7 Augustus de l'An 1997

Beldurande était debout sur le pont du navire, les pieds solidement attachés au planches de bois du bateau en utilisant sa magie de terre, et il avait intérêt! Il n’avait pas l’habitude de prendre la mer, il s’y sentait -étrangement- vulnérable et hors de son élément, alors quand il était arrivé au port de Vinche pour embarquer direction la capitale d’Ikhyld quelques jours plus tôt, il s’en était entièrement remis à la fine expérience chevronnée d’un des capitaines de la marina. Pourtant en cet instant précis, avec la pluie battante qui tombait si fort qu’il ne voyait même pas la figure de proue du bâtiment, avec les vagues qui massacraient l’embarcation et terminaient de démonter la coque planche par planche, avec le vent si violent qu’il avait déchiré le mât principal parce que l’équipage n’avait pas eu le temps de la relever, il remettait désormais en cause la fiabilité du savoir-faire du vieux loup de mer qui lui avait dit verbatim “La mer sera bonne cette semaine, il faut partir aujourd’hui si on veut un voyage parfait!”

”Ma vie c'est de la merde.” Murmura t-il entre ses mâchoires serrées.

Déjà quand leur navire s’était fait éventré dès les premières heures de la tempête en déviant sur un massif corallien d’une langue de sable il ne sentait plus exactement serein, mais alors quand le climat s’était réellement déchaîné sur le petit galion commerçant et que peu à peu le pont se rapprochait inéluctablement du niveau moyen de la mer Beldurande avait pris soin de se poser toutes les questions auxquelles il n’avait jamais prit le temps de réfléchir sur la mort et la fatalité du destin. S’il survivait au moins il aurait un chouette mémoire à coucher sur le papier mais une nouvelle gerbe d’eau salée à la figure lui rappela que ce n’était pas au programme. Autour de lui les marins hurlaient, certains s’étaient déjà fait emportés par les eaux ou fracassés par le tangage brutal du navire et le Professeur lui, debout sur le pont, contemplait sa fin au milieu du chaos maritime.

8 Augustus de l'An 1997

Ce qui est bien avec le fait d’être une essence de terre plus proche du bois que de la pierre c’est que du coup il flotte plutôt que de couler à pic. Assis sur un pan de coque du navire qui avait sombré il y a bien une quinzaine d’heures, Beldurande regardait fixement l’horizon, l’air absent. Au moins il ne mourrait pas de faim, il pouvait faire pousser des petits buissons fruitiers et une paire de plants de crudités sur les planches qui lui servaient de refuge mais il devait prendre garde à ne pas trop alourdir son radeau de fortune. Afin de stabiliser son embarcation providentielle, il avait développé des nénuphars géants pour agir comme des flotteurs temporaires, ceux ci dureraient bien quelques jours avant de mourir du sel de mer. Il aurait pû donner la vie à un animal marin et s’en servir comme moteur pour son radeau mais il ne savait pas suffisamment bien s’y prendre avec les animaux pour pouvoir y parvenir, même s’il n’aurait éventuellement d’autre choix si la chance n’était pas de son côté.

Après plusieurs heures de plus à regarder dans le vide, il croyait devenir fou, le soleil estival tapait fort en pleine mère et il sentait sa tête tourner, en plus il commençait à souffrir d’hallucinations visuelle, à force de fixer l’horizon il croyait voir un point bouger au loin, dansant devant ses yeux, que? À moins que? Il plissa ses cinq yeux en amandes en tentant de faire abstraction de sa fièvre naissante, est-ce que cette tache était vraiment sa pure invention? Il se releva et plaça sa main en visière sur son front. Mais non! C’était réellement quelque chose! Un bateau ou un îlot qu’importe mais il fallait qu’il se fasse remarquer… Réfléchis réfléchis Beldurande, qu’est-ce qu’il était capable de faire pour émettre un signal en pleine journée? Il avait globalement deux options, visuel, ou auditif. Visuel en pleine journée ça allait être compliqué. Auditif le point qui se profilait à l’horizon était encore loin et… et il se rapprochait? Le Professeur pouvait maintenant discerner les formes d’un navire et il le voyait voguer tranquillement dans sa direction, il était si soulagé qu’il ne pu s’empêcher de lâcher une larme de joie devant la chance qu’était sienne. Il attendit que le bateau arrive à sa portée et en l’identifiant il saurait s’il devait se préparer à se battre, ou pouvoir enfin souffler tranquillement et se remettre de ses péripéties.

La piraterie... c'était un fléau particulièrement difficile à éradiquer de manière générale, mais évidemment encore beaucoup plus ici, dans la Province Ikhyldienne. C'était vrai de manière générale, tout simplement parce qu'il y avait mécaniquement beaucoup plus de place pour de la piraterie sur une côte qui voisinait celle de trois pays différents, et était à proximité de plusieurs autres, qu'autour du continent ikhyldien lui-même, unifié et pacifié depuis longtemps maintenant, le tout sans compter que par la force des choses Orzian était aussi le point de contact le plus facile entre les deux plus grands Empires du monde. Mais évidemment, il y avait aussi un autre problème, beaucoup plus spécifique : une partie de la côte ikhyldienne en Orzian était en face des Duchés, et les Duchés restaient éternellement une zone qui non seulement fournissait facilement un abri aux pirates de toutes origines – bon sans doute pas teïderiens, mais il n'y avait guère de pirates teïderiens – mais qui surtout générait toujours de nouveaux pirates, puisque entre un pays où le brigandage était une carrière première ou secondaire qui paraissait raisonnable et une tradition navale, rien d'étonnant à ce que certains brigandes sur mer !

Le problème spécifique de la piraterie duchéenne était donc un fléau à lui seul, en ce qu'il était impossible à régler définitivement, du moins sans envahir ou réformer les Duchés eux-mêmes. Valéria avait ce problème sur les bras depuis longtemps, et elle savait que ce n'était pas prêt de changer ! En l'occurrence, la dernière nuisance en date était posée par un groupe de pirates particulièrement rusés, qui semblaient avoir des contacts dans les cours Comtales de l'est des Duchés, et qui en profitaient pour attaquer les convois les moins défendus et pour esquiver les initiatives contre eux. Là où le problème la concernait, c'était que plusieurs des vaisseaux pillés faisaient voile vers Ikhyld, et si aucun vaisseau ikhyldien n'avait été directement attaqué, il n'en restait pas moins que plusieurs marchands ikhyldiens avaient été impactés, mais aussi un collectionneur de ses amis qui avait vu une pièce rare être dérobée et remise en vente sur le marché noir. Autrement dit, ce problème très duchéo-duchéen, à base de banditisme et de corruption, impactait également Ikhyld.

Bien sûr à ce stade on pouvait s'étonner que l'Arcane de la Marine en personne prenne part à l'assaut, mais à vrai dire elle avait justement préféré opérer personnellement, sur son propre bateau, que de faire donner une escadre de la flotte impériale. D'une part, cela serait plus discret, et éviterait que ces rusés pirates n'aient vent de sa venue et ne changent leurs plans, et d'autre part cela serait peut-être le plus efficace : montrer qu'un seul vaisseau Ikhyldien, grâce à sa puissance magique, pouvait régler ce genre de problème, était un bon moyen de renvoyer un message sur la puissance ikhyldienne, et donc de calmer les pirates... enfin, au moins pour un temps. Voilà comment Valéria et le Ryūhō se retrouvaient non loin des côtes Duchéennes, pour aller intercepter un convoi civil dans une zone où les pirates, d'après les services de renseignement ikhyldiens, devaient frapper. La Vampire ne savait pas exactement comment les hommes de Xin avaient obtenu cette information, potentiellement en subvertissant un des courtisans déjà complice des pirates, mais elle avait appris à se fier à la fiabilité des informations transmises par son ami et ses subordonnés.

Ils avaient encore un peu de temps avant d'arriver dans la zone dangereuse toutefois, où ils devraient rester sur leurs gardes vis-à-vis de l'attaque, mais cela n'empêchait pas la vigie de faire attention à ce qui les entourait, évidemment. Et c'est ainsi qu'on vint avertir Valéria que des débris avaient été repérés au loin, signes d'un naufrage. Il y avait eut une tempête dans la zone le jour précédent, même s'ils n'avaient pas été dans son rayon d'action eux-mêmes, et la Vampire fit donc mettre le camp dans cette direction à la recherche d'éventuels survivants, même si une journée plus tard il y avait peu de chance, en pleine mer, hélas... et pourtant, on lui signala rapidement qu'un Atama semblait être sur un radeau de fortune. En regardant dans la longue-vue que lui tendait son second, une officière humaine en qui elle avait toute confiance, toutefois, elle eut la surprise de voir une sorte... d'arbre ? Entouré de buissons ?

« Hé bien... voilà qui n'est pas banal. Mais bon, il a l'air vivant, alors mettez le cap sur lui ! »

Sa seconde salua et alla transmettre les consignes au barreur de quart, alors que la damoiselle restait à la proue, observant cet étrange naufragé. En s'approchant, elle pu confirmer que c'était bien un Atama, peut-être une Essence, ou alors le résultat d'une bien étrange expérience alchimique ! En tous cas, le vaisseau s'approcha donc, un navire de taille moyenne et de style typiquement ikhyldien, avec une propulsion aidée par la magie en plus de ses grandes voiles, qui arboraient le grand Phénix symbole de leur actuelle Impératrice, en plus d'un pavillon battu du vaisseau noir sur fond d'azur qui était celui de Valéria, même si sans doute moins connu hors de la flotte ikhyldienne. Difficile de se méprendre sur sa nationalité, donc ! En tous cas, une fois à portée de voix, Valéria s'adressa au mystérieux naufragé, en criant forcément vu le contexte.

« Olà du radeau ! Nous sommes le Ryūhō, de la marie ikhyldienne ! Nous vous offrons le secours et le voyage jusqu'à terre, si vous êtes prêts à attendre que nous ayons fini notre mission ! »

Après tout quand le naufragé était conscient, proposer avant de l'embarquer était la moindre des choses, même si personne n'avait encore refusé de son expérience de capitaine ! De fait, une petite équipe composée de sa seconde et de deux matelots, préparaient déjà une chaloupe pour la mettre à l'eau et aller chercher le naufragé, sauf refus surprise !

Beldurande anticipait donc l’approche du navire avec anxiété, s’il s’agissait d’un groupe hostile il serait dans de beau draps! Nul part où fuire, en large désavantage numérique et en plus de ça sa magie de Terre n’était vraiment pas du tout adaptée à son environnement actuel, donc en cas d’affrontement il vaudrait carrément mieux courber l’échine et attendre calmement une opportunité à quai… si tant est qu’il atteindrait ledit quai. Au final alerter le premier navire venu n’avait peut-être pas été une si bonne idée que ça et l’Essence commençait à angoisser d’avoir fait une erreur qui pouvait lui coûter très cher… anxiété qui se dissipa aussitôt qu’il aperçut le drapeau du phénix hissé en haut des voiles, juste en dessous d’un deuxième fanion, sans doute celui du Capitaine ou de la Compagnie.
Lorsque que le vaisseau se rapprocha un peu plus et que le Professeur pu le contempler plus en détail, il observa le navire aux allures clairement ikhyldienne. Même si ses connaissances en navigation restaient limitées il avait quand même lu sur le sujet durant ses études dans le Plan de la Terre et il avait également servi sur une frégate duchéenne à plusieurs reprises durant ses années de mercenariat. Il savait apprécier le bijou de cale sèche qu’il voyait faire cap vers lui, le tonnage semblait moyen mais le vaisseau était clairement optimisé pour la vitesse plutôt que le combat, les mâts paraissaient puissants et robustes, il comptait un nombre important de voiles pour le calibre du bâtiment ce qui indiquait une bonne maniabilité et une bonne précision dans les manoeuvres, mais également un équipage fourni. Pas un bateau commercial donc… et de là où il était il ne trouvait pas d’inscription avec le nom, certainement à l’arrière ou de l’autre bord. Lorsque le bateau arriva à portée de voix, le Professeur aperçut également le fanion de plus près… une armoirie d’azur à vaisseau sable, d’ordinaire il ne reconnaîtrait pas les armoiries de gradés Ikhyldiens, mais celui ci spécifiquement, relevait à la fois du savoir de mercenaire qu’il avait amassé par le passé dans les années trentes et de la simple culture générale. Ha! Et dire qu’il redoutait d’être tombé dans de mauvaises mains, il se retrouvait devant un navire servant directement sous les ordres de la Ministre de l’Armée de Mer, l’Arcane Matsutani, quel était sa magie déjà? Il savait que l’Arcane du Transformisme était le Ministre de l’Éducation puisque c’était celui pour lequel il faisait justement son déplacement jusqu’à l’Empire mais alors les autres… Feu? Ténèbres? Quelque chose dans le genre.

Une voix présenta le navire comme le Ryūhō, euh… le nom lui était peut-être familier, il l’avait déjà entendu quelque part en tout cas, ça il en était certain mais où? C’était sans doute un bateau célèbre de la marine Ikhyldienne, ça faisait sens avec le fanion qu’il arborait… Attends ce n’était pas carrément le bâtiment personnel de l’Arcane? Il se souvenait avoir lu ça dans un journal une fois, si c’était le cas alors que ce navire soit aussi loin des côtes de l’Empire voulait-il signifier que l’Arcane était à bord? Bon de toute façon il verrait bien et ça ne changeait pas sa réponse, il cria pour que sa voix porte par dessus le vacarme des vagues contre la coque du Ryūhō:

”Hum, ET BIEN, J’ATTENDAIS DES GENS POUR UN RENDEZ-VOUS IMPORTANT, MAIS ILS SONT EN RETARD ALORS POURQUOI PAS MONTER À BORD HAHAHA.” La formule de politesse que la femme avait employé l’amusait un peu, suggérant qu’il aurait pu refuser le sauvetage.

Quelques secondes après avoir donné sa réponse il vit dépasser du port les bras de treuil qui devaient larguer le canot de sauvetage pour descendre le chercher, tant pour économiser du temps que pour jouer carte sur table dès le départ, Beldurande leur fit signe en croisant les bras en forme de X:

”PAS LA PEINE.”

Il sécurisa son bâton de mage dans son dos, arracha les tiges des nénuphars de ses cuisses pour s’en séparer et sauta à l’eau. En quelques brasses il pu toucher le bois de la coque et fit pousser des lierres sur sa surface au fur et à mesure qu’il prenait appui dessus pour escalader la paroi. L’exercice était plus difficile qu’il ne le pensait, non seulement il était trempé et avait les mains glissantes, mais en plus de ça son âge en plus de la fatigue dû à la faim et au sommeil rendait l’ascension sportive. Le temps qu’il arrive jusqu’au bastingage, il soufflait sous l’effort et accueilla avec gratitude les mains tendues vers lui pour le hisser à bord. Il se tint la tête ne sachant pas si le vertige qu’il ressentait lui venait du soudain effort physique presque à jeun, de l’hyperventilation ou du roulis du bateau.

”Je dois vous remercier” dit-il aux marins autour de lui. ”Sans vous j’aurai sans aucun doute passé quelques jours de plus à la mercie des courants. Puis-je rencontrer le capitaine de ce navire?”

Pourparler, c’était un terme qu’il se souvenait servait à demander l’ouverture de négociations avec un capitaine, mais c’était exclusivement réservé aux situations de crises ou de combat lui semblait-il. De toute façon il n’était pas marin, alors les us et coutumes de la vogue ne s’appliquait pas à lui.

Du coin de l’oeil il vit une silhouette se rapprocher de lui tandis que les personnes s’écartaient pour céder l’espace, visiblement quelqu’un d’important. Beldurande était avachi sur le pont, les jambes en tailleur et les coudes posés sur les genoux. Il avait l'air pitoyable, tout mouillé, les feuilles qui habillaient les branches à l'arrière de sa tête étaient lourdes et tombaient abruptement, aspergeant le bois du ponton à chaque mouvement. Même si sa peau n'était pas réellement en bois, elle en avait tout de même la texture et sa tunique de voyage déchirée se raccrochait encore et encore sur les affres de sa surface, après avoir survécu à un naufrage, passé plusieurs jours à la dérive et sauté à la mer il était désormais presque nu, heureusement pour lui il ne possédait rien entre les jambes à cacher. Comme il mesurait plus de deux mètres vingt en étant debout, assis de la sorte il paraissait toujours d’une taille honnête et pourtant lorsqu’il releva la tête il se faisait dominer par la femme en face de lui, et ce n’était pas qu’une simple question de hauteur. La femme ou plutôt la Dame en uniforme prestigieux devant le Professeur était clairement une gradée, elle possédait un magnifique mais étrange visage ambivalent dont les traits seuls étaient doux et apaisant, mais ces yeux, ces yeux ce regard pénétrant d’un violet crystal témoignait d’une détermination d’acier qui contrastait avec tout le reste. La finesse de ses pommettes, de l’arête de son nez, ses sourcils mauves à l’image de ses cheveux qui encadraient le tout de manière légèrement ondulée, tout indiquait la douceur. Mais ces yeux. Elle était également d'une beauté à ravir, là encore son corps était un oxymore, les courbes de ses hanches, de ses cuisses et de sa poitrine auraient pû faire tomber n'importe quel homme et pourtant ce qui attrapa aussi le regard de Beldurande c'était la musculature apparente qui trahissait un entraînement rigoureux. Ces yeu… Il fallait peut-être prendre la parole à un moment donné plutôt que de rester là à la fixer, en fait non il vallait mieux que ce soit elle la responsable qui parle en premier, il venait tout juste de débarquer -enfin, d’embarquer du coup. Par précaution il détacha tout de même son bâton de mage avant de le déposer au sol et de le faire doucement rouler vers ses hommes...

Valéria fut quelque peu rassurée en entendant le naufragé faire de l'humour en réponse à sa sollicitation, même si la blague ne la fit pas spécialement sourire. S'il était en état de faire de l'esprit, cela voulait sans doute dire qu'il n'était pas trop mal en point, si étrange que fut sa situation, et donc qu'elle n'allait probablement pas le recueillir à bord pour le voir expirer sur son pont. Néanmoins, même ainsi rassurée, elle ne s'attendait certainement pas à la vigueur que déploya soudainement l'inconnu en refusant vivement qu'on vienne le chercher et en ralliant le vaisseau à la nage pour commencer à en... escalader la coque ? Même si elle n'était pas sous le bon angle pour observer la chose avec précision, la belle Vampire pouvait sans peine conclure qu'il devait s'agir là de la technique liée à la magie terrestre et permettant de faire pousser des lianes et du lierre pour grimper sur une surface en bois, par exemple, vu les éléments qu'elle avait déjà eut – entre la présence de buisson sur un radeau et l'apparence même de l'étrange être, clairement lié à la magie terrestre – mais cela ne l'empêcha guère d'être interloquée...

Quoiqu'il en soit, elle se dirigea donc doucement vers la zone où l'homme-arbre avait touché la coque et l'escaladait maintenant, cependant que sur place, deux de ses matelots l'aidaient à prendre pied sur le pont une fois qu'il eut escaladé ladite coque. Pour le voyage, Valéria portait un long kimono d'uniforme, dans les tons blancs et portant sur les épaules des galons de tissu qui indiquaient sa charge d'Amirale, n'ayant prévu de mettre son armure de combat qu'une fois plus à proximité des côtes, et ce fut donc ainsi vêtue qu'elle s'approcha finalement de son mystérieux passager, lequel resta à la fixer, semblant particulièrement plonger son regard aux nombreux yeux dans le sien, qui, certes, ne se reposait que sur deux yeux pour sa part, mais en avait déjà fasciné plus d'un, et ce même sans qu'elle n'utilise sa magie pour en faire son vecteur. Rien de tel ici, toutefois, et voyant qu'il ne disait rien, elle lui sourit avec douceur.

« Bienvenue à mon bord, messire. J'ignore ce qui vous a mis dans une si mauvaise situation, mais vous pouvez être rassuré, vous êtes maintenant en sécurité... même si j'avoue que je ne m'attendais pas à ce que vous en ayez une telle hâte que vous escaladiez ma coque. »

Valéria se pencha légèrement par dessus le bastingage, à côté de l'inconnu à l'apparence si singulière, et eut confirmation de ce qu'elle pensait par les traces de liane qui s'attardaient encore sur la coque du navire, confirmant l'utilisation d'un sort lié à la terre pour se créer facilement des prises et monter à bord sans mal, avant de se tourner à nouveau vers son passager imprévu, s'exprimant toujours avec une certaine douceur, ne cherchant pas à brusquer le naufragé, après tout.

« Je suis Valéria Matsutani, Arcane d'Ikhyld en charge de la flotte, et je vous garantis l'hospitalité du Ryūhō jusqu'à ce que nous puissions vous déposer à terre. Notre médecin de bord vous donnera tous les soins nécessaires au besoin. »

Sans qu'elle ait besoin de transformer cette remarque en un ordre direct, un des matelos présent hocha la tête et parti sans mot dire, sans doute pour faire préparer un lieu de repos et faire mettre en disposition ledit médecin – sans doute un mage, vu le bâtiment où ils se trouvaient – pour l'arrivée de l'inconnu, cependant que sa supérieure poursuivait.

« Ceci dit, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, nous devrons d'abord mener à bien notre mission, qui consiste à régler le cas d'un groupe de pirates. Ne vous en faites pas, vous serez parfaitement en sécurité à bord pendant ce temps, mais je tenais à vous le préciser par honnêteté. »

Valéria semblait confiante dans sa réussite, mais sans doute était-ce naturel quand on était une Arcane du plus puissant état magique au monde... en tous cas, elle avait exposé la situation à l'inconnu sans le presser de question, considérant sans doute qu'il s'expliquerait sur qui il était et ce qu'il faisait là quand il serait assez remis, même si elle s'assurerait tout aussi certainement d'avoir les réponses à ces questions avant de le débarquer bien sûr, mais, en attendant, semblait aussi bien prête à discuter maintenant, s'il le souhaitait, qu'à le faire conduire au médecin de bord – un Kitsune parfois un peu agaçant mais diablement efficace – et à discuter plus tard s'il préférait se remettre un peu d'abord...

Beldurande écouta la femme prendre la parole et il fut donc informé qu’elle était la capitaine de ce navire, s’agissait-il d’une amirale ou alors… se pouvait-il que? Non, quand même pas… La somptueuse capitaine se pencha par dessus le bastingage du vaisseau, semblant regarder quelque chose par dessus bord avant de reprendre la parole pour ce coup-ci se présenter. Et si! Il s’agissait bien de la Ministre de la Marine même! Oh merde, oh merde!! Le Professeur était si confus il ne savait pas quoi dire, il n’aurait jamais cru que son premier contact avec le gouvernement de l’Empire soit à moitié nu, complètement trempé et naufragé. Comment allait-il rattraper ce désastre d’introduction? Il se sentait paniquer et surréagir, il devait se calmer, il ne faisait pas preuve d'indécence après tout, il était simplement victime des aléas de la nature non? Ce n’était entièrement pas de son propre ressort s’il n’était pas présentable en cet instant oui. Voilà c’était ça, ce n’était tout simplement pas de sa faute. Alors que l’Arcane se redressa et continua de parler, Beldurande se rendit compte qu’elle lui offrait les services d’un médecin, il sorti de sa torpeur et s’apprêta à décliner lorsqu’elle enchaîna pour lui apporter une petite précision par rapport à leur mission en cours. Des… des pirates? Un navire de la marine Ikhyldienne avec un Arcane à son bord allait régler un problème avec des pirates? L’Essence ne put s’empêcher de se faire la réflexion et se dire que la réponse était peut-être d’un calibre un peu trop grand pour une si faible menace mais pour l’instant il y avait plus important encore. Tout d’abord il se releva, s’appuyant sur une jambe puis l’autre, le corps grinçant légèrement à cause de l’humidité ce qui provoqua des petits bruits de bois, comme un vieux meuble qu’on dérangeait dans sa maturation. Lorsqu’il se redressa de toute sa hauteur, il regarda cette fois en plongée vers l’Arcane en kimono et lui tendit une main. Il ignorait les moeurs en vigueur à Ikhyld donc il ne savait pas si les saluts se faisaient en s’inclinant, en maintenant une certaine distance ou autre donc il préférait s’en retenir au geste d’amitié universel de la bonne vieille poignée de main. Afin de ne pas se risquer à offusquer la Ministre en lui offrant le contact physique avec un inconnu lambda, même si elle avait cependant l’air de faire preuve de toute l’empathie du monde, Beldurande cru bon de se présenter également:

”Je ne peux être qu’enchanté de faire votre connaissance Arcane Matsutani, même si j’aurai souhaité que ce soit dans des circonstances où plus à mon avantage. Je me prénomme Beldurande d’Élusie, dernier héritier de la famille d’Élusie du Plan de la Terre. En comparaison de votre status je ne suis qu’un humble Proviseur d’Académie duchéen… je suis par ailleurs en bonne santé fort heureusement grâce à ma magie, je me permettrai donc de refuser les soins que vous m’offrez non sans une gratitude certaine...” Il prit une petite pause avant d’ajouter: ”Tout comme vous, je suis un Archimage, je maîtrise l’École de la Terre, une magie peu utile pour un naufragé!” Le Professeur avait volontairement appuyé sur ses capacités magiques puisque les Ikhyldiens les encensaient généralement outre-mesure. Chose qu’il détestait particulièrement même si ce coup ci il l’utiliserait pour garantir sa considération auprès de l’Arcane.

Il avait usé de sa magie tout au long de sa dérive pour pouvoir tranquillement se soigner et se nourrir, la seule chose qu’il ne pouvait faire de lui-même en revanche, était le sommeil. Il avait escaladé la coque du navire de Dame Matsutani tantôt, galvanisé par l’excitation d’être enfin sauvé, mais le tumulte des vagues et les efforts quasi constants pour rester à flot à bord de son radeau improvisé de nénuphars l’avaient abattu. Il ne désirait qu’une seule chose pour le moment, s’affaler dans le premier lit qu’on mettrait à sa disposition.

”À vrai dire, je suis également un ancien mercenaire, si vous me permettriez de vous assister dans votre tâche je serai ravis de rendre le coup de main une fois que j’aurai récupérer un peu, le temps de faire une petite sieste. Je souhaiterai donc pouvoir prendre congé de vous pour le moment si cela vous sied et me reposer, mais je serai fort intéressé de converser avec vous plus tard, la raison de ma venue à Ikhyld concerne justement un de vos confrère Arcaniste!”

Il se garda d’en dire plus, les matières d’éducations ne devaient peut-être pas passionner la Ministre de la Marine qu’elle était et il ne voulait pas paraître indélicat devant la Dame attentionnée qui l’avait si admirablement secouru.