Les jours suivant la protection de l’arbre sacré n’avaient pas été de repos pour la jeune championne d’Akkaton. C’était plutôt une fatigue mentale que physique qui s’était installée en elle puisqu’après leur victoire, malgré la fête organisée en leur honneur par les elfes, Lilyneska avait dû courir les débriefings et faire de nombreux rapports à ses supérieurs. Elle avait dû donner son avis sur plusieurs sujets, notamment en lien avec les disciples de l'Engrenage, les républicains d’Eïrn et la gestion des prisonniers. La pugiliste transformiste s’était momentanément transformée en diplomate d’Akkaton et servait à consolider les liens entre sa patrie et celle où elle avait apporté son aide. Heureusement, sa présence était bien vue et grâce à son impact menant à la défaite des technologistes, Akkaton avait monté positivement dans l’estime de la place. Elle avait pu ressentir toute la fierté qu’avait son père envers elle lorsqu’elle lui avait parlé grâce à la technologie de sa puce électronique.

Au bout du septième jour, la soldate avait tiré sa révérence à l’armée akkatonnienne et leur avait fait comprendre qu’elle reprendrait son envol. Tout ça pour dire qu’elle redeviendrait un oiseau solitaire jusqu’à ce qu’on ait à nouveau besoin d’elle et qu’elle allait jouir de l’autonomie de son rang. C’est ce qu’elle aimait le plus de sa job de championne : la liberté qu’elle avait.

La jeune femme attrapa quelques pommes offertes par les elfes qu'elle mit dans son sac, s’éloigna et s’installa en haut d’un arbre pour en manger une tranquillement. Du haut de son perchoir, elle avait une belle vue sur la forêt et les différentes personnes qui s’occupaient à mille et une activités. Le labyrinthe avait magiquement disparu après une journée, mais on pouvait voir les marques laissées par les murs sur la verdure. Rien de bien permanent, heureusement. La forêt reprendrait rapidement son règne.

C’est après environ une heure qu’elle aperçut quelqu’un de familier : Richard. Il était vêtu de son habituelle armure complète. Des images de sa véritable apparence lui refirent surface et elle ne put empêcher un frisson de parcourir son échine. Elle comprenait un peu mieux pourquoi il cachait toujours son apparence derrière le métal. Ça ne nuisait pas à l’estime qu’elle lui portait, mais il y avait certes de nombreuses questions qui trottaient dans sa tête. La plus importante ne concernant pas l’origine de son état cadavérique mais plutôt : quand reviendrait Geoffroy?

« Heeyyoooo Richard! » S’exclama-t-elle lorsque le chevalier passa sous sa branche. Lorsque le champion lèverait la tête, il verrait la jeune hybride le saluer à grands coups de bras. « Qu’est-ce que tu fais? » S’enquit-elle dans toute sa candeur. Ils avaient battu côte à côte, les formalités n’étaient pas nécessaires, non?  « Tu veux une pomme? » Lui demanda-t-elle en lui présentant un fruit rouge. Elle ne s'était même pas posé la question si son état lui permettait de manger ou non.

Richard avait triomphé avec ses coéquipiers de l'attaque des technologistes, et les jours qui suivirent furent pour lui brefs. C'est comme s'il avait décidé d'attendre que les jours passent, sans chercher à les consommer, avant de finalement s'éveiller à un meilleur moment. Depuis, il passait le temps à visiter les alentours, rendre service aux villageois, et découvrir les secrets de la forêt alentours, sans vraiment se soucier des dangers qui y résidaient.

C'est en se baladant paisiblement qu'il entendit une voix familière l'interpeller, ce à quoi il leva la tête pour observer Lily, alors qu'il lui répondit avec un certain bonheur.

Oh, Petite Dame Lily. Un plaisir de vous voir. Voyez vous, j'explore les lieux tout en m'offrant une balade revigorante.

Il tendit la main pour ramasser la pomme, et la mettre en lieu sûr.

Merci. Je peux vous assurer qu'elle fera un goûter des plus exquis. Vous joindrez vous à ma marche ?

Sur ces mots, à la présence de Lily, il reprit sa balade. Tout en armure, son immense bouclier et son fléau dans son dos, il marchait calmement, serein.

Et vous, que faites vous ici ? Je vous ai promis que je vous retrouverai.

Un léger ton de malice dans sa voix pouvait se faire ressentir, alors qu'il laissa un regard vers la petite femme qu'il estimait déjà plus que beaucoup jusque là. L'avoir côtoyé quelques fois avant, et plus spécifiquement combattu ensemble, justifiait de la considérer comme une jeune femme plein de ressource et d'énergie que le champion se ferait un plaisir de passer toutes les années du monde à discuter, échanger, et combattre à ses côtés. La vie faisait son chemin alors que Richard, immortel, ne pouvait que contempler la beauté de ces créatures qui voyagent sur les flots du temps.

Lilyneska remarqua la bonne humeur dans la voix de Richard. Elle esquissa un sourire sur son visage. Dans le passé, elle aurait explosé de colère en se faisant rappeler qu’elle était de petite taille, car on se moquait souvent d’elle ainsi.  Mais bizarrement, se faire appeler Petite Dame Lily par le chevalier, ça passait et elle le prenait comme un compliment. Elle le comprenait comme quoi elle était petite, mais forte et capable de plein de choses. Elle avait su démontrer ses capacités, non?

Perchée sur sa haute branche, la jeune hybride lui lança la pomme rouge qu’il sut attraper sans soucis. « Avec plaisir! » Lui répondit-elle. Elle fit alors l’acrobate en mettant d’abord sa tête en bas, se tenant par ses jambes sur la jambe. Puis elle fit un mouvement de pirouette et atterrit sur le sol gracieusement sur ses pieds. On pouvait supposer que c’était ses gênes de chat qui lui permettait de faire de grands sauts sans se faire mal.

« J’observais le paysage, tout en me demandant ce que j’allais faire ensuite. J’ai terminé ma mission ici. » Expliqua la soldate Akkatonnienne. « En tant que championne, je suis libre jusqu’à ce que je décide de mettre mes pattes sur autre chose ou qu’Akkaton fait la requête de mes services. » Raconta-t-elle.

Elle marchait à ses côtés. Les paysages forestiers étaient jolis. Ça n’avait pas la même allure que les grands buildings technologiques de son pays. « Vous allez faire quoi, de votre côté? » Lui retourna-t-elle la question. « Êtes-vous à votre compte, comme mercenaire par exemple, ou dans l’armée ou autre? » Demanda-t-elle. Elle cherchait à mieux le connaître.

Tout en marchant, elle sortit une pomme de son sac qu’elle croqua à pleines dents. À moitié entamée, la bouche à moitié pleine, elle dit : « Et Geoffroy? Quand est-ce qu’on va le revoir? » Demanda-t-elle sur un ton impatient.

Le chevalier écouta les paroles de la jeune femme avec un attention et une patience infinies. Pourquoi avoir son esprit se concentrer sur autre chose quand on a tout le temps pour écouter les paroles d'une jeune prodige aussi intéressante et passionnée que Lily ? Le vécu et la mentalité de Richard, impactés par les méandres du temps, lui avaient fait réaliser que le bonheur résidait dans ces petits instants, là où beaucoup se contenteraient de n'y prêter que peu d'attention. Quoi qu'il en soit, Lily à ses côtés, il reprit sa marche avec tranquillité. Il acquiesça à ses paroles, et répondit par la suite à ses questions.

Vous faites bien. Il n'y a rien de tel que de profiter des beautés de la nature tant que l'on n'a plus de responsabilités. Et c'est une bonne chose que vous ayez le contrôle de vos activités, en terme d'autonomie et de compréhension de soi.

Il rit calmement pour ponctuer sa phrase, avant de poursuivre.

Je vais faire comme je le fais toujours ; voyager sur ces terres au gré des vents du monde. Disons que je suis libre, et il m'arrive de répondre à des contrats de mercenaire, mais je me considère davantage comme un bienfaiteur. Quant à savoir si je suis au compte d'une armée, il est vrai que je répond d'une certaine autorité.

Je suis un peu comme vous, champion de son pays. L'on me connaît sous le nom de Richard Goswin Ivo Guilbert, le Héros Immortel d'Eïlynster.

Il marqua un silence laissant filer un regard en coin pour observer la réaction de la jeune femme avec un brin de malice. Puis, à la question de Geoffroy, il ajouta.

Nous allons le revoir très bientôt, je vous l'assure.

Lilyneska marchait aux côtés de Richard, intéressée par ses paroles. Elle appréciait la tranquillité du moment, le fait qu’elle n’avait pas à se hâter pour être à quelque part et qu’elle pouvait simplement prendre tout le temps du monde. Ça l’étonnait toujours de l’entendre rire, car ça détonnait vis-à-vis des premières impressions qu’elle avait eues de lui. En effet, elle avait pensé qu’une armure mouvante était stoïque et froide. Bien contente de s’être trompée!

Elle reçut plusieurs informations de sa part : il était un bienfaiteur, mercenaire, champion d’Eïlynster et immortel. Comme elle, il avait le loisir d’être libre et de choisir où ses pas le mènent. « Quel âge avez-vous? Êtes-vous réellement immortel? Comment ça se peut? » Demanda-t-elle en prenant la parole. Elle posa un doigt sur sa joue, momentanément pensive. « Est-ce que c’est trop indiscret comme questions? » Se renseigna-t-elle ensuite.

La jeune hybride avait vu son visage sous son casque. Ce serait mentir que de dire que la vue ne l’avait pas troublée. Il avait une allure cadavérique, mais pourtant il était bel et bien vivant. Faisait-il partie de ces êtres que l’on surnommait “morts-vivants”? Ou c’était grâce à une magie, ou une malédiction, qu’elle ne connaissait pas? Elle avait tant de questions et ça se voyait dans ses yeux.  

« Fiou… » Lâcha-t-elle, rassurée. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres. « J’ai hâte de revoir Geoffroy. Je sais pas pourquoi, mais je me suis attachée à ce drake. » Avoua-t-elle en élargissant son sourire. « Ça fonctionne comment sa résurrection? » S’enquit-elle. « Est-ce que c’est douloureux pour lui? Est-ce qu’il revient sous la forme d’un œuf ou d’un bébé? Ou il revient sous la forme qu’il avait? » Enchaîna-t-elle. Là-dessus aussi elle avait tout plein de questions. « Est-ce qu’il réapparait magiquement ou il retourne là où son corps était? » Demanda-t-elle. D’ailleurs, le corps de feu Geoffroy était-il encore là où le labyrinthe était?

Lily l’observait tout en marchant. Ce n’était pas évident de deviner à quoi Richard pensait vu qu’elle ne pouvait voir son visage puisqu’il portait son casque. Peut-être saurait-elle lire à travers ses yeux. Quelle couleur étaient ses yeux, d’ailleurs? Elle détourna le regard lorsqu’elle remarqua qu’elle le fixait un peu trop intensément.

Richard sembla esquisser un sourire sous son casque, devinable par sa mimique d'expirer par le nez et de relâcher légèrement ses épaules. Il appréciait la présence de la jeune femme, manifestée par une multitude de questions légitimes, signe d'une grande curiosité. Il dirigea son regard vers elle, dévoilant alors une paire d'iris d'un gris iridescent, qui semble traversé de subtils flashs de lumière blanche, aussi blanc que Geoffroy. Il répondit alors, en revenant à l'horizon pendant sa marche, de son ton de voix apaisant.

La curiosité d'une jeune femme aussi enthousiaste que vous ne me dérange pas, je vous l'assure. Je suis immortel dans le sens où l'âge ne me tuera pas, et il vrai que je suis assez résistant pour ne pas craindre la mort de la main d'un autre. Cela dit, cette option n'est pas impossible.

Il marqua un temps avant de poursuivre.

Quant à mon âge, je peux vous le donner, en prenant en compte mes années de vivant avant que je ne sois touché d'immortalité. J'évolue sur ces terres depuis mille-huit-cent-trois ans.

Quant aux autres questions, Richard laissa Lily les poser sans y répondre, profitant du temps qu'elle prend pour les citer pour continuer d'avancer, et même lui laisser le temps de réagir à son âge. Puis, se contentant de répondre, il émergea dans une clairière uniquement formée par le fait que la végétation présente à cette endroit fut bousculée par une créature de bonne taille, créature qui gisait là, on aurait pu croire qu'elle dormait au milieu de la végétation et de la nature. Immobile, les yeux fermés, à l'exact même endroit où elle est tombée, Geoffroy radiait d'un halo lumineux d'autant plus visible et palpable que son aura habituelle, comme en pleine régénération.

Mille réponses à mille questions ne seront jamais plus efficaces que le ressenti d'une expérience.

Marchant aux côtés de Richard, Lilyneska esquissa un sourire face à ses paroles. Elle le trouvait sympathique, tout simplement, et était bien contente de voir qu’ils avaient des personnalités compatibles. Elle aurait certainement agacé plusieurs autres avec ses questions et sa façon d’être, mais pas le chevalier. Elle apprit donc qu’il ne pouvait pas mourir de vieillesse, mais qu’il pouvait cependant être tué. Ses réponses lui emmenaient encore plus de questions…

« Mille-huit-cent-trois ans?! » S’exclama-t-elle, surprise. « Sérieux? » Ajouta-t-elle immédiatement, comme si elle s’attendait à ce qu’il lui dise que c’était une blague. Mais non, Richard avait vécu toutes ces années. La jeune femme ne pouvait pas en croire ses oreilles. Il avait pratiquement un millénaire et demi de plus que lui. « D’accord. Là, j’ai encore plus de questions. » Avoua-t-elle. Par quoi commencer? Par le début, je suppose…?

Mais ses pensées se firent interrompre par leur arrivée dans la clairière. Au milieu reposait d’un air serein le fidèle drake immaculé. Malheureusement, Lily savait la vérité : il ne dormait pas, la vie l’avait quittée. Mais ce n’était que temporaire, heureusement. Elle s’approcha de Geoffroy et jeta un regard vers Richard pour s’assurer que c’était correct avant de poser sa main sur le museau du compagnon. Ses écailles étaient froides et elle ne ressentait rien en particulier à l’exception de la magie qui s’opérait en ce moment. Elle reconnaissait l’empreinte de la magie lumineuse à l'œuvre. Un jour, elle aussi serait capable de faire cette prouesse de ressusciter autrui.  

« Qu’est-ce qui vous a donné cette immortalité? » S’enquit-elle, retournant à leur conversation précédente. Elle fit une courte pause avant de poursuivre son questionnaire. « Comment on se sent d’avoir vécu autant? Je n’ose même pas m’imaginer dépasser un siècle dans ma vie, alors je n’imagine pas un millénaire! Vous avez dû en voir des choses, vous avez dû voir beaucoup de choses évoluer et changer. Autant les gens, que la technologie et les choses. » Dit-elle.

« Voyez-vous l’immortalité comme une bénédiction? » Demanda-t-elle finalement. Voilà un pan plutôt philosophique. Bénédiction ou malédiction? Ça ne doit pas être évident de vivre au-delà de longévité de tous les autres.

Richard resta aux côtés de Lilyneska et de Geoffroy, en lui accordant d'un signe de tête que toute interaction avec le Drake était possible et sans danger. Il l'observa, en silence, lui laissant le temps d'expérimenter, de découvrir. La vertu de l'âge, pour certains, est la patience, et Richard connaissait bien à force d'en user, ce qui était une nécessité alors que la jeunesse avait besoin de temps pour apprendre et comprendre ce qu'il avait lui même eu le temps de maîtriser.

Geoffroy était inerte, mais vibrant de magie, laissant sûrement un sentiment d'espoir autrement inaccessible, malgré son corps en effet froid et immobile. Mais la magie était à l'oeuvre, et il fallait des fois faire confiance à la magie.

Quant aux questions qui reprirent, Richard répondit avec tout autant de tranquillité, et d'assurance. La figure de sagesse qu'il était ne changeait pas son attitude, patiente, pédagogique, avisée, et volontaire. Il rit même, de bonne manière et de bon coeur, alors que Lilyneska annonçait qu'elle avait encore plus de questions.

Ha ! Eh bien, je suis tout disposé à y répondre.

Il répondit donc.

Ce qui m'a donné mon immortalité... La magie, tout simplement. Il y a sûrement des détails que j'ignore, mais c'est tout ce que je sais. La magie telle qu'elle était et qu'elle est dans la nature, sauvage. Quant à comment j'ai gagné mon immortalité, il s'agit là d'une longue histoire. Mais je peux être disposé à vous la conter.

Il passa ensuite au reste des questions, tranquille.

J'ai vu passer de nombreuses guerres. Des nations s'étendre, d'autres perdre des territoires. Des idéologies changer, des coutumes disparaître pour laisser place à d'autres bien différentes. Quant à comment je me sens ; je me sens instruit. Je n'ai nulle envie de me sentir acquéreur d'un pouvoir écrasant, bien au contraire. Je me sens plutôt faire partie du monde. Comme les montagnes inchangées en deux millénaires. Je suis une relique d'un temps passé, qui pourtant est bien là dans le présent, et agit par convictions d'impartialité. Bien que je sois affilié à une nation, cependant. Mais j'ai des raisons personnelles à cela.

Je me sens aussi légitime de partager mon savoir aux oreilles curieuses, et attentives. Il ne constitue jamais vraiment une leçon à part entière, car l'expérience est une lanterne n'éclairant que celui qui la porte. Mais cela reste, à mon humble avis, une parole de confiance pour quiconque souhaite la connaître.

Il marqua un temps, pour poursuivre sur la dernière question.

Ni l'un, ni l'autre. J'ai perdu beaucoup de proches, oui. Des camarades d'arme, des personnes aujourd'hui marquées dans l'histoire. Mais c'est arrivé bien après que j'ai réalisé la nature de ma condition. J'étais quelqu'un avec une certaine expérience, avant d'acquérir l'immortalité, et un certain esprit facilitant l'acceptation et l'impartialité des émotions. Il ne s'agit là pas d'une malédiction, car j'accepte les nouvelles règles imposées par ma condition. Ni d'une bénédiction, car je ne me sens pas plus privilégié que les multiples personnalités brillantes mais mortelles, quelles qu'étaient leur domaine d'expertise, qui ont foulé ces terres. L'équilibre dans la balance de mes considérations est aujourd'hui avéré ; j'ai l'apparence d'un mort pas totalement mort, mais j'ai le bénéfice d'une vie qui me satisfait, et l'esprit d'un érudit qui a pourtant connu les multiples facettes du combat et de la guerre. Je suis en paix avec moi même, et me réjouit de chaque instant présent que mon immortalité m'accorde, comme si c'était le dernier.

C’était étrange de voir le grand drake couché sur le sol et de ressentir la magie lumineuse opérer en ce lieu. La mage de lumière ressentait la magie sur son museau et même si elle était une utilisatrice de cet art, ses secrets lui échappaient encore. En réalité, elle réalisait qu’elle ne comprenait pas comment la magie fonctionnait. Elle faisait simplement les choses de façon intuitive.

Lilyneska apprit que c’était la magie qui avait conféré l’immortalité de Richard. Elle ne put cacher sa déception de ne pas en savoir plus. Oui, on s’entend que c’était causé par la magie… Ç’aurait été étonnant que ce soit dû à autre chose… À moins d’aller dans les voies technologiques à la Anton, troquant son corps physique pour une machine. Et à avoir vu la vraie apparence du chevalier, elle pouvait comprendre que ce n’était pas ça. « Ç’aurait été étonnant que ce soit une petite histoire! Honnêtement, je n’ai rien de mieux à faire… À l’exception d’attendre le réveil d’un gentil drake! » Ajouta-t-elle d’une voix enjouée. « Mais bien sûr, seulement si cela ne vous importune pas. » Précisa-t-elle.

C’était fou de s’imaginer à quoi le champion Eïlynsterien avait vécu à travers ses presque deux millénaires de vie. Il avait pu voir des civilisations prendre vie… et leur déclin aussi! La comparaison avec les montagnes était jolie et formait une belle métaphore. Oui, il était comme la montagne : persistant, inébranlable, observateur et dont malgré tous les changements autour, toujours présent.

« Est-ce que des gens ont déjà envoyé des assassins ou ont mis des contrats pour votre tête? Je suis curieuse… Vu que vous avez dit que l’âge ne vous tuera pas. Mais il a dû y avoir des gens jaloux de votre immortalité? Ou avez-vous déjà voulu ou tenté de mettre fin à votre vie? Scusez, c’est pas très délicat comme questions. » S’excusa-t-elle. Ce n’était pas tout le monde qui était capable de parler de notions comme le suicide. Peut-être voulait-elle savoir, car elle-même avait déjà eu ces pensées ténébreuses durant son adolescence. Elle s’était accrochée à l’espoir, heureusement, pour se rendre là où elle était maintenant.

Lily s’était entre-temps assise sur le sol, dos posé contre les écailles froides de Geoffroy au niveau de son flanc. Elle avait fait face à Richard pour l’écouter parler. L’entendre parler de son apparence de mort pas totalement mort lui suscita des questions supplémentaires. « À quoi ressembliez-vous autrefois? Avez-vous déjà essayé la magie, comme la magie transformiste, pour changer votre apparence? » S’enquit-elle. Sa curiosité était insatiable.

A dire vrai, je ne suis pas né en Eïlynster et n'en ai pas obtenu la nationalité tout autant. Je suis Teïderien, de l'époque de l'An 200 de l'Âge d'Acier. Teïder était d'autant plus traditionnelle, et son idéologie moins zélote. J'ai grandit en me destinant à devenir chevalier, du jour où je suis devenu écuyer auprès de mon mentor jusqu'au jour où j'ai rejoint la Garde Royale. Un titre des plus prestigieux, rassemblant des vétérans aux méthodes de combat perfectionnées et imparables.

Il marqua un temps, tranquille dans son récit.

La guerre avec Eïlynster était toujours en vogue, de tout temps l'un et l'autre cherchaient à gagner une part de territoire et il n'y avait jamais vraiment de gagnant. Il était tout naturel que je fut envoyé dès mes débuts sur le front de guerre, et ce bien avant de devenir Garde Royal. C'est à force de batailles et de faits d'arme que j'ai pu atteindre cette distinction.

Puis, il y a eu une bataille, encore, dans un lieu que je ne connaissait pas comme la plupart des batailles dans lequel j'était enrôlé. Nous étions préparés à combattre les troupes Eïlynsterniennes, et on espérait à la victoire. Bien sûr, j'ai connu des victoires et des défaites de mon vivant, et j'était préparé à toute éventualité. Mais la vie d'un chevalier ne tient pas à grand chose. Les troupes Eïlynsterniennes connaissaient mieux le terrain que nous, et nous ont prit par surprise alors que nos troupes avançaient sans s'imaginer que la bataille aurait lieu un peu plus tôt que prévu. Nous nous sommes fait encerclés, massacrés, j'ai lutté et malgré ma fière armure je n'ai pu faire grand chose face au poids de cinq ennemis. Un coup de dague entre les plates d'une armure suffit pour en finir.

Il s'était paisiblement installé aux côtés de Lily, poursuivant alors son récit.

Je me suis réveillé plus tard. Comme je me réveillait d'un sommeil. L'esprit embrumé, les souvenirs troubles. Je me souvient d'un cri de stupeur ; j'ai su plus tard qu'un groupe d'Eïlynsterniens étaient revenus quelques jours plus tard sur le lieu de la bataille pour récupérer ce qui avait de la valeur. Et me voyant d'apparence encore en vie, et incapable de me battre tant le poids de la fatigue m'affligeait, ils m'emmenèrent jusqu'au Royaume du Mur. J'ai été fait prisonnier de guerre aussitôt que je fut reconnu par mon armure.

A ces mots, il porta la main à sa propre armure. Se pourrait-il que ce soit la même que celle qu'il a eu depuis ses débuts ?

Et j'étais affligé, plongé dans des ténèbres dont on ne ressort pas. Au début je résistait, mais je sombra vite dans l'inactivité, entre ma nouvelle condition auquel je n'eut aucune réponse et mon passage à l'ennemi. Un siècle s'est écoulé, dans les geôles d'Eïlynster, où seule ma volonté m'empêchait de sortir. Mais je m'en remis, petit à petit. Je commençait à montrer davantage de coopération, puis rapidement vint le jour où je sorti pour aider les fermiers à transporter leur charette. Je ne portait aucune allégeance à ce pays que je n'avais détesté qu'une poignée d'années face à ce siècle d'errance mentale, mais je ne me sentait plus affilié à Teïder non plus. Le temps était passé, j'était conscient que c'aurait été une chimère d'imaginer mon retour. Et j'en eut la confirmation, au fil des ans, alors que malgré tout je portait une certaine attention aux nouvelles concernant mon royaume de naissance. Quant à Eïlynster, je fut malgré tout accepté. Accompagné, puis accueilli. Je fini par rejoindre les forces armées, et lorsque les siècles s'accumulent au service d'un pays, il est naturel que l'on se fasse reléguer au rang de héros. Ceux qui ont entendu parler de moi aujourd'hui n'ont connu que ça.

Il sembla sourire sous son casque, et expira d'une manière sereine.

Voilà mon histoire. Quant à pourquoi j'ai gagné mon immortalité, je l'ignore, et c'est un savoir que je ne cherche pas spécifiquement à acquérir. Quant aux contrats sur ma tête, j'en ai eu, beaucoup de Teïder à une époque où ils m'ont prit pour cible, mais je ne pense pas qu'il y ait
eu quelconque jalousie de mon immortalité. Je n'ai pas tenté d'en finir, car j'était trop faible, et maintenant je ne le souhaite plus. Je vis une vie sobre, modeste, et revêt l'armure quand il y a le besoin, et ça me convient très bien ainsi.

Quant à quoi je ressemblait... Il doit y avoir un tableau de moi, de mon vivant, je sais que j'ai posé une ou deux fois. Mais il doit être bien caché, s'il n'a pas été détruit en mille huit cent ans. Et non, je n'ai pas cherché à altérer mon apparence, là où mon imagination m'a suffit face à un miroir.

Aux milles et une questions qu'avait Lilyneska pour le passé du millénaire Richard Goswin Ivo Guilber, le champion Eïlynsternien y répondait avec un grand calme. Le récit fut assez détaillé pour apaiser les feux de la curiosité chez la jeune femme. Elle s’accrochait à ses mots et l’écoutait attentivement, ne cherchant pas à l’interrompre avant d’être certaine qu’il ait terminé. Elle sourit à son tour, comprenant qu’il était en paix avec lui-même et qu’il ne cherchait pas à retrouver son apparence passée.

Après quelques secondes de silence, elle éleva sa voix pour commenter son récit. « Je ne vous aurais pas cru Teïderien, mais on ne peut pas se fier aux apparences quant aux origines d’une personne je suppose. Pourriez-vous croire que je suis Teïderienne moi-aussi, de naissance? » Lui partagea-t-elle. Rares étaient ceux qui connaissaient ce secret sur la princesse Akkatonnienne. Rares étaient ceux qui connaissaient son passé en général. La plupart des Akkatonniens croyaient que l’Empereur avait simplement pris pitié d’une jeune fille Duchéenne lors de son voyage… Ce qui était le cas, dans un grossier résumé. « Comme vous pouvez en déduire, ce n’est pas là que j’ai grandi. Je pense que mon enfance aurait été encore plus misérable si ma génitrice ne m’avait pas emmenée dans les Duchés du Sud. » Poursuivit-elle. C’est vrai que pour ça, elle devait être reconnaissante envers sa mère. Elle aurait pu l’abandonner ou lui donner la mort. Or, elle ne l’avait pas fait; elle l’avait plutôt vendue à un marchand d’esclaves à son adolescence.

La championne se perdit momentanément dans ses pensées jusqu’à ce que son regard bleuté s’accroche à  son armure resplendissante. « Est-ce que c’est la même armure que dans vos tout début?! » S’exclama-t-elle. Elle avait repris son entrain. « Dans le fond, on n’a aucune idée du pourquoi du comment vous êtes immortel! On pourra dire que c’est l’un des plus grands mystères d’Orzian! Mais vivre mille ans dans les geôles, c’est fou ça. Vous ne ressentez aucune animosité envers Eïlynster après tout ça? J’imagine que vous leur êtes reconnaissant de vous avoir sauvé… Vous seriez mort si vous étiez resté sur le champ de bataille. »

« J’aimerais voir ce tableau, un de ses jours. Je ne sais pas si je pourrai devenir aussi sage que vous, un de ces jours. Mais j’espère pouvoir vivre aussi longtemps que possible, moi aussi! Il y a une époque de ma vie où je ressentais que j’aurais préféré mourir. Mais ce n’est plus le cas. » Se confia-t-elle. Lilyneska passa sa main sur les écailles de Geoffroy. Elles lui semblaient encore froides, mais elle ressentait la magie lumineuse sous ses doigts. « Vous voudriez vous entraîner avec moi en attendant le réveil de Geoffroy? » Proposa-t-elle.