Eïlynster... retranchée derrière ses puissantes murailles, la nation la plus orientale d'Orzian n'était guère friande de contacts diplomatiques, mais il fallait dire que des milliers d'années à défendre inlassablement leurs frontières contre les assauts de Teïder semblaient justifier une certaine méfiance. Malgré tout, Hansing ne désespérait pas l'Empire d'Ikhyld parvenir à nouer des liens avec ce voisin renfermé mais pas vraiment hostile ou négatif dans le sens où pouvaient l'être les teïderiens, par exemple. Il était convaincu qu'avec le temps, le royaume isolationniste saurait voir tout l'intérêt qu'il y avait à se rapprocher des ikhyldiens. Hélas, il était dans la nature des êtres pensants que ce genre de se rapprochement se fasse plus rapidement en période de troubles qu'en période de paix, mais il se trouvait justement que les troubles ne manquaient pas ces derniers temps.

Entre le retour de Césario, qui était d'Eïlynster à l'origine, le fait que les teïderiens aient invoqué la sombre entité qui leur servait de divinité et le retour des anciens dieux Nagas, les problèmes qui concernaient de prêt ou de loin les eïlynsteriens étaient tout de même nombreux, et tous concernaient aussi Ikhyld à un certain degré. Si tous ces fléaux étaient autant de problèmes sérieux à gérer, il n'en restait pas moins que c'était aussi une occasion de prouver à Eïlynster les bienfaits de la coopération ! C'était pour cela qu'Hansing avait été envoyé comme émissaire diplomatique au près de l'état-major du royaume isolationniste, dans le but de les convier à la grande rencontre diplomatique qui aurait lieu vers la mi-Decrembeïs en Ikhyld et où, espérait-il, l'Impératrice-Phénix serait en mesure de les convaincre de rallier l'effort commun contre ces diverses menaces qui touchaient tout le continent, y compris Eïlynster, à divers niveaux.

Outre ses talents de diplomates, Hansing avait été choisi pour cette mission car il était autorisé à entrer en Eïlynster suite au grand service qu'il avait rendu au royaume quelque mois plus tôt en arrêtant un dangereux criminel en fuite, un Thérianthrope Zêta des plus agressifs. Il avait donc été bien plus facile d'organiser une entrevue pour lui que pour un diplomate lambda. Néanmoins, une fois l'une des grandes portes qui gardaient l'entrée de la grande muraille eïlynsterienne, il n'en fut pas moins informé qu'il allait être « escorté » jusqu'au lieu de la rencontre par des patrouilles locales... sans doute moins pour sa sécurité que par méfiance. Au fond, ce n'était pas très étonnant, et Hansing accepta de bonne grâce, sachant qu'il ne pouvait pas faire grand-chose d'autre de toute façon. C'est ainsi qu'il se rendit au campement de la troupe chargé de l'escorter jusqu'à la grande ville la plus proche, trouvant assez facilement leur commandant, qui se révéla être une commandante, et aussi une demi-nagate, de façon assez visible.

« Madame, c'est un honneur de vous rencontrer, et je vous remercie d'avoir accepté avec vos hommes de m'escorter jusqu'aux représentants de votre nation. »

Tout en parlant, Hansing s'était incliné à l'ikhyldienne, en signe de salut autant que de respect, se montrant comme toujours d'une délicate politesse, autant par sa propre nature que parce qu'il était important de faire bonne impression lors de cette visite...

Hansing n'avait pas une grande science des grades militaires eïlynsteriens et de leur apparat, raison pour laquelle il n'avait pas donné celui de la jeune femme en la saluant tout d'abord, mais il n'était pas besoin d'être un expert pour discerner un officier de la troupe qu'il commandait, après tout. Il inclina légèrement la tête quand l'hybride se présenta, avant d'écouter ses questions. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle lui demande les détails de sa venue puisqu'elle était venue pour l'escorter, mais il n'était pas un grand connaisseur des mœurs d'Eïlynster et puis il était possible qu'elle soit simplement curieuse d'entendre tout cela de son bec. Dans tous les cas, il ne se fit guère prier pour répondre, la raison de sa présence n'ayant après tout rien de secrète.

« Enchanté, alors, Lieutenant Sleeslith. Je suis Hansing Liuxian, diplomate envoyé par l'Empire d'Ikhyld, vous pouvez simplement m'appeler Hansing. »

Après tout, il n'avait pas vraiment de titre ou de grade à faire valoir dans une société telle que celle d'Eïlynster, et sa modestie naturelle faisait généralement qu'il ne s'offusquait guère d'être appelé par son prénom, quelque soit le cadre. Il semblait en effet très ikhyldien, dans sa tenue de voyage à la fois pratique et élégante, brodée d'écailles de dragon enchantée comme on n'en produisait guère qu'à Ikhyld, et protégé par une armure de cuir légère comme aimaient à en porter les Azuriens, d'excellente qualité et là aussi assez élégante pour ne pas jurer avec le personnage sans pour autant être une coquetterie inefficace. S'il avait des vêtements plus nobles pour certaines rencontres de cours, il lui semblait que dans la martiale Eïlynster, garder son armure ne devait pas être une faute de protocole.

« Je suis venu dans votre pays pour discuter avec certains de vos généraux de l'invitation de l'Impératrice-Phénix d'Ikhyld à ce qu'Eïlynster rejoigne la table des discussions pour parler des troubles qui secouent actuellement le continent, et qui nous menacent tous sans distinction. »

Encore une fois ce n'était guère un secret, et toute occasion de répéter aux eïlynsteriens qu'ils avaient tout intérêt à collaborer à l'effort commun, de peur de voir se tourner contre eux les diverses menaces surgies en Orzian ne lui semblait jamais du temps perdu.

« À cette fin j'aurai l'honneur d'être escorté par votre compagnie jusqu'à votre ville la plus proche pour discuter avec certains de vos responsables de leur venue en Ikhyld prochainement. »

Il ne s'agissait pas à priori d'un voyage trop long, puisque la réunion aurait lieu d'ici quelques semaines à peine, et qu'il fallait que les envoyés d'Eïlynster fassent ensuite eux aussi le voyage, mais Hansing était certain que sa sécurité ne serait guère en danger entre les mains d'une escouade de soldats de la plus martiale des nations d'Orzian – sans compter qu'il n'était pas non plus sans défense, après tout.

L'attentif Hansing, aux sens particulièrement aiguisé, avait bien remarqué que la belle hybride semblait guetter quelque chose chez lui, et visiblement, quoique ce soit elle sembla trouver ce qu'elle cherchait, puisqu'elle lui annonça qu'elle acceptait sa venue et qu'elle l'escorterait. L'Azurien était bien trop diplomate pour s'offusquer de ce genre de choses et il se contenta d'un hochement de tête avec cette étrange mimique du bec qui tenait lieu de sourire à ceux de sa race. En soit son identité avait déjà été contrôlé aux portes, d'une manière toute officielle, mais il n'était guère étonnant de voir les si méfiants eïlynsteriens avoir plus d'un protocole de sécurité à faire passé ! Dans la mesure toutefois où il était simplement ce qu'il prétendait être – et aurait sans doute été bien en peine de prétendre être quoi que ce soit d'autre, car cela n'était guère dans sa nature – il choisi de ne pas s'en préoccuper et accepta simplement la chose avant de se mettre en route en compagnie de la troupe eïlynsterienne, dont la cheftaine ne tarda guère à lui poser une nouvelle question, en soit bien plus vaste.

« Hé bien... c'est une vaste question, ma foi ! Il faut dire que bien des malheurs ont frappé notre pauvre Orzian ces derniers temps. Le plus... terre à terre de ceux-ci, même si c'est un peu étrange à dire, est sûrement le retour du dieu des teïderiens, leur « seigneur de la souffrance », qui comme vous le savez sans doute a déjà donné un premier assaut armé sur les Duchés du Sud. Même si pour l'heure il a tourné ses premières attaques vers l'ouest, je pense que votre peuple doit voir d'un œil inquiet le retour sur ce plan de la soit-disant déité de leurs pires ennemis... et à vrai dire cela seul aurait déjà de quoi inquiéter le continent tout entier, à mon humble avis. »

Le dieu de Teïder était un dieu de haine, qui prônait la souffrance de ses fidèles comme de ses ennemis, et enseignaient à ses ouailles que les Humains étaient une race élue qui devait purifier le continent... c'était en partie sous son impulsion que Teïder avait lancé sa politique de guerre et de conquête millénaire, qui avaient amenés Eïlynster à bâtir sa célèbre muraille. Et nul doute qu'en tant qu'hybride entre l'humanité et une autre race son interlocutrice ait de bonnes raisons personnelles de se méfier de la divinité teïderienne, puisqu'un des points saillants de son enseignement était que de tels hybrides devaient être purgés, par le feu de préférence...

« Il y a ensuite le réveil de Césario, que d'aucuns appellent l'empereur éternel, même si je suppose que votre peuple ne goûte guère à ce surnom. Il est probable que les deux événements soient liés, vu l'inimitié qu'a toujours porté le tyran nécromancien au dieu teïderien... mais je ne vais pas vous faire l'insulte de vous raconter cela, bien sûr. »

Hansing eut à nouveau cette mimique du bec qui tenait lieu de sourire aux Azuriens, ne souhaitant pas offenser son interlocutrice. Après tout, Césario était peut-être le personnage le plus célèbre de l'histoire d'Eïlynster, tyran militaire génial qui avait été corrompu par une antique relique nécromantique et avait ensuite été combattu et scellé par les eïlynsteriens refusant son règne dictatorial et potentiellement éternel... jusqu'à ce qu'il se réveil, tout récemment. Il était aussi inutile de souligner pourquoi Eïlynster devait être particulièrement désireuse de renvoyer cet écho de son passé à son tombeau ou à une mort définitive.

« Et enfin bien sûr pour ajouter à la confusion le réveil des anciens dieux nagas, en Akkaton... il est très probable que ce réveil-là aussi soit lié aux autres, mais nous ignorons encore comment au juste. Toutefois, ils semblent ne pas aimer le dieu teïderien, même si ce n'est évidemment pas une raison qui suffira à voir leur réveil autrement qu'avec hostilité, cela va sans dire... »

Là encore, l'Azurien préféra ne pas insulter celle qui était une demi-nagate en lui faisant l'affront de lui faire une leçon d'histoire sur son propre peuple, et sur comment après des millénaires de servitudes au service de leurs dieux créateurs, les Nagas s'étaient jadis révoltés pour les enfermer au fond de leurs propres temples... ou sur le fait que les dieux revenus dans ce monde n'auraient sans doute pas d'autres priorités, une fois leur affaire avec la déité teïderienne réglées, que de châtier leurs anciens esclaves révoltés, même des générations après la révolte en question, si on ne les arrêtait pas avant.

« Autant de menaces surgies plus ou moins en même temps valent bien que les nations de bonne volonté s'unissent ou du moins se coordonnent pour y faire face... du moins je c'est là me façon de voir. »

Hansing était en effet du genre à beaucoup parler, surtout une fois qu'il était lancé. C'était autant un trait de caractère personnel qu'une déformation professionnelle, car un diplomate devait par essence savoir manier l'art des mots et leur danse subtile, s'il voulait espérer être de quelque utilité. Néanmoins, l'Azurien était aussi un bon diplomate parce que ses sens aiguisés lui permettaient de repérer les petites variations dans le comportement de ses interlocuteurs, qu'il savait aussi analysé, que ce soit au combat ou plus pacifiquement lors d'une discussion telle que celle-ci. Il nota donc que la belle hybride semblait avoir manifesté une certaine curiosité sans l'exprimer directement par moment, peut-être simplement pour ne pas lui couper la parole ? Il se résolut à y remédier, mais d'abord répondit à ce que la jolie demi-nagate avait exprimé avec des mots.

« Ikhyld est bien entendu avant tout une nation de paix, mais hélas il faut parfois recourir à la guerre quant on ne nous laisse pas le choix... un point sur lequel je pense que nos deux pays ne peuvent que s'entendre, en effet. Quant à demander hé bien je suis certain que c'est ce que l'Impératrice-Phénix a l'intention de faire, demander aux nations de bonne volonté d'unir leurs forces. »

Le mage ailé n'était après tout là que pour présenter l'invitation de sa suzeraine à venir se joindre à la grande table ronde qui aurait lieu à Ikhyld le mois suivant, précédée d'un bal visant à montrer justement l'unité des peuples dans des activités de paix quand Teïder et d'anciennes puissances mystiques les forçaient même à la guerre. Il présenterait peut être quelques points préliminaires en fonction de l'ouverture d'esprit des officiers supérieurs qu'il rencontrerait, mais sans doute pas grand chose de plus, du moins si tout se déroulait comme prévu.

« Mais dites moi je réalise que je parle beaucoup... c'est hélas le grand défaut des diplomates ! Peut-être aviez-vous une question ou quelque chose à ajouter sur ce que nous évoquions tout à l'heure ? »

L'Azurien avait posé la question avec cette douce politesse qui le caractérisait, alors qu'il avançait aux côtés de la belle hybride sur le chemin eïlynsterien... il ne lui arrivait que rarement de cheminer ainsi à pied sur de longues distances, mais cela ne le dérangeait pas outre mesure, d'autant moins dans la mesure où il avait l'occasion d'une conversation agréable pour égayer le trajet. Ses ailes aux plumes brunes étaient repliées dans son dos et il avançait sans se plaindre, découvrant tout en parlant les paysages d'Eïlynster qui s'offraient à son regard...

Si l'Azurien était par nature très attentif aux moindres changements dans l'attitude et le ton de ses interlocuteurs, ayant appris à mettre à profit ses capacités de perception exceptionnelles pour décoder ceux avec qui il parlait, ce qui était utile quand on était diplomate, il n'était pas du genre à se vexer facilement, surtout des choses dites, faites ou exprimées sans malice, sinon il n'aurait pour le coup pas fait un très bon diplomate. Il eut donc à nouveau cette mimique qui tenait lieu de sourire à ceux de sa race au premier trait d'humour de la belle hybride, notant sa tendance peut être un peu plus chaleureuse, sinon charmeuse, sans s'en plaindre bien entendu. En tant qu'Azurien, il n'était pas forcément des plus sensible aux charmes des humaines, ou des nagates d'ailleurs aussi bien, mais cela ne l'empêchait pas de savoir profiter d'une attitude porteuse de charme, toujours plus agréable qu'une attitude pleine de froideur ou d'hostilité, après tout.

Quoiqu'il en soit, il écouta donc ses réponses avec un léger hochement de tête, comprenant bien les sentiments qui pouvaient venir à quelqu'un comme son interlocutrice devant ces réveils multiples. Il eut à nouveau ce pseudo-sourire des Azuriens au trait d'humour sur l'océan, étant généralement bon publique de toute façon pour ce genre de choses – après tout, il était azurien, et par ailleurs un diplomate imperméable aux traits d'humour aurait été un peu étrange – avant de prendre quelques instants pour réfléchir finalement à sa question.

« Hmmm... il est vrai que vous êtes par votre nationalité et vos origines particulièrement touchée par ces trois menaces. Aucun d'eux ne m'en veux aussi directement en tant qu'Azurien, quoique Césario pourrait sans doute en vouloir à l'Empire Ikhyldien d'avoir annexé les territoires qu'il avait jadis dominé avant de se lancer à la conquête de sa propre patrie. »

C'était en effet dans ce qui était aujourd'hui devenu la Province Ikhyldienne en Orzian que Césario avait trouvé l'antique artefact qui l'avait corrompu et qu'il avait rassemblé des forces de vivants et de non-vivants pour dominer Eïlynster. Difficile de dire s'il voudrait vraiment récupérer ce territoire, vu que la défaite de Teïder et la domination sur Eïlynster avaient toujours été ses objectifs affichés, mais le mentionner était aussi un moyen de mettre en avant la communauté d'intérêt des peuples orzaniens pour faire face à cette menace.

« Difficile de dire quelle menace je choisirais de combattre directement si je devais choisir... je suivrais bien entendu les ordres de Sa Majesté Saeki en la matière, cela va de soit. »

L'admiration était sensible dans la voix d'Hansing quand il parlait de l'Impératrice-Phénix d'Ikhyld, mais cela ne devait rien avoir de particulièrement étrange. Il était connu que les Ikhyldiens avaient un respect particulier pour leur empereur – ou leur impératrice, aussi bien – et en la matière Saeki était après tout la responsable des armées d'Ikhyld, s'étant illustrée par la conquête de cet immense territoire qui formait aujourd'hui la Province Ikhyldienne.

« Mais si je devais choisir par moi-même je dirais le dieu teïderien... il porte tant de valeur de haine, il a causé tant de guère au fil des siècles en Orzian... je pense qu'il représente la menace la plus détestable à mes yeux, même si cela ne veut pas dire que les autres sont des innocents non plus, bien entendu ! Mais bon, je ne suis qu'un humble mage au service de l'Empire, je ne pourrais guère bannir seul une telle créature ! »

La conversation se poursuivait donc mais malgré ses bonnes résolutions prises quelques instants plus tôt, Hansing se rendit compte qu'il monopolisait tout de même beaucoup la parole ! Mais bon, il fallait bien dire que ce n'était guère très étonnant de la part d'un diplomate... ce qui n'excusait bien entendu pas tout, toutefois. Il résolut donc, tout en continuant de répondre aux questions de la belle hybride, de faire en sorte de l'impliquer un peu plus dans la conversation, du moins s'il le pouvait.

« Hmmm hé bien il y a deux mois de cela environs, comme vous devez sans doute le savoir, votre royaume a fait connaître que les verrous magiques qui maintenaient Césario dans son sommeil éternel commençaient à s'effriter. Une expédition a été montée en hâte pour l'empêcher mais hélas sans succès. Avec l’appui d'un des anciens dieux nagas, il a réussi à s'éveiller et à quitter le tombeau qui lui servait de prison. Néanmoins il a été blessé au passage, prouvant une nouvelle fois qu'il n'est pas invincible. »

Hansing ignorait à quel point l'information circulait à Eïlynster mais il ne considérait pas trahir un secret. Après tout, c'était Eïlynster qui avait conçu la prison de Césario et qui avait averti le reste du monde que le nécromancien maléfique était sur le point de se réveiller. Hélas les expéditions conjointes envoyées pour tenter d'empêcher cela avaient échouées, et cela non plus n'était pas un secret.

« Depuis, il a œuvré plus subtilement que la dernière fois, en relevant d'antiques morts des vieux empires nains et elfiques qui couvraient jadis le continent, avant les royaumes actuels, et semble amasser ses forces pour affronter le dieu teïderien... mais ces morts nous menacent aussi, et laisser ce combat arriver à son terme sans intervenir risquerait de nous laisser face à un vainqueur plus puissant que jamais, s'il parvenait à s'approprier les pouvoirs du vaincu ! »

Tout le monde savait, après tout – en tous cas bon nombre d'érudits, et sans doute tous les Eïlynsteriens – que les pouvoirs de Césario lui étaient venus de son armure... si le seigneur de la souffrance le terrassait et s'appropriait ces pouvoirs en plus des siens, par exemple, les choses pourraient bien mal tourner. Hansing n'ajouta rien pendant plusieurs minutes, semblant un peu pensif suite à ce qu'il avait lui-même développé, avançant doucement alors que ses ailes repliées balançaient légèrement derrière lui, avant de finalement tourner son regard perçant vers l'officière à ses côtés.

« Mais enfin excusez-moi, je m'attarde à loisir sur des sujets bien peu plaisant ! Si vous me permettez une curiosité plus innocente, quelle est votre spécialité martiale ? Vous ne semblez porter ni épée ni lance... terrasseriez-vous vos ennemis à mains nues ? À moins que vous ne soyez une collègue magicienne, peut-être ? »

Hansing ne craignait pas vraiment pour sa sécurité, et posait plutôt ses questions par politesse, ainsi sans doute que par réelle curiosité envers la belle damoiselle qui l'escortait. Un Azurien pouvait après tout échapper à pas mal de menace rien qu'en s'envolant, et il n'était pas lui-même sans défenses, même si ce n'était pas un point que sa modestie naturelle le pousserait facilement à mettre en avant... sans compter qu'il se disait que derrière la Grande Muraille d'Eïlynster les dangers devaient tout de même être peu nombreux, même s'il se trompait peut-être de ce côté, puisqu'il s'agissait après tout de sa première visite dans le royaume isolationniste. Néanmoins, il n'en accueillit pas moins positivement sa réponse, se fendant une fois encore de cette mimique que, même sans connaître spécialement les Azuriens, elle avait déjà pu identifier comme une façon pour eux de sourire.

« Hé bien, je suis ravi de voir que l'armée d'Eïlynster reconnaît ainsi les mérites de la magie une fois au combat... et je ne peux que saluer votre sagesse d'avoir une solution de replis ! Il est vrai hélas que parfois nos réserves peuvent s'épuiser au combat... moi-même j'ai appris à manier l'arc à cette fin, ce qui n'est sans doute pas bien original pour un Azurien, j'en conviens. »

Il était vrai que les armes de tir étaient presque par nature les atouts privilégiés des membres de sa race : rien de plus confortable après tout que de tirer sur l'ennemi quand on était soit-même bien à l'abri dans les cieux, non ?

« Je ne porte pas de titre particulier, non, pour vous répondre... seuls nos nobles terriens ont des titres spécifiques, mais ce n'est pas mon cas. Je ne pense pas que j'aurais le tempérament pour servir l'Empire de cette façon ! »

Après tout même s'il était intelligent et bon diplomate, Hansing n'était pas épargné par cette envie de voyage, cette aspiration de liberté, qui battait dans les veines de bon nombre d'Azuriens. Il avait simplement trouvé un moyen de concilier ses devoirs et cette aspiration profonde. Il resta silencieux un instant après cette première réponse, semblant un peu songeur alors qu'il rassemblait ses idées pour poursuivre la discussion.

« Quant à Sa Majesté Impériale... je crains de ne guère être objectif en parlant d'elle, ma foi. C'est une femme à la fois belle et très intelligente, maîtresse de la magie du feu et commandante des armées de l'Empire. C'est elle qui a mené la campagne qui a permis à Ikhyld de conquérir ses territoires en Orzian, même si c'est bien entendu pour sa sagesse et ses talents magiques qu'elle a été choisie pour occuper le Trône de Jade, et non pour ses prouesses militaires, cela va de soit ! Mais pardon, je suis du genre à m'emporter rapidement sur ce genre de sujet, je le crains ! »

Il était vrai que l'Azurien avait une tendance marquée à ne pas retenir le flot de ses paroles, sauf éventuellement quand il sentait que cela dérangeait son interlocuteur, ce qui ne semblait pas réellement être le cas ici. Ce n'était sans doute pas très étonnant de la part d'un diplomate, surtout que la belle hybride lui apportait toujours des éléments qui méritaient d'être développés en suffisance pour que la réponse apportée soit de quelque valeur. Son interlocutrice, d'ailleurs, se montrait bien moins disserte, mais il était habitué à dialoguer avec toutes sortes de gens, et savait s'adapter au mieux dans ce domaine. De fait, il s'apprêtait à répondre à sa nouvelle question quand il événement vint les interrompre, l'arrivée rapide d'un félin qui bondit dans le chariot tout proche d'eux, chariot dont Sleeslith tira ensuite de menues informations sur la suite de la route et les problèmes qui semblaient s'y poser.

L'Azurien en déduit qu'il devait s'agir d'un éclaireur, un Thérianthrope, peut-être, ce qui serait sans doute le plus logique vu la vitesse et l'endurance que pouvaient déployer les membres de cette race, ou peut-être simplement un transformiste, voir un animal dressé dont le dresseur pouvait comprendre les paroles... les méandres de la magie offraient de nombreuses possibilités, après tout. Le diplomate laissa la troupe avancer quelques instants en silence, puis fini par reprendre, histoire de ne pas paraître impoli en laissant mourir la conversation.

« J'espère que ce problème ne nous met pas dans l'embarras ? Si je peux apporter mon concours à sa résolution bien entendu n'hésitez pas... je ne suis pas expert en animaux mais le plus simple serait peut-être tout simplement de les mettre en fuite, non ? »

Bien entendu dans l'absolut Hansing pourrait également survoler le problème, littéralement, mais cela aurait impliqué de laisser derrière lui son escorte, et il ne tenait pas à froisser les Eïlynsteriens en agissant de la sorte, cela allait sans dire !

« Enfin, je vous fais toute confiance pour gérer cela, bien entendu... ah au fait, pour répondre à votre question de tout à l'heure, toutes les nations d'Orzian seront conviées, sauf Teïder, bien entendu. Ikhyld, Akkaton, Eïlynster, plusieurs des Duchés les plus importants et même Eïrn, s'ils acceptent de venir malgré leur isolement... Tout le monde est concerné par au moins un de ces problèmes, à un degré ou à un autre, même si les Duchéens sont sans doute les premiers menacés... »

Après tout, la menace la plus immédiate et la plus agressive semblait bien être le pseudo-Dieu des teïderiens, qui avait choisi de mener le premier assaut dans cette direction, mais les autres menaces étaient là eux aussi et ils avaient sans doute tous à y gagner en y faisant face en front commun, du moins était-ce l'avis du diplomate...

Hansing donnait bien entendu son avis de façon purement informative, et n'entendait pas régenter la marche de l'escorte... sans doute un noble arrogant aurait-il pu avoir cette idée, mais bien qu'il soit noble l'Azurien n'était certainement pas arrogant, ni avec la bonne tournure d'esprit pour cela. Il faisait confiance à son escorte pour régler au mieux les choses et s'était contenté d'émettre une possibilité, ce qui, vu le sourire que lui adressa la belle hybride, sembla plutôt apprécié par celle-ci. Finalement, elle choisi de façon plus prudente de s'arrêter en avance, tout simplement, ce que le mage ailé accepta d'un hochement de tête, notant au passage que deux autres membres du groupe semblaient trouver naturel d'approuver eux aussi... ses seconds, peut-être ? Il ignorait tout de la structure de l'armée eïlynsterienne au-delà des grandes lignes et plus encore l'organisation de ce genre d'unité, mais bon de toute façon cela ne le regardait pas vraiment, sans doute.

Quoiqu'il en soit, il vit le léopard repartir, après un dialogue qui lui laissait en effet penser qu'il s'agissait plutôt d'un transformiste ou d'un Thérianthrope... certes, il aurait simplement pu demander cette information à la belle hybride, mais se laisser aller à quelques suppositions inoffensives ne faisait pas de mal en soit, et avait le mérite d'exercer un peu sa curiosité et sa réflexion. Il choisi toutefois de vocaliser sa curiosité sur un autre élément de leur avancée.

« Dites-moi, vous semblez rodée à ce genre de problèmes... est-ce le genre de difficulté qui se présente souvent, en Eïlynster ? J'avoue qu'en Ikhyld nous n'avons plus depuis longtemps de grandes hardes sauvages de ce genre, sauf dans certaines régions reculées. »

Hansing ne semblait pas sous entendre que la réalité différente en Ikhyld était meilleure ou moins bonne que celle d'Eïlynster, mais considérait plutôt simplement que c'était une différence culturelle ou de façon de faire, dont il était curieux de connaître les détails. Du reste, sa charmante interlocutrice ne tarda pas à faire connaître une fois encore sa propre curiosité, sur des sujets plus sérieux sans doute. De fait, l'Azurien prit quelques instants pour réfléchir et formuler sa réponse, même si de ce côté il n'était pas bien difficile de dégager une réponse.

« Hmmm... les plus difficiles à convaincre seront sans doute ceux de la République d'Eïrn... ils se sont toujours caché avec succès derrière le vaste territoire qui leur est assujetit et qui leur sert de tampon entre eux et Teïder. On peut espérer que les nombreuses menaces les décideront. Pour les deuxièmes plus difficiles à convaincre hé bien je dirais... vous, en fait. Après tout, Eïlynster est défendue par une armée solide et de puissantes murailles. Mais je pense qu'entre le dieu teïderien, Césario et la menace planant potentiellement sur les nombreux Nagas qui vivent ici vos dirigeants accepteront de joindre leurs forces à l'effort commun, ou du moins de venir en discuter. C'est pour cela que je suis ici, en tous cas. »

Une fois encore, Hansing avait répondu avec sincérité, ne voyant aucune raison de cacher la vérité. De fait, les autres nations ne seraient guère difficile à convaincre : les Duchés étaient ceux attaqués directement par Teïder, tandis qu'Ikhyld et Akkaton ne pourraient mutuellement pas se permettre de laisser l'autre Empire intervenir seul et apparaître comme le sauveur du continent... sans compter que les Akkatoniens étaient les plus directement menacés par les pseudo-divinités nagates, puisqu'ils occupaient leur ancien territoire...

Même s'il n'était pas de ceux qui étudiaient directement les autres cultures, antropologues, ethnologoques et autres spécialistes du même genre, mais cela ne l'empêchait pas d'être curieux des autres peuples et cultures d'Orzian... ou même d'au-delà, même s'il avait moins d'occasion de se confronter à celles-là, bien entendu ! Il était donc sincère quand il s'intéressait à la culture eïlysterienne, et écouta avec attention la réponse de son interlocutrice. Il devait bien avouer que ce genre de situation, où une nation laissait vivre sur son territoire des créatures dangereuses dans ce genre... sans doute cela permettait-il aux habitants d'Eïlynster d'entretenir une certaine culture guerrière en y faisant face, ou peut-être, occupés à se défendre contre les menaces extérieures, Teïder en tête, n'avaient-ils jamais eut le temps de régler massivement le problème ? Difficile à dire, et puis il n'était pas expert de ce genre de questions.

L'Azurien fut plutôt content de voir que la jeune femme convenait sans mal de l'intérêt pour Eïlynster d'intervenir dans la complexe situation présente... certes, ce n'était qu'une « simple » officière, cela lui semblait tout de même de bon augure que la première eïlynsterienne avec laquelle il avait l'occasion de s'entretenir soit plutôt favorable à l'idée !

« Bien entendu ce sera à votre haut commandement de prendre la décision, mais j'ai bon espoir de les convaincre d'au moins se rendre à la table ronde organisée par Sa Majesté Impériale. »

Après tout, discuter ne coûtait pas grand chose, et les menaces qui pesaient sur Orzian concernaient aussi Eïlynster, dans un sens ! Resterait à voir si le royaume aux hautes murailles accepterait finalement de s'impliquer concrètement, et si oui jusqu'à quel point, mais cela ne dépendrait alors plus de lui. Quand vint la question sur son apparente résistance au froid, il eut cette mimique qui tenait lieu de sourire aux Azuriens et que la belle hybride avait déjà pu apprendre à reconnaître.

« Hé bien en fait c'est un peu des deux. La magie est profondément tissée dans mon corps après tous les enchantements qui ont été aposé dessus, et il se trouve qu'il existe un enchantement azurien qui vient renforcer certaines de nos dispositions naturelles. »

Pour illustrer ses paroles, Hansing vint déployer à demi une de ses ailes, sans cesser de marcher, de façon à ce que Sleeslith puisse en voir si elle le désirait l'intérieur, où l'on pouvait discerner une sorte de duvet entre les plumes, lesquelles semblaient par ailleurs également imperméable, le tout sans rien perdre de leur aérodynamisme.

« La magie est venue en quelque sorte faire muter mes plumes, me rendant résistant aux températures et particulièrement au froid... c'est quelque chose de plutôt pratique pour les voyageurs, ce que les Azuriens sont souvent après tout ! »

L'Ikhyldien eut un petit rire à cette affirmation, qui n'avait rien de très étonnant après tout. Dotés d'ailes et généralement de nature plutôt curieuse, on trouvait souvent des Azuriens qui voyageaient un peu partout... pas étonnant que leur peuple ait développé des enchantements facilitant ce genre de choses, même si tous les Azuriens n'étaient pas ainsi, bien entendu.

« Et vous, il vous arrive de voyager ? J'avoue avoir en tête l'image des Eïlynsteriens n'aimant guère quitter le havre de leurs puissantes murailles, mais peut-être n'est-ce qu'une fausse idée de ma part, c'est la première fois que je visite votre pays après tout ! »

Hansing n'était guère habitué à marcher sur d'aussi longues distances, le vol étant plutôt son mode de déplacement coutumier. Néanmoins, il était plutôt endurant de nature, et le fait d'avoir une conversation pour égayer cette longue marche et aider à focaliser son esprit faisait le reste. C'était agréable, d'une certaine façon, de prendre pour une fois le point de vue d'un piéton, et de découvrir autrement les paysages qu'il avait ordinairement coutume de survoler... quoiqu'il n'ait encore jamais survoler ceux d'Eïlynster, mais il avait confiance dans le fait que cela viendrait tôt ou tard, d'autant qu'il avait à présent, par ses faits d'armes, la possibilité d'entrer librement dans le royaume confiné par ses hautes murailles. Sans compter qu'en plus de la balade il profitait également des informations apportées par son interlocutrice, ce qui était toujours agréable et intéressant pour apprendre à connaître et à cerner une contrée nouvelle.

Il appris ainsi que les Eïlynsteriens étaient moins cantonnés qu'il ne le pensait derrière leurs fameuses murailles, n'hésitant pas à se rendre dans le reste du monde, bien qu'avant tout pour leur entraînement, donc. L'Azurien aurait difficilement pu leur reprocher le fait de ne voyager qu'en rapport avec leur travail et leur austère devoir, lui qui voyageait avant tout de par le continent orzanien pour son propre travail, pour remplir les nombreuses obligations qui lui incombaient en tant que diplomate au service de l'Impératrice-Phénix.

« Hmmmm il est vrai, maintenant que vous le soulignez, que j'ai déjà rencontré des Eïlynsteriens venu affûter leur maîtrise magique en Ikhyld... guère étonnant donc que vous voyagiez ailleurs pour affiner d'autres compétences, au final, même si je suppose que certains contrées ne doivent pas être faciles à traverser. »

Après tout, il doutait que les Teïderiens laissent volontiers passer des touristes Eïlynsteriens passant se former à la chasse en allant traquer des monstres en Eïrn ! Mais bon, il ne doutait pas par contre que depuis le temps le royaume isolationniste devait avoir développé diverses méthodes à ce sujet. Quoiqu'il en soit, après avoir réglé les détails de leur halte, qui visiblement s'approchait, la belle hybride revint à lui avec un charmant sourire pour lui livrer la façon dont elle voyait l'accueil à l'eïlynsterienne, ce qui fit naître en retour cette mimique qui tenait lieu de sourire à ceux de sa race chez le diplomate ailé.

« J'espère dans ce cas que vous me pardonnerez d'y être venu comme simple visiteur et messager. »

C'était clairement un trait d'humour, même si Hansing pouvait bien entendu comprendre l'intérêt de la maxime. Il jugea préférable de ne pas relever le fait qu'Eïlynster, outre sa longue histoire de résistance face aux agressions teïderiennes, avait aussi eut sa propre histoire de conquérant. Après tout, c'était en tentant d'annexer les îles orientales par la force que Césario avait trouvé son armure maudite pour devenir ce qu'il était aujourd'hui, et sans cet événement les eïlynsteriens auraient bel et bien conquis sans doute au moins une partie des îles par la force des armes, eux aussi. Mais il n'aurait guère était diplomate de s'appesantir sur ce point.

« Je trouve toujours cela intriguant et intéressant en tous cas de découvrir le point de vue des autres sur ce genre de sujets. En Ikhyld, nous préférons considérer que tous ceux qui viennent en touriste chez nous emportent avec eux une petite parcelle du mode de vie à l'ikhyldienne et de la splendeur de l'Empire, ce qui aide à renforcer notre prestige et à forger des alliances et des ententes. Mais ce sont là deux façons différentes de voir les choses, je suppose. »

Ce n'était après tout guère le genre d'Hansing de déprécier les coutumes locales, enfin, sauf quand elles étaient opposées à ses propres valeurs éventuellement, comme cela pouvait être le cas en Teïder, mais clairement pas ici, du moins pas de ce qu'il en avait vu jusqu'ici.

« Dites-moi, par curiosité, quand arriverons-nous à notre halte ? Non que je sois las du voyage bien entendu, mais j'avoue que je ne suis guère habitué à voyager par voie de terre avec une telle troupe armée, et que je sais donc peu reconnaître les signes qui pourraient m'indiquer où nous en sommes de notre voyage, hélas ! »

Pour tout dire, Hansing se figurait en effet assez mal les temps de trajet à pied, ayant très rarement eut l'occasion de les pratiquer dans sa vie, et y étant moins encore relié aujourd'hui, alors que ses ailes chargées de magie étaient capables de le porter sur de longues distances bien plus vite encore que la plupart de ses frères de race azuriens. Il hocha donc la tête avec une mimique légèrement surprise quand la jeune femme lui annonça le temps exact de leur trajet, prenant mentalement le temps de vérifier que cela laisserait bien le temps nécessaire pour accomplir sa mission... ce qui était en effet le cas. Cela n'avait en soit rien d'étonnant car s'il n'avait pas pris la peine de mesurer exactement le temps de trajet au sol, la douce et prévoyante Lyraselaya, l'Arcane de la Lumière qui était sa supérieure, l'avait certainement fait.

Il ne pu s'empêcher de noter toutefois qu'il faudrait qu'il obtienne à l'avenir un sauf-conduit pour pouvoir emprunter la voie aérienne, ce qui était en théorie possible vu les droits que lui avait accordé sa neutralisation d'un dangereux renégat eïlynsterien, car il se voyait mal faire la route à pied à chaque occasion ! Pour cette fois néanmoins, mieux valait montrer serre blanche, sans doute, et il n'émit donc aucune protestation à ce sujet, d'autant que la compagnie était agréable et que par ailleurs il réalisait bien qu'à ce stade il n'avait de toute façon guère le choix, surtout s'il voulait que sa requête soit accueillie sur des auspices favorables.

« Hé bien, je n'imaginais pas que le trajet serait si long, mais je le parcourrai avec plaisir sous si bonne garde et en si charmante compagnie. J'avoue que quand on a l'habitude d'utiliser ses ailes plutôt que ses jambes pour se déplacer, on mesure mal les échelles de temps vues du sol ! »

Sans doute les choses étaient-elles différentes pour les militaires, ou ceux qui de manière générale devaient agir en groupe – il doutait que son Impératrice-Phénix, toute ailée qu'elle soit, ignore les vitesses de déplacement de chacune de ses troupes – mais pour quelqu'un qui voyageait surtout en solitaire comme Hansing, le point de vue étant sans doute quelque peu différent.

« Oh ma foi ce n'était qu'une remarque générale, je n'ai pas après tout pour mission d'ouvrir ici une délégation commerciale ! Je sais d'ailleurs qu'Eïlynster est largement capable de se débrouiller seul de ce côté ! »

Après tout, cela faisait des siècles, depuis leur arrivée sur le continent au bas mot, que les ikhyldiens tentaient d'ouvrir des délégations commerciales et diplomatiques en Eïlynster, avec un succès toujours très relatif, preuve que ce peuple n'était guère ouvert aux échanges en général, ce qui se comprenait par sa longue histoire de résistance à un envahisseur extérieur. Hansing se tut un moment, laissant son regard se perdre sur le paysage enneigé, en soit bien différent des horizons fleuris de la Cité de Jade – bien qu'il ait déjà vu de nombreuses contrées enneigées par ailleurs, bien entendu – avant de finalement reprendre la parole.

« Hmmm si vous me pardonnez cette curiosité, de quoi est faite la vie d'un militaire eïlynsterien, quand il ne se retrouve pas obligé d'escorter un diplomate ailé venu d'Ikhyld ? Passez-vous tout votre service à patrouiller le Grand Mur pour repousser toute possible incursion teïderienne, ou bien y a-t-il des subtilités que je ne perçois guère ? J'avoue que j'ai du mal à entièrement concevoir cette société presque entièrement martiale qui est la vôtre ici, même si elle semble avoir ses avantages ! »

Hansing haussa légèrement un sourcil en entendant que la troupe avait pris une route plus longue à l'aller, et que s'ils en prenaient une plus directe au retour c'était avant tout pour épargner à leur invité un trop long trajet. Il devait avouer qu'il maîtrisait bien mal les échelles de distance terrestre, et il se fit la réflexion que c'était peut-être là quelque chose qu'il se devrait de corriger à l'avenir, histoire d'éviter de se méprendre si dans un cas dans le genre de celui-ci il lui devenait nécessaire de planifier lui-même des durées de déplacement, par exemple, surtout si un jour il devait ainsi traverser Ikhyld ou une partie d'Akkaton ! Quoiqu'il en soit, tout agréable que fut le trajet, il était aussi heureux de ne pas forcément le prolonger plus que nécessaire et hocha doucement la tête en direction de la femme-serpent.

« Hé bien je vous remercie du soucis que vous prenez du confort d'un diplomate bien peu habitué en effet aux trop longues randonnées ! »

Pour le reste hé bien... il aurait en vérité été probablement tout à fait capable d'affronter un Dragon, la question dépendant plus en vérité du degré de maîtrise magique de celui qui serait venu l'arrêter, mais il préféra ne pas faire cette remarque, à la fois par diplomatie et sans doute guidé aussi par sa naturelle modestie, qui s’accommodait mal de souligner de telles choses, toutes vraies qu'elles soient. Du reste il n'avait bien entendu pas l'intention de s'envoler brusquement sans autorisation, ce qui aurait été bien peu en cadre avec sa mission, d'autant qu'il savait que les forces aériennes d'Eïlynster étaient respectables, au-delà des emblématiques dragons dont la méthode d'enrôlement était parfois discutable. N'avaient-ils pas ce qui était sans doute la plus formidable forteresse volante du continent voir du monde, avec la garnison qui allait avec ?

Sa question suivante provoqua visiblement l'amusement de Sleeslith, puisque le rire de celle-ci vint flotter dans l'air autour d'eux, faisant naître en retour un air interloqué de la part d'Hansing, qui ne voyait pas bien ce qu'il avait pu dire de si drôle. La réponse de la jeune femme l'éclaira sur la question, quoiqu'elle le surprit aussi, car il ne s'attendait pas à être compris de la sorte, c'était bien une chose certaine. Loin de s'en formaliser toutefois, il sembla plutôt s'en amuser également, quoique sans aller jusqu'à l'éclat de rire.

« Hmmm... croyez bien que je n'ai pas manqué de noter votre féminité, Lieutenant. Simplement, ma formulation visait justement à évoquer le cas général du militaire eïlynsterien... typique pourrait-on dire, ou en général, plutôt que de vouloir pousser la porte de votre vie privée. Mes excuses si ma formulation a été maladroite, sans doute le reflet de ma maîtrise imparfaite de votre langue, quoique je me réjouis qu'elle ait du moins pu vous amuser. »

Et d'incliner légèrement la tête avec cette mimique qui tenait lieu de sourire à ceux de sa race, faisant sans doute référence aussi bien au rire de la belle jeune femme qu'à l'amusement de ses soldats.

« Ceci étant dit, votre façon même de vous en amuser, autant que votre façon de parler de votre pays, me laisse déjà entrevoir que la vie eïlynsterienne n'est pas teintée de cette grisaille militaire qu'on pourrait imaginer de l'extérieur devant une nation aussi martiale, ce qui là aussi me réjouis. Je ne regrette décidément pas que cette mission me donner l'occasion d'en apprendre un peu plus sur votre nation... »