Tapis dans l’ombre d’un buisson, observant méticuleusement les allées et venues des rondes de gardes qui surveillaient le campement de mercenaires, le Connétable de trois jours Mihkaï Varsaw scrutait à l’aide de sa longue vue la cible de son opération. Bien loin de la Cité d’Orzus d’où il avait été envoyé il avait immédiatement prit ses fonctions et sa nouvelle affectation duchéenne très au sérieux. Le lendemain de son entrevue avec le Roi Nebojsa il était parti en chemin pour le front chaotique du sud du royaume et avait passé les journées en voiture à absorber la documentation mise à sa disposition. D’après les corps d’armée déjà en faction aux environ, les affrontements avaient bien continué en défaveur de Teïder après la mort de feu le camarade Czernyov il y a un mois. La coalition ennemie se concentrait sur l'offensive et autres places fortes tandis que les Teïderriens désorganisés peinaient à repousser l'avancé des étrangers. Varsaw avait donc bien réfléchis pendant le peu de temps qu’avait duré son voyage et il était parvenu à la conclusion qu’il fallait rapidement rétablir un front fixe pour permettre aux bataillons Teïderriens de se repositionner avant de reprendre leurs terres puis de passer une fois de plus à la conquête.

Mihkaï pensait que si ce vieux croulant d’Ancelin avait échoué c’était parce que tout comme la plupart des hauts gradés il avait perdu le sens du terrain, du contact, de la valeur des hommes et de la réalité du front à force de participer aux batailles comme spectateur et non acteur. Il connaissait suffisamment les Duchés du Sud pour savoir qu’un gros atout de leur armée était son caractère informel ce qui lui donnait un aspect à la fois imprévisible et insaisissable, si Varsaw voulait faire honneur à son Seigneur et à son Père, il allait devoir innover. Cette soirée faisait donc office d’essai tactique pour trier les stratégies viables qu’il mettrait en pratique à plus grande échelle par la suite, il avait sélectionné trois de ses plus fidèles Commandeurs, leur avait ordonné d’amasser les Mestres d’Armes et soldats les plus rapides pour former un détachement d’environ une grosse centaine d’hommes répartis en groupe de trente avec lesquels ils allaient mener un assaut éclair. Le but n’était pas d’infliger de grosses pertes ni d’en subir mais de fracasser le plus possible les positions, brûler les ressources et troubler le mental de leurs adversaires. Si l’Armée de Teïder commençait à mener régulièrement ce genre de petits raids rapides ils pourraient épuiser leurs adversaire en abusant de l’avantage du nombre et ainsi fragiliser non seulement la frontière mais aussi le moral de leurs ennemis en prévision d’attaques de plus grosse envergure. Un essai préalable était nécessaire pour vérifier que ce genre d'assaut éclair était possible même en présence de soldat d'Akkaton ou d'Ikhyld.

Il était donc là, équipé de son armure complète en plaque et allongé sur le sol depuis maintenant trois heures dissimulé par l’orée de la forêt qui faisait face au campement de mercenaire qu’ils avaient prit pour cible. Situé en haut d’une colline mais bordé par le bois, le campement présentait une position avantageuse couplée à une vulnérabilité exploitable, que Varsaw et ses hommes avaient investi pendant une bonne partie de l’après midi. Ils avaient patiemment attendu que le soleil arrive au crépuscule pour leur offrir leur petite fenêtre d’action. Ils chargeraient, rentreraient à l’intérieur pour saccager le camp et repartiraient à la tombée de la nuit par les plaines pour profiter de l’obscurité et éviter tout risque de poursuite. Pendant la fin de la journée ils avaient observé leurs rivaux renforcer leur position en creusant des talus, en y installant des chevaux de frises et des chevrons de bois. Cela réduisait drastiquement leurs points d’entrées et ils devront écrouler une partie de la palissade de troncs pour pouvoir se frayer un chemin plus direct à l’intérieur, mais ils s’y étaient préparés.

Lorsque la luminosité ambiante commençait à diminuer ostensiblement, Varsaw se releva et fit signe au héraut à côté de lui de donner le signal. Celui ci porta un cor à sa bouche et émit un son grave qui résonnait sur les arbres pour se perdre dans la forêt, bientôt accompagné des sabots des chevaux tandis que le Connétable enfourcha sa propre monture pour suivre ses troupes hurlants à la gloire de Teïder.

En quelques dizaines de secondes ils avaient parcouru une bonne partie de la distance qui les séparait de la fortification, les deux mages de feu qui évoluaient sur les ailes de la formation se redressèrent pour lancer des langues enflammées contre les murs de bois tandis que les premiers émois leurs parvenaient déjà depuis l’intérieur du campement. Il verrait bien si sa stratégie fonctionnerait comme prévue.

Varsaw chevauchait au coeur de la formation, guettant la moindre faille dans la palissade adverse pour pouvoir s'y engoufrer. Les carreaux d'arbalète fusaient ça et là à intervals irréguliers et une flèche vint ricocher sur la plate de son épaule tandis qu'il dégainait son couteau de combat, manquant presque de lui faire perdre l'équilibre. Les mages de feu représentaient principalement une distraction pour non seulement pouvoir gêner la visée et les tirs des sentinelles postées en hauteur mais aussi et surtout pour dévier leur attention des éléments clés de l'assaut: la brigade d'arbalétriers montés devant Varsaw était là, dégainant leurs armes pour épingler les tireurs imprudents éclairés par les flammes ardentes qui léchaient les murs, se scindant en deux ils concentrèrent leurs efforts sur deux zones distinctes de chaque côté de la porte principale et les soldats qui étaient maintenant parvenus aux pieds des murs étaient protégés par ces tirs de supression. De là chaque homme qui transportait à l'épaule une corde et son grappin la déroulèrent pour les jeter par dessus les palissades, créant un passage pour se hisser jusque sur les murs et prendre le contrôle de l'entrée.

Une fois que la grande voie était ouverte, les forces teïderriennes moins les quelques pertes subies jusque là s'engouffrèrent à l'intérieur et l'affrontement se déchaîna alors que le corps à corps devenait le nerf du combat.

Varsaw laissa sa monture à l'extérieur et pénétra dans le campement pour y voir que l'escarmouche faisait déjà rage, tout le monde se battait, certains mercenaires s'étaient fait avoir avant d'avoir pu s'équiper entièrement et gisaient au sol, non loin de braves teïderriens sacrifiés pour la cause. En jetant un coup d'oeil rapidement autour de lui il voyait ses hommes s'engager un peu trop dans les combats singuliers, il devait leur rappeler le but de leur virée:

”SOYEZ VIFS, DÉTRUISEZ LES INSTALLATIONS ET PASSEZ À LA SUITE”

Il continua de vociférer quelques ordres puis se retourna vers le Commandeur à sa droite:

”Kohmak, prends une escouade et trouve leur vivres, si tu trouves leur poudre fait la sauter”

Tandis que son subordonné hochait la tête sous son casque et se mit en mouvement, le Connétable couteau en main reporta son attention sur le petit groupe de mercenaires qui se battait à une dizaine de mètres de lui, il voulu d'abord aller les refroidir mais son regard remonta sur l'archère à plume perchée sur la plateforme de ronde juste au dessus. Leur regards se croisèrent et il voyait à son accoutrement qu'elle avait des origines ikhyldiennes. De toute les races ignobles qui pullulaient chez les étrangers, les azuréens avaient une place toute particulière dans la noirceur du coeur de Varsaw, c'était de loin l'espèce qu'il haïssait le plus et chaque fois qu'il en voyait un vivant il avait toujours cette petite démangeaison qu'il ne pouvait calmer qu'en se débarassant de l'animal malin. Il commença à courir et s'élança sur les barreaux de l'échauffaudage qui montait sous la plateforme de ronde.

Son armure de plates était lourde, mais le corps de Varsaw avait été forgé dans la douleur, dans l’entraînement et dans l’effort physique, ses mouvements étaient sveltes comme s’il portait seulement une cotte de mailles. En quelques gestes et appuis biens placés il monta à l’échafaud, il regarda attentivement le bord de la plateforme pour surveiller que son adversaire ne profite pas de son ascension pour une attaque d’opportunité et voyant qu’elle n’en faisait rien il planta son couteau dans le bois de la plateforme pour se hisser dessus.

En se relevant il dévisagea un peu plus son ennemi. Maintenant qu’il l’avait en face de lui elle paraissait clairement Ikhyldienne, ça se voyait dans sa posture de combat encore plus que dans son apparat et son équipement. Son ouverture possédait une précision dans le positionnement de ses pieds et l’angulation de ses pattes qu’il était rare de trouver ailleurs que dans la rigueur samouraï des îles de l’Est. Pendant qu’il avait escaladé la fortification elle avait échangé son arc pour une lame noirâtre, et elle semblait maintenant prête à en découdre après avoir lancé une maigre provocation.

Varsaw constatait les codes de combats dont l’azurienne faisait preuve, il n’aimait personnellement pas ce genre de barrière auto-imposées, il trouvait que d’un point de vue pragmatique ça entraînait simplement une baisse de performance, mais il comprenait tout de même l’honneur que certains pouvaient y trouver. Il prit pieds sur ses appuis et monta les mains au torse, empoignant le couteau à l’endroit pour la première moitié du combat.

”Tu es ce genre de combattante hein… Très bien. EN GARDE” Il cria la dernière phrase tandis qu’il se jeta sur elle.

Tout en esquivant, avec la main qui tenait le couteau il tenterai d'aggriper le bras droit de son adversaire tandis qu’avec sa main libre il chercherait à attraper son épaule ou sa gorge, les épées ou les sabres à deux mains étaient si peu maniable comparé à des méthodes plus agiles mais compensaient par leur létalité, si Varsaw parvenait à restreindre la liberté de son opposant avec une prise la victoire serait rapide. Une victoire qui appaiserait un peu sa haine des azuriens.

”Crève, sous-race!”

Devant l’échec de sa tentative de prise, Varsaw déboula derrière l’azuréenne et manqua presque de s’affaler sur la passerelle. Il maudissait l’agilité de son adversaire qui semblait décidément plus légère et plus svelte que lui, un désavantage en combat rapproché qu’il n’avait pas l’habitude de rencontrer, il allait avoir besoin de plus de finesse pour continuer cet affrontement. Alors qu’il mit un pieds vers l’arrière pour s’assurer un départ rapide, il s’apprêtait à prendre son élan pour charger l’ennemie, mais au dernier moment il fut perturbé par une explosion dans le campement. À une centaine de mètres d’eux, une grand boule de flammes s’éleva dans le ciel, rugissant en engloutissant l’espace aérien, un grand souffle de chaleur et d’air vint les frapper sur la palissade, atténué par la distance de la déflagration ils ne perdirent cependant pas leur équilibre. Le Connétable fut tout de même brièvement désorienté, regardant autour de lui pour identifier ce qu’il se passait, il aperçut la fumée noirâtre qui montait dans les cieux et comprit que ses soldats avaient réussi à trouver la cache de poudre et à l’embraser, leur but était accomplis, qu’importe les pertes subies, il y’en aurait certainement eu des deux côtés, l’impact logistique et matériel était leur principale préoccupation.

”RETRAIIIIIIIIIIIIITE!”

Varsaw se lança de dos sur l’échelle qui montait en haut de la passerelle, dévalant le bois en faisant glisser l'armure sur les barreaux il se réceptionna par terre d’une roulade. Dévisageant la soldate une dernière fois d’un regard haineux derrière son masque, il ne fallait pas trop qu’ils tardent, plus ils restaient à l’intérieur du camp et plus ils donnaient à tout leurs opposants un moyen de s’organiser. La nuit était désormais tombée et Varsaw décrocha un cor à sa hanche pour souffler dedans, ne s’interrompant que pour hurler à nouveau le replis. Il siffla enfin, appelant sa monture à ses pieds pour remonter dessus et se ruer hors de l’avant-poste. Le tonnerre des chevaux retentissait autour de lui, il fallait encore faire le bilan de cette attaque en demandant à chaque officier survivant les rapports de bataille. Il verrait bien si cette tactique avait été aussi payante qu’il l’espérait.