Jardins du Palais - Grand Palais - Cité de Jade
??? de l'an 2000 de l'Âge d'Acier - Nuit.




La nuit était tombée depuis un certain temps déjà. Depuis combien de temps ? Je ne le savais plus. J'arpentais les jardin du Grand Palais, seule. Il y avait d'autres gardes mais la majorité étaient en solitaire comme moi et quelques rares chanceux en binômes. En ce qui concernait les patrouilles externes tout du moins. Par les temps qui couraient, la sécurité n'était pas ce que l'on cherchait à renforcer par-dessus tout, au contraire. Nous avions tous nos zones et la mienne, mon circuit de ronde, c'étaient les Jardins. Ce n'était pas la pire, loin de là. Seulement, en solitaire, de nuit, ce n'était pas la même chose. Oh nulle histoire terrifiante, simplement que c'était calme, bien trop calme. Oui, beaucoup trop calme et pas parce qu'il allait y avoir de l'action d'une minute à l'autre, ce que j'espérais du fond du coeur, juste qu'il n'y avait pas la moindre action. De toute manière qui viendrait attaquer le Palais de la Cité de Jade ? Quel être doué de raison et un temps soit peu doué d'une raison viendrait attaquer l'Impératrice Phénix ? Qui en cette cité serait assez stupide et téméraire pour venir défier la garde impériale de Sa Majesté ? J'en venais à avoir des pensées que jamais je n'aurais dîtes tout haut en temps normal.

Un être capable de ce genre de tour de force, il y en avait bien un dans les murs de notre glorieuse cité. Oui, un être qui, lorsqu'il était lancé dans sa bêtise était intraitable. Un être à l'opiniâtreté inégalable en termes de bêtise et de tentatives de prise d'assaut de ce lieu aussi bien qu'en escobarderies, farces idiotes et autres sournoiseries. Oui, un être qui ne pouvait appartenir qu'aux Kitsune. Nul autre peuple ne pouvait tant aimer l'amusement, le plaçant au dessus de bien des choses. Les maîtres en la matière étaient forcément de ce peuple et à ce compte, j'en connaissais deux qui pourraient fort bien être divinisés et ce, de leur vivant même. Deux Kitsune inarretables, deux maîtres de la farce dans leurs genres respectifs mais ô combien exaspérants lorsqu'ils s'associaient. Ces deux là réunis étaient digne d'une catastrophe naturelle, dévastant tout sur leur passage mais jamais méchamment dans le fond, ils étaient drôle. Je fais donc ici pleinement référence aux Seigneurs YUKINAGA Arashi et OGASAWA-ISHIZUKI Aoyuki. S'il y avait eu un Arcane et un Ministère de la Farce, ces deux là se seraient partagé l'assise. C'était d'ailleurs du deuxième que je parlais. Oui, c'était d'Aoyuki dont je parlais. Il en était venu à me manquer. Combien de temps s'était écoulé depuis qu'il avait été envoyé gérer les affaires de la capitale au nom de l'Impératrice à Ikhyld ? Cela faisait déjà deux bonnes années.  Autant de temps sans avoir à devoir le gérer et le stopper. Fut un temps où cela m'insupportait mais c'était vite devenu une routine. Il ne venait pas tous les jours, non. Il apparaissait de manière sporadique, frappant de manière aléatoire en des lieux tous aussi aléatoires. Nous ne savions jamais à quel moment il frapperait, seulement qu'il apparaîtrait sous sa belle forme de Renard à cinq queues au pelage  exhalant la magie. C'était au moins un point qu'on pouvait lui accorder. En tant que fille de Kitsune, je connaissais les légendes autour de ce pelage bleuté si singulier mais là n'était pas la question. Il y avait aussi le seigneur Araki. Lui agissait autrement et c'était tout aussi divertissant. Avec ces deux là, nous étions tout le temps contraints de rester sur le qui-vive. Malheureusement, ce soir, le kitsune aux Milles Visage ne serait pas de la partie non plus. Son beau pelage neigeux et argenté ne serait pas une source d'amusement.

Combien de fois avais-je arpenté ce Jardin ? Combien de fois l'avais-je traversé de long en large ? Combien, encore, en avais-je fait le tour ? Le compte, je l'avais perdu depuis bien longtemps, aussi bien dans sa totalité que pour cette simple soirée. J'en étais arrivée à un banc et je m'y laissais choir. Netsu vint se poser à mes côtés, bientôt rejoint par Hisui. Levant la tête, mes yeux vairons se noyèrent dans l'immensité marine parsemée d'étoiles. De lointains souvenirs affluaient en moi, imposant des images à mon esprit tout autant que de mélancoliques sentiments en mon cœur. Machinalement, j'avais attrapé ma flûte.

"Tout noble kitsune qui se respecte, se doit de savoir montrer la grandeur ainsi que la beauté de son âme. En tant que jolie femme de cette race, tu te dois même de pouvoir ravir le monde et l'agenouiller devant toi et pour ce faire, nous avons l'art. Nous sommes des créatures magiques oui mais notre magie passe également par l'art sous toutes ses formes. Tu ne devrais pas te sous-estimer, tu es une belle femme et ton âme l'est bien plus encore, c'est pourquoi tu devrais approfondir cette voie. ton art martial est une chose et je ne te le retire pas cependant, la flûte, ta flûte est une autre expression de ton âme. Avec elles, tu peux toucher les gens. Peu importe les barrières culturelles, sociale ou même de langues, avec la musique, tu peux raconter des histoires à tout le monde. Que ce soit la tienne que tu impose ou une ouverte à l'imaginaire de celui qui l'écoute, le laissant libre de voir ce qu'il veut, c'est toi qui guide le rythme. Je te le redis, tu es une belle femme et à ce sujet... J'ai un morceau qui me vient à l'esprit, dicté par ce que je peux lire dans ces beaux yeux dépareillés, améthyste et jade, tout autant que par ta personne et ton surnom. Maihime en vieux kitsunéen, littéralement, la Princesse Dansante. Ce sera ton surnom dorénavant alors écoute bien et apprend, on dirait qu'elle a été faite pour et par toi..."

Pourquoi fallait-il que je pense à ceci à ce moment précis ? Mon cœur se serra, autant que je serrai ma flûte. Un fin sourire vint illuminer mon visage alors que ma tête s'était laissée tombée en arrière. La lune était pleine et brillait haut dans le ciel, semblable à cette nuit là. Sa douce luminosité m'enveloppait et donnait un éclat particulier aux lames de mes deux amours.

« Humpf ! Adorable abruti va !  »

Je m'étais alors mise à jouer de ma flûte, me laissant aller pleinement. Les yeux clos, mon âme guidait mes doigts, j'emplissais alors l'air de ma mélodie, repeignant le monde alentours à ma façon, le faisant vivre telle que la mélodie l'imposait. Je ne m'arrêterais plus avant la fin de l'air, enivrée par cette sensation de liberté. J'étais partie.

Xin comme presque tous les jours, avait beaucoup à faire, même si aujourd'hui il était arrivé à se dégager beaucoup de temps libre, au final il était habitué à cette routine. Travailler et déléguer quand nécessaire et d'une certaine façon ce n'était pas plus mal. Après, il se disait qu'il ferait peut-être bien un temps de déménager en campagne pour qu'on le reconnaisse moins quand il sortait des fois dans les rues, une légère envie de solitude et de se ressourcer proche de la nature disons, mais il écartait souvent cette possibilité, même si elle était aussi en lien avec une autre envie, celle à terme de peut-être acquérir son propre domaine personnel à entretenir, mais bon cela n'était pas encore d'une urgence fulgurante.

Par contre, ce qui était urgent c'était les dossiers sur les autres pays du continent qu'il gérait sans cesse, après tout il ne fallait jamais oublier qu'en ce monde aucun pays ne se suffisait à lui seul ou presque et qu'en plus même si Ikhyld était un puissant empire, il n'était pas le seul acteur majeur du monde, loin de là, ce même en oubliant Akkaton qui était d'un calme ambigu ces temps-ci. Ambigu car il savait parfaitement que les Akkatoniens ne rechigneraient pas à une guerre si on les provoquait trop, mais que d'une certaine façon ils voulaient se développer encore un peu dans la paix pour le moment.

Quoiqu'il en soit, il errait donc ainsi dans les jardins du palais où il croisa bien quelques nobles qui le saluèrent courtoisement à l'Ikhyldienne et auxquels il renvoya leur salut sans forcément non plus s'attarder pour converser, ce dont il n'avait point envie, jusqu'à entendre le son d'une flûte joué avec talent qui attira son attention. Pas qu'il n'était habitué en vrai aux démonstrations de talents égales, voir meilleures de la part des artistes de la cour, mais la sonorité enchantée particulière de cela suffit à retenir justement son attention.

Il se rendit donc dans la direction d'où provenait la mélodie pour reconnaître celle qui en jouait, puis amusé et constatant sans doute qu'elle l'avait repérée, ou pas, Xin matérialisa dans sa main un shamisen, s'assit face à elle en tailleur et commença à accompagner la mélodie avec une fluidité qui s'inscrit si naturellement dans celle-ci qu'on pourrait croire que ce n'était pas une intrusion, mais un ajout naturel qu'il faisait à cela, ce pendant que lui aussi se plongea ainsi dans le flot musical qu'ils faisaient ainsi naître.