nous livrer à quelques parties d’échecs toi et moi, grandeur nature.” Je dodelinais mollement de la tête, agrémentée d’un nouveau sourire en coin. “Ce serait une perspective amusante, tu ne trouves pas ?”

« Toi comme moi savons que s'il était aussi facile d'invoquer des vêtements luxueux comme ceux que j'ai en tête, il serait aisé pour n'importe quel mage invocateur de devenir rapidement riche. » Ne manqua pas de répondre Xin avec amusement à la plaisanterie de son ami, ce avant de reprendre avec plus de sérieux, mais toujours avec amabilité. « Point besoin de me remercier, c'est un service que je rend après tout avec plaisir à une vieille amie, je suis même persuadé que pour ta part tu en aurais fait de même pour moi. » Conclut-il donc avec un fin sourire, ce avant de reprendre avec réflexion au sujet des ambitions futures de la mage des ténèbres.

« Je pense que ton sentiment que les choses sont en train de changer sur le continent est tout à fait compréhensible. Je pense même que tu n'es point la seule à le penser, moi-même je le sens. Ce continent va beaucoup s'animer prochainement et son futur si ce n'est celui-du monde risque bien de se décider au cours de tout ce qui va avoir bientôt lieu. C'est en partie pour cela que nous sommes ici, l'histoire est en marche en quelque sorte, il nous reste juste à essayer de l'écrire pour qu'elle soit en notre faveur et non celles de nos ennemis. » Mais évidemment, c'était là une chose bien plus facile à dire qu'à faire.

« En tout cas, savoir que tu veux marcher dans mes pas d'une certaine manière me fait me demander si je ne devrais pas déjà commencer à me méfier de toi en effet. » Cela il le dit avec amusement, ce avant de reprendre plus sérieusement. « Oui, c'est une perspective assez amusante mon amie, même si j'espère qu'un tel jeu ne va pas nuire à notre amitié. Même si au pire ce n'est pas parce que nous sommes dans des camps qui ne sont certes pas opposés, mais pas non plus alliés que nous devrons forcément nous détester. » Au contraire même, surtout qu'Eïlynster et Ikhyld étaient loin d'avoir une idéologie aussi malsaine que Teïder par exemple. Une amitié avec le roi de Teïder ? Voilà quelque chose qui serait déjà bien plus improbable…

Enfin, sur ces bonnes paroles Xin finit par conclure avec amabilité. « Bon, je pense t'avoir retenue assez longtemps mon amie, en espérant t'avoir bien aidé, mais aussi te recroiser assez prochainement dans un cadre plus convivial dirons nous. Tu me diras alors comment se porte tes ambitions. » Conclut-il donc avec amusement en l'invitant ainsi à prendre congée si elle le désirait.

J’esquissai un énième petit sourire à la remarque de Xin quant à commencer à se méfier de moi. “Tu devrais en effet. Après tout, n’es-tu pas celui qui a dit que la jeunesse finit toujours par dépasser ses aînés ?” le taquinais-je avec amusement, bien consciente qu’en effet, une telle affectation, si elle se produisait, pourrait très certainement nuire à notre relation. Néanmoins, je ne m’imaginais que très difficilement un conflit d’envergure éclater entre Eïlynster et Ikhyld, ne serait-ce que par leur proximité géographique qui serait plus à même de mener à une entraide si les monstres Teïderiens ou Akkatoniens en venaient à assouvir leurs appétits.

C’est alors que l’Arcane conclut qu’il était temps pour nous de nous séparer, d’une façon polie et bien amenée. En somme, il restait fidèle à lui-même, et il était vrai que nous n’avions plus grand chose à nous dire en cette journée néanmoins riche en émotions, du moins de mon point de vue. Je haussais mollement les épaules à sa dernière remarque. “Oh, je pense venir à Ikhyld dans les prochaines semaines, je doute que mes ambitions aient connu de grandes avancées d’ici là,” conclus-je en remontant ma capuche sur mon crâne et contournant la table pour récupérer mes affaires. Puis, saluant simplement le Ministre du Renseignement Ikhyldien d’un geste du bras, je quittais la ruine comme j’étais venue finalement. Seule et silencieuse.