Odric regardait sa carte. Les bras tendus sur la table, il étudiait le parcours fait quelques semaines depuis qu'il avait quitté le port. Il y avait des carrés de parchemins qui reprenaient le dessin des bord des côtes qu'il avait longés, avec des détails crayonnés un peu à la hât, ou encore quelques inscriptions pour ne pas oublier des détails de ce qu'il avait aperçu ou ressenti. Quitte à voyager jusqu'à la Cité d'Airain, autant en profiter pour annoter de possibles variations sur les côtes, l'évolution des bancs de sables ou encore les subtilités variations des courants... Tout bon marin savait que plus une carte était détaillée et récente, mieux cela permettait une navigation sécurité et plus efficace. Normalement, il y avait des cartographes qui étaient à même de faire cela. Odric avait beau être un ancien Mage de Guerre, il était aussi capitaine. Le Cétusétait son navire. Mais pour ne pas que sa flotte de commerce viennent à rencontre des soucis faute d'une carte correctement annotée, Il contribuait de lui-même à cet effort. Un capitaine digne de ce nom devait être capable de corriger ses propres cartes. Outre de voyager un peu et de faire ce travail de précision, il remettait aussi sa mémoire à niveau. II n'avait pas forcément recours à ses cartes, le nez rivé dessus en permanence. Il naviguait sur les mers depuis tellement d'années qu'il pourrait presque s'en passer. Par temps de brouillard ou de tempête, quand la navigation par les étoiles ou le soleil était impossible, les détails côtiers, pour peu qu'on venait à se trouver à proximité, étaient les seuls éléments visuelles pour se repérer. Et aujourd'hui, en milieu de journée, il faisait relativement beau, la mer était un peu agitée....

d'ailleurs, elle lui parut un peu plus agitée que tout à l'heure. Il leva la tête et regarda la lanterne éteint. Son balancement régulier s'était fait plus  rapide. Sourcillant, il enroula sa carte, après avoir regroupé les annotations éparses. Quand il eut tout rangé convenablement, il quitta sa cabine et posa ses semelles de bottes sur le pont. Les voiles gonflés par le vent et usant de magie étaient tendues. Le Cétus avait une bonne vitesse. Il fixa de son oeil valide chacun de ses marins. Ses hommes d'équipage vaquaient à leur occupation. Avec de la chance, dans deux jours, ils auront atteint le 4 : Le golfe Nekkavariën, avant d'arriver à la capitale d'Akkaton. Là, il n'omettait pas qu'il devra tenir ses distances avec les lourds vaisseaux métalliques de cet empire... avec leur fichue ''technologie''....

Il rejoignit son second à la barre. Celui avait un trait d'inquiétude au front. Odric regarda vers la proue, pour voir au delà de cette dernière. Il comprit l'inquiétude du Second. Là bas, le ciel s'obscurcissait. Une tempête se trouvait sur leur route.

''Souhaitez-vous qu'on la contourne, Capitaine ? ''

Odric réfléchissait. La contourner impliquerait de perdre un à deux jours de navigation. Et il tenait à arriver à la Cité d'Airain.

''Non, maintenez le cap. Dit-il toujours un regard braqué sur la sombre nébulosité. ''Le Cétus n'en sera pas à sa première tempête. Ce n'est pas celle qui nous effraiera.
Bien !

Puis Odric tourna tout son corps, croisant ses mais dans le dos, regardant le lointain. Affronter les humeurs de la mer faisait partie de la vie.

La pluie commençait à tomber sur la mer alors que de gros nuages noirs roulaient dans le ciel, menaçant les marins de s'abattre sur eux. Comme l'exigeait la procédure, toutes les portes intérieures du navire avaient été fermées hermétiquement et seules quelques cloisons permettant de faire circuler l'air restaient ouvertes pour empêcher l'équipage de suffoquer. Plusieurs marins, visiblement des officiers, hurlaient des ordres à de jeunes moussaillons qui s'agitaient pour essayer de préparer le puissant navire de guerre à cette tempête. Même les plus puissants navires de la flotte n'étaient pas à l'abri de couler suite à une vague prise dans un mauvais angle. L'acier était un matériau bien plus résistant que le bois, mais l'océan était une maîtresse capricieuse et impossible à dompter. Les milliers de tonnes de pression exercée par une vague pouvaient plier l'acier même boulonné et résistant. Et les cuirasser était de lourd navire pas très mobile, donc c'était d'autant plus dangereux pour eux de naviguer par gros temps. Une vague scélérate, ses terribles vagues qui coulaient des centaines de navires, devait être prise dans un angle bien précis pour écarter le danger. Ce qui n'était souvent pas possible. On devait donc chercher à limiter la casse.

Un sous-officier, son uniforme ruisselait d'eau, entra en trompe dans la cabine du capitaine de ce navire impériale. Son visage était ravagé d'inquiétude alors qu'il se mettait au garde à vous devant l'homme qui était son supérieur.

-Capitaine, nous devrions faire demi-tour. Cette tempête n'indique rien de bon! J'en est vue beaucoup comme ça et...

-et vous ne m'aviez pas comme capitaine.

La voix du jeune officier coupa court à la discussion, d'une voix froide et glacer. Alors que ses officiers étaient au bord de la syncope, lui-même fumait tranquillement sa pipe en observant le pont et la mer depuis le poste de pilotage. Au bar, le timonier de l'équipage jeta un regard au vieil homme, le quartier-maître de l'équipage, qui voulait dire "j'ai déjà essayé de lui dire". Chade soupira en observant son quartier-maitre et lui dit d'une voix calme et tout aussi glacée.

-C'est pour ça que vous n'êtes que maître après toutes ses années de service. L'améthyste est un bon navire et nous avons un excellent équipage. Une simple tempête ne représente pas un danger pour nous.

Le quartier-maître qui était responsable de l'approvisionnement du navire et donc n'avait pas réellement de responsabilité active essuya son front en observant le capitaine. C'était un marin compétent et fiable, très efficace, mais qui manquait de courage et d'audace selon Chade. Voilà pourquoi il ne l'avait jamais fait promouvoir premier maître. Pourtant, il était le plus ancien marin à bord, mais il avait préféré promouvoir un jeune marin plein de promesses et téméraire, comme lui. Le vieil homme ne put s'empêcher de murmurer.

-Vous allez tous nous tuer et envoyer ce navire par le fond, simplement pour prouver que vous êtes le meilleur! Nos marins sont jeunes et n'ont jamais...

-Suffit!

Chade s'était levé et fusillait maintenant l'homme du regard. Il tonna en s'approchant de manière menaçante et en accentuant sa phrase.

-JE suis le capitaine de ce navire et JE décide de sa route! Vous êtes payé pour suivre mes ordres, alors reprend ton poste et arrête de geindre comme une femme enceinte! Rompez!

Il avait craché son dernier ordre et le maître d'équipage comprit que son capitaine était sans doute plus nerveux qu'il ne voulait bien l'admettre. À contrecœur, il salua le capitaine et quitta le poste de commandement. Chade soupira, éteignit sa pipe et sortie à son tour pour rejoindre le pont. Le navire semblait prêt à affronter la tempête, mais alors la vigie se mit à souffler dans son sifflet, ce qui attira immédiatement son attention. S'en suivit la phrase.

-Navire à tribord! Pavillons Ikyldiens! Armée!

Chade se mit à hurler en réponse à l'attention de son équipage.

-Que tous les hommes se tiennent près! En position de combat! Lieutenant, lâcher cette corde et aller rejoindre les hommes! maître canonnier, rejoignez votre poste au canon! Que les tourelles se tiennent prêtes!

Certains diront que c'est une réaction disproportionnée. Chade répondrait que c'était une simple mesure préventive. Heureusement, l'entrainement portait ses fruits et alors que le navire en question approchait de l'améthyste, ce dernier changea de cap dans le but de lui couper le passage. Des signaux de lumière commencèrent à être transmis. Un message clair. "Arrêtez-vous." L'améthyste battante pavillons Akkatonien, il avait intérêt à s'arrêter. Même si Ikhyld et Akkaton n'étaient pas des nations hostiles, Chade voyait toutes les autres nations comme des ennemis en sommeil. Sauf les duchés, trop désorganisés pour représenter une menace.

L'améthyste finit par adopter sa position à une dizaine de mètres du navire. Le navire était de conception étrange, Chade n'en avait jamais vu de semblable venant d'Ikhyld. Peut-être la fantasy d'un homme riche et puissant. Chade, du pont de son navire, observait de haut les marins étrangers et tonna d'une voix puissante.

-Je suis le capitaine Daragonne, commandant du cuirassé Améthyste et officier de l'empire d'Akkaton! Je demande à parler à votre capitaine!

Un oeil attentif aurait aussi remarqué que les canons de l'améthyste étaient encore braqués sur l'horizon, ne menaçant pas le navire étranger. Par contre, tous les marins sur le pont avaient une arme à feu. En mer, c'était couler ou être coulé. C'était cet excès de prudence qui avait gardé l'améthyste à flot à travers ses missions.

Odric demeura ainsi debout pendant une bonne demi-heure, appréciant le vent marin qui balayait sa courte chevelure comme de recevoir les gouttelettes fraîches à la saveur salée sur ses lèvres quand ces dernières flottaient dans les airs après avoir pris naissance dans une écume fendue par l’étrave fine du Cétus. Puis, d’un léger soupir de déplaisir, il dut retourner dans sa cabine, pour rentrer les dernières informations sur son journal de bord. Il n’aurait pas le temps de le faire une fois le navire pris dans la tourmente, qui grossissait au loin.

Une fois à l’intérieur, il ressortir l’encrier, la plume, le posa sur son bureau, et ouvrit un grand ouvrage déjà posé là depuis le matin. Son vaisseau avait connu bien des entrées et celles qu’il commença  à griffonner sur la page vierge. A peine eut-il écrit quelques phrases après avoir notifié la date du jour, il tendit l’oreille quand la vigie beugla apercevoir un navire droit devant eux Odric se redressa. Après une courte réflexion, il ferma le journal de bord, rangea plume et encrier, et remonta sur le pont. Quel navire pouvait croiser dans ces eaux avec une forte tempête toute proche ? De nouveau sur le pont, le vent avait un peu forci, la mer avait changé un peu de couleur. Quelques écumes blanches se firent plus présentes autour d’eux, vu les vagues qui se montraient plus nombreuses et plus ondulées. La tempête s’approchait, c’était indéniable et le navire en face ne paraissait pas être dans l’idée de la fuir.

Le viel homme le regardait, le sourcil froncé.

’’Un navire de guerre akkatonien. Sans doute en patrouille. ‘’
’’Et se trouvant en bordure d’une tempête ? Je les croyais plus précautionneux avec leurs monstres de métal’’fit le Second. Pour lui, les navires de cette nation étaient des monstres, pas des navires dignes de ce nom. Odric ne pouvait pas le contredire, vu que c’était la ‘’technologie’’ qui les composait et les propulsait.

’’Que fait-on ? ‘’ demanda-t-il alors à son capitaine.
’’On maintient le cap et on verra. Cela se trouve, il passera son chemin’’

Malheureusement, il déchanta rapidement en voyant le mastodonte changer de cap, pour leur barrer la route. A quoi jouait ce capitaine ? Odric, impavide, observa la manœuvre. Des signaux lumineux, servant à la communication à distance pour les Akkatoniens, commençaient à être émis. Odric les regarda, les comprit. Ca manquait de détails quand à cette injonction et cela ne lui plut guère. Il ordonna de réduire les voiles pour ralentir, mais pas pour s’arrêter. Si le capitaine du lourd cuirassé voulait faire un brin de causette, il tiendra la basse vitesse
Le vaisseau de métal  et d’écrous finit par se mettre à sa hauteur. Le CétusAvançait désormais à basse vitesse. Il était hors de question pour Odric de réduire plus, à cause de la tempête toute proche. S’arrêter signifiait perdre en manœuvrabilité. Et avec la houle qui croissait, ce serait mettre en danger son vaisseau et ses marins.  Chose qu’il avait noté depuis son approche était que l’autre équipage avait fait son branle-bas de combat…

Un jeune homme arriva sur le pont du cuirassier. Odric se rapprocha de la rambarde, se dévoilant à son homologue. Les mains croisés dans le dos, il fixait le jeune homme. Une fois que celui-ci se présenta, il prit la parole à son tour et d’une voix toute aussi puissante, s’exprima

’’Je suis Odric Shiromizu, Capitaine du ’’Cétus’’ et Servant de l’Empire d’Ikhyld. Que puis-je pour vous et qui justifie de ralentir mon voyage, alors qu’une tempête approche ? ‘’

Un frisson parcourut le capitaine de l'améthyste. Un frisson qui parcourut tout son corps jusqu'à atteindre ses lèvres et forma un ricanement que plusieurs de ses marins imitèrent en fixant le petit équipage de l'embarcation. Le capitaine était sans doute celui qui avait provoqué ce rire moqueur. Il était vieux, borgne et mal rasé. Un sourire moqueur étira les lèvres du capitaine du puissant cuirassé Akkatonien qui observait maintenant avec beaucoup de tranquillité le navire qu'il n'avait jamais vu de sa vie. Un étrange mélange de plusieurs architectures nautique avait donné ce que Chade pouvait appeler un monstre de bois sans trop de difficulté. L'homme semblait le défier du regard, ne faisant que grandir le sourire moqueur du capitaine que s'exclama d'une voix sarcastique.

-Oh, pardonnez-moi, capitaine! Je ne pouvais pas imaginer qu'un vieillard comme vous commandait encore son propre navire. À moins que le véritable capitaine ne se cache? Non, impossible dans un navire aussi petit.

Les éclats de rire de l'équipage de l'améthyste renforçaient sans doute la colère de l'autre équipage, mais Chade n'en avait pas grand-chose à faire. Cette mer, il la connaissait comme ça poche. Elle était sa compagne, sa muse, son inspiration. Jamais elle ne le trahirait, malgré la tempête en approche. Il avait parfaitement confiance en son navire et en son équipage. Contrairement à la coque de noix qui flottait difficilement devant lui à travers les vagues grandissantes. Finalement, le capitaine de l'améthyste reprit son sérieux.

-Vieil homme, tu t'aventures sur la mer d'Akkaton par un drôle de temps. Si tu continues, ton navire va se briser comme une brindille et je n'ai aucune envie de repêcher ton cadavre boursoufflé sur notre territoire. Tu vas venir avec moi, il y a une île possédant un port non loin. Tu attendras la fin de la tempête là-bas et j'en profiterai pour faire fouiller ton navire. Est-ce que tu as bien compris?

Il n'avait pas oublié le problème de marché noir qui s'évinçait sur les terres de l'empire et qu'il voulait absolument régler. Fouiller les navires qu'il croisait était une façon pour lui de continuer ses patrouilles tout en s'assurant que personne ne fasse entrer de contrebande par la mer qu'il devait surveiller. L'améthyste et son équipage attendaient la confirmation du capitaine de l'autre navire avant de l'escorter vers la petite île à moins d'une heure de navigation.

Face à la moquerie qui avait atteint ses oreilles, Odric demeurait impavide, droit fier, les deux bras repliés derrière son dos. Il avait son seul oeil de valide de braquer sur le jeune capitaine. Etait-il réellement capitaine ? Ou alors profitait-il d'être hors de portée de ses supérieurs pour se prendre un peu plus de liberté sur l'attitude à avoir vis à vis des navires battant pavillon non Akkatonnien. Il ne doutait pas qu'il avait pour mission de patrouiller et de contrôler les navires étrangers. Mais il y avait l'art et la manière de l'exprimer. Et là, la politesse n'était audiblement pas au rendez-vous. Et l'équipage qui ricanait.

Les marins du Cétus s'étaient offusqués de la manière dont on considérait leur capitaine. Pour qui se prenaient-ils ? C'est ce que certains penseront un peu courroucé de ce manque de considération. A part quelques regard glaciaux lancés aux marins de L'Améthyste, ils ne répliquaient pas, gardant le silence. Leur capitaine était un individu expérimenté, ils lui faisaient confiance depuis qu'ils servaient à son bord.

Odric demeura silencieux, analysant autant les paroles de son homologue humain que la situation. La tempête grossissait au loin et son navire se mouvait au rythme des vagues, plus léger et plus petit en comparaison du mastodonte métallique, moins pris par le jeu des vague par sa masse conséquente.

Puis, à la fin de la tirade autoritaire et provocante du capitaine adverse, il garda encore quelques secondes le silence avant de s'exprimer à son tour.

''Je ne savais pas que la politesse n'était plus enseignée dans la marine akkatonienne. Les temps changent. ''

Quelques secondes d'un nouveau silence.

''Le Cétusn'en sera pas à sa première tempête, et son équipage encore moins. Vous sous-estimez nos capacités. Mais je comprends votre inquiétude du danger que nous sauront affronter. ''

Il garda une fois encore un instant de silence. Et il décida de rentrer un peu dans le vif du sujet.

''Je suis Capitaine malgré les apparences... et ce ne sera pas la première fois que j'affronterai une tempête dans les mers de l'Empire d'Akkaton. Si on nous venons à faire naufrage, nous accepterons notre sort. Vous n'aurez pas à vous souciez de nous ramasser...Par contre, j'obtempérerai à votre demande une fois la tempête passée, ne sachant pas où se trouve votre point de ralliement pour procéder à votre contrôle''

Il tourna la tête et ordonna en ikhyldien de remettre les voiles. La tempête était trop proche maintenant pour changer de cap. Aussitôt, les marins s'activèrent. Les voiles du Cétus se redéployèrent.

''Je vous retrouverai après la tempête...Et là vous pourrez m'énoncer clairement les raisons de nous arraisonner et contrôler... Sauf si vous redoutez de la franchir, comme je m'apprête à le faire... ''

Il le regarda, un lueur de défi dans son regard unique.

Il leva la main pour faire un vague salut de la main et s'en retourner pour rejoindre son second qui était à la barre. Il lui ordonna de s'écarter du cuirassier pour ne pas se fracasser contre lui, vu que les vagues devenaient de plus en plus hautes. Lentement, le vaisseau à voile prit de la vitesse, fendant souplement chaque vague qui cherchait à l'entraver.