10 Decrembeïs 2001

Le ciel se teintait des nuances de l’aube alors que le noble Simbé revenait de sa traditionnelle promenade nocturne. Deux gardes l’escortaient, chargés de sa protection. Je faisais de même mais d’une autre manière. Un écureuil gris les suivait discrètement en passant par les toits, profitant de la proximité des maisons pour grimper et bondir sans mal.

Malgré mon antipathie envers le noble Simbé, je n’en étais pas moins fière qu’il m’ait accordé une telle confiance. Même si j’ai dû lui proposer mes services plus par contrainte que par réelle envie, je le confesse. J’ai horreur de devoir sacrifier une partie de ma liberté, même à titre provisoire. Pour avoir été une "esclave" par le passé, en être totalement privée, je sais ce que ça fait...

Bref, par rapport à l’accueil des étrangers à Ikhyld, j’ai dû négocier avec ce noble. Autrement, ce serait baigner dans l’illégalité et avoir de sérieux problèmes. N’ayant aucune envie de jouer à cache-cache avec la justice durant tout un mois, je suis donc allée le voir après m’être renseignée ci et là. Sauf que Môssieur Simbé est aussi exigeant qu’excentrique... j’ai dû accomplir quelques tâches pour lui avant qu’il ne consente à accepter ma requête. Ainsi je dois travailler pour lui la nuit, et ce, jusqu’à la fin de mon séjour.


La relève de jour était déjà là, patientant devant les portes du manoir. Le noble les a franchit avec lassitude, lâchant un vague "bonne journée" avant de se retirer dans sa demeure, mettant ainsi fin au service de nuit. Sauf que, qui dit fin de service dit liberté de taquiner. Les deux gardes m’ont souhaité une bonne journée également avant de me chercher des yeux, étonnés de ne pas me voir réapparaître.

Disons que je suis descendue du toit en passant par le casque de l’un d’eux. La tête en bas, je me suis penchée en avant, plongeant mes yeux dans ceux de l’elfe d’un air espiègle. A noter qu’il n’a guère le sens de l’humour… c’est donc tout naturel que les taquineries pleuvent sur lui. Il m’a ordonné de descendre avec sévérité, esquissant un geste pour m’y contraindre.

J’ai évité la main de l’elfe sans mal, me laissant tomber sur son épaule. Mes yeux pétillaient de malice, l’air de dire qu’il n’avait pas précisé où je devais descendre exactement. Donc techniquement, je pouvais aussi passer par son dos pour l’embêter, ce que j’ai fait volontiers avec un couinement goguenard en esquivant de nouveau. L’autre garde riait de bon cœur. Le kitsune était malicieux lui aussi, rien d’étonnant.

Lorsque je suis enfin descendue du garde très irrité, j’ai repris mon apparence normale, non sans une dernière taquinerie. Mon armure brûle d’un feu éternel pour rappel. Autant dire que le bond que l’elfe a fait pour s’écarter valait le détour. On aurait dit qu’il allait s’envoler. Et ce charmant juron qu’il a poussé en même temps, c’était la cerise sur le gâteau.

Bien entendu, j’ai explosé de rire devant un tel spectacle. Même quand l’elfe a haussé le ton pour me sermonner je riais encore. Ah, j’adore faire chier les gens... cela en vaut tellement la peine. Ils ont des réactions épiques parfois. J’ai tout de même repris mon sérieux en leur retournant leur salut militaire avant de partir. Un noble tel que Simbé n’aurait jamais accepté ma requête si j’étais incapable de faire preuve de sérieux, cela va de soi.


Dès que mon armure eut repris sa forme de bague, j’ai volé en direction de la plage. Comme je n’avais rien prévu de spécial ce matin, pourquoi ne pas aller s’y détendre ? Il ne devrait pas y avoir grand monde à cause du froid, qui plus est. Le bruit des vagues s’accentuait à mesure que j’approchais. J’atterris dans une petite glissade et m’allongeai tranquillement sur le sable, croisant les bras derrière la tête. La bise glacée qui soufflait sur la côte ne me gênait nullement. Le désert Akkatonien était bien pire.

Je fixai le ciel qui continuait de changer de couleur. Et dire que mon voyage a commencé début janus, il y a bientôt un an. Pourtant j’ai l’impression que c’était hier. Décidément, le temps passe vite. J’ignorais quasiment tout de ce monde, maintenant je sais à quoi m’en tenir. Oh, c’est loin d’être fini. Il me reste encore un tas de choses à découvrir, je n’en doute pas.

Orzian est vaste après tout, et je suis heureuse d’avoir pris mon courage à deux mains pour entreprendre un si long voyage. Honnêtement, je ne regrette rien. Cela a été une expérience incroyable et enrichissante. Une expérience riche en péripéties, en rencontres, en paysages… en taquineries, ahah. Et je compte bien recommencer après le Nouvel An, évidemment.

Pour l’heure, j’espère que je pourrais profiter de mon père sans encombres. Etant nomade, il a dû en vivre des aventures lui aussi. Si je ne me trompe pas, il me rejoindra le quinze voire avant. Disons qu’on s’est marqués tous les deux via le sort Mémoire olfactive avant mon départ, ce qui fait que nous pouvons nous sentir l’un l’autre à des centaines de kilomètres. Cela dit, je ne lui ai jamais dit qu’Ikhyld serait ma destination finale. Je me demande s’il n’aurait pas gardé un œil sur moi via le sort Clairvoyance ?

Honnêtement, je n’en serais pas surprise. Il était si inquiet de me laisser partir seule. Ahah, il va sans doute me sortir le contraire. Qu’il a toujours cru en moi, qu’il est le dragon le plus fier d’Orzian et tout le tralala. Les goélands volaient haut dans le ciel. Peu à peu le ciel se teintait de bleu. Je m’amusai à chercher des nuages qui ressemblaient à quelque chose. Bizarrement, je n’arrête pas d’en voir un en forme de crème chantilly en ce moment.

Les nuages défilaient les uns après les autres, suivant leur éternel cycle sans fin. J’ai beau les apercevoir tous les jours, je ne me lasse pas plus de les contempler que d’admirer les constellations la nuit. Même là-haut, il m’arrive de voir des choses plutôt comiques. Par exemple, hier matin, j’ai vu un palmier se changer lentement en parasol pour protéger son ami le cactus. Il en avait marre de l’entendre se plaindre de la chaleur. Techniquement, le palmier aurait pu prendre ses feuilles et celles de ses voisins pour construire un parasol bien plus grand. Mais il est vrai que les autres palmiers n’auraient peut-être pas été du même avis...

Par contre, j’ignore si c’est juste une impression mais il y a beaucoup de nuages en forme de nourriture, aujourd’hui. Tout à l’heure, j’en ai vu un qui ressemblait à un biscuit fourré à l’abricot et là, il y en a un en forme de lasagnes. Des images délectables me vinrent aussitôt à l’esprit. Eh bien, voilà, je vais avoir envie de lasagnes à midi. Enfin, il faudrait d’abord racheter tout ça... la sauce tomate, le bœuf haché et tout le tralala. Ce n’est pas comme si tout était parti dans les spaghettis à la bolognaise. Une idée jaillit soudain dans mon esprit. Les lasagnes accompagnées par quelques arômes Ikhyldiens... ça leur donnerait une petite saveur par derrière juste sublissime.

Etendue sur le sable froid, j’imaginais déjà toutes ces bonnes odeurs se mêler à celle du bois brûlé. Sans compter le crépitement apaisant des flammes, ainsi que leur douce chaleur réconfortante... cuisiner avec un feu de camp a un charme qu’on ne retrouve pas dans les habitations, je trouve. Même un feu de cheminée ne dégage pas une telle aura. Bref, ce n’est pas quelque chose de facile à expliquer avec des mots. Le décrire est une expérience différente de le vivre, cela va de soit.


J’entendis quelques voix au loin. Des passants qui vaquaient à leur occupation, je suppose. Même si le temps n’est pas terrible, ma foi, ça aurait pu être pire. Je songeai à nouveau à mon père, au dernier souvenir que j’avais de lui. Ce matin-là, on était en train de faire des mini-gâteaux au chocolat. Il me parlait de sa dernière peinture avec enthousiasme, ponctuant ses paroles de grands gestes pour illustrer ses propos. Et c’est ainsi que son magistral coup de patte expédia le tout dans les airs par accident.

Les mini-gâteaux ont volé avec la même élégance que lui quand il a tenté de les rattraper avec sa queue. Finalement, mon père en a fait exploser trois en les frappant sans le faire exprès et le reste est reparti dans l’autre sens. Je les ai rattrapés à mains nues de justesse. Bien entendu, je riais de bon cœur l’instant d’après. Il n’a pas tardé à me suivre, réalisant peu à peu ce qui venait d’arriver. J’ai bien essayé de le prévenir mais il a cru que je le taquinais, ahah. Je ris doucement à ce souvenir. Vivement qu’on se retrouve, Papa… je sens qu’on va avoir un tas de choses à se raconter.

Un mouvement attira soudain mon attention. Je fronçai légèrement les sourcils en voyant deux personnes courir vers moi. Immobile, je les observai sans un mot, avec cette méfiance naturelle qui ne m’a jamais quitté malgré ce long périple. Difficile de dire s’il s’agit d’enfants ou de jeunes hybrides. C’est comme essayer de deviner l’âge d’un elfe à son physique. Il pourrait avoir cinq cent ans et en paraître deux cent.

A première vue, ces inconnus n’ont pas l’air d’avoir de mauvaises intentions. Quoi qu’il en soit, mon doigt se glissa discrètement dans la gâchette de mon pistolet. Simple précaution : on ne sait jamais sur qui ou sur quoi on peut tomber au détour d’un chemin. J’attendis patiemment, gardant les yeux et les oreilles ouverts. J’haussai d’abord un sourcil en voyant l’une des deux personnes s’arrêter net, avant de sourire involontairement.

Ahah, la tête qu’il fait. On croirait que c’est la première fois qu’il voit une elfe-dra… non ? C’est vraiment le cas ? Mon sourire s’élargit malgré moi. Eh ben ça, pour une surprise… je sais bien que les hybrides ne sont pas très nombreux à Ikhyld, mais tout de même. Je ne suis pas la seule demi-dragonne qui existe, c’est bien connu. Une pensée me vint soudain, manquant de peu de me faire rire. L’occasion était trop belle pour ne pas la prendre.


Et si je me faisais passer pour un thérianthrope rarissime ? Ou bien pour une elfe-naga-chauve-souris ? En vrai, ça pourrait être crédible avec mes écailles et la forme de mes ailes. Tiens, en parlant d’ailes... il trouve que c’est trop cool d’en avoir, carrément ? Ma foi, c’est vrai que c’est super pratique. Je peux voler d’îles en îles sans avoir à payer le trajet en bateau, contrairement à d’autres, ahah. Mais, techniquement, ça veut aussi dire que je suis trop cool parce que j’ai des ailes ? C’est flatteur, mais les flatteries ne marchent pas sur moi. Disons que j’ai connu des atamas assez taquins qui en auraient bien trop profité... le changement d’attitude du jeune homme me fit rire de bon cœur.

« Si je comprends bien, vous avez cru que j’étais blessée, mais vous trouvez mes ailes tellement trop cool que vous avez oublié pendant trois secondes pourquoi vous êtes venus. J’ai tout bon ? »

Mes yeux bleus pétillèrent de malice. Si j’étais blessée, je ne serais pas venue me détendre à la plage, ahah. Cela dit, vu de loin, c’est vrai qu’ils ne pouvaient pas le deviner. Dans ce cas, je vais y remédier. Je roulai sur le côté et écrivis en grand dans le sable "Détente en cours" tout en ajoutant d’un air espiègle.

« J’aurais bien mis un énorme panneau lumineux à côté de moi pour éviter que d’autres personnes s’inquiètent, mais je crois que les voisins ne seront pas d’accord. »

Et donc, j'ai vu juste sur ça aussi ? Ça veut dire que j'ai eu tout bon deux fois d'affilée ? Je frappai mentalement dans mes mains, ravie. Génial... je vais pouvoir devenir une super ninja méga douée dans l'art de l'anticipation. Franchement, je ne me savais pas aussi douée pour deviner des trucs. Peut-être que je devrais m'entraîner ? Si ça se trouve, peut-être que je vais me découvrir un talent caché ?

Ce serait vachement pratique, en vrai. Que ce soit au combat, quand il faut mener l'enquête et pour un tas d'autres choses... en plus, ce serait super classe comme talent, ahah. Voyant le jeune homme pencher la tête sur le côté, je fis de même de l'autre côté avec malice. J'ai beau avoir fait le tour d'Orzian, j'ai rarement suscité autant de curiosité.

Pourtant, je me balade partout pieds nus, en plus d'avoir des délires de toute sorte. Et on ne peut pas dire que je me soucie d'être discrète quand je saute dedans à pieds joints, ahah. Ce que je suis.. c'est bien la première fois qu'on me pose une telle question. D'habitude, il suffit d'un simple coup d’œil pour le savoir, mais là, c'est différent.

Au fond de moi, j'étais intriguée par sa question sans le montrer. C'est curieux qu'il n'ait jamais entendu parler des hybrides. De mémoire, il y en a à Ikhyld, même si moins qu'ailleurs. Enfin, si le jeune homme ne les connaît pas, c'est qu'il y a une raison. Et même si c'est tentant de lui demander pourquoi, je vais éviter pour l'instant. On ne sait jamais, ça peut être gênant d'en parler d'une personne à l'autre.


Bien que je fus tentée de mentir pour taquiner un peu, je n'en fis rien, compréhensive. Mieux vaut faire preuve de bienveillance dans de telles conditions. Pour ce qui est de son compagnon, difficile de dire si c'est sa première fois aussi ou non avec une hybride. C'est peut-être juste une fausse impression, mais il a l'air quelque peu... coincé, dans sa façon d'être. Je fis comme si de rien n'était, disant d'un ton aimable.

« Pour expliquer les choses simplement : mon père est un dragon, ma mère est une elfe. Donc, ça fait de moi une hybride elfe-dragonne. Un mélange des deux, en quelque sorte. Cela dit, en général, on nous appelle plutôt des "demi-dragons", vu qu'il n'existe pas que des elfes-dragons. Il y a aussi des humains-dragons et des orcs-dragons, par exemple. Il en va de même pour les demi-azuriens, les demi-esprits, les demi-nains et j'en passe. »

Bon, je dois avouer que mon résumé est assez simpliste... mais au moins, ils savent l'essentiel, maintenant. Je souris intérieurement. Décidément, la vie est pleine de surprises. Je n'aurais jamais cru que j'aurais à expliquer ça un jour. Honnêtement, ça ne me dérange pas plus que ça. La situation a beau être particulière, ce n'est pas si différent de d'habitude. Je parle souvent de tout et de rien avec mes partenaires.

On râle sur le temps qui fait, on se raconte des anecdotes, on s’échange des recettes de cuisine... des banalités comme ça, je peux comprendre que ça puisse surprendre. Ce n'est pas la première chose à laquelle on pense dès qu'on évoque le mercenariat. Sauf que ce n'est pas parce qu'on est des mercenaires qu'on ne peut pas parler d'autre chose que de travail.


En tout cas, s'ils veulent plus de détails ou que j'explique autre chose, ce n'est pas un problème. Après tout, on est tous passés par là quand on était petits. Bon, je ne l'ai pas vécu comme les autres enfants, vu que je n'ai jamais été à l'école... enfin, peu importe. Quand mon père et Eléonore était encore ensembles, je n'arrêtais pas de poser des tas de questions.

Sur les autres races, l'art, les animaux... et toujours avec des étoiles pleins les yeux, comme ce jeune homme à l'instant où il m'a vue. J'avais tant de choses à apprendre, à découvrir. Je me voyais déjà explorer des millions d'endroits quand je serais plus grande... bref. Je comprends ce qu'il ressent. D'où cette sympathie qui est arrivée bien vite, malgré ma méfiance habituelle envers les étrangers.

Par contre, j'ai fait ou dit quelque chose qui ne fallait pas ? Son compagnon me regarde comme si j'avais insulté sa grand-mère, ou un truc du genre. Je le fixai d'un air perplexe suite à ses propos. Comment ça, je me moque ? La situation m'amuse simplement par son côté atypique, c'est tout. Et même si c'était vrai, ce sera jamais méchant avec moi. Je suis juste quelqu'un de taquin, qui aime bien rire, même pour pas grand-chose. Loin de moi l'idée de blesser ou vexer qui que ce soit.

Même si je ne vois pas ce qu'il y a de mal à en rire, au juste ? Enfin, Lucius n'a vraiment pas le sens de l'humour, à ce que je vois. Vouloir s'en aller, pour si peu... je plaquai tout de même un sourire poli sur mon visage. L'un a beau ne pas être très aimable, ça ne veut pas dire que je vais faire pareil pour autant. A moins qu'il l'ait vraiment cherché ou que sa tête ne me revienne pas non plus... ce qui est tellement rare que je mentionne ce détail quasiment jamais, c'est pour dire.


« Bien sûr que c'est de l'humour. Si j'avais écrit ça pour décorer la plage, ça ferait moche. Non, faire des dessins partout, ça rend beaucoup mieux et c'est beaucoup plus créatif. »

Je m'amusai à dessiner des bonhommes qui faisaient mumuse avec les lettres de mon mot. Les lancer comme un ballon, faire du poney dessus, les plier, les mélanger... les possibilités sont infinies. Lorsque Croyance se présenta avec son frère Lucius, je souris plus doucement. Non, ils ne me dérangent pas. Ce n'est pas comme si j'étais venue ici pour faire une pause.

Bon, c'est vrai que je suis quelqu'un de solitaire. Il y a des jours où je préfère rester seule pour garder un peu de temps pour moi, ou parce que j'en ressens vraiment le besoin. Mais là, ça va. Pendant que la ville se réveille tout doucement, j'ai pu profiter à loisir du bruit des vagues... tout en admirant de nombreux nuages en forme de nourriture, étrangement.

Cela dit, je ne m'attendais certainement pas à avoir de la visite, ahah. En vrai, la gentillesse et l'innocence de Croyance sont aussi touchantes qu'adorables. Lucius a de la chance d'avoir un frère comme lui. Bien que je n'en montrai rien, une certaine mélancolie m'envahit à cette pensée. Il a la chance d'avoir un frère tout court, même. Moi, j'ai toujours été toute seule... enfin, j'ai mon père que j'adore, c'est vrai.


Seulement... un père et un frère, ça n'a pas l'air du tout pareil. A une époque, j'aurais donné n'importe quoi pour avoir une sœur ou un frère, n'importe quoi. Un grand frère ou une petite sœur, peu importe. Tout ce que je voulais, c'était avoir quelqu'un à mes côtés. Quelqu'un qui ne me frappe pas à coup d'épée. Qui ne me demande pas de lui apporter ses chaussures comme si j'étais un chien.

Qui ne fait pas exprès de renverser son assiette pour m'obliger à tout nettoyer, en disant que c'est de ma faute en prime. Bref, quelqu'un en qui j'aurais pu trouver une vraie famille dans les moments difficiles, pas seulement mon père. Il a toujours fait de son mieux pour être là, mais il ne pouvait pas l'être vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Il avait la chance d'avoir une vie en dehors de la prison où j'ai grandi. J'ai eu tort de l'avoir blâmé pour ça... clairement, ça aurait été un vrai soulagement pour nous deux de pouvoir s'appuyer sur l'épaule de quelqu'un d'autre. Enfin bon, rien ne peut changer le fait que je suis fille unique. Le déni de Lucius me tira un bref sourire amusé. Il n'est pas méfiant ? Non, bien sûr que non... et moi, je suis le marchand de sable.

En revanche, je restai silencieuse quand il me qualifia de "futile". Je me relevai simplement pour épousseter le sable sur mes vêtements, remuant un peu les ailes dans la même optique. En temps normal, j'aurais eu un certain nombre de choses à rétorquer. En effet, Lucius ne me connaît pas. Et sans méchanceté, il n'est pas le mieux placé pour savoir ce que je vaux.


C'est comme si je partais du principe qu'il n'a jamais manié une arme de sa vie, sous prétexte que lui et son frère ne sont pas armés. Peut-être qu'ils emploient la magie à la place. Peut-être qu'ils ne sont que de simples civils, va savoir. Personnellement, j'ai la vague impression qu'ils ne sont pas des combattants, mais peut-être que je me trompe. Je gardai le fond de ma pensée pour moi, l'air plus neutre sans être hostile pour autant. Disons que je me demande s'il n'y a pas autre chose derrière la méfiance de Lucius.

Elle est peut-être liée à un désir de protéger Croyance de ce qu'il pense être "nocif" pour lui ? Je peux comprendre. C'est normal de vouloir protéger un être cher. Sauf que là, je n'ai juste aucune raison de leur faire du mal. Ils n'ont pas braqué une bijouterie ou agressé des habitants, que je sache. Il y aurait eu des avis de recherche et un article dans les journaux, sinon. Voyant Croyance qui commençait à s'emporter contre son frère, je lui glissai doucement.

« Ecoute, Croyance... c'est très gentil à toi de prendre de prendre ma défense. Seulement, je ne voudrais pas que ton frère se sente obligé de me parler alors qu'il n'en a clairement pas envie, ou qu'il ronge son frein tout le long en nous écoutant discuter, comme c'est le cas actuellement. »

Avec un signe poli de la main, je les laissai sur ses mots. D'une part, ça ne sera agréable pour aucun de nous trois. Et d'autre part, je n'ai pas envie de provoquer une dispute pour si peu. D'un autre côté, ça leur laisse l'occasion d'en discuter en tête-à-tête, si jamais. Cela dit, je gardai tout de même un œil sur eux sans le montrer, au cas où ça dégénérerait. J'amplifiai mes sens magiquement, faisant comme si de rien n'était.


Un bruit sourd me fit soudain tourner la tête. Oh, c'est juste une noix de coco qui est tombée. J'esquissai un sourire involontairement. Maintenant que j'y pense, je n'ai même pas encore pris mon petit-déjeuner... est-ce qu'elle est comestible, celle-là ? C'est le cas en principe, mais je préfère toujours m'en assurer. Ce serait con de tomber malade en mangeant une pomme pourrie.

Je posai un genou à terre, tournant et retournant le fruit entre mes mains. Non, rien d'anormal... elle est très bien conservée. Repérant les trois trous habituels, je fis apparaître un disque de lumière en visant un endroit précis. Je ne suis pas encore au niveau de ces professionnels qui y vont à coup de machette, mais je m'en sors pas si mal, en vrai.

Quelques coups de lame plus tard, la noix de coco était ouverte en deux. Le disque disparut comme il était apparu. Enfonçant ma griffe dans la chair blanche, je la rendis ardente un très court instant pour y découper un trou. Curieuse, je portai le fruit à mes lèvres, avant de ressentir une vague de plaisir. C'est parfait. L'eau de coco est sucrée pile là où il faut.

Bien que mes oreilles étaient grandes ouvertes, je retournai la tête vers les deux frères. Si jamais ils en veulent une ou deux, ma foi... ça ne me dérange pas de les ouvrir. En plus, on n'arrête pas de me répéter qu'il y a beaucoup de bienfaits dedans. Ça ne peut que leur faire du bien, avec le temps qui fait. Sauf si Lucius s'imagine une tentative de meurtre par ingestion de noix de coco, ahah.