22 mai 2001; Eïrn, un petit village.


Je soupire, attendant le moment venu. Oh, je sais qu’il viendra, sinon il ne m’aurait pas confirmé ma demande, mais je ne sais pas… Cela fait bien longtemps que je n’ai pas eu de réel professeur et même si ça ne me dérange pas plus que ça, je me demande s’il va accepter. Il a dit qu’il viendrait pas qu’il m’enseignerait ce que je lui demandais. Peut-être aurais-je mieux fait de demander à l’un des nagas avec lesquels j’ai vécu lors de mon voyage ? Je ne sais pas. Je ne sais pas s’ils se souviendront de moi, et si ça leur fera accepter. Cela fait bien longtemps que nous ne nous sommes pas revus. Bref. Je continue à tourner en rond, attendant impatiemment l’heure du rendez-vous.

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Je me rappelle encore des golems qu’Hatsuka, Saeki et moi avons découverts, puis des propos sur la magie de l’âme. Je regrette de ne pas avoir posé plus de questions ni de m’être arrêté là. Je repense encore à ces élémentaires dont l’énergie a été envoyée à un cristal. Puis aux nombreuses pensées qui ont afflué, une fois rentré. J’ai pensé à Rin, j’ai pensé aux golems. J’ai pensé à la magie de l’âme, à ses utilisations. J’ai pensé à mes mains dorées, puis aux élémentaires, encore. Aux immanents ensuite, à Césario et aux Teïderiens. Oui, j’avoue, c’était le bordel dans ma tête. Mais les Immanents sont partis avec une armée de golems, et l’armée m’a fait penser à eux. Et alors je ne sais pas trop. De fil en aiguille, je me suis demandé si je ne devais pas apprendre la magie de l’âme. Calmer mes pensées, m’aider.

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Sëra'Ely tente de me calmer en posant une main amicale sur mon épaule. Je croise son regard confiant, avant qu’elle ne tourne la tête. Et lorsque je suis son regard, je comprends. J’observe le corps serpentin du naga qui ondule sur le sol alors qu’il s’approche. Je jette un œil autour de nous, sur la place du village qui nous a accueillis. C’est assez désert aujourd’hui, même si quelques passants elfiques travaillent encore. Quoiqu’il en soit, le naga nous salue et je l’imite, de la même manière que mes compagnons. Et j’imagine qu’il reconnaît d’ailleurs mieux Sëra' et Yuno que moi-même, puisque la dernière fois que nous nous sommes rencontrés, j’avais mon ancienne apparence. Enfin bref, il n’a pas l’air si surpris, et finalement, ce n’est pas gênant.

« Ravi de vous revoir également, messire Sobek. »

Puis le naga entre dans le vif du sujet. Il avoue que ma demande était singulière, et j’ose imaginer qu’en effet, il ne doit pas y avoir un grand nombre de gens qui peuvent se vanter de pouvoir utiliser la magie de l’âme. Il ajoute ensuite qu’il doit vérifier certaines choses, avant de me demander ce qui m’intéresse dans la magie de l’âme et comment, je pense, en user. Voilà la question à mille pièces d’or.

« Je comprends. Je… J’ai découvert certaines choses concernant la magie des âmes, concernant un peuple ancien et, en premier lieu, je voulais surtout me renseigner sur elle, savoir comment ils ont fait certaines choses et pourquoi. Mais aussi… J’ai, dirons-nous, un souci hors de contrôle et je pense que maîtriser mon âme au mieux ne pourra que m’aider à tenir ce problème dans un état… disons plus stable. »

Je tourne un regard vers Rin, avant d’ajouter :

« Et je pense aussi que je peux aider mon ami, après bien des années. Lui, et toute autre âme en peine, bien sûr, qu’elle soit animale, ou atama. »

J’ai été honnête avec lui, et je crois n’avoir rien oublié. J’espère que ça ne le fera pas fuir au galop.

Mais loin de l’idée de fuir, le naga semble réfléchir. Un temps court, mais qui, pour quelqu’un dans mon cas, semble être une éternité. Pour autant, j’attends, cachant du mieux que je peux mon air tendu. Et finalement, lorsqu’il ouvre la bouche, c’est pour commenter l’existence des Immanents et pour me révéler avoir des questions. Oups, sans doute ai-je trop parlé. Je ne sais pas si l’impératrice comptait faire ces informations confidentielles… Bon après, rien n’oblige à lui donner tout ce que je sais, tant que je ne suis pas sûr. Même s’il semble digne de confiance, on ne sait jamais qui peut l’apprendre, de lui, plus tard. Enfin bref. C’est une question pour le futur, mais pas maintenant. Amset ajoute ensuite que, même s’il me souhaite de régler mon problème, la magie de l’âme ne m’affectera pas que moi. Il continue en disant que ses pouvoirs peuvent autant faire le bien que le mal. J’opine du chef. Je m’en rends bien compte. Après tout, la magie elle-même est dotée de cette capacité. Et finalement, ce n’est pas d’elle dont il faut se méfier, mais des gens qui l’utilisent. Ils sont les seuls à pouvoir changer une magie neutre, en bonne ou mauvaise chose.

Quoiqu’il en soit, le naga m’avoue ensuite avoir d’autres questions, et que, pour celle-ci, il préfère user d’un sort m’empêchant de mentir. Je hoche la tête, me demandant quel genre de question va être posé, pour nécessiter une telle mesure. Quoiqu’il en soit, je n’avais pas l’intention de mentir, mais je comprends sa prudence.

« Allez-y, bien sûr. »

Il peut voir que je n’ai aucun doute, et sans doute avait-il déjà remarqué que j’étais tendu. C’est toujours le cas, mais au fur et à mesure de la discussion, il me semble que je m’apaise un peu. Enfin, on verra bien. Et puis Amset se met à parler. Il me demande e qu’est l’âme, à quel point il est sensible d’y toucher. Mais il ne me laisse pas répondre, il continue. Il me demande si je serai capable d’altérer une âme ou l’emprisonner sans lui laisser la possibilité de connaître l’au-delà. Inconsciemment, mon regard se tourne vers Rin, qui me sourit. Il ne voulait pas mourir, il voulait rester. Est-ce que ça compte dans la question d’Amset ? Pour autant, je ne réfléchis pas tant que ça à la question, puisque le naga m’explique la nuance dans ses propos. Tuer avec la magie de l’âme n’est pas plus néfaste que carboniser quelqu’un, le tabou se situant ailleurs. Modifier complètement une âme contre sa volonté, ou l’emprisonner à vie. J’opine encore du chef, notant la présence du désir, dans la volonté d’aller vers l’au-delà. Alors sans doute ne m’en voudra-t-il pas pour Rin. Enfin, de toute manière je ne peux pas mentir. Alors on verra bien. Enfin, il me pose une dernière question, concernant ma volonté d’aider les autres. Je souris. Ah, ça, c’est une question à laquelle j’avais réfléchi.

Pour autant, les deux questions précédentes, pas vraiment. J’observe le ciel, me penchant sur ces questions. Altérer une âme ? Oh, c’est sûr, ça ne ferait de mal à personne de changer la mentalité des teïderiens pour qu’ils ne fassent plus chier le monde. Malgré tout, même moi je me rends compte de l’absence d’humanité de la chose. Ce serait peut-être utile a court terme, mais mieux vaut carrément les changer de leur plein gré, par un travail constant. Enfin, pour ça, je ne suis pas la bonne personne, ma patience a des limites et ces gens sont stupides. Je n’hésiterai pas à l’utiliser pour éviter un conflit, mais de là à tenter de les changer entièrement et à vie ? Avant aujourd’hui, je ne savais même pas qu’il était envisageable de faire cela.

« Pour altérer l’âme, soyons honnêtes, rendre Teïder aussi doux qu’une peluche semble alléchant. Mais ça n’est pas une capacité avec laquelle jouer, même avec des gens comme eux. Qu’on le fasse pour le bien ou le mal, le résultat est le même : on joue avec ce qu’on ne devrait pas. Une âme est le résultat de toute une vie, de choix, de détails passés. Sans parler du fait que, peut-être, ça ne fonctionne pas complètement et que ça pourrait empirer la situation… Je serais contre l’idée qu’on altère mon âme sans mon consentement, alors je ne le ferai pas. Enfin, temporairement, si. À mon sens, il est plus digne d’utiliser la volonté des gens pour qu’ils décident eux-mêmes de changer, que d’utiliser ce genre de pouvoirs. »

Je n’ai même pas essayé de mentir. Pourquoi le devrais-je, de toute manière ? Ce serait stupide et contre-productif. Bref. Je réfléchis à la seconde question, mais bien moins longtemps cette fois-ci, puisque, même si je n’y avais pas vraiment réfléchi, je sais à peu près ce que j’en pense.

« Pour enfermer une âme… Déjà Rin en est une. Même si, pour son cas, j’ai toujours pensé qu’il ne voulait pas partir.
— Et t’as bien raison. Y a trop de jolies demoiselles qui m’attendent. Et puis y a des avantages à être quasiment invisible.
— Ouais. Enfin, ce n’est pas moi qui ai fait ça, mais ça revient au même. Si Rin avait voulu partir, je l’aurai laissé. Je ne nie pas que j’aurais été attristé, mais… Enfin voilà. Quand je disais vouloir aider les âmes, c’est en partie pour ceux comme Rin. Certaines n’ont pas envie de partir, pas si tôt, d’autres ont encore des choses qu’elles voulaient faire. Si je peux les aider à accomplir ça pour les laisser enfin profiter du repos, je le ferai. Je n’enfermerai jamais une âme contre sa volonté, même Nebojsa ne mériterait pas ça. Bon, cela dit, je ne sais pas ce que je pourrais faire, si je croisais son âme errer sur Orzian avec la possibilité de revenir à tout moment dans un corps et recommencer à semer le malheur sur son passage. »

Je décide alors de me taire, puisque j’imagine avoir répondu à toutes ses questions. J’attends alors son avis, tout en imaginant l’âme de Nebojsa sur Orzian. S’il ne veut pas rejoindre l’au-delà et qu’il n’a rien à faire, qu’il attend, juste, c’est que, techniquement, il veut revenir. Donc, lui offrir un corps, celui de… D’un jouet ou d’une peluche, par exemple. Ce ne serait pas l’enfermer contre son gré, techniquement, puisqu’il attendrait cela. Bon, certes avec un corps meilleur, mais bon, on a pas toujours ce qu’on veut, dans la vie.

Mes réponses pleines d’honnêteté ne semblent pas déplaire au naga. Bien sûr, dire qu’elles lui plaisent serait un peu abusé également, puisque, en tant que bon naga, ses émotions sont difficiles à lire sur son visage. Néanmoins voilà, il ne semble pas vouloir partir non plus et garde un certain calme, comme s’il s’y attendait, finalement. Il me répond finalement que j’ai compris le principe, que changer une âme ce point serait comme la tuer, en effaçant l’ancien individu pour en créer un nouveau. J’opine du chef, imaginant l’état de notre monde, si un seul mage de l’âme se décidait à remodeler toute la civilisation actuelle.

Il avoue ne pas parler du type d’enfermement que celui pour Rin et j’opine du chef. Oui bien sûr, j’aurais dû m’en douter. Rin est encore conscient, même s’il n’a plus de corps. Il peut parler, chanter, vivre sa vie du mieux que son état le lui permet, et il est volontaire. Quoiqu’il en soit, même s’il semble contenir une certaine haine envers Nebojsa, il me précise que, même s’il ne mérite pas ça, les mages de l’âme sont capables d’envoyer des âmes dans l’au-delà. Comme ça, si facilement ? Quoique, c’est vrai que certains sorts peuvent être mortels, donc ça ne me semble pas surprenant. Et puis, j’imagine que seul un haut niveau le peut.

Ensuite, il m’apprend qu’au fur et à mesure de mon apprentissage, je pourrai insuffler l’âme de Rin dans un objet, un golem ou dans moi-même. J’opine du chef, écoutant cette dernière proposition avec un certain intérêt. C’est possible de devenir un réceptacle à âmes ? C’est vraiment intéressant, comme genre de magie. Le ferai-je ou non, je ne sais pas, mais rien que dans le principe, ça attise ma curiosité. Il se permet ensuite une note de plaisanterie en s’excusant auprès de Rin, disant que ces solutions ne lui permettront pas de séduire les jolies filles. Celui-ci ronchonne, avant de demander :

« C’est pas possible de créer un genre de golem beau gosse ? Ou un corps artificiel, je sais pas, mais quelque chose de cool, quoi ! Bon, après réflexion, tout sera mieux que rien… Mais pitié pas dans toi Gee ! Tout, mais jamais rester dans ton esprit prude et timide ! »

L’esprit ponctue ces paroles avec un symbole de prière et je lève les yeux ciel.

« Pour ce que tu viens de dire, je te trouverais le golem le plus laid et répugnant du monde. »

Rin se met à hurler un « noooon » long et gargouillant, pendant que je souris et que je ricane. De toute manière, je ne pourrai pas non plus vivre avec ses souvenirs et ses connaissances. Je finirai mal, c’est certain. Et Eirina ne me reconnaîtra jamais. Je souris en repensant à l’elfette, avant de chasser ces pensées de ma tête. Ce n’est pas le moment. Je me reconcentre donc sur le naga, tout en répondant :

« Je vois en tout cas. La magie de l’âme semble posséder bien plus de détours que ce à quoi je pensais. Pour le golem, j’imagine que ça saurait lui suffire, mais je voudrais savoir : est-ce qu’une armure ou quelque chose qui pourrait techniquement se déplacer, comme un jouet ou une armure pourrait fonctionner aussi ?
— Tu ne songes quand même pas à me mettre dans une peluche, hein ? »

J’offre un sourire en coin et un clin d’œil à mon ami spectral, sans lui donner de véritable réponse. Je l’entends ronchonner, encore, comme d’habitude, alors que je me retourne encore une fois en direction du serpent.

« Puis-je vous demander ce que vous comptez faire et si vous avez d’autres questions, en ce cas ? »

Après tout… J'crois que j'ai ce besoin de savoir.

La réponse du naga me tire un sourire amusé, lorsqu’il rappelle à Rin que même un golem beau gosse ne lui permettrait pas d’atteindre tous ses objectifs. L’oiseau semble réfléchir un instant avant de se lancer dans un soupir du dépit le plus profond. Oh ça oui, il est déçu et ne le cache. Une relation chaste n’est pas l’objectif de sa vie, il faut bien le rappeler. Lorsqu’il se rend compte de mon sourire moqueur, il se tourne vers moi et ronchonne un coup, comme vexé. Je sais que ça ne durera pas, mais ça me fait d’autant plus rire.

Vient ensuite ma question et le naga répond par l’affirmative. La peluche marcherait, mais un cadavre aussi ? Je le regarde, interrogateur et un peu surpris de cette proposition. Il rappelle néanmoins qu’il faut en trouver un frais et demander l’autorisation et j’opine du chef. Oui, j’imagine bien que ça ne se fait pas comme ça. Même si rien n’empêche de prendre le premier cadavre, ça ne sera pas légal et je n’ose imaginer la tête de la famille si l’ont vient à la rencontrer sans le vouloir. Ni les embrouilles dans lesquelles on risque de se placer. Toutefois, l’idée semble à la fois plaire et déplaire à mon ami spectral.

« Le plus frais possible alors. Et pas le cadavre d’un papy, il me faudrait quelque chose de beau. Maaaaaiiis… Ce serait quand même grave bizarre de me balader dans un corps qui appartenait à quelqu’un d’autre. Genre… Vous imaginez si je rencontre un gars qui le connaissait. Ouais salut mon pote, comment ça va ? Euh, on se connaît ? Enfin, après j’imagine qu’on s’y fait, mais… On en reparlera, hein. Si l’occasion se présente. »

Je fais la moue à mon tour.

« Je pense que la question devrait être réfléchie avant. Mais bon, je ne maîtriserai pas cette magie demain, donc tu as le temps, techniquement.
— Heureusement ! »

Quoiqu’il en soit, vient enfin le temps de passer aux choses sérieuses, puisqu’après m’avoir appris qu’il n’avait plus de questions, Amset me propose de trouver un coin tranquille pour commencer l’apprentissage. Il précise préfère un coin sans regard indiscret et j’opine du chef, comprenant parfaitement la raison. Il commence à prendre la route, tout en me confiant l’un de ces espoirs : celui que je sois un élève sérieux et discipliné. Il précise également qu’en tant que mercenaire, il n’est pas très instructeur et je souris.

« J’ai suivi différents cours de personnes différentes, à une époque où j’étais bien moins supportable qu’aujourd’hui, et pourtant je m’en suis sorti convenablement. Donc j’imagine que ça devrait aller. Et puis, non seulement je suis de ceux qui sont toujours préparés à l’idée d’apprendre et qui, même, pensent qu’un millénaire d’existence équivaut à un millénaire d’apprentissage, mais en plus, il serait malvenu de ma part de maltraiter une personne que j’ai expressément fait venir pour apprendre d’elle. »

Enfin, concernant ce dernier point, j’ose imaginer que tout le monde n’a pas la même vision des choses et n’hésiterait pas à martyriser un professeur, même après l’avoir fait déplacer.

Nous finissons néanmoins par arriver dans un coin de forêt tranquille, laissant assez de place pour apprendre. Je me pose alors une question : sur quel âme vais-je devoir m’entrainer ? J’imagine qu’au début, il y a plus de chances pour que ce ne soit que des sorts sur moi, puisque mon niveau est de zéro et qu’il doit être plus facile de commencer ainsi. Enfin, on verra. De toute manière, j’estime que, comme je n’ai rien à craindre d’un jeune mage que je formerai à la terre, lui n’a rien à craindre de moi, même si je dois utiliser des sorts de l’âme sur lui. Mais c’est encore un concept neuf pour moi, manipuler les âmes.

En chemin, alors que j’explique au naga comment je suis, il me qualifie alors de jeune homme respectueux et je ricane. Sans doute suis-je bien plus vieux qu’il ne l’imagine, peut-être plus que lui — après tout, c’est difficile de juger l’âge d’un naga et je ne m’y tenterai pas avec celui-ci. Il termine en me disant que la magie de l’âme demande une forte volonté et une grande détermination et je souris. Je pense que ça devrait aller, sur ce point. Quoiqu’il en soit, nous arrivons finalement dans un petit coin qui me semble personnellement bien et dans lequel nous nous arrêtons. J’attends donc les instructions de mon professeur du jour, qui semble tout d’abord juger le lieu, afin de savoir s’il lui convient ou non. Cette réflexion ne prend que quelques secondes puisque, songeant qu’il est assez éloigné et tranquille, l’endroit semble lui convenir autant qu’à moi, puis il se tourne vers moi.

Il me révèle que, comme je débute, nous allons commencer simplement et j’opine du chef. Oui, ça me semble particulièrement logique et je ne vais pas contredire cette façon de penser ! Bien loin de moi l’idée de commencer par un sort puissant et demandant un haut niveau de magie de l’âme, par ailleurs. Il sort alors trois balles en bois qu’il me lance. Je les observe avec un air curieux, presque dérouté. J’avouerai que je ne sais pas quoi en faire. Je me doute que cela va être utile, mais j’attends ses explications. Il me demande alors de jongler avec les balles et je m’exécute. Oui, et bien ? Je reste néanmoins concentré sur ma tâche, attendant la suite. Je ne suis pas excellent pour jongler, de base, puisque pas dans mes habitudes. Donc si je me déconcentre, nul doute qu’elles finiront toutes — ou presque — par terre.

Et lorsque le naga utilise le fameux sort qu’il est censé m’apprendre, je sens quelque chose me percuter. Bien sûr que ma concentration fléchit et que cet instant me perturbe. Et s’il ne dure pas assez longtemps pour que je perde totalement la main, l’une des trois balles se retrouve par terre, alors que je rattrape de justesse les deux autres. Alors que Rin se fout allègrement de moi en ricanant, Amset m’explique comment utiliser le sort. J’opine du chef en l’écoutant attentivement, tout en ramassant la balle tombée. Le naga les récupère, en sort même deux de plus, avant de me demander d’essayer. Il me rassure même en me disant qu’échouer ne me fera pas grand-chose à moi non plus et je ris doucement.

« Est-ce qu’on doit en conclure qu’un sort plus puissant échoué pourrait avoir d’autres effets sur la santé du lanceur ? »

Peut-être, qui sait ? Quoiqu’il en soit, j’attends légèrement que le naga y réponde ou non, puis, une fois la réponse écoutée, je me concentre en visualisant mon esprit comme il me l’a demandé. Bien évidemment, la première tentative est un échec, et je le sens rapidement alors que ma tête tourne quelques instants. Mais comme l’a précisé le naga, rien de vraiment gênant puisque cela disparaît vite. Je me reconcentre alors pour imaginer mon esprit rentrer dans celui d’Amset et, chance du débutant ou non, cette fois-ci, l’effet semble différent. Je vois Amset rapidement tressaillir, mais son niveau de magie de l’âme — ou autre chose, qu’en sais-je ? — lui permet de ne pas faire tomber les balles comme moi je l’ai fait. Je souris néanmoins. Pas par fierté — cela fait bien longtemps que j’ai arrêté d’être fier de parvenir à lancer un sort et je suspecte toujours la chance du débutant — plutôt par simple curiosité. Je ne sais pas si je m’y suis bien pris, si c’était ça, ou si ça manquait de puissance, ou de volonté.

« Ne prenez pas de pincettes avec moi, d’ailleurs. Si c’est faible, mal fait, ou je ne sais quoi encore, n’hésitez pas à me le signaler.
— Et voilà encore Gee dans tout son perfectionnisme !
— Je ne m’excuserai pas de vouloir bien faire, Rin, tu le sais. »

L’autre ricane, mais ne redit rien, tandis que j’attends l’avis d’Amset. Et quoiqu’il en dise, j’en prendrai compte et je recommencerai tant qu’il le faudra pour maîtriser correctement — si tant est que ce n’était pas la chance du débutant — ce sort. Sans doute suis-je un peu trop perfectionniste et pointilleux avec moi-même en termes de magie, mais… cela me convient bien.

La réponse d’Amset face à la question de mon ami esprit me tire un sourire. C’est déjà bien, si je n’implose pas, j’avoue. Quant au mal de tête, au vu de ce que je viens d’expérimenter, ça ne me surprend guère. Mais un drainage de magie serait bien embêtant, par contre. Quoiqu’il en soit, même s’il est difficile de le dire avec certitude comme mon professeur est un naga, il ne semble pas déçu de ma réponse à son sort.

« C’est déjà ça, je suppose. », lui répond alors Rin.

J’essaie ensuite le sort, et, évidemment, il me faut quelques essais pou y parvenir. Pour autant, même si Amset est un excellent mage de l’âme, et au vu de sa volonté, il semble touché par mon sort. Bon, pas au point de faire tomber l’une de ses balles, cela m’aurait étonné, après tout, mais suffisamment pour arrêter les tests de ce sort et de passer à la suite. Il m’explique que c’est un sort de novice faible, mais une bonne introduction et j’opine du chef. J’imagine que c’est ainsi que l’on forme à la magie, dans la majorité des cas, de toute façon.

Puis le naga ose un trait d’humour — enfin j’imagine qu’il s’agit d’humour, même si c’est difficile à détecter sur son visage serpentin — à propos de Rin. Celui-ci se tourne vers moi et je devine un froncement de sourcil. Il finit par secouer la tête, l’air étonnamment sûr du fait que je ne ferai pas ça, et Amset semble tout à fait d’accord, au vu de sa dernière phrase. Quant à moi, je me contente de sourire d’un air malicieux.

« Utiliser Rin comme punching-ball ? C’est tentant, vraiment.
— Ah non, ne commence pas, hein ! »

Je ricane, sans rien lui dire de plus, alors que le naga passe à la suite de l’entraînement. Il me propose un sort de perception du temps, qui est censé le ralentir ou le figer. Il n’oublie pas de m’expliquer comment cela fonctionne ni de me citer quelques exemples de situations où il s’agit d’un sort utile, et la dernière phrase me tire un sourire amusé.

Pour autant, je ne chipote pas plus que nécessaire et me concentre aussitôt sur le sort. J’observe le monde, je tourne la tête, je me concentre. Je visualise. Combien de fois exactement ? Aucune idée. Combien de temps ? Là non plus, ce n’est pas clair. Mais sûrement que là, la chance du débutant ne m’a pas suivie. Il se passe un certain temps avant que celui-ci ne ralentisse pour de vrai. Pas une seule fois je n’ai eu l’envie de baisser les bras, ni même l’idée seulement. Pourquoi l’aurais-je fait, seulement ? Les résultats sont là, désormais, alors que j’observe le monde tourner lentement. Rin bâille et je vois son mouvement se passer lentement. Quelque part, ça m’amuse. Les effets du sort s’estompent, et je me tourne vers le naga.

« C’est un effet étrange que de voir le temps défiler lentement. Ce n’est pas désagréable et je suppose qu’on s’habitue. »