La dame ne semble point offusquée par mes paroles et semble même s’en satisfaire, puisque l’impression qui orne son visage a l’air plus confiante que menaçante. Elle hausse les épaules sans se démonter, tout en me demandant pourquoi perdre du temps à me débrouiller seul, alors qu’elle possède des informations. Oh, ça pourrait être une bonne raison en effet, il n’empêche que ça ne réduit pas le manque de confiance que je lui porte. En revanche, lorsqu’elle mentionne de nouveau son client, tout en m’assurant que son lien pourrait m’être utile, pour cette créature ou pour d’autres, j’ai une vague pensée. J’évite simplement de le faire paraître sur mon visage, me contentant de l’observer de la même manière que précédemment.

Mais en effet, garder un œil sur ce genre de contact, le connaître et savoir qui il est, ce qu’il fait et pourquoi pourrait effectivement m’être intéressant. Après tout, s’il est effectivement digne de confiance — il existe des gens de cet acabit, bien qu’ils ne soient pas fréquents — alors cela pourrait m’être utile, et à la nature aussi. Et s’il ne l’est pas, alors je saurais au moins qui il est. En revanche, puis-je me permettre de mettre en danger la potentielle existence de cette créature pour cela ? Je réfléchis, sans changer de mine. Hé bien ma foi, s’ils ont besoin de moi, c’est que, peut-être, ils ne sont pas les plus doués pour la recherche d’animaux spécifiques. Peut-être que s’ils me semblent indignes de confiance, je pourrais les mettre sur une mauvaise piste. Enfin, après, faut encore voir si l’alicorne existe réellement.

Quoiqu’il en soit, après avoir bu et laissé un léger temps d’attente, la dame reprend la parole. Elle m’explique alors ce que je pourrais y gagner à travailler avec son client, développe un peu plus les circonstances. Je l’écoute, j’entends parfaitement ce qu’elle me dit. Et même si mon visage ne change pas d’apparence, je finis par opiner du chef, l’air toujours neutre.

« Sans doute avez-vous raison, peut-être puis-je faire confiance en votre client. Ou peut-être que non. Vous comprendrez que je veuille garder ma méfiance, tant que je ne serai pas sûr de chacun d’entre vous, surtout en prenant en considération la créature en question. Et vous comprendrez en effet que savoir qui est votre client et le rencontrer sera une étape nécessaire, s’il est vraiment digne de confiance. »

Je l’observe toujours, guettant ses expressions, cherchant à voir si elle va se trahir ou non.

« Mais sans doute que, pour cela, travailler ensemble aujourd’hui sera nécessaire, ou du moins utile. »

Ce n’est pas faux, après tout. Qu’ils mentent ou non, j’apprendrai forcément des choses sur eux. Et comme je n’ai pas foi en eux, pas encore, je ne risque pas de les écouter aveuglément. Mais le reste est encore à voir.

La dame semble largement se satisfaire de mon demi-accord. Son sourire devient plus grand et satisfait et elle lève son verre, comme à notre accord. Ses réactions me tirent un rare sourire, bien que légèrement en coin et moqueur. Je ne me fous pas d’elle, mais je dois avouer que son enthousiasme pour si peu, ce n’est pas ce que je vois le plus souvent. Enfin, il y a bien une personne qui réagit comme ça, mais c’est un renard mutant magique et il est allongé à mes pieds. Je ne sais pas si la comparaison pourrait faire plaisir à Tullia ou à Yuno.

Elle vide son verre et son gros acolyte l’imite, avant de se lever. Je les observe en les imitant, alors que dame Azul m’explique qu’ils partiront demain matin, tout en m’invitant à les rejoindre si je suis toujours intéressé. J’opine doucement du chef, tout en réfléchissant. Elle me souhaite finalement une bonne soirée, avant de prendre congé. En partant, elle me laisse l’un de ces sourires dont elle a le secret, ainsi qu’un signe de la tête et je décide, pour une fois, de lui rendre exactement la même chose. Enfin, je ne sais pas si je suis doué pour les sourires charmeurs, mais du moins, j’ai essayé.

Alors qu’ils disparaissent, Yuno décide de se relever, alors qu’il était resté allongé, les yeux posés sur nos interlocuteurs. Il penche la tête d’un air curieux dans ma direction et je lui souris.

« Une bien étrange situation et une étrange dame. »

Je décide de me rasseoir, devant mon verre d’eau, afin de réfléchir à la situation. Le renard pose la tête sur mes genoux et je lui gratouille machinalement le crâne, en pleine réflexion.

[···]

La nuit n’a pas été intense en réflexion. En fait, je n’ai eu qu’à peser le pour et le contre pendant dix minutes, avant de me rendre compte que on choix était déjà fait. J’irai voir cette alicorne quoiqu’il se passe, mais son existence même n’est pas certifiée. Alors que leur présence, leur existence et celle de leur client, elles, le sont. Si la créature existe et que je décide en chemin de ne pas leur faire confiance, je les emmènerai au loin, et si elle n’existe pas, elle n’a rien à craindre. Mais je dois au moins essayer de savoir qui est leur client et qui ils sont. S’ils sont honnêtes, alors je pourrai leur accorder ma confiance une prochaine fois — ou au moins plus facilement — et s’ils ne le sont pas, hé bien je le saurai. Et une fois ces constatations effectuées une seconde fois, je suis allé me coucher, et honnêtement, rien n’a été aussi facile.

Et c’est pourquoi, le lendemain, à l’aube, je prends la marche pour rejoindre Tullia Parande Azul et Felonius. Et le petit chat-chouette. Accompagné de Yuno et de Rin — même si celui-ci dort encore paisiblement — je finis par arriver sur les lieux du rendez-vous. Je les vois qui m’attendent avec des chevaux et je leur fais un signe. Mes affaires sont importantes, comme d’habitude je ne prends que le vrai strict nécessaire. Et pour les chevaux… Ma foi, je pensais y aller à pied. Et si Rin m’entendait, il me raillerait en disant « mais Gee, t’es toujours à pied, de toute façon ». Bref.

J’aperçois finalement l’accoutrement de la dame et je fais une vague moue. C’est pas très discret tout ça. Donc si l’alicorne est craintive, je pense qu’elle va nous voir et s’enfuir avant même qu’on l’ait repérée ! M’enfin, la tenue est jolie — en plus de m’évoquer un oiseau — et j’imagine qu’elle doit avoir nombre d’intérêts — outre l’aspect de protection —, notamment magiques, au vu de l’énergie qui se dégage d’elle, pour qu’elle soit portée en ces circonstances. Et bon, ce n’est pas comme s’ils m’avaient caché qu’ils avaient besoin de mon « expertise ». J’ignorais juste que j’aurais besoin de leur donner des cours de discrétion ! Quoiqu’il en soit, je ne fais aucun commentaire, puisque, à dire vrai, je ne pensais pas qu’on pourrait jouer sur la discrétion avec un orc dans le coin. Loin de moi l’idée de faire des conclusions rapides, mais au moins, je n’ai rien espéré.

« Messieurs-dames, » les saluais-je simplement, tandis que Yuno jappe un bonjour bruyant.

Je suis désormais à leur niveau, et j’attends, patient. J’espère que cette recherche sera fructueuse, avec ou sans alicorne. Et que je ne vais pas regretter d’être venu.