On ne pouvait pas vraiment dire qu'Aukheperu ait l'esprit à faire du tourisme en ce moment, mais bon... parfois, on n'avait guère le choix si on voulait conserver de bonnes relations avec ses partenaires, et la sécurisation de certaines denrées précises, que de prendre le temps même quand on ne l'avait guère. Voilà comment le Duc s'était retrouvé, après avoir réglé ses affaires à la Cité d'Airain et avoir fait parvenir un certain nombre de consignes pour qu'avancent sans lui les préparatifs de son mariage, à prendre un train pour une cité naine d'Eïrn, avant de faire le reste de la route avec les quelques hommes qui l'avaient accompagnés dans un dirigeable mis à disposition – contre rémunération évidemment – par la cité naine en question jusqu'au village modeste mais contrôlant la production de certaines ressources rares, notamment des fleures toxiques mais très utiles dans de nombreuses préparations alchimiques qu'on ne trouvait quasiment qu'ici.

Le dirigeable avait convenu de repasser le chercher sous peu, et le Duc s'était donc retrouvé à voir la situation avec les dirigeants locaux. À vrai dire, s'il avait des relations directes avec eux, notamment pour ces fameuses fleurs, il s'était aussi déplacé pour rendre service à un clan naga avec qui Liomaida avait des échanges bien plus importants, et qui fondaient certaines préparations traditionnelles sur les ingrédients même que leurs fournissaient les eïriniens... autant dire que le fait d'agir lui était important à plus d'un titre ! Il avait notamment appris qu'une autre alliée, bien plus proche, de la communauté humaine devait également leur venir en aide, et dans un soucis d'efficacité avait donc décidée d'attendre sa venue. Il vit donc, sans surprise pour le coup, un magnifique dragon aux écailles d'onyx descendre des cieux, directement sur la place du village devant la maison du dirigeant local, et s'approcha d'elle – puisque d'après ce qu'on lui avait dit c'était une dame – en compagnie des dirigeants du village, ses quelques gardes un peu à l'arrière plan.

« Vous devez être Dame Maragosza, je suppose ? C'est un plaisir de faire votre connaissance. »

Le Naga vampirique aux écailles de sang s'inclina poliment pour la saluer en égal, puisque après tout elle était, de ce qu'il avait compris, la dirigeante d'une communauté locale. Certes, celle-ci était bien plus petite que la puissante Liomaida, mais d'un autre côté la politesse ne coûtait rien, surtout face à une Dragonne, lesquelles, aussi bien que les mâles de leur race d'ailleurs, avaient souvent tendance à un certain orgueil.

« Je suis Aukheperu Shoshan, Duc de Liomaida, dans les Duchés. Je suis venu moi aussi apporter mon aide à nos amis si durement touchés, du fait d'amis en commun principalement, et puisqu'on m'a annoncé votre venue, mettre en commun nos efforts m'a semblé une bonne idée. »

Aukheperu préférait aller droit au but, autant parce qu'en soit le soucis des locaux était assez urgent que par soucis d'efficacité... et pour une autre raison toute personnelle. Mais cela ne l'empêchait pas, comme toujours, d'être d'une politesse toujours précise et ciseler.

« Du reste, collaborer sera peut-être l'occasion de lancer un autre pont d'amitié en dépit de la distance, cette fois entre Aurora et Liomaida. Alors qu'en dites-vous, êtes vous intéressée par une collaboration, Dame Maragosza ? »

Si elle refusait, il devrait voir pour régler la chose seule en composant avec sa possible ingérence, mais il espérait bien sûr que ce ne soit pas le cas, autant parce que cela compliquerait la chose – une Dragonne était toujours une inconnue de taille dans une équation, quand elle restait chaotique dans celle-ci – que parce qu'en effet, une bonne relation de plus était toujours utile... sans compter que cela permettrait sans doute d'accélérer les choses d'autant !

Un Dragon était généralement un allié de poids pour régler une situation, quelle qu'elle soit, sauf peut-être essayer de négocier la bonne entente avec une armée technologiste, et encore ! De fait, celle qui se présenta pour venir aider à l'action de pacification des Kobolds semblait encore jeune, vu sa taille, et cela se confirma quelque peu dans sa façon de voir les choses, du moins aux yeux d'Aukheperu, quoique sans doute plus âge que le Duc lui-même... ceci dit, si lui-même avait dépassé la durée de vie normale d'un Naga, une dragonne au quart de sa vie – comme cela lui semblait être le cas en étudiant sa taille, qui était un bon indicateur général chez les grands sauriens des années passées – avait souvent encore des couches de maturités à se rajouter, et ce quand bien même cela dépassait le double de la vie naturelle de tout Naga, et encore bien plus si on prenait comme échelle les races plus jeunes !

Ce fut donc avec cela en tête que le Vampire aux écailles de sang écouta les réponses de la Dragonne aux écailles sombres face à lui, ne s'étonnant au final pas de la façon dont elle avait compris sa dernière évocation, qui en soit était volontairement assez subtile. Non que ce soit un mal de voir les choses avec franchise, de toute façon, et ce fut avec un léger sourire, marquant une certaine bonne humeur sans dévoiler ses longs crocs, qu'il répondit.

« Ma foi, j'entendais bien entendu qu'une éventuelle amitié, concrétisée pourquoi pas par des liens commerciaux, pourrait s'établir après que nous ayons collaboré ensemble pour aider nos amis communs, et pas avant, cela va de soit. Mes excuses si la chose vous a semblé floue ou douteuse, de ce point de vue... je sais que nous autres Duchéens sommes réputés pour être obsédés de commerce, mais je ne le suis quant à moi pas au point de discuter de nouveaux accords commerciaux quand des vies sont en jeu. »

Quoique ce ne soit pas forcément vrai des tous les Duchéens, notamment ceux qui faisaient commerce d'armes, où les mercenaires les plus âpres à faire monter leurs émoluments. Mais Aukheperu n'était plus mercenaire depuis longtemps, et n'avait de toute façon jamais été façonné de cette étoffe, aussi préférait-il de loin aider d'abord à la préservation de cette communauté – d'autant plus, si on voulait rester dans une manière duchéenne de voir les choses que ladite préservation pouvait aussi préserver à plusieurs titres ses intérêts commerciaux, d'ailleurs – avant de se piquer de trouver de nouveaux partenaires. Restait à voir le comment, justement, et sur ce point il ne pu qu'incliner doucement la tête en direction de la belle Dragonne.

« Je ne peux que saluer votre soucis de diplomatie, en tous cas... tout comme votre regard perspicace sur ma propre personne. Il est vrai que je ne rechigne pas au maniement des armes, et j'ai à vrai dire été général, dans mes jeunes années. Cependant, ce n'était pas par goût des massacres, et ce n'est pas un goût que j'ai acquis avec les années non plus. Je vous rejoint donc volontiers sur le soucis de diplomatie que vous avez, Maragoza. »

D'aucuns auraient pu parler d'absence de « goût du sang », mais pour un Vampire cela aurait semblé une blague de mauvais goût. Quoiqu'il en soit, s'il était plus que capable de mener, et de gagner, une bataille, Aukheperu préférait tout de même la négociation, du moins quand elle était possible, et vu le charisme qu'il dégageait, il n'était pas difficile de l'imaginer obtenir également des succès dans ce domaine. De fait, il réfléchit quelques instants de plus avant de proposer une approche à la jeune Dragonne aux écailles sombres.

« Je vous avouerai que j'aimerais cependant ne pas faire traîner en vain les négociations, aussi voici l'approche que je vous propose. Mes hommes resterons ici pour protéger le village en cas d'attaque en notre absence, pendant que vous et moi irons ouvrir les négociations au nom du village. Notre statut d'étrangers à cette querelle, autant que de chefs de nos communautés respectives, devrait nous valoir d'être entendu, et un certain respect. J'éviterai d'emmener des armes avec moi et, de votre côté, peut-être devriez-vous voiler toute la puissance de votre stature, si je peux me permettre ce conseil. »

Bien sûr, Aukheperu pouvait appeler ses armes d'une simple pensée, aussi les laisser en arrière ne lui coûtait-il pas grand chose. Quand à Maragoza, il était assez certain qu'elle pouvait, que ce soit via le transformisme ou en usant d'enchantements lui permettant de réduire sa taille, paraître moins menaçante, mais bien sûr c'était à elle de faire le choix de l'être ou non. Peut-être était-elle adepte de la diplomatie « musclée », mais, ne la connaissant pas, le Naga vampirique s'était dit qu'un conseil ne mangeait pas de pain, dans le pire des cas...