Osweisky…. Sa chère ville d’Osweisky qui lui manquait tant lorsqu’elle était à Orzus. Située au pied d’une rivière, la bourgade était à la croisée du Royaume de Teïder, d’Eilynster, et des contrées sauvages. Historiquement, la ville n’avait pas été construite ici par hasard. La rivière qui termine son long voyage au creux de la cité, apporte avec elle tout aux alentours de la ville une faune et une flore uniques. L’intérieur de la ville n’est pas fait pour impressionner. Les toits sont en carreaux de céramique, les murs en bois de saule et les arbres poussant dans l’enceinte de la petite forteresse étaient chétifs. En-dehors de l’église, l’endroit le plus populaire était son auberge. Un bâtiment à l’architecture sobre, fabriqué il y a des décennies par des esclaves nains.

Visiblement, la population y est pauvre. L’économie est au ralenti, les habitants sont pour la plupart tous des employés de couture, de menuiserie ou d’ingénierie pour les plus éduqués. La Matriarche se souvient avec émotion de son mandat de Sainte-Mère pour ce comté. Afin de renforcer la stature de la ville, elle avait créé une école d’éducation pour les jeunes filles. Pour en faire des épouses modèles, parfaites au sens Teïderien du terme. Grâce à ça, elle avait réussi à rameuter des soldats très qualifiés et la ville se voyait désormais protégé par un escadron d’archers extrêmement précieux pour la défense de ses habitants.

La destinée de cette communauté ne fait tout de même que peu illusion pour Bracyslavara. Si le Royaume ne remporte pas de nouvelles batailles, de nouveaux territoires aux ennemis, alors Osweisky serait une cible de choix pour les cruels voisins du nord ou de l’est. Sans parler des Nains de la forteresse voisine qui pouvaient du jour au lendemain s’allier avec une puissance adverse. Un avenir sinistre, mais qui n’était pas encore pour aujourd’hui, ni pour demain. L’espoir demeurait pour ces gens simples et fervents croyants du Culte du Père de toutes les Souffrances.

Même si elle était désormais la grande Matriarche de ce culte, Bracyslavara avait toujours l’envie d’aider ce comté. Ainsi, elle avait organisé une grande fête en l’honneur du Roi, célébrant la monarchie et la puissance, supposée, du Royaume. Cela n’avait pas été simple d’organiser un tel événement dans une localité aussi reculée et sous-développée. Néanmoins, après de nombreuses tractations diplomatiques, financières et politiques, la Matriarche avait eu gain de cause. Son inlassable argument sur le besoin de montrer un quelconque intérêt à Osweisky avait touché l’oreille insensible du grand Patriarche qui avait prêché sa cause.

C’est ainsi qu’elle se tenait là, prête, aux portes de la ville. Les archers se tenaient sur tout le pourtour de la forteresse, arc prêt à décocher leurs flèches en cas de besoin. Avec elle, se tenaient quelques simples dignitaires de la cité, le gouverneur, la Sainte-Mère qui l’avait remplacée suite à son départ, et le Saint-Père du comté. Les habitants se tenaient à l’intérieur de la ville, excités et le cœur en liesse de voir, pour la première fois pour la plupart de ces gens, le premier homme de leur Royaume.

Menth grondait. Il n'appréciait pas se retrouver entouré d'autres drakes. Deux de par et d'autres de son corps serpentin volaient en colonne, suivant son rythme aérien. S'il avait voulu, le sombre saurien aurait pris une vitesse plus rapide, plus adapté à sa puissance musculaire. Là, il avait l'impression de se traîner. Plus imposant que ses quatre congénères qui composaient l'escorte royale, son cavalier lui avait imposé cette vitesse, pour ne pas les épuiser. Le but était d'avoir des gardes drakes aptes à la bataille, avec leurs montures réactifs et en forme. Même s'ils étaient à l'intérieur du royaume, l'ennemi hérétique pouvait toujours chercher à attaquer le Roi durant ses déplacements intérieurs. En même temps, quelle aubaine cela serait, vu que d'ordinaires, les Rois de Teïder demeuraient protégés dans leurs palais, comme l'ensemble de la famille royauté.

Zmeï était le souverain actuel. Contrairement à la plupart de ses aïeux, il tenait à montrer que lui, il œuvrait pour le Père de la Souffrance au même titre que ses soldats et ses officiers... Certes, il ne se retrouvera peut-être jamais sur un champ de bataille, pour affronter en face à face les membres éminents des armées adverses, mais il pouvait affronter les ennemis sur d'autres fronts. Et en plus de la guerre actuelle, il fallait ne pas oublier la dirigeance intérieure. La politique… un enjeu ennuyant, mais pourtant vital pour garder le parfait contrôle sur le royaume. La guerre était une épreuve rude qui pouvait très bien remettre en question l'ordre établi, par exemple. Mais nous n'allons pas rentrer dans les détails. Aujourd'hui, le Roi en personne faisait le déplacement vers une petite ville un peu isolée. Le comté était bien représenté sur la majorité des cartes teïderiennes, mais son importance était-elle qu'elle n'était pas dans les bouches des combattants aux frontières... Mais depuis peu, son nom se portait à quelques oreilles, car la Grande Matriarche en personne était issu de cette bourgade. Et mieux encore, elle avait réussi à préparer une grande fête en l'honneur du Roi. Une double se pointait alors, avec ces festivités. Zmeï l'avait très vite compris. Autant cela permettait à lui, de se mettre en avant, comme Roi et premier fervent du Très Haut, que pour la Grande Matriarche, de montrer à ses dévots qu'elle attirait l'attention des plus puissants, tout en redorant le blason d'Osweisky. Quelle cité pourra se targuer d'avoir reçu le souverain en personne en ces temps rigoureux ? 

D'ailleurs, la ville était en vue. D'un mouvement de ses jambes, le jeune homme ordonnait à son Drake de descendre un peu. Ce fut alors une petite troupe volante qui passa au-dessus des remparts de la bourgade, pendant que Menth poussait un grand rugissement pour signaler à tous son arrivée, ainsi que celle de son cavalier royal. Du premier coup d'oeil, Zmeï repéra la place devant l'Église. Elle n'était pas très grande, mais il avait confiance aux capacités de son Drake. D'un signe, il imposa à ses gardes volants de couvrir son atterrissage. Puis le Grand Drake alla se poser

La poussière s'envola sous ses battements claquants. Il réussit à atterrir et poussa un grondement. Les gardes drakes tournoyaient toujours au-dessus, dans les airs. Zmeî leur adressa un mouvement de la main. Les quatre volants partirent pour se poser en extérieur. Puis, il défit ses sangles et se laissa glisser le long du torse écailleux de sa monture. Menth s'était baissé pour l'y aider. Les premiers spectateurs pourront voir le jeune souverain, sa chevelure lunaire attachée d'une simple queue de cheval, qui portait une armure royale en écaille de dragon. Déjà, avec un sourire presque carnassier, il attendait de voir qui se présenterait à lui pour l'accueillir en personne.

La foule se tenait sagement en silence en attendant fébrilement le monarque. Le Saint-Père suait à grosses gouttes, lui, qui avait l’habitude d’être le gros poisson d’une toute petite mare, s’était promis de faire la meilleure impression. Ce n’était pas la même ambiance pour le gouverneur qui faisait un bain de foule en saluant ses administrés de poignées de main fermes et austères. Pas un mot plus haut que l’autre pour ce représentant du roi. Enfin, la Sainte Mère Paulina était dans l’ombre de sa Matriarche, guettant l’arrivée de l’invité de prestige.

Au loin, le drake royal apparut soudainement accompagné d’une escorte qui l’entourait de près. Les villageois s'écrièrent de joie, ne pouvant plus cacher ni contenir l’émotion vive qu’ils étaient en train de vivre tous ensemble. Les pères portaient leurs enfants sur leurs épaules afin que ces petits du Royaume puissent assister au spectacle du roi atterrissant sur la place de l’église d’Osweisky. Bracyslavara pouvait voir de sa position les religieuses les plus âgées installées confortablement sur des sièges sur le parvis de l’église, pleurant de joie comme si elles assistaient à l’arrivée de la Mère de toute Vie elle-même. Il est évident que la ville d’Osweisky allait se souvenir pour des décennies de ce moment.

Une fois que le roi Zmeï fut prêt à descendre de sa monture aussi impressionnante qu’imposante, la petite troupe de dignitaires avança vers lui pour le saluer. Évidemment, le gouverneur se tenait devant le bâtiment officiel qu’il occupait dans le cadre de ses fonctions, attendant patiemment son tour. Le Saint-Père cru bon de griller la priorité à la grande Matriarche, tentant de lui bloquer le passage à quelques mètres du souverain. Bracyslavara avait su jouer des coudes contre des adversaires bien plus forts que celui-là. Saisissant le rythme des pas du grand prêtre, elle réussit à lui marcher innocemment sur le pied avec sa chaussure à talon pointu. Sa longue robe en tissu riche et épais avait camouflé à la perfection son méfait et le Saint-Père se retenait de laisser couler des larmes de douleur. Bref, tout se passait très bien.

- Bienvenue à vous Roi Zmeï. Bienvenue chez vous à Osweisky. C’est un honneur de vous avoir parmi nous pour cette journée de célébration à votre nom. Regardez votre peuple, lisez la fierté briller dans leurs yeux, vous offrez à cette communauté un moment inoubliable et je vous en remercie personnellement.

La Grande Matriarche parlait tout en faisant une révérence de courtoisie qui fut immédiatement suivie par la Sainte-Mère Paulina. Les robes d’apparat des deux femmes formaient un ensemble de couleur qui se répondait l’une à l’autre. Bracyslavara avait une robe verte émeraude avec des broderies noires, tandis que Paulina avait le code inverse, robe noire et broderie verte. Leurs coiffures, élaborées en tresses formant un chignon, étaient piquées de fleurs et des feuilles de la flore locale. La Matriarche se redressa pour parler à hauteur du souverain.

- Nous apprécions de suivre le protocole préparé avec vos collaborateurs. Quelques mots aux villageois, rapides et brefs, et ils se disperseront ensuite dans la ville pour festoyer. L’honneur vous revient.

Ne laissant pas le temps au Saint-Père d’en placer une, la Matriarche se retire un peu à l’écart pour laisser le roi en compagnie de son escorte s’avancer vers les villageois pour faire un petit discours. Enfin, c’est ce qui avait été convenu dans le protocole, mais le roi est le seul décideur, après tout.

Menth regardait la foule présente, qui se rapprochait de son cavalier. Grondant légèrement, ses lèvres écailleuses se retroussèrent quelque peu, histoire de montrer sa dangerosité devant tout bipède qui viendrait à trop se rapprocher du jeune blondin. Gardant un œil attentif à son maître, prêt à réagir au moindre de ses ordres gestuels ou verbaux, il demeurait concentré, analysant chaque individu qui pourrait avoir un comportement anormal. Ses muscles se tendirent quand un groupe de dignitaires vint à se rapprocher du Roi, qui lui, les attendait sans faire le moindre pas dans leur direction. Il était le souverain après tout. Ce n'était pas à lui d'apporter les salutations protocolaires. 

Le jeune souverain observa la venue des représentants de la bourgade. Il n'eut pas de mal à définir le rôle de chacun d'eux. Il avait veillé à savoir qui était qui, au sein d' Osweisky, histoire de bien marquer qu'il était bel et bien le Roi. Et dans sa pleine assurance, il ne frémissait pas à l'approche des hautes dignitaires. Ces hommes et femmes avaient, certes, plus d'expérience politique et d'ancienneté d'existence, mais il était loin d'être impressionnable. Ce sera donc un dirigeant royal qui avait une totale confiance en sa propre personne et de sa présence en ces lieux. N'était-il pas seul face à lui, si on omettait la monstrueuse monture qui se dressait derrière lui ? Ses prédécesseurs n'auraient pas eu son audace, d'être seul face à la foule. Ils auraient veillé à avoir des gardes du corps non loin d'eux. Zmeï savait se défendre, usait de magie et jouissait de la Volonté du Père de Souffrance. 

Il se retint d'étirer son sourire, quand subtilement, il remarqua l'éclat de souffrance qui imprégna quelques secondes le regard du Saint-Père. La Matriarche ne tenait pas à être reléguée au second plan. Après tout, n'était-ce pas elle qui avait invité le Roi ? Bien qu'elle était une femme, elle tenait à mettre en avant SON importance ! C'était une attitude qu'appréciait Zmeï, cette volonté de gagnant. 

Elle prit la parole, pour accueillir Zmeï comme il se devait. Les gardes drakes royaux arrivèrent à ce moment-là, attendant les ordres de leur chef. . 

Toujours avec son sourire, ravalant une parole sarcastique quant à ce qu'il devait faire, car il savait très bien ce qu'il avait à faire, il s'avança d'un pas, accordant un hochement de la tête en guise de salut à la Matriarche et au reste de son petit contingent de dignitaires. 

''Merci pour votre accueil, Grande Matriarche. Notre Père à Tous est déjà heureux de percevoir la ferveur des plus dévouées d'Osweisky''

Zmeï demeurait simple dans ses dires. Entrer dans des discours pompeux n'avait pas d'importance pour des villageois... Accordant un bref regard à la Grande Matriarche, il s'approcha de la foule, enthousiaste de voir le représentant en personne de leur divinité. Sa garde suivait à bonne distance. 

Quand il jugea être à portée audible de sa voix, il la fit forte et emprunt de royauté

''Peuple d' Osweisky, sachez que le Père de la Souffrance apprécie de sentir en chacun d'entre votre Foi inébranlable. Et j'apprécie l'accueil chaleureux que vous m'offrez. Sachez que je demanderai à Notre Père à Tous d'accorder un regard bienveillant à Osweisky ! ''

Il fit un geste très discret. Menth étendit ses ailes vers les cieux et poussa un rugissement tonitruant. Zmeï était ravi de l'effet que cela provoquera. Puis, il regarda la Grande Matriarche, attendant qu'elle le mène à la suite de ce qu'elle avait prévu pour sa visite.