L'art de la diplomatie était un exercice complexe, mais non moins fondamental pour un dirigeant, et particulièrement pour un dirigeant duchéen, qui était toujours par définition entouré, ou du moins dans son cas environné, de rivaux potentiels, sans compter les menaces internes et les autres problèmes divers et variés. Si riche et si puissant qu'il soit – et les deux, en ces contrées, allaient souvent au moins en partie de pair – aucun Duc du Sud ne pouvait s'émanciper des relations diplomatiques avec ses voisins et avec d'autres puissances, sous peine de finir renversé ou envahis à terme, sans compter que les négociations étaient également indispensables pour conquérir durablement de nouveaux marchés, ou à l'inverse empêcher qu'on ne vous en referme d'autres devant le nez, ce qui, sous ces latitudes, avait également une importance plus que capitale ! En somme, l'exercice diplomatique était certainement un exercice-clef.

Voilà pourquoi, quand vous aviez la chance de voir une opportunité diplomatique fleurir spontanément, vous ne la laissiez guère passé ! C'était ce qui s'offrait à Aukheperu, puisqu'une princesse étrangère se trouvait chez lui sans qu'il ait eut à l'y inviter, à l'initiative de cette chère Tullia, qui décidément était toujours pleine de bonnes idées. Elle avait organisée une fête d'anniversaire pour la noble eïrinienne, où Aukheperu avait eut l'occasion de croiser la belle jeune femme, offrant une superbe ouverture pour la convier, quelques jours plus tard, au Palais Ducal de Liomaida. Palais qu'elle trouva gardé par quatre soldats et un officier, tous portant, outre le blason au lion du Duché, un second, au serpent vermeille sur fond de sable. Ce n'était pas étonnant dans les Duchés, où, outre le blason de celui qu'ils servaient quand ils étaient en service long, les mercenaires gardaient toujours le blason de leur propre compagnie.

« Soyez la bienvenue, Altesse. Sa Grâce vous attend en effet, et j'ai été envoyé spécialement à votre rencontre. Veuillez me suivre, je vous prie. »

Celui qui avait parlé était l'officier du petit groupe, reconnaissable à ses galons comme un capitaine mercenaire, même si pas spécialement un capitaine indépendant. C'était un Elfe à l'air à la fois élégant et dangereux, tandis que les soldats qui montaient la garde étaient deux orcs, un naga et un humain, ce qui n'était guère étonnant dans un territoire aussi métissé que les Duchés du Sud. Ils saluèrent avec un bel ensemble et laissèrent passer la Princesse, son guide et son escorte, qui sembla naturellement autorisée à l'accompagner, comme si c'était simplement là quelque chose de très normal ici, et sans doute l'était-ce, car après tout, peu de hauts-bourgeois auraient été assez sereins pour entrer dans escorte dans la demeure d'un autre dirigeant lors d'une première rencontre.

« Sa Grâce nous attend à l'étage. »

Polit, bien que d'un ton un peu rugueux qui semblait trahir le mercenaire policé plutôt que le courtisan armé, le capitaine les mena dans le riche palais de Liomaida, aux couloirs décorés de nombreuses richesses accumulées là par de nombreux Ducs, jusqu'à l'étage, en effet, et à une porte de bois sombre qu'un serviteur ouvrit devant eux, révélant une sorte de salon aux tapis profonds, avec une table de bois exotique entourée de deux longs divans, et de grandes fenêtres qui donnaient sur le magnifique jardin ducal en contrebas. Le Duc lui-même se trouvait à ladite fenêtre, et se retourna quand ses visiteurs entrèrent, le capitaine se fendant d'un salut militaire en lieu et place d'une révérence, avant de faire un geste en direction de la damoiselle.

« Votre Grâce, voici le Princesse Iryna de Dasalvuri. Votre Altesse, je pense que vous connaissez déjà notre Duc, Aukheperu de Liomaida. »

Il y avait peut-être un soupçon d'amusement dans la voix de l'Elfe alors qu'il se fendait de cette rapide présentation, et un infime sourire étira les lèvres serpentine du Duc, avant qu'il ne se fende d'un sourire plus conséquent, qui révéla en partie ses crocs impressionnants, bien que guère de nature, sans doute, à réellement inquiéter quelqu'un du standing de l'eïrinienne ?

« Merci, Tyalo. Impeccable, comme toujours. C'est un plaisir de vous revoir, Votre Altesse. »

Et de s'incliner avec politesse devant la jeune femme, comme il l'aurait fait devant une Duchesse de rang égal au sien. Il eut un geste de la tête en direction de l'Elfe, qui se retira après un nouveau salut militaire et sur un sourire, laissant les deux dirigeants en tête à tête, sauf si Iryna décidait de garder son escorte, ce qui ne serait pas commenté. Si elle les renvoyait également, on les laisserait prendre place de chaque côté de la porte, côté extérieur, ou bien on leur proposerait un rafraîchissement dans une pièce annexe, si c'était plus dans leurs usages. En tous cas, seuls ou non, Aukheperu désigna les divans avec un sourire.

« Je vous en prie, prenez place. On  nous apportera bientôt quelques rafraîchissements, et peut-être une collation, si vous le désirez. Permettez moi de dire que vous êtes très en beauté aujourd'hui encore, en tous cas. »  

Les deux dignitaires furent donc laissés seuls, du moins pour un petit moment, et Aukheperu hocha doucement la tête à la réponse de la Princesse, saisissant une petite cloche argentée dont il sonna doucement, sans que personne n'arrive directement... sans doute que le signal avait été convenu à l'avance que cela voulait dire que la collation devait être apportée, le Duc semblant après tout être quelqu'un de particulièrement bien organisé.

« La collation va arriver, quant au rafraîchissement, je vous propose ceci... ne vous en faites pas ce n'est ni de l'alcool ni du sang, bien que nous fassions de l'excellent vin, mais un mélange de jus de fruit frais, très en vogue chez certains de mes hauts-bourgeois. »

Tout en parlant, Aukheperu avait tiré deux verres de cristal d'une armoire latérale, auquel il joignit deux carafes du même matériaux, posant le tout sur un plateau de bois assortit à la table et se tournant pour y déposer le tout. L'une des carafes était remplie d'un liquide aux teintes ambrées tirant sur le rouge, et l'autre d'un liquide d'un rouge profond guère difficile à identifier vu le contexte. Toutefois, en se tournant vers Iryna, le Naga vampirique marqua un temps d'arrêt, prenant le temps d'admirer sa beauté lumineuse, comme on pouvait admirer une œuvre d'art, avant de se remettre en route et de déposer doucement le plateau.

« Je dois dire que votre beauté est très au-delà des descriptions qu'on en fait, ou bien même du bref aperçu que j'avais pu avoir lors de votre anniversaire, Altesse. Je me sens privilégié de pouvoir en profité en tête à tête, et j'espère que vous ne conclurez pas à une vaine flatterie pour autant. »

Le Duc aurait certes pu n'en rien dire, tout comme il aurait pu d'avantage masqué l'effet que lui faisait la beauté de la jeune Humaine, mais il avait constaté que ce genre de franchise était souvent payante, et que du reste les compliments, surtout ceux à la sincérité manifestes, étaient rarement totalement lettres mortes chez une dame. Quoiqu'il en soit, il glissa doucement sur le divan restant, à la manière des Nagas, et vint servir un verre à la jeune femme et un autre pour lui-même, la servant bien entendu de la première carafe et lui de la deuxième, avec des mouvements calmes et consommés, semblant laisser voir qu'il avait l'habitude de se servir lui-même, comme sans doute en soit beaucoup de responsables duchéens étant partis du bas pour arriver au sommet, ce qui n'était pas si rare, au fond, en ces contrées.

« Ceci dit, je serais un bien piètre dirigeant si je ne vous avais invité que pour profiter de votre pourtant certes charmante compagnie. J'ai pensé que, puisque vous étiez dans mon Duché, il aurait été dommage de ne pas en profiter pour parler diplomatie et commerce. Après tout, nos deux nations sont tournées vers la mer et, par ailleurs, sont les territoires les plus rapidement accessibles par mer depuis nos pays respectifs. Nous aurions tout à gagner, je pense, à renforcer mutuellement nos liens, autant commerciaux que politiques, ne pensez-vous pas ? »

La conversation semblait plutôt bien commencer entre eux, Aukheperu ne manquant pas de noter que la Princesse venue d'au-delà des sables akkatoniens semblait prendre plaisir à ses compliments, et tout autant apprécier le cadre et le ton de la conversation. De fait, le Naga vampirique reconnaissait volontiers que ce genre de conversations ouvertes et posées, avec une personne agréable par sa présence autant que par ses paroles, étaient sans doute aussi le style de négociations qu'il préférait, même si elles n'étaient évidemment pas toujours possibles de cette façon, cela allait de soit ! Quoiqu'il en soit, il eut un fin sourire devant la répartie de la belle damoiselle aux cheveux de neige.

« Ne vous en faites pas, je ne doute pas que si votre père vous laisse représenter le royaume, c'est parce qu'il juge que votre esprit est aussi digne d'éloges que votre beauté, mais je ne voudrais pas passer pour un flatteur en le complimentant avant de l'avoir vu briller. »

L'art de tourner un compliment, sans être à priori essentiel pour gouverner, l'était dans les faits souvent pour maintenir efficacement une cour et des contacts diplomatiques, et puis Aukheperu, une fois encore, ne disait que ce qu'il pensait... il était vrai que la royauté héréditaire pouvait parfois amener des gens moins capables qu'ils ne l'auraient dû au pouvoir, mais rien de ce qu'il avait vu de la jeune femme jusqu'ici ne semblait lui laisser présager qu'elle fit partie de cette catégorie bien dommageable de la noblesse, que du contraire, et cette conversation ne semblait pas laisser présager qu'il s'était trompé en la matière.

« Je vois que vous allez directement à l'essentiel, Altesse, et je ne peux que m'en réjouir... à ce propos d'ailleurs je vous propose de nous passer des circonvolutions protocolaires tant que nous sommes en tête à tête, si cela vous convient ? Je crains de ne pas être assez gracieux pour supporter la comparaison avec votre port altier si nous devons chacun nous conformer aux traits positifs qu'on associe à nos titulatures. »

Alors qu'il proposait cela en souriant doucement, ils furent interrompus quelques instants par deux serviteurs qui virent diligemment déposer toute une série de petits plateaux sur la table devant eux, avec divers mets à grignoter de types différents, avant de s'incliner et de ressortir. Cela avait laissé le temps au Naga vampirique de boire une gorgée de sang, avant de poursuivre.

« Nous sommes dans les Duchés, je suppose que vous ne serez guère étonnée de me voir commencer par le volet commercial ? Il y a déjà évidemment des échanges entre Liomaida et Dasalvuri, et c'est même grâce à eux que vous avez voyagé ici en premier lieu si j'ai tout compris, sur invitation de Dame Tullia. Mais je pense que nous pourrions nous entendre pour les faciliter et ainsi les inciter à se renforcer, notamment par une standardisation et une facilitation des formalités administratives. »

Bien sûr, Aukheperu ne comptait pas détailler les propositions qu'il exposait à la jeune femme paragraphe par paragraphe aujourd'hui, car elle doutait qu'elle soit rompue à ce point à ce genre de contrats complexes, plus en établir les bases que leurs administrations pourraient ensuite peaufiner plus en détail, sur ce sujet comme sur d'autres, sans doute.

« Comme vous l'avez souligné, nous sommes chacun une porte d'entrée pour l'autre dans le territoire qui s'étend au delà de nos rives, et je pense que de telles facilités pourraient confirmer la place de Dasalvuri dans les échanges avec les Duchés, et inversement celle de Liomaida dans les échanges avec la zone eïrinienne.... »