2 mars 2001; Ikhyld, Cité de Jade

Encore une journée à Ikhyld. Je ne me rappelle même plus depuis combien de temps je suis là. Quelques semaines ? Pas plus… Enfin, je ne crois pas. Je… J’ai dû arriver en février, après que la serre ait été terminée et que… J’ai découvert ce… Cette malédiction ! Je prenais soin d’une petite fleur quand elle s’est soudain changée en fleur d’or… Je n’en revenais pas et… RHAAA ! Je donne un coup de pied furieux dans un petit caillou, qui s’écrase contre le mur d’une maison dans un petit pic. Y repenser me met en rage. Je… Je ne sais pas pourquoi c’est arrivé. Ni pourquoi c’est là. Je n’ai jamais voulu changer ce que je touche en or. Et… D’accord, ce n’est pas tout, mais… C’est suffisant pour que je ne veuille rien toucher. Le risque 0 n’existe pas et… on n’a rien trouvé contre.

***

Alors après avoir cherché une solution seuls, sans rien trouver… J’ai décidé d’aller voir un ami de mon père, Shimet Toraals. Un excellent médecin Ikhyldien, ayant soigné des empereurs dans le passé, qui s’était spécialisé dans les cas inconnus et rares. Je me suis dit que si quelqu’un pouvait faire quelque chose pour moi… C’était bien lui. Alors je me suis rendu jusqu’à la Cité de Jade, à sa demeure. Mais c’était sans penser à deux choses.

Après avoir toqué à la porte, ce soit lui qui m’ouvre et… qu’il m’empêche d’entrer. Il m’a forcé à sortir de son immense jardin, m’a entraîné au plus loin, tout en m’intimant de la boucler. Je ne comprenais pas. D’autant que son regard avait autant de surprise que de peur et… Une fois assez loin, lorsqu’il décida de m’expliquer, j’en suis resté bouche bée. La première des deux choses, donc, c’était que ma sœur, Alice, se trouvait chez lui. J’ai voulu le harceler de questions, mais il n’y a pas répondu et a continué sur la seconde chose… Que me voir – et je ne savais pas encore pourquoi – pouvait provoquer le décès de ma frangine. Il m’a ensuite dit, toujours sans répondre à mes questions, qu’il voulait bien m’aider, mais qu’il était hors de question que ma sœur connaisse ma présence ici. Et donc, toujours pour m’aider, il était impératif que j’aille m’offrir un changement de physique complet, et de voix. Et que je me donne un faux nom, ainsi qu’une nouvelle histoire devant ma sœur.

Et même si je n’arrivais pas à comprendre pourquoi… J’avais confiance en Shimet. Alors je suis rentré à la Cité de Jade, j’ai pris rendez-vous avec des experts et… J'ai demandé à la jeune femme qui s’occupait de moi de faire ce qu’elle voulait de mon apparence. J’avoue que j’étais un peu trop secoué encore, pour vouloir réfléchir à ce que j’allais ressembler. D’autant que n’importe quelle apparence me conviendrait. Et finalement, en me découvrant dans le miroir… J’ai découvert pas mal de caractéristiques proches des anciennes, qui ne me dépayseraient pas, mais également tellement de différence que j’eus du mal à me reconnaître. La jeune femme m’avoua qu’elle avait voulu me rendre méconnaissable, sans trop me changer, à cause de mon air un peu perdu et perturbé. Elle ne me posa cependant pas plus de questions et me proposa simplement de venir la voir, si jamais je ne savais pas à qui parler. Je ne sais pas si mon sourire de remerciement était convaincant, mais son sourire triste me sembla réel.

Quoiqu’il en soit, je suis ensuite retourné chez Shimet, qui, cette fois, m’accepta sans hésitation. Enfin, il accepta Leroy Mumei, bien sûr. Et après quelques jours passés chez lui… Je pus en apprendre plus sur le cas de ma sœur, qui semblait avoir été touchée par une étrange maladie du cœur. De trop forts sentiments, qu’ils soient bons ou mauvais, pouvaient provoquer chez elle une crise cardiaque. Son état s’était hautement dégradé en quelques années, et il semblait qu’elle était déjà atteinte de cette chose depuis toujours. Certains souvenirs m’étaient revenus, comme ses grandes difficultés à respirer lors des disputes ou de trop grandes joies. Comme lors de la mort de notre mère. Cela dit, je ne devais pas en parler, puisque je ne devais pas lui donner mon vrai nom. Et en sachant cela, ma détermination à ce qu’elle n’en sache rien n’en devint que plus grande. Elle devait toujours me haïr et… lui apprendre ne pouvait être qu’une mauvaise idée. Aussi, elle était obligée de rester chez Shimet pour se protéger du monde extérieur. Je ne pouvais m’empêcher de la plaindre, bien qu’elle semblât s’y faire…

Enfin… Concernant mon cas, Shimet fit toutes sortes de tests étranges, souhaitant également découvrir comment j’étais capable d’une telle chose. Et si j’ai pu apprendre grâce à lui que mes transformations ne duraient jamais plus d’une semaine pour de petits objets, je considérais toujours ce pouvoir comme une malédiction indésirée.

***

Mais voilà… Je ne peux qu’attendre. Attendre les résultats de Shimet, attendre qu’il puisse me confectionner des soins, s’il le peut… Bien que quelque part, je commence à comprendre que ça ne sera pas possible. Et depuis quelques jours, un étrange sentiment me souffle ce fait, comme s’il devient inévitable.
Alors j’ai décidé de retourner dans la Cité de Jade pour… aller parler à cette jeune femme qui m’avait transformé. Je ne sais pas trop pourquoi, puisque parler n’est pas forcément la chose que je fais le mieux, mais… peut-être l’idée d’avoir un avis extérieur. Enfin, il est évident que je ne vais rien lui dire de cette malédiction. J’ai toujours peur qu’elle attire les malfrats intéressés par l’or à moi… Mais juste pouvoir parler à quelqu’un d’autre.
Mais c’est sans compter sur la gamine, devant moi, qui marche, en traînant son doudou. J’observe les alentours, cherchant ses parents. Elle est perdue, peut-être ? Enfin, avant que je ne puisse réagir, Sëra'Ely, sous sa forme humaine, s’avance vers la fillette et se met à sa hauteur.

« Hé bien alors, ma petite, qu’est-ce que tu fais toute seule ici ? »

Je me rapproche d’elles, tout me reste de ma troupe sur les talons. J’avoue être légèrement curieux, malgré mon état léthargique des derniers jours.

J'écoute la réponse de la gamine à la question de mon amie, la tête penchée sur le côté. Ouais, bah ça a l'air de propos plutôt normaux pour une gamine... Enfin même si j'imaginais que les enfants trouvent tous les livres intéressants. Enfin, visiblement pas. Peut-être n'aime-t-elle pas les histoires de princes et princesses ? Concernant son doudou qui boude... Cette phrase me tire un léger sourire. C'est plutôt mignon, les enfants, finalement... Sauf quand ils arrachent des fleurs ou tirent les poils des animaux. Je me rappelle pourquoi je les aime généralement pas beaucoup.
Cependant, un détail me fait tiquer lorsqu'elle tend les bras vers le chapeau de Sëra'. Ah oui, donc c'était ça qui l'intéressait lorsqu'elle ne regardait pas le visage de la kirin. La « jolie madame » semble ravie à la voix qu'elle prend et j'imagine l'immense sourire de Sëra'Ely, même si je la vois de dos.

« Tu peux m'appeler Sëra' ! Et toi, comment tu t'appelles ? »

La kirin enlève ensuite son grand chapeau pour le mettre sur la tête de la petite, carrément au dessus de celui qu'elle porte déjà. Le chapeau tombe immédiatement devant les yeux de la gamine et Sëra' ajoute :

« C'est effectivement un chapeau magique ! La nuit, on dirait qu'il vient des étoiles... »

Puis elle ricane et s'éloigne un peu pour nous faire apparaître derrière elle.

« Mais non je ne suis pas seule ! J'ai mes amis avec moi. »

Puis elle se retourne face à la gamine avant de lui demander, l'air de ne pas avoir oublié les paroles premières de l'enfant.

« Qu'est-ce que tu cherche comme livre ? »

Le visage de la kirin est toujours aussi doux et bienveillant, un immense sourire scindant son visage.

Je souris à la réponse de la gamine lorsque Sëra' demande son prénom. C'est adorable comme remarque. Tellement que mon amie rigole doucement, l'air touchée par les propos de la gamine. Elle incline la tête face à elle, avant de dire :

« Enchantée Anne avec deux N ! »

Elle dépose ensuite son chapeau sur la tête de la gamine qui se met à rire, avant de le relever avant de s'extasier devant le fait que la kirin vantait son chapeau comme étant magique. En revanche, je tique légèrement lorsque la gamine utilise le mot "métaphore". Quel genre d'enfant utilise ce mot en étant aussi jeune ? Mh... Les autres ne semblent pas trop se poser de questions... Peut-être l'a-t-elle juste entendu et absorbé finalement... Enfin, c'est assez surprenant quand même. Et si les autres semblent ravis – du moins pour ceux qui s'en intéressent – mon visage reste un peu sceptique.
Sëra' nous révèle alors à la gamine et je me rends compte qu'effectivement, elle ne nous avait même pas vus avant. Des étoiles s'allument dans ses yeux et elle s'exclame que nous sommes des animaux et qu'on est trop mignons. Elle demande ensuite à nous faire des câlins, avant de s'approcher d'Anya. Ce même kirin, sous une forme de très gros félin coloré, qui s'avance également vers la gamine, l'air de vouloir effectivement des câlins. Je croise le regard de la gamine qui semble vouloir ensuite venir me voir et je recule d'un pas, alors que Yuno se précipite devant moi, après s'être séparé de ses dionées afin de ne ressembler qu'à un renard vert masqué. Il fait presque la même taille que la gamine mais lorsqu'il se redresse pour lui sauter gaiement dessus, il la dépasse de haut. Il entraîne l'enfant par terre, tout joyeux, sa langue sortant de sous son masque et tentant de lécher le visage de l'enfant.
D'un côté, ça ne me dérange pas puisque l'attention de la gamine n'est plus dirigée vers moi. Anyammis et Sëra'Ely ricanent et je reste un peu plus loin, avant de demander :

« Mais dis-moi Anne, tu ne nous a pas dit pourquoi tu étais seule. Est-ce que tu veux qu'on te ramène chez toi ?
— C'est vrai, et où sont tes parents ? »

Après tout, ce n'est pas tant que je n'aime pas cette enfant que je ne connais pas mais... Je ne veux pas m'éterniser avec des inconnus ces temps-ci. Surtout quand ils demandent des câlins à des gens capables de transformer ce qu'ils touchent en or. Même si elle ne le sais évidemment pas...

La gamine subit les câlins de Yuno et alors que je me décide à lui poser ces questions, le grand renard vert semble se calmer. La gamine met son nez dans les poils de mon compagnon à fourrure, avant de répondre aux questions posées. Donc elle cherchait un livre ? Et j'imagine que cette "Saekiki", à moins que la coïncidence soit énorme, c'est l'impératrice... Je penche la tête, me demandant quel lien les relie. Sa sœur ? Sa... Mère ? Non... Une gamine n'appelle pas sa mère avec ce genre de surnom, si ? Enfin, j'appelais la mienne "maman". Et ceux qui doivent la vouvoyer évitent ce genre de surnom. C'est drôle, on dirait que c'est un surnom amical. Enfin, c'est peut-être pas si étonnant venant d'une gamine. Mais... En est-elle réellement une ? Rha, elle me perturbe c'te gosse.
Et j'ai l'air d'être le seul, puisque si c'est le cas, les autres ne le laissent pas paraître. Puis la gamine se met à parler très vite, enchaînant mot sur mot, sans s'arrêter. Ouah, elle a un de ces débits, c'est incroyable. Sëra' se met à rire, avant de répondre, avec son calme habituel, à l'enfant :

« Oui, ce sont tous mes amis. Voici Yuno, Anya, Gee, Kaazoth, Kräa et Traceur ! »

Les présentés saluent tous la gamine à leur nom, bien que Sëra' ait pris la peine de tous les désigner. Et moi, je me contente d'un hochement de la tête.

« On habite pas vraiment à Ikhyld, mais on est Ikhyldiens en tout cas. Et toi dis-moi, d'où viens-tu ? »

Bien joué Sëra'. Peut-être que ça m'aidera à mieux comprendre. En tout cas... Je ne peux m'empêcher de lui poser une question également :

« Et si je peux me permettre, comment connais-tu Saeki ? »

J'ai quand même le droit de poser des questions... C'est mon Impératrice tout de même. Enfin, c'est surtout ma curiosité...

La gamine nous écoute tous attentivement, tout en câlinant et en chatouillant mes compagnons. Yuno semble être heureux comme tout, et cette réflexion me tire un mince sourire. Peut-être devrais-je... Non ! Mon sourire disparaît alors que je retrouve les pieds sur terre, et que je me rappelle la raison de ma venue ici. Hors de question de le transformer en statue dorée, aussi temporaire ce sort soit-il... Enfin. La gamine montra alors le palais de la cité de Jade, dont j'observe les courbes, avant de me repencher sur son cas. Elle répond alors qu'elle vit avec l'Impératrice depuis un petit moment et j'opine du chef, alors que Sëra' et Anyammis ricanent gentiment. Au vu de sa manière de répondre, j'imagine qu'en effet, cette enfant n'est pas la fille — du moins pas de sang — de la duchesse, et qu'elle est sans doute plus vieille qu'elle n'y paraît. Transformiste ? Je ne sais pas. Je ressens cependant un immense potentiel en elle. Et sûrement mieux maîtrisé que n'importe quel gosse de cet âge-là. Hm.
Elle réfléchit un instant avant de reprendre la parole. J'opine du chef à sa nouvelle réponse. Donc l'Impératrice pourrait être une sorte de mentor pour elle ? Mais je reste convaincu qu'il n'y a pas de lien de famille entre elles. Enfin, possiblement comme le lien qui m'unit à Rin, Anya' et Kaazoth, une certaine fraternité. Mais comment se sont-elles rencontrées dans ce cas ?

Enfin, la gamine reprend la parole en réponse aux propos précédents de Sêra', nous demandant même si elle peut être notre amie et voyager avec nous. Je ferme les yeux un instant avec un soupir. Ce serait loin d'être raisonnable. Je ne suis clairement pas fiable. Que ce soit en manière de s'occuper d'un gosse que dans le fait que ma malédiction est incontrôlable. La gamine s'adresse ensuite à son doudou, lui demandant s'il voulait voyager aussi. Il me semble percevoir un mouvement de la queue de celui-ci mais... Comment serait-ce possible ? J'ai forcément dû rêver.

« Bien sûr qu'on peut devenir amis ! Et pour l'instant on ne part pas, on va rester ici quelques temps, donc ne t'inquiète pas, tu as tout le temps pour en parler ! Mais comment se fait-il que Saeki soit d'accord pour que tu parte avec des inconnus ? Quel âge as-tu, Anne ? »

Si je n'apprécie pas forcément le fait que Sëra'Ely ait vaguement accepté la demande de la petite, je ne peux qu'approuver ses questions.

« Saeki est une amie, si j'ai bien compris, ou quelqu'un de proche de toi, mais pas assez pour t'interdire de faire ce que tu souhaite ? »

J'aimerai lui poser mille questions, mais j'ai peur qu'elle les ignore et ne réponde qu'à celles qui l'intéressent.