Quand son patron la rejoignit ce matin avec une tête encore plus… teïderienne que d’habitude, Mora passa en revu toutes les tâches qu’elle avait effectué la veille afin de déterminer où elle avait pu faire une erreur vraisemblablement rédhibitoire. L’humain lui jetta dans les mains une lettre qui lui était adressée mais qui avait été ouverte. La lettre venait des services de renseignements. Alors qu’elle ouvrait pour la lire, elle senti un mouvement vif au-dessus d’elle et un claquement sec près de son oreille.

« Mais qu’est-ce que tu fous ! T’es dingue ! s’énerva-t-elle en tirant sur ce qu’il lui avait mis autour du cou.
- Tu vas te faire interroger par l’inquisition. Enonça-t-il froidement. Mora relu la lettre, elle n’avait pas compris cela au premier coup d’œil. Lorsqu’elle releva la tête, le dresseur avait déjà un appeau a griffon entre les dents, il comptait l’y conduire lui même.
- Tu as trop serré le collier de domptage, j’arrive pas à respirer. » Dit-elle pour avoir quelque-chose à redire sans être réellement énervée; il ne lui avait jamais fait subir de traitement humiliant et ignoble comme porter toute sorte de collier d’esclavage et se doutait qu’il la laisserait l’ôter dès que ce serait finit. L’humain avait bien lu entre les lignes de la missive, il devait savoir comme cela fonctionne, il fallait bien qu’il serve à quelque-chose. Apparemment, l’inquisiteur Sigismond Bonnenfant avait fait un rapport en sa défaveur. C’était étrange qu’on lui demande de venir pour si peu : elle n’avait rien fait de mal et il devait massacrer par écrit toute personne qu’il inspectait, cela restait un aspect majeur de son comportement naturel.

Une fois arrivés à Orzus, l’éleveur la déposa devant un très grand et, à son goût, assez majestueux bâtiment. Il s’agissait sans doute d’un palais de justice, ou quelque-chose apparant. Il lui tendit son appeau « Siffle si jamais ils veulent me parler, Mévy l’entendra. » ordonna-t-il. A l’appel de son nom, la griffonne donna un délicat coup de bec dans le dos de son maître. Mora se renfrogna : pas fou le gars, il n’entrait pas là-dedans sans y être obligé.
« Tu ne viens pas dire bonjour à tes amis ?» grinça-t-elle, il lâcha l’appeau qui chuta au bout de sa cordelette et se mit à osciller comme un pendule. Mora souffla exaspérée et attrapa sèchement le petit objet métallique avant d’entrer en trombes dans le bâtiment.
Au bout d’une heure d’attente, un grand homme mince vêtu d’une robe inquisitoriale s’avança et siffla dédaigneusement : « Tout ce bruit pour ça. » Avant de la scruter de haut en bas.

La jeune naine leva la tête en voyant une silhouette dissimulée s’approcher, elle le fixa, entre l’intérêt et la défiance. Elle n’aimait définitivement pas les inquisiteurs mais celui-ci n’en étant assurément pas un, il lui sembla d’emblée plus sympathique. Quoique, son sourire, sarcastique qui découvrait bien les dents n’était pas très engageant. Mora commença à avoir un doute lorsqu’elle vit l’inquisiteur baisser instantanément les yeux et tomber dans une courbette, son drôle de corps dégingandé se pliant presque à 90° et la main posée sur un genoux. Elle eut envie de le pousser pour voir s’il resterait en place.

« Que de bruit pour simplement une esclave, cher inquisiteur. Je crois que vous êtes en train de faire bien plus de bruit que cette esclave à son arrivée...'
- Votre altesse. » Répondit l’inquisiteur sans oser parler d’avantage.
La jeune fille eut un moment d’arrêt, sachant qu’elle aurait à réagir de la bonne façon s’il elle voulait éviter de passer par la prison. Les teïderien avaient l’emprisonnement facile. Se jetter aux pieds des gens n’était pas particulièrement dans son éducation, elle craignait de se rendre ridicule. Première étape, détourner le plus naturellement possible les yeux du regard ambré du souverain, ensuite elle imita la posture de l’inquisiteur mais, dans cette position, elle n’y voyait absolument plus rien, même pas les pieds des humains. Après un instant de réflexion elle descendit lentement et précautionneusement un genou ce qui lui permit de relever un peu la tête. La naine comprenait maintenant pleinement l’intérêt de ce que son maître lui avait mit autour du cou, vu qu’elle avait été prise d’emblée pour une esclave. Mais cela lui rappela également la désertion totale de ce dernier à son encontre et elle se promit de lui faire payer cet abandon de poste d’une façon ou d’une autre.

« Euh… votre altesse. » Hasarda-t-elle en s’adressant aux genoux du souverain. Un instant elle eut envie de rire de la situation qui lui semblait surréaliste et ne pu s’empêcher de pouffer.

''Est ce moi qui te fais rire de la sorte, chère Naine ? Tu peux me débarrasser le plancher, inquisiteur. Tu contestes les ordres de ton Roi ?

Mora plissa les yeux de satisfaction, celui-là décidemment il commençait à lui plaire. Elle avait fort rêvé de pouvoir demander à l’inquisiteur de sa connaissance de débarrasser le plancher et entendre ces doux mots la mettait de fort bonne humeur. Elle se releva sur ordre.

- Eh bien. » répondit-elle prudemment, croisant son regard un seconde avant de détourner les yeux. « C’est juste que je n’y voyais pas grand-chose, même pas vos pieds au départ et qu’en me redressant au maximum, je ne suis arrivée qu’à vos genoux. Je promets que c’est la vérité même si, n’ayant jamais été dans cette situation, cela peut paraître étrange pour vous.
''Après, tu me narreras les méfaits que m'a rapportés l'Inquisiteur Sigismond...'
- J’ai agi dans l’intérêt de Monseigneur Bonnenfant. Mais il n’a apparemment pas apprécié mon aide. De plus, c’est lui qui a tenu à m’emmener avec lui quand elle a voulu faire une session de purge dans une zone particulièrement magique. Il voulait me surveiller, grand bien lui fasse ! Ensuite, lorsqu’il s’est trouvé dans un mauvais au cœur des marécages, j’ai tout fait pour l’aider. Sans vouloir me vanter, il aurait été enlevé et vendu dans les duchés sans moi. Il n’aurait définitivement plus été en état pour me critiquer de la sorte. Il semblerait que sa peau soit mise à prix une fortune chez de nombreux petits bourgeois des îles du Sud.

Mora aurait bien aimé lui demander quels étaient les reproches exacts que lui avait fait l’inquisiteur mais se douta que ce n’était pas une idée lumineuse. C’était définitivement trop fort ! La naine s’échinait pour récupérer cet oiseau de malheur, tout cela pour qu’il aille déverser son venin à la capitale. Si jamais elle le recroisait, elle lui dirait sa façon de penser. Si ça se trouve, l’humain était ici en ce moment même. Elle se reprit, il devait simplement avoir prit plaisir à la descendre en flammes puis avait reprit ses activités habituelles de tyran.

Elle jeta un rapide coup d'œil au souverain, tentant de lever les yeux afin d'apercevoir son expression. La naine crut reconnaître cette tête, il semblait et sévère et de bien se marrer à la fois, une expression naturelle chez les serviteurs de l'état et leur maître apparemment. Mais venant de cette homme, ce n'était pas forcément bon signe. Mora n'eut cependant pas particulièrement la présence d'esprit de regretter amèrement son geste, ce qui aurait eut une chance de se déceler sur son visage.

"Me maîtriser?" questionna-t-elle, surprise en levant les yeux puis les baissant aussitôt. Se maîtriser n'était particulièrement un prérequis social nécessaire chez elle. Le courage, oui, la loyauté, évidemment, et le respect. Mais elle n'avait pas été irrespectueuse, si l'étiquette avait ordonné de faire ceci face à un membre du conseil nain et que le résultat rendu aurait été si ridicule, sans doute lui aussi aurait été amusé. Les Teïderiens n'ont pas d'humour. Lui faire perdre la vie pour cela et quoi encore? Enfin, cela ne devait pas être tout à fait vrai sinon il n'y aurait plus le moindre habitant dans ce royaume. A moins qu'ils soient tous également tristes, à genoux et bien plus terrifiés que respectueux.

Mora écouta ensuite avec intérêt la proposition du souverain. Si l'on acceptait l'hypothèse que cet horrible "Dieu" dégénéré et cruel existait bel bien, ce qui ne la dérangeait pas, elle croyait bien en l'esprit des ancêtres, le père de la Souffrance pouvait évidemment être un esprit particulièrement puissant usant de sinistre magie plus que d'un glorieux marteau. Si l'on partait du principe que ce seigneur leur parlait et avait vraiment un dessein pour eux alors peut être qu'en effet, elle avait empêché ce plan. Après ces instants d'intense réflexion elle finit par accepter :
"Je comprends . Il se débattait comme un beau diable mais il ne m'a pas vraiment ordonné de l'aider, après, son égo le lui aurait-il permit? Le ton de la jeune femme se durcit en fin de phrase tant l'inquisiteur et son arrogance l'horripilaient.
"Ce sera pour la prochaine fois?" questionna-t-elle sans vraiment attendre de réponse, si le seigneur de la souffrance avait décidé de faire vendre cet homme comme esclave dans les duchés et torturé par le plus offrant rien ne l'empêchait de recommencer.

"Certainement Messire, je dois avouer que je ne voudrais pas avoir l'arrogance de dire que je veux défendre tous le monde des ennemis de Teïder, mais dans l'instant…" dans l'instant quoi, l'aurait-elle récupéré tout de même si sa disparition n'avait pas mit ses collègues en danger mortel? Peut être bien, elle n'avait jamais vraiment vu de quoi il était capable et ce qu'elle avait vu ne lui faisait pas forcément mériter la mort. Enfin, elle ne pouvait être sûre de ce qu'elle aurait fait. "dans l'instant, je n'ai pu laisser un Teïderien aux mains d'un étranger. Un autre élément m'a décidé, c'est qu'il aurait disparu sur les terres de mon empl.." Se rappelant subitement du collier qu'elle avait autour du cou elle en joua et se rattrapa ".. De mon maître."

"Personne n'aurait cru au fait que Sigismond Bonnenfant aurait pu disparaître à cause d'un monstre des marais n'est-ce pas? Dès lors, les faits auraient été évidents : l'inspection de l'élevage à Brasov se sera mal passée et mon maître aurait été inquiété." Préférant ne pas rester sur ces mots, excessivement dangereux en présence du souverain elle s'en était aperçue trop tard, elle reprit :
Me voilà intriguée, qui possède la mise à prix la plus élevée en ces terres. Vous?" Demanda-t- elle en levant brièvement les yeux de nouveau.

"Il fallait que je me maîtrise pour ne pas rire ou que je me maîtrise pour ne pas me retrouver la tête au raz du sol ?"
Questionna Mora, de bonne volonté mais désirant qu’il développe d’avantage, elle savait ce que signifiait « se maitriser » mais elle ne voyait pas quoi faire. Ni comment d’ailleurs ! Car l’un n’allait pas sans l’autre : elle ne voyait pas comment elle ne pouvait pas rire d’être dans une posture stupide et même en réfléchissant, elle ne savait pas comment elle aurait pu éviter cette position sans offenser le souverain.

« Ah mais Sire! Si je le dois je le ferai ! Mais après je ne veux plus jamais revoir sa tête de ma vie ! Qu’il reste éloigné de moi ! Il est complètement fou. » Bien qu’elle soit impressionnée par le souverain, évoquer le fait de revoir ce type l’avait faite sortir instantanément de ses gonds. Elle répondit rapidement à la question du roi, sans s’être calmée :

« Euh… Je ne sais pas. Je crois que j’aurai récupéré l’inquisiteur de toute façon, il me serait difficile de voir quelqu’un de ma nation se faire enlever sans rien faire. Je ne lui veux pas de mal, je souhaite juste qu’il cesse de débiter des sermons dès qu’on prononce le moindre mot. On a l’impression qu’il a un auto-allumage intégré et c’est excessivement sensible comme mécanisme : même si le lien entre ce qu’on dit et les religion est tenu il va se lancer dans un discours fort inspiré, il ne s’arrête pas souvent de parler. En plus il parle fort et quand il sort sa bible il vaut mieux se taire et sérieusement s’éloigner car ça lui sert d’arme contondante. Pour mon maître, je ne peux jurer de l’étendue de ma loyauté envers lui car dans son genre, il est d’assez mauvaise compagnie également, mais le premier qui s’en prend à lui goutera à ma hache. » Réfléchit la naine sans essayer de construire un argumentaire bien organisé et ne s’apercevant pas que sa dernière phrase était contradictoire.

Mora avait eut un grand sourire satisfait quand il lui annonça que l’inquisiteur devrait la remercier. Puis, une ombre passa sur son visage : elle était en intense réflexion, ne venait-il pas de lui dire le contraire ? Il était particulièrement retord celui là. Elle avait jaugé plus tôt qu’il valait mieux répondre honnêtement car elle pensait qu’il devinerait si elle mentait et apprécierait de la bonne volonté de sa part, mais de son côté il n’en mettait aucune. Si ça se trouve il avait déjà décidé de son sort depuis longtemps et ne faisait que s’amuser à la faire rager ! Agacée, son visage se ferma.

Mais, elle avait apprit qu’il fallait des fois mettre sa fierté légèrement de côté et elle se remit à lui parler, répondant à ses derniers propos :
« Mais vous êtes roi, personne ne peut vous tuer comme ça. » répondit-elle, dubitative. Dans son esprit, les rois étaient les individus les plus puissants d’une nation ne mourraient que sur les grands champs de batailles ou vilement empoisonnés par leur propre famille.
« En plus vous avez un énorme… » elle chercha du regard un renflement sous les vêtements du souverain qui aurait pu montrer la présence d’une cage magique. Il était fréquent, surtout en milieu hostile, que les dresseurs aient un ou deux puissants monstres directement attachés à leur ceinture dans une cage.  Son employeur était pour sa part, souvent accompagné de sa vouivre lorsqu’il se retrouvait dans le désert ou la forêt en frontière avec le grand nord. Il lui semblait étrange que le souverain n’ait pas son drake sur lui.
«… Drake. » finit-elle en levant vers lui des yeux interrogateurs.

Le souverain eut une légère contraction du visage, il semblait s’être retenu de faire quelque-chose. Quoi par contre, c’était difficile à concevoir, entre l’air naturellement austère des Teïderien et la subtilité de leur langue, il était difficile de les suivre et des comprendre.

"D'autres avant toi y réussissent, pourquoi pas toi "
La naine se senti piquée au vif. Elle se concentra un bon coup pour visualiser comment s’agenouiller avec une ferveur stoïque. Mais elle s’arrêta en cours de route, non seulement car la tâche était ardue, plus qu’elle ne se l’était imaginé mais aussi comme elle craignait qu’il ne lui dise pas de se relever si elle se mettait à nouveau à genou. Cet humain semblait avoir un sens de l’humour certain et en serait parfaitement capable à son avis.
« Lui ? Parfaire mon éducation ? Il ne pourra jamais le faire correctement, il ne supporte pas les femmes ! » Répondit-elle, essayant d’être subtile dans le refus.

« Ah d’accord, ce sont les inquisiteurs qui rendent compte de la folie. » Répondit-elle comme si elle était contente de mieux comprendre le fonctionnement de la nation, dans tous les cas, cela expliquait des choses. Ce sont les médecins qui jugent de la folie et les inquisiteurs qui agissent, ça se complique quand ce sont les juges les bourreaux ; un conflit d’intérêt se profile.
Mora passa ses doigts dans son collier d’esclavage qui commença à lui peser lourd sur la gorge pendant que le souverain parlait. Elle serra un peu les dents, autant, elle voulait bien envisager qu’insulter un inquisiteur pouvait être prit pour une insulte envers le seigneur. Le roi changea encore de ton avec un petit trait d’esprit qu’il accompagna d’un pesant silence parfaitement maîtrisé : « Mais d'une certaine façon, tu Le sers, car tu souffres un peu de supporter Bonnenfant... » elle étouffa un rire énervé, « un peu ». La jeune femme attendit la suite :

"Mais attention à tes souhaits ma chère... car tu es assez contradictoire. Tu détestes Sigismond, mais de l'autre côté, tu veux encore le défendre ? Tu ne sais pas ce que tu veux en fait, hein ?
« Euhh… Pas tout à fait. » Répondit-elle, hésitante, cet homme était plus déconcertant lorsqu’il souriait que lorsqu’il menaçait. « Peut-être chez les humains on doit abattre tous ceux qui nous dérange sinon on ne sait pas ce que l’on veut ? Pour un nain, on peut très bien défendre quelqu’un qui nous horripile s’il en est de notre devoir. » Elle posa les doigts sur son collier une nouvelle fois, cherchant peut-être une réponse qui la satisferait plus.

Mora leva rapidement les yeux vers lui quand il reprit la parole. Il était certain que tout noble ennemi donnerait tout ce qu’il a pour exposer la tête du souverain de royaume de Teïder.
« Et mon énorme... drake, n'est jamais bien loin, si tu cherchais quelque chose de précis. » Elle acquiesça, se demandant en ce cas où il se cachait.

''Tu t'interroges n'est ce pas ? » Mora plissa les yeux, il l’énervait à lire dans ses pensées. « Mais un souverain tel que moi n'a pas besoin d'exprimer sa toute puissante à la visu de tous..... Puisque nous évoquons mon beau drake, peut être que tu veux le voir ? » Oubliant un instant à qui elle parlait, son intérêt souvent dissimulé pour son métier reprit le dessus.
- Oh oui ! Je me demande si c’est plus gros qu’une vouivre. » répondit-elle avec un certain enthousiasme.