juin 1999

Dans une petite taverne paisible, située aux abords périphériques de la cité d'airain, plusieurs clients riaient durant une partie de dés. Le tenancier, un petit homme rondouillet, les regardait pendant qu'il terminait d'essuyer une chope en étain. Ces clients là étaient des habitués et ne posaient d 'esclandres et payaient toujours content. Il lorgnait de temps à autre un inconnu  qui s'était dans le fond de la salle, tout seul. Le tenancier ne l'avait jamais vu et demeurait méfiant.

L'inconnu était un mercenaire approchant de la cinquantaine ; un âge respectable pour des individus de cette profession. Il était arrivé, avait commandé deux bouteilles de vin, s'était attablé dans son coin et avait vidé sa première bouteille. Le tenancier voyait là un homme qui voulait se mettre une bonne dose. C'était classiques chez ces gens-là. Mais tant qu'il ne provoquait pas de bagarre celui-là...

Peddyr termina ce qui restait de vin dans première bouteille. Il sentait déjà les effets basiques de l'alcool. Il prit l'autre bouteille et hésita un instant. Il soupira et porta le goulot à ses lèvres.

Deux semaines. Cela faisait deux semaines que Lydie avait quitté la ville pour une chasse. L’animal qu’elle avait dû trouver n’était spécialement dangereux, ni spécialement beau. La difficulté résidait dans sa rareté et surtout dans le fait qu’elle devait le capturer vivant ou sans trop l’abîmer. Son commanditaire volait l’empailler pour faire décorer sa maison de campagne sûrement. Probablement pas pour sa fourrure, sauf s’il voulait faire une paire de petits gants moches et qui grattent. Après, Lydie n’essayait plus de suivre les délires des bourgeois. Elle avait fait partie d’eux jadis, mais elle n’avait jamais réussi à les comprendre.

Ce soir, elle avait livré sa prise, dans une cage. La créature lui avait donné du fil à retordre, surtout à cause de son dard qu’il avait sous les pattes. Cette bestiole mi-loutre, mi-canard, avait toujours interpellé Lydie, de même que son nom. Mais on lui avait payé une partie et elle avait été invitée à récupérer le reste durant un bal. Génial, ce qu’elle préférait, un bal. Surtout dans deux jours. C’était insupportable. Elle allait devoir rester sobre tout ce temps pour être sûre d’avoir les moyens de négocier et de défendre son salaire dans les meilleures conditions. Ce n’était pas prévu comme ça et ça l’énerver au plus haut point. Et surtout elle allait devoir se confronter à ses démons avec l’esprit clair, et ça la terrifiée.

Elle arriva à une taverne où elle avait ses habitudes. Il n’y avait que quelques habitués à l’exception d’un homme, un étranger, un mercenaire, il n’y avait aucun doute là-dessus, la cinquantaine. Elle pouvait dire beaucoup de choses sur lui. Et encore plus que d’habitude car cette fois-ci elle était sobre. Cet homme lui disait quelque chose, vaguement. Comme un lointain souvenir, probablement un faux souvenir. Mais surtout, cet homme était assis à sa table. Pourquoi tout le monde avait décidé de la contrarier aujourd’hui ? S’étaient-ils tous donnés le mot ? Elle soupira et se dirigea vers le bar.

Les hommes levèrent les yeux à son passage mais le baissèrent rapidement. Elle n’était pas une inconnue ici. Une fourrure sur les épaules, son armure d’écailles de cuir sur le torse, une arbalète sur l’épaule gauche, son paquetage sur l’épaule droite et une franquiste lui barrant le dos et un sale caractère. Ses cheveux blonds et épais étaient coiffés en une tresse épaisse et serrée. Tous ici savaient qui elle était et qu’il ne fallait pas l’ennui. C’est qui se gusse qui est à ma table ? Bonsoir Lydie. La chasse a été bonne ? Ici ça va mais tu nous as manqués. Je te sers la même chose que d’habitude ? Ta chambre est prête comme d’habitude. Oui, oui, tout ça et pareillement Et non, met moi juste une bière et un ragout. Il faut que je reste sobre. Et maintenant qui est ce mec qui est à ma table. Je ne sais pas et essaye de ne pas faire trop de remous s’il te plait. Va t’installer, je t’apporte ça tout de suite.

Lydie n’avait pas quitté son expression froide et distante et le tavernier était resté souriant. Il avait abandonné l’espoir de voir un sourire fleurir sur le visage de la chasseresse et surtout de la raisonner. Sa taverne était devenue le point de chute de la jeune femme, qui en dehors de ses périodes de chasse, vivait ici. C’était une excellente cliente qui payait toujours tout et consommé énormément. Tellement que le tavernier n’avait vu aucun problème à lui allouer une chambre constante. Et il passait volontiers sur ses caprices comme cette histoire de table.

Lydie marcha vers sa table et claqua ses deux mains à plat dessus en faisant du bruit, faisant face à l’inconnu. Bon, mon gars, je ne suis pas de très bonne humeur. Alors je vais te lacer te justifier pour être assis à ma table avant de te lancer partir tranquillement. A moins que tu ne veuilles partir tout de suite, ce qui nous fera gagner du temps à tous les deux. Le ton était cassant et autoritaire.

Il avait entamé sa seconde bouteille quand la jeune femme était pénétré dans la taverne. Il avait entendu son arrivée mais sans plus accorder que cela. Il préférait largement rester dans les brumes de l'alcool. Quand avait-il à faire après tout, de ces clients locaux ? Il voulait être tranquille sans se préoccuper des autres. Mais des fois, on n'avait pas forcément ce qu'on voulait.

Il ne vit la jeune venue rejoindre sa table. Quand cette dernière frappa de ses deux mains la pauvre table, le vieux mercenaire ne put qu'être surpris et manqua de renverser sa bouteille. Heureusement qu'il la rattrapa de justesse.

"Non mais vous êtes pas bien vous !"

Quand il fixa le malvenu, il sourcilla quand il vit que c'était une jeune femme. Sur le coup, il demeura interdit : ce visage....il lui rappelait quelqu'un. Mais que cette fillette exigea qu'il décampe de SA table, la brume naissante d'un souvenir précis s'ėvanouit. Il la toisa et ne perdit pas de temps pour répliquer.

"Y a pas de nom gravé sur cette table. De plus, j'étais ici avant toi. Donc, va te trouver une autre table."

L’homme en face de Lydie devait être une loque vu sa réaction de surprise devant l’intervention de la Chasseresse, voilà ce que pensait Lydie. Sa surprise avait failli lui couter sa bouteille de vin. Deux choses, soit il était déjà complétement ivre, soit il était un très mauvais guerrier. Mais son aplomb à répondre à Lydie énerva cette dernière. Pour qui se prenait-il ? Il débarquait de nulle part et osait venir squatter sa table, à elle. Et sincèrement, ce n’était pas le moment de l’énerver. D’ailleurs ce n’était jamais le moment d’énerver Lydie. La jeune femme n’aimait pas qu’on s’oppose à elle ou qu’on l’ennuie ne serait-ce qu’un peu. Là, cet homme venait de dépasser les bornes.

D’un geste, elle balaya les deux bouteilles, qui s’éclatèrent au sol. Y a peut-être pas de nom sur la table. Mais il y aura bientôt tes dents si tu m’emmerdes. Alors tu dégages ou je te dégage. Ce n’était peut-être pas la bonne chose à faire que de provoquer cet homme. La jeune femme ne le connaissait pas mais ses talents de perception lui révélèrent que cet homme était au moins un guerrier, un vieux guerrier mais tout de même. Toutefois, le contrôle de soi n’était pas dans les attributions de Lydie, bien au contraire. Elle avait prévu de s’asseoir, de boire un verre et de manger puis d’aller se coucher. Or, cet inconnu perturbait son programme.

Un inconnu ? En y regardant de plus près, pas vraiment. Ses traits lui rappelaient quelque chose, mais c’était lointain. Son cerveau inondait de rage n’essayait pas pleinement de reconnaitre l’homme, mais une petite fraction commençait à chercher qui ça pouvait être, ou à qui il faisait penser. En attendant, il allait falloir l’évacuer. La jeune femme, sobre, se tint sur ses gardes et ses appuis, prête à passer à l’attaque ou en défensive. Elle n’était pas particulièrement forte, mais si quelqu’un essayait de la surprendre, elle saurait réagir et éviter tous les coups aisément. Surtout qu’elle était sobre, ce qui n’arrive pas si souvent.

La réaction ne se fit pas attendre quand à sa réplique qui fut mal prise. Les deux bouteilles volèrent et se brisèrent sur le sol, dans un bruit de verre brisé. Le contenu alcoolisé termina sa vie répandue sur le sol de la taverne. A la suite de quoi, La jeune femme se montra plus que vénéneuse dans ses paroles. Déjà que de vori ses boissons gaspillées pour une sale humeur, la menace fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Mais le vieux mercenaire n'était pas pas aussi réactif que celle qui l'agressait verbalement. Enfin réactif.... il n'était pas dans un état à avoir un coup de sang chaud comme elle. Mais cela ne l'empêcha pas de se lever brutalement de sa chaise, cette dernière tombant à la renverse.

Peddyr dardait un regard froid, exprimant clairement son soudain agacement. Lui qui cherchait la paix pour pouvoir se soûler en toute tranquillité, c'était râpé. Il toisa donc cette gamine qui venait perturber son début de soûlerie. Bien qu'il était déjà en phase d'être assez bien imbibé, il avait encore un ton bien mordant.

''Essaie de me faire dégager gamine ! Pour qui te prends-tu ? Ne crois pas que sous prétexte que tu sois plus jeune que moi te donne des droits !  ''

La jeunesse n'était plus ce qu'elle était....Mais quelque chose le perturbait : plus il regardait cette gamine, plus ses traits lui disaient quelque chose.... Elle avait des airs familiers. Mais d'où ?

''Ne crois pas que ta position de femme te mettra à l'abri d'une bonne correction et...''

Ces traits... ce visage ? Non, ce n'était pas possible. Il manqua d'être réellement déstabilisé et se retint de faire un pas en arrière, comme s'il venait de voir un fantôme. Un lointain souvenir venait de faire surface. Mais ce n'était pas possible... Même s'il ne se rappelait plus de grand chose, il avait un nom qui lui revenait. Ces traits, ce visage.... Non, ce n'était pas possible. Et pourtant... Elle était là, devant lui.

''Cassia ? Est-ce toi ? Ce n'est... pas possible.... ''

La réaction de l’homme se fit presque attendre. Lydie eut un reniflement méprisant devant ce sac à vin qui semblait avoir du mal à comprendre les termes de la Chasseresse. De plus, il était clairement ivre, alors qu’elle était sobre. Toutes les chances étaient de son côté, quelle que soit les compétences de cet homme. La voix du mercenaire éveillait quelque chose en Lydie mais la jeune femme ne cherchait pas à savoir quoi. Elle était chez elle dans cette taverne, et c’était sa table et surtout, ce n’était pas le moment de l’ennuyer. Elle avait beaucoup voyagé et n’avait qu’une seule envie, s’oublier et se reposer.

Tu vas voir vieillard, les poivrots en sont témoins, j’ai dégagé du plus gros que toi. Je t’aurai prévenu, vieillard. Et ne compte pas sur ma féminité pour te sauver. C’est ton dernier avertissement avant que je… Attend comment tu m’as appelée ? Comment connais-tu ce nom ? Qui es-tu ? Et puis merde ! La stupéfaction avait arrêté Lydie dans son élan. Entendre le nom de sa mère, après tant d’années lui fit un choc. Depuis sa mort, son prénom n’avait été prononcé qu’une dizaine de fois, comme si le dire pouvait déranger la femme décédée en couche. Que cet ivrogne prenne Lydie pour sa mère la surprit dans un premier temps avant qu’elle ne décide que ça n’en valait pas la peine.

Elle lança son poing en un uppercut sur l’homme pour l’envoyer au sol. Elle n’était pas spécialement forte, mais sa rapidité et la surprise jouaient en sa faveur. Pendant que l’homme tombait sous le coup, l’esprit de la jeune femme tournait à plein régime. Elle n’avait que des souvenirs flous de sa mère, bien qu’on lui ait toujours dit, à elle et ses sœurs, qu’elles lui ressemblaient beaucoup. Etait-ce seulement encore vrai aujourd’hui ? Lydie avait dû bien changer, avec sa vie pour le moins en deux teintes.

Elle se plaça au-dessus de l’homme à terre, un pied sur son torse, et se pencha vers lui. Comment connais-tu le nom de ma mère ? Est-ce un hasard ? Tu as intérêt à répondre et dire la vérité, sinon, quand je t’aurai dégagé, tu ne seras plus en état d’aller nulle part.

La réaction ne se fit pas attendre. Mais pas comme on aurait pu l'imaginer. D'abord, la jeune femme avait été saisi par le nom sorti de la bouche de Peddyr, avant de réagir et d'user de son poing pour frapper le vieux mercenaire. Lui-même était resté figé, après avoir énoncé le nom, cherchant toujours qui était cette personne, de ce visage qu'il se rappelait avoir connu et de ce nom surgi des brumes d'un passé oublié ; et qu'il n'avait jamais cherché à retrouver réellement.

L'uppercut le prit au dépourvu. En même temps, autant il était ouvert qu'il était resté figé. Dans les deux cas, il reçut le coup et s'étala par terre, à moitié étourdi par le coup reçu. La fillette n'était pas exceptionnellement forte, mais ce qu'elle lui avait décoché avait suffi à le mettre à terre. Le temps qu'il reprenne ses esprits en secouant sa tête, il sentit une pression s'appuyer sur son torse. D'abord, il fit le pied, puis quand il releva le regard, ce fut pour croiser celle qui l'avait foutu à terre.

Elle s'était penchée vers lui. Et forcément en se penchant, cela accentuait la pression de son pied contre lui. Elle l'abreuvait déjà de questions avec des tons de menace. Peddyr était encore trop abasourdi pour répondre immédiatement. Il devait rêver. Ce n'était pas possible. Elle lui ressemblait trop. Il avait du trop boire, il ne voyait que cela. Il finit par répondre, légèrement sourcillant.

''Ta mère ? Tu lui ressembles tellement.... J'ai des souvenirs d'elle, oui... mais c'est hasardeux de me rappeler avec exactitude d'où et de quand. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a aucun hasard. Je sais que j'ai connu Cassia...''

A l'entendre, on pourrait croire qu'il se parle à lui-même, en proie à quelques souvenirs émergents d'une jeune femme qui répondait bien à ce nom là. Et comme il avait déjà bien bu, cela n'aidait pas. Cassia.... D'où avait-il connu cette femme ? Trop était confus, trop confus. Mais il se rappelait d'elle, donc elle avait marqué son passé. Restait à savoir comment.

Qui était cet homme qui disait connaitre la mère de Lydie ? La Chasseresse aurait aimé se dire qu’il avait eu de la chance en criant un nom au hasard, mais c’était impossible. Même un imbécile n’aurait pu se berner à ce point. Mais les propos incohérents de l’homme ne permettaient à la femme de déterminer s’il était sain d’esprit ou non. Probablement pas, vu le ton qu’il utilisait pour parler, mais peut-être est-ce l’alcool qui parlait à ce moment-là. L’homme était trop saoul pour réfléchir clairement.

Lydie abattit de nouveau son poing sur le visage de l’homme. Qui es-tu ? Elle prononça ces mots avec ton menaçant et sans desserrer les dents. Je n’aime pas me répéter, alors tu vas me répondre. Ses yeux lançaient des éclairs.

Un léger doute s’insinua dans son esprit. Et si cet homme faisait partie du complot qui avait détruit sa vie une première fois. Celui qui avait brûlé la maison de chasse de sa famille, et massacré ses amis. Celui qui les a forcées, elle et ses sœurs à partir en exil. Et si ce complot les avait rattrapées jusqu’en Akkaton et était à l’origine de l’incendie qui avait détruit définitivement sa vie. Le visage de l’homme lui était de plus en plus familier mais impossible de l’identifier clairement.

Outre d'être éméché, recevoir un coup n'aidait pas pour garder l'esprit concentré, plus encore quand la jeune femme lui offrit sans prévenir un énième coup de poing dans la figure. Le vieux mercenaire peinait déjà essayer de rassembler les morceaux, faute à une mémoire morcelée depuis des années qu'il n'avait jamais cherché à reconstituer pour des raisons qui lui étaient propres... mais si la violence se rajoutait à ça, cela aidera encore moins.

Elle l'avait donc frappé, exigeant des réponses. Son ton sec et menaçant ne laissait aucun doute quand à la suite qu'elle pourrait donner si elle n'obtenait pas rapidement les réponses qu'elle attendait. Ses yeux flamboyants de colère auraient pu faire frémir bien des hommes. Peddyr, une fois l'étourdissement douloureux plus ou moins passé du second coup de poing reçu, garda un étrange silence. Même si l'alcool embrumait son esprit, il restait un homme qui ne pouvait tolérer bien longtemps la position qu'il subissait. Et que ce soit une femme ou non qui le lui imposait.

''Qui je suis....''

Pourquoi est ce que le passé devait toujours revenir à des moments de son existence ? Peddyr devait-il le subir à nouveau ? Pourquoi cette tourmente ? Pourquoi est-ce que ce passé qu'il fuyait revenait encore et encore ? Cette fois, c'était par l'intermédiaire d'une personne qu'il se rappelait... Mais pour le moment, ce n'était pas le passé qui se préparait à agir...

''Je suis....''

D'un coup, il attrapa vivement la cheville de la jeune femme, celle-là même qui maintenait le pied contre sa poitrine. Le but ? Faire choir la jeune femme et sous le coup de la surprise, il la fit tomber à terre, libérant sa poitrine de son emprise et il n'avait pas perdu de temps pour se redresser, un genou à terre, prêt à réagir en cas d'offensive de la part de la jeune femme.

''Qui je suis t'importera pas vraiment...Quand à Cassia...''

Le coup de fouet qu'il avait eu pour repousser le pied de la jeune femme ne dura pas. Déjà, il se sentit repris de cette lassitude provoquée par les brumes de l'alcool. Et en même temps, il sut pourquoi il connaissait la dénommé Cassia... Et si l'autre était sa fille... Le passé demeurait cruel. Il se sentit s'asseoir mollement sur le plancher.

''C'est ma soeur...''

Et ainsi un morceau de son passé se colla à ce qu'il savait déjà de ce qu'il avait été. Désormais, Cassia, en plus d'être un visage, était devenue un lien... Et désormais, il avait en face de lui quelqu'un qui était sa fille. Voilà pourquoi elle lui ressemblait tellement.

L’homme bien qu’alcoolisé, avait une sacrée force et de bons réflexes. Lydie ne s’attendait pas à une telle réaction de sa part, ni une telle efficacité. La rage avait émoussé son attention, trop orientée à connaitre l’identité de cet homme qui semblait vouloir la cacher. Elle partit à la renverse mais à peine avait-elle touché le sol que ses réflexes l’avaient presque déjà remis sur ses appuis. L’homme était, à peine, relevé que Lydie était déjà prête à repasser à l’attaque. Sa fraîcheur jouait en faveur de la Chasseresse. Mais elle attendit, car il semblait prêt à parler enfin. Les dents serrées, la femme attendit les réponses. Le silence régnait dans la salle, la perception de Lydie l’informant que tous les regardaient et retenaient leur souffle.

La réponse ne vint pas. Elle fonça vers l’inconnu qui refusait de lui dire son nom. C’est moi qui décide ce qui a de l’importance. Je… Alors qu’elle arma son poing pour frapper l’homme dans le plexus solaire, elle arrêta son geste. Il était le frère de sa mère, son oncle. D’un seul coup, les détails du visage, la forme du nez et des yeux, l’expression. Tout lui revint. Son geste s’arrêta alors que des images revinrent à l’esprit de Lydie.

Un jeune homme, entouré de deux petites filles parfaitement semblables. Il leur montrait comment se servir d’un arc, trop grand pour elle. Lui sous les assauts ridicules des deux gamines. Le geste de la main des jumelles au cavalier qui quitte la maison en leur disant à bientôt. Un oncle qui n’est jamais revenu et qu’elles n’ont jamais revu. Un oncle que Sybille n’avait jamais connu. La blonde resta un instant immobile avant de prononcer d’une voix douce et hésitante.

Oncle Ashan ? Oncle Ashan, c’est toi ? C’est bien toi ? Elle se jetta dans les bras de cet oncle disparu et retrouvé. Elle aurait dû lui casser la figure pour son absence, pour son abandon. La personnalité de Lydie était ainsi, pleine de rancœur et sans pardon. Mais cet homme se trouvait être le dernier visage familier qu’elle connaissait. Une vague de chaleur se répandit dans son corps. C’était ça le bonheur ? La joie ? Un sentiment qui lui faisait défaut depuis plusieurs années. Une joie sincère et naturelle. Tu nous as tellement manquées. Des larmes commençaient à monter mais Lydie les repoussa. Non, pas de larmes, elle en avait trop donné.

Il avait cru se faire frapper à nouveau et s'était presque attendu à avoir le souffle d'office coupé en voyant le poing serré venir dans la direction de sa poitrine, vers le plexus solaire. Mais le coup se stoppa d'un coup, non loin du point physique. Peddyr écarquilla les yeux. Mais que se passait-il ? Il avait son regard sombre rivé dans celui de la jeune femme, qui avait le regard tout aussi écarquillé qu'elle, prit dans un tourbillon de quelque chose, à voir la lueur étrange qui brillait dans ses yeux. Sur l'instant, c'était comme si les deux personnes s'étaient retrouvées prise dans le piège d'un temps figé.

Mais cette impression d'immobilisme temporel cessa d'un coup quand la jeune femme, qui était l'agresseuse depuis le début de leur rencontre, se jeta littéralement dans les bras du vieux mercenaire. La voix dure et menaçante était devenue hésitante et douce. Et maintenant qu'elle était dans les bras de l'homme, elle était presque aux bords de tomber en larme. Peddyr s'était tendu devant ce revirement de situation, ne savant quoi penser désormais. Et il avait ressenti un frisson glacial lui parcourir l'esprit quand il eut à entendre un nom sorti des limbes de sa mémoire fragmentée. Ashan....Il avait eu ce nom autrefois, avant le jour dramatique où on avait tenté de le tuer...Il frémit rien que d'y repenser.

Il était encore pris au dépourvu quand la jeune femme avoua que lui, l'ancien Ashan, leur avait manqué. Se pourrait-il qu'il ait encore de la famille ? Depuis le jour qu'il avait tout perdu, mémoire comprise, il s'était refusé de retrouver ce passé. Une des raisons était qu'il ne voulait pas mettre en péril les gens qu'il avait pu connaître.... Et voilà que le Destin se complaisait à se moquer à nouveau de lui, en faisant resurgir de son passé cette jeune femme. Il n'avait en tout cas pas tarder à l'entourer avec ses bras. Ils devaient avoir l'air fin tous les deux sur le plancher.

Les clients paraissaient regarder ailleurs. Ce n'était pas plus mal... Car qui sait si son ancien nom voudrait dire quelque chose pour ses rustres. Mais il passa ce bref instant de malaise et se préoccupa de cette nièce sortie de l'oubli.

''J'étais cet homme avant oui... Mais peu importe le nom maintenant. Je suis bien ton oncle.... ''

Il ne pouvait pas dire qu'il était désolé. Il ne se rappelait pas de beaucoup de choses... Comment pourrait-il être désolé ?

''Quand tu dis nous.... Cassia est avec toi ? Tellement d'années sont passées...''

Lydie se recula de l’homme, un peu brusquement. Peut-être un peu trop ; son regard noir plana sur la salle et les derniers curieux détournèrent le regard pour éviter le courroux de la Chasseresse. C’était un évènement privé, et elle ne tolérerait aucune raillerie. De plus elle se sentait un peu gênée par sa réaction. Elle n’était plus une enfant et cet homme, même s’il était son oncle Ashan, avait disparut depuis trop longtemps et la solitude de la chasseresse ne justifiait pas de telles effusions.

Et surtout, pourquoi s’entourait d’un tel mystère ? Et son attitude agaçait Lydie. Ce n’était celle de son oncle, ou alors sa mémoire lui jouait des tours. Peu importe le nom ? Seule Lydie avait le droit de juger ce qui était important ou non. Et ce que la vie lui avait montré, c’est que tout était important. Que le moindre détail pouvait décider ce qui vit et ce qui meurt. Sa colère ressurgit. C’est moi qui décide ce qui est important ou non. Qu’entends-tu en disant que tu étais cet homme avant. Et comment peux-tu encore dire que tu es mon oncle alors que tu ne l’es plus ? Si tu avais été là, tu saurais ce qui s’est passé. Est-ce que au moins tu te souviens de moi ? Est-ce que tu te souviens de Julie ?

Elle se retourna, dépitée. Elle n’aimait pas cette situation, ne savait pas comment réagir. Mais comme tu dis, ça n’a pas d’importance. Elles sont toutes mortes aujourd’hui. Ils le sont tous. Laisse-moi. Elle avait fini sur un ton triste. La Chasseresse s’assit à sa table et leva la main gauche. Le tavernier hocha la tête et lui tira une bière pour lui apporter.

Peddyr ne put s'empêcher bien malgré lui et sans réellement comprendre d'avoir une pointe douloureuse au coeur quand il entendit de la bouche de cette nièce retrouvée que sa soeur, dont il se souvenait à peine, était décédée. Elles étaient toutes mortes qu'affirmait la jeune femme...Et elle-même paraissait éperdue quand à ce qui lui avait révélé le vieux mercenaire.

Il garda le silence le temps que le tavernier apporte la bière réclamée d'un lever de main gauche. Une fois que celui-ci repartit derrière son comptoir, Peddyr ne put s'empêcher de porter son regard sur la chope de bière ; il fuyait le regard de sa nièce. Elle qui avait cru retrouver un parent, voilà qu'elle tombait sur un homme froid et sans joie réellement déployée à son égard. Sur l'instant, il aurait temps voulu se rappeler... Tellement retrouver ses souvenirs perdus et qu'il avait toujours fuit.

''Je suis désolé si mon attitude te blesse. Ce n'était pas dans mes intentions. C'est que... Il y a longtemps, j'ai manqué de perdre la vie dans une attaque contre ma demeure et mes terres... Je me rappelle encore le combat. Vois-tu cette mèche noire qui parcourt la grisaille de mes cheveux. Un carreau a manqué de m'emporter la tête. Mais il a fait pire. Il a emporté avec lui tout de l'homme que j'étais autrefois. Presque tout d'Ashan Teros. Je n'ai plus qu'en souvenir quelques fragments de cette vie passée. C'est pour cela que.... que je te parais distant et glacial. ''

et le Destin n'avait pas été tendre visiblement avec le reste de sa famille.

''Et malheureusement, je ne me rappelle plus de toi... ou de julie... Sauf peut être... ''

Il ferma les yeux et crut se rappeler de quelque chose. Mais c'était si lointain.

''Elle était ta jumelle ? C'est cela n'est ce pas ? Comme tu ressemblais tellement à Cassia... peut être que ce n'est pas totalement perdu.... ''

Lydie attendit sa boisson, et l’accueillit avec un hochement de tête envers le patron de l’établissement. Elle était venue pour ça après tout. Pour boire en attendant des jours meilleurs, boire en attendant une prochaine chasse. Elle n’était pas venue pour retrouver un membre de sa famille disparut depuis longtemps et qui de toute manière, les avait oubliés.

La Chasseresse s’en voulait d’avoir à ce point espérer. Mais qu’avait-elle espérer en réalité ? Retrouver une vie normale, avec quelqu’un sur qui veillait ? Ou plutôt quelqu’un qui veillerait sur elle et s’inquiéterait de son absence et se réjouirait de son retour. Une raison de revenir et de rester en vie. Sa survie jusqu’à aujourd’hui était un défi aux dieux puisqu’elle n’avait aucune raison de faire des efforts. Seul le frisson de la chasse la maintenait à flot et l’ivresse de l’alcool lui offrant un semi oubli. Si seulement elle avait une meilleure force intérieure qui lui permettrait de tout reconstruire une troisième fois. Pour tout revoir s’écrouler ensuite, probablement.

Levant le coude droit pour vider sa bière, elle en appela une autre de la main gauche. La bière n’était pas mauvaise ici, mais l’alcool n’était une solution, mais c’était la seule qu’elle connaissait. Le monde est cruel, et parfois, il faut savoir l’oublier.

Elle écouta d’une oreille distraite ce que lui raconter son oncle amnésique, le regard plongé dans sa nouvelle chope en étain. Même si cette histoire ne lui était pas adressée, la Chasseresse l’aurait entendue. Les années d’entrainement et de chasse dans les bois lui avait conféré un état de vigilance permanente, ainsi que des sens développés à leur maximum. Rien ne lui échapper, qu’elle le veuille ou non. C’était un don et une malédiction de ne jamais avoir l’esprit au repos.

Ecoute-moi bien. Tu n’es pas le seul à avoir tout perdu, terre, demeure, famille. Alors n’espère pas avoir de pitié ou de compassion de ma part. Tu te souviens encore du combat, alors peut-être aurais-tu mieux fait d’y mourir. Quoi que, c’est tout comme, puisque tu n’as aucun souvenir et aucune envie d’en avoir. Sa voix était sourde, pleine de rancœur. Pourquoi se comportait-il ainsi, pourquoi tant de haine envers cet homme du passé après tant de joie ? Son propre comportement la surprenait un peu. Mais après tout, ne venait-elle pas de reperdre quelqu’un de sa famille ?

Tu te souviens que Julie est ma jumelle alors que tu ne te souviens pas de moi ? Son ton monta d’un cran dans la colère. Est-ce que tu ne te moques pas de moi ? Comme je ressemble tellement à Cassia. Elle singea cet homme aux souvenirs si flous. Comme c’est original. Tu n’as rien trouvé de mieux comme excuse ? L’amnésie, vraiment ? Pauvre chéri. Ça t’arrange bien. Alors maintenant, je vais me répéter pour la dernière fois. Disparaît. Ou je te sors d’ici par la force.

Elle avait gardé le silence, le temps de boire encore et encore. Ce silence ne laissait présager rien de bon. Peddyr avait trop d'expérience pour savoir ce qui risquait d'en découler. Et il ne s'était pas trompé.

Il écouta les paroles de sa nièce et manqua d'avoir une crispation des machoires bien visibles. Il était vrai que la vie ne les avaient pas épargnés.Ils avaient tous les deux perdus bien des choses. Mais elle, elle avait encore une identité.

Il avait fini par sourciller, restant dans un froid mutisme. Il se leva mais ne partit pas ; pas encore.

" Tu ne peux pas comprendre... Tu ne sais pas ce que c'est. Toi... tu y vois comme une pâle excuse...qu'est ce que tu peux comprendre à cela ? "

Son ton devenait doucement dur.

"Peut-être aurait-il mieux fallu que je périsse, mais ne viens pas rejeter ta rancoeur sur moi. Que dire de ton explosion dėbordante de joie pour ensuite jouer l'inversion d'émotions. Peut-être que le dewtin nous offrait une chance de découvrir que nous n'avions pas tout perdu ! Mais maintenant..."

L'amertume envahissait sa bouche. Il aurait du rester lâche et partir. Au lieu de cela, il avait eu un vain espoir, cru qu'il pourrait peut-être cesser de fuir son passé. Un bref instant, il y avait cru.

"Ne viens pas pleurer sur ton sort de ce fait. Au moins, grâce à toi, Ashan est mort. Peut être qu'il aurait pu.... revenir... avec du temps."

Il frappa violemment la table, la faisant tressauter. Il exprimait un certaine frustation comme jamais il n'en avait ressenti.

"Adieu, jeune fille. profite de la vie au lieu de la blâmer".

On sentait que l'alcool qu'il avait bu n'aidait pas....

Tais-toi ! Lydie avait crié en claquant son verre vide sur la table. Une autre personne aurait peut-être reconnu une erreur de comportement ou l’inconstance de son caractère. Mais Lydie se le refusait. Elle n’avait que faire de cet homme, de ce traitre. Il l’avait abandonnée une fois, et maintenant, il lui avait fait croire à son retour. Qu’il soit maudit. Mais le pire, c’est qu’il se permettait de lui faire la leçon.

Si seulement elle avait pris le temps de réfléchir. Si seulement un détail d’importance n’avait pas été écartée par sa joie et sa déception. Son oncle avait parlé d’une attaque contre sa demeure, ses terres. Si elle avait réfléchi, elle aurait pu faire le lien avec l’attaque contre sa propre famille. Elle y aurait vu l’assassinat de son père et le massacre de ses amis, l’origine de sa fuite. Si seulement la Chasseresse était plus maîtresse d’elle-même.

Mais ce n’était pas le cas. Ce soir, elle ne voyait qu’un disparu, revenu d’entre les morts pour qu’elle l’enterre définitivement. Et qui se permettait de lui faire des remarques sur son comportement. Que sais-tu de ce que j’ai vécu ? Que sais-tu de ce que j’endure, tous les jours, à force de me souvenir ? Rien. Que sais de ne plus rien avoir et de tout perdre une nouvelle fois, pour encore une fois et encore.

L’homme frappa violement la table. C’en était trop. C’était un défi qu’il lui lançait. Elle était chez elle et cet inconnu, cet usurpateur osait jouer les bonnes consciences. L’alcool n’aidait vraiment pas. Elle se leva et se jeta sur l’homme, le planquant au niveau du bassin. Assise sur son ventre, elle le dominait de sa taille et commença à le frapper au visage, chaque plus hargneux, les dents serraient, les yeux exorbitaient de colère. Les clients de la taverne regardaient, sidérés car jamais il n’avait vu la Chasseresse dans cet état. Aucun n’osa intervenir.

Ce fut l'instinct qui le contraignit à se retourner alors qu'il se dirigeait vers la porte. Et ainsi, il dut le temps d'écarquiller les yeux avant de tomber lourdement sur le plancher. Lydie venait de lui bondir violemment dessus et lui décochait déjà des coups de plus en plus hargneux. Bien qu'elle ne pesait pas bien lourd, il sentait sa présence, tellement la colère la tendait. On pourrait croire qu'elle était juchée sur lui de telle manière qu'il ne puisse s'échapper. Et normalement, un homme de la trempe de Peddyr n'aurait eu aucun mal à se défaire de la furie qu'était devenue sa nièce. Mais l'alcool n'aidait pas à avoir des réactions promptes pour se défendre. Un observateur un peu attentif, qui, en comprenant qu'ils avaient un lien familial, aurait trouvé que les coups de sang étaient typique de cette famille. Peddyr l'avait exprimé en frappant la malheureusement table de toute à l'heure et maintenant, c'était Lydie qui jouait de sa rage. D'accord, les deux ne l'exprimaient pas de la même manière, mais quand on les poussait hors de leur retranchement.

Les clients et le tavernier ne disaient rien, assistant presque estomaqué la scène qui se produisait sous leurs yeux. Jamais encore il n'avait vu Lydie exploser dans une telle rage. Déjà qu'elle était très taciturne. Là, ils comprenaient réellement pourquoi ils n'avaient cherché à causer avec la Chasseresse.

Bien qu'étourdi par les coups de poings, et sentant déjà le goût du sang dans sa bouche, coulant probablement d'une lèvre fendue par un des coups de la jeune femme, Peddyr n'allait pas se laisser faire de la sorte. Bien que son esprit s'embrumait dans l'alcool ingéré, son corps était rôdé à des réflexes acquis depuis bien des années. Là où un poing allait s'abattre sur son nez, déjà en sang des coups reçus précédemment, ce fut une main ferme qui saisit le poignet coléreux et qui le serrait à en faire mal son propriétaire. Son regard sombre était froncé d'une colère silencieuse. Il pourrait la gifler, pour la corriger. Mais au lieu de cela, il tira sur le poignet qu'il tenait fermement, et assez violemment pour la faire dégager de lui. Elle ne pourrait guère résister et peut être même qu'elle reviendrait à la charge. Dans ce cas là, il serait obligé de prendre des mesures plus directes.

Il profita de cette brève libération pour se relever tant bien que mal. On voyait bien qu'il était encore à moitié sonné des coups reçus. Du revers de sa main, il essuya le sang qui coulait au coin de ses lèvres. Il passa la paume là où il sentait un liquide chaud sur la pommette. Là aussi, il saignait. Il grommela dans sa barbe et darda un regard froid à Lydie.

''Ta colère t'aveugle tellement que tu ne vois pas ceux qui endurent la vie d'une autre façon que toi. Penses-tu que toi seule subit les affres du destin ? Je suis certain que jamais tu t'es demandé ce que les autres peuvent endurer, autour de toi et dans ton sillage. Tu ferais mieux de dépenser ton énergie et ta colère à te faire justice au lieu de ruminer... comme tu viens de le faire. Maintenant, fillette, tu devrais retourner à ta table, celle qui devrait porter ton nom gravé dessus. ''

Il passa une nouvelle fois le dos de sa main sur sa bouche. Diantre, cela était parti pour couler un bon moment. Et il la fixa à nouveau, ruminant ses propres mots. Se faire justice... Toutes ces années, lui, avaient préféré la fuite que d'affronter ceux ou celles qui avaient tenté de le tuer, et qui avaient tué les membres de sa famille. S'il avait été plus vaillant, peut être qu'il aurait fait couler le sang, au risque d'y perdre la vie... Est ce que cela aurait servi à faire revenir les siens ? Aucunement. Pourtant, ses propres paroles le travaillaient et cela se voyait. L'alcool, songea-t-il, c'était parce qu'il ne s'était pas assez soûlé avec. Et il allait devoir se trouver une autre auberge maintenant, pour peu qu'on acceptait de le voir arriver avec la tronche en sang.

''Un conseil.... évite de chercher la bagarre avec moi. Je suis peut être vieux et un peu soûl, mais je n'hésiterai pas à me défendre....''

Restait à voir si elle en resterait là... ou pas

C’en était trop. Lydie n’avait plus de patience pour cet homme. Elle n’en avait jamais eu beaucoup en réalité. La chasse seule pouvait contrôler ses ardeurs et la gardait calme. Le social n’avait jamais vraiment été son truc et ça n’avait fait que diminuer avec le temps. C’est pour cela qu’elle se saoulait tous les soirs, pour être un peu plus aimable. Du moment qu’on ne la chauffait pas trop. Or, cet homme s’était suffisamment moqué d’elle pour la soirée, à jouer avec ses sentiments, et lui faire la morale. Il n’était qu’un inconnu finalement et elle allait lui apprendre à mettre ses pieds ailleurs quand dans son espace vital. Et pour ce faire, la Chasseresse allait mettre les siens dans sa tête.

Mais tais-toi ! Et elle lui fonça dessus, comme un sanglier. Pas la meilleure des techniques quand on a le physique de Lydie, et surtout face au physique de son oncle amnésique. Mais c’était la leçon de trop. Elle se mettait en colère si elle voulait. Elle n’avait que faire de ce que les autres enduraient autour d’elle car elle ne leur demandait pas d’être là. Si elle les faisait souffrir, ils n’avaient qu’à aller voir ailleurs, loin d’elle, un point c’est tout. Sinon, il suffisait de régler ça de façon naturelle, à coup de mandale. Et puis faire justice, cette bonne blague. Justice contre qui ? Les Duchés dans leur intégralité ? Contre le feu et essayer d’éteindre toutes les flammes du continent pour être sûre qu’il n’y ait plus d’incendie. Cet homme était débile, stupide et idiot.

Si Lydie avait été un peu plus sobre et calme, elle aurait certainement été plus subtile dans son combat. Elle aurait certainement feinté une attaque haute du point pour se baisser et faire un croche-pied pour faire tomber son adversaire puis profiter de sa mise au sol pour le rouer de coup. Or, elle décida de se comporter comme un sanglier jusqu’au bout. Son poing visait clairement le nez déjà ensanglanté de son adversaire, sans aucune subtilité et avec toute la force et la vitesse dont elle pouvait faire preuve.

Quand on était entêté, on le demeurait longtemps. L'entêtement était une pression qui ne redescendait pas facilement et encore moins quand on se sentait provoqué. Peddyr aurait pu en rester là, mais ce fut sa nièce qui remit le couvert, en fonçant sur lui telle une bufflonne enragée. Le vieux mercenaire ne tenait absolument pas à se laisser faire. N'était-ce pas ce qu'il avait dit d'ailleurs ? Qu'il se défendrait ? Alors c'est ce qu'il fit. Là où un poing féminin allait le frapper au nez déjà malmené, ce fut un poing masculin qui frappa Lydie, tentant de la stopper net d'un coup dans le plexus solaire. Mais enragée comme elle était, elle atteignit en partie son but, à savoir de frapper au visage son oncle récemment retrouvé.

Le pauvre tavernier était à prier ses croyances qu'arrivent vite des soldats ou que quelqu'un vienne en aide à son établissement d'ordinaire si calme, même quand Lydie était de mauvais poil. Celle-ci demeurait toujours dans son coin, mais aujourd'hui... L'entrevue avec son proche manquait de tourner à un sérieux règlement de compte et le temps qu'il ferme les yeux pour murmurer que tout cesse vite, il y eut une cessation des hostilités. Lydie était étalée par terre, assommée, le vieux mercenaire terminant d'essuyer le sang qui coulait plus fortement de sa bouche et d'une nouvelle entaille reçue à la pommette. Les clients qui étaient restés présents demeuraient interdits. Lydie avait encaissé un sacré coup pour le plexus solaire, mais elle était encore demeurée debout, frapper Peddyr de sa hargne renouvelée pour la peine. Le mercenaire avait du frapper encore plusieurs fois pour la faire choir.

Quand Il eut terminé de s'essuyer sommairement le visage du sang qui l'empoissait, il s'assurait que Lydie respirait encore. Heureusement, c'était le cas et il eut un air soulagé. Il lança sa bourse d'argent au tavernier, qui manqua d'être surpris par le geste.

''Pour les dégâts, les embêtements et pour ta meilleure chambre....''


Quand Lydie reprendra conscience, elle se retrouvera allongée dans un lit, le visage nettoyée du sang séchée de ses blessures reçues durant la bagarre. Et un peu plus loin, là où se dresse un meuble de toilette des plus basiques, le vieux mercenaire était en train de terminer de nettoyer ses entailles, grimaçant en les nettoyant doucement. Et forcément, qui dit quelqu'un en train de se réveiller, dit un lit qui grince au moindre mouvement.

''Enfin, tu te réveilles...

Aveuglée par la rage et l’envie d’écraser son poing dans la figure de cet homme, Lydie n’essaya pad d’éviter le coup qui n’allait pas manquer de la frapper dans le ventre. Elle l’avait vu venir, son esprit l’avait déduit avait même qu’il parte. La femme savait aussi qu’il serait fort, puissant, et qu’elle allait morfler en se le prenant. Mais la logique était restée assise à la table devant un autre verre de bière. Tant pis, elle aura au moins la satisfaction de lui avoir encore une fois fracasser le nez.

Le coup est puissant et précis et fait vibrer chaque membre de son corps. Finalement, elle avait surestimé sa propre vitesse. L’homme avait été plus rapide qu’elle et l’alcool lui avait faussé la perception. Elle senti tout de même son poing s’écrasait sur son visage. Puis tout en recrachant le peu de solide et tout le liquide qu’elle avait dans le ventre, Lydie vit un nouveau coup arriver.

Zut. Ce fut sa seule pensée, sachant pertinemment qu’elle ne pourrait pas l’esquiver. Elle essaya tout de même, malgré son alcoolémie, la douleur et le contrecoup. Elle ne fit que se redresser, ce qui fit que le coup fut plus facile à mettre. Puis un autre arriva, puis un autre, puis un autre. La Chasseresse n’aurait jamais cru supporter autant de coups. Alors qu’un dernier coup allait l’achever, la femme tomba à genou avant de s’évanouir au pied de son oncle amnésique. Le dernier coup ne l’atteint pas car il n’était pas nécessaire. La Chasseresse sombre dans une inconscience incomplète, encore.

Lorsqu’elle se réveille, elle a mal partout. Un homme se lave, encore ce crétin. Lydie ne veut pas ouvrir les yeux, comme si la réalité allait s’enfuir emmenant avec elle son désarroi et la douleur. Inconsciemment, elle a entendu l’homme demander une chambre, senti qu’il la portait jusque dans le lit. C’était plutôt un rêve, mais maintenant qu’elle était éveillée, elle le savait vrai. Elle bougea légèrement pour se retourner, tournant le dos à l’homme qui l’a maltraitée. Ce n’est pas la première fois qu’elle se faisait casser la figure, les bagarres de tavernes étaient nombreuses et Lydie en était souvent l’origine. Elle faisait toujours en sorte d’éviter les coups car elle n’avait pas le faciliter de certains pour les encaisser.

Le grincement du lit signale que la Chasseresse est éveillée. (color=#FF6600]Ce n’est pas ma chambre. [/color]Grogna-t-elle pour toute réponse. Ce n’est pas ma chambre. Je te déteste. Et tu t’es fait arnaquer. Si seulement quelqu’un pouvait demander à son cœur de battre aussi fort, cela aiderait la femme à avoir moins mal au crâne et aux cheveux. Et si tu attends des remerciements pour m’avoir amener ici et nettoyer, tu peux toujours aller te faire mettre. Et de préférence loin d’ici.

En parlant à peine quelques mots, une des entailles de sa lèvre blessée s'était rouverte et saignait à nouveau. Il maudit la blessure et la tamponna avec son linge. Il nettoya ce dernier, qui rosit l'eau un peu plus. Décidément, il se serait bien passé de ces coups là. Mais comme il était tête butée à ses heures.

*J'aurai du partir et au lieu de cela, je suis resté. Je vais finir par croire que plus je vieillis, et plus j'adore me faire tabasser. *

Il grimaça en reportant le lingue humide et moins rosé de sang sur sa lèvre. Derrière, sa nicèe crachait son venin. Visiblement, elle avait repris assez vite récupéré malgré les coups qu'elle avait reçu de la part du vieux mercenaire. Peddyr grimaça en terminant de tapoter sa blessure réouverte. Quand cela fut fait, il laissa le linge rosé baigner dans l'eau du bassinet qui avait la même teinte. Le sang dilué dans l'eau était très reconnaissable, mais il n'y prêtait plus attention depuis bien des années. Tant qu'il continuerait d'être un mercenaire, des blessures, il en récoltera encore quelques unes.

''Peu m'importe si je me suis fait arnaquer. Ton pote le tenancier ne s'est pas empressé de me dire que tu avais une chambre bien à toi ici. Alors, tu t'arrangeras avec lui, sauf s'il encoure ton courroux pour ne pas respecter tes volontés. Car c'est ce qui est convenu avec lui n'est ce pas ? ''

Il se retourna à moitié vers la jeune femme qui était toujours étendue dans le lit.

''De tes remerciements, j'en ai cure. Tu peux même les garder. Mais estimes toi heureuse que j'ai eu la bonté de te ramasser au lieu de te laisser larver par terre. Car je ne doute pas un seul instant que certains clients auraient profité de l'aubaine de te voir à terre pour voir quelques petites choses. Inutile d'avouer que c'est la toute première fois que tu te fais rétamer de la sorte. Mais passons.... ''

Il se tourna totalement vers elle cette fois.

''Avant que je m'en retourne à mes affaires, j'aimerais bien que tu me dises ce que tu sais de ceux qui ont occis les tiens...''

Personne n’entre dans ma chambre sans me permission. Le tavernier est au courant. C’est bien pour ça que je dis que t’es fait avoir. Et il est convenu que comme je crèche ici la moitié du temps et que je représente la moitié de son chiffre d’avoir, j’ai droit à la protection et un toit ad vitam aeternam.

Lydie ricana aux remarques de son oncle amnésique. Larver par terre, c’était en générale ce qui lui arriver lorsqu’elle n’arrivait plus à monter les escaliers et que le tavernier n’avait pas envie de la mettre au lit tout de suite. Et même parfois, c’est en atteignant sa chambre qu’elle dormit sur le parquet de cette dernière. Alors une fois de plus ou de moins.  

Oh, détrompe-toi. Même si c’est souvent moi qui provoque la bagarre, ce n’est pas toujours moi qui gagne. Et pour les choses dont tu parles, contente-toi de t’occupe du peu que tu connaisses. Certains s’y sont déjà essayer, et l’on regrettait, alors même qu’ils me croyaient inconsciente. Je ne dors jamais. Et si tu avais essayé de retirer mes vêtements, je peux t’assurer que ça aurait été un passage très douloureux pour toi. Très douloureux.

Lydie ne disait pas ça à la légère car l’expérience avait déjà été tentée. Malgré son alcoolémie, ses habitudes de vie dans les terres sauvages lui avaient procuré des réflexes qui ne dormaient jamais, comme si son corps acceptait de se défendre sans que son esprit le lui ordonne. Cela avait aidé la Chasseresse bien souvent. Et puis des raclées, elle en prenait très souvent. Elle en donnait certes plus, mais elle finissait un peu trop souvent au tapis à son goût.

Mais lorsque l’homme l’interrogea sur la mort de sa famille, Lydie se retourna pour lui faire face, du feu dans les yeux. Il en parlait comme si c’était un fait divers, comme si elle était une petite fille qui avait fait un cauchemar. Et puis occis les siens. Qu’est-ce que ça peut te faire ? Tu ne te souviens pas de nous de toute façon. Et personne n’a occis les miens. Mon père est mort dans un accident de chasse, pas dans l’incendie qui a ravagé nos vies la première fois. Et mes sœurs, elles, ont bien péri dans un incendie dans la cité d’Airain. Alors ne vient pas faire ton intéressé pour une histoire dont tu ne connais pas même les protagonistes. Lui cracha Lydie avant de se retourner, boudeuse.

Peddyr gardait le silence pendant que sa ''nièce'' discutait avec sa mauvaise humeur. A se demander s'il avait taper assez fort... Pas assez visiblement. Mais déjà frapper les femmes n'était pas quelque chose qu'il avait pour habitude, alors une parente redécouverte....Et des répliques qui s'enchaînaient, il préfèrait ne pas revenir dessus. La jeune femme était adulte, elle assumait ses actes. Après tout, peut être qu'elle avait la capacité de se défendre, même en étant dans le coma ou dans l'ivresse la plus totale au point d'être étalée par terre. Peddyr n'irait pas vérifié en tout cas, sauf si l'idée prenait Lydie de tenter une seconde manche.

La dernière interrogation ne trouva pas le tournant espéré par le vieux mercenaire. Lydie cracha sa réponse plus qu'elle n'apportait des renseignements. Cela ne surprit guère Peddyr. Il s'y était attendu. Il se contenta de sourciller et d'observer la jeune femme. Elle paraissait réagir comm eune gamine boudeuse qui avait été sermonné, alors qu'elle en avait jamais l'habitude.

''J'aurai été étonné si tu avais eu une véritable réponse. Mais venant de ta part. En somme, de ce qu'on peut en comprendre, tu ne veux pas admettre qu'on ait pu attenté à la vie de ta famille. J'ai perdu bien des choses, mais je n'ai pas oublié comment est la vie des Duchés. Toi si. Ou alors, tu refuses de l'admettre. On a occis ta famille et tu prends cela comme un accident. Ceux qui ont commis ces actes doivent être heureux que leurs actions passent sereinement. Un survivant a le droit de mettre en accusation ceux ou celles qui ont tenté de les anéantir. Mais tu as parfaitement le droit de considérer cela comme un simple accident. ''

Il s'était levé et avait vérifié qu'il n'oubliait rien. Le sang ne coulait plus de ses entailles. Il était temps pour lui de partir.

''Ce n'est qu'une question de temps avant que je ne me décide à trouver les protagonistes, que je ne connais pas. Le passé finit toujours par revenir au devant de la scène. Tu ne seras pas la première personne qui en viendra et qui se retrouvera face à moi. ''

En somme, peut être qu'il était temps pour lui de cesser de fuir. Quelque chose le poussait à réclamer justice, mais il ne sentait pas encore vraiment prêt. La peur, l'appréhension, le doute ? Qui sait...

''Puisses-tu mener ta vie comme tu l'entends, heureuse ou pas heureuse. ''

Il veillait à ne pas lui tourner totalement dos, car l'épisode précédent pulsait encore en entaille sur es lèvres. Il ne serait pas surprendre une seconde fois

Lydie grogna. N’y avait-il plus de respect dans ce monde ? Elle venait de se faire casser la figure, elle avait soif et un peu mal. L’autre type n’aurait-il pas pu lui foutre la paix ? Non, il fallait qu’il lui fasse la causette, alors que Lydie n’avait qu’une seule envie : qu’il disparaisse et ne revienne jamais la voir. Il n’était qu’un rappel de souvenir trop douloureux car trop doux, trop bon et lointain. Une époque d’innocence.

Non, Lydie ne refusait pas d’admettre qu’on avait attenté à la vie de sa famille dans les Duchés. Si elle n’avait jamais imaginé que l’incendie qui lui avait enlevé le reste de sa famille, ses sœurs, puisse être un attentat direct à leur vie, la mort de son père et de tous ses amis duchéens n’avait jamais connu le doute quant à une action volontaire. Les Duchés étaient ainsi et elle avait grandi en le sachant parfaitement.

On a occis mon père, il y presque vingt ans. J’ai construit ma vie avec ce drame et chercher vengeance ne me le ramènera pas. Son accident de chasse n’en était pas un et j’ai vu des hommes massacrer mes amis et brûler ma maison. Pourquoi ils ont fait ça ? Je ne sais pas et je m’en fous. Cela n’améliorera pas ma vie. Pour ce qui est de la mort de mes sœurs, des incendies ont lieu tous les jours dans les villes. C’est une tragédie, mais on ne peut chercher des coupables à chaque épine de notre vie. Que l’assassin de mon père se réjouisse, car il ne mourra pas de ma main. Et si tu as envie de perdre ton temps à chasser des fantômes, alors n’hésite pas. Peu m’importe de toute manière. Mais rappelle-toi, si jamais la mémoire te revient… oublie moi.

La Chasseresse laissa son oncle amnésique partir sans le retenir. Elle s’assit un instant sur le bord du lit, le visage dans les mains. Cette rencontre n’était pas ce qu’elle espérait de sa soirée. Elle quitta à son tour la chambre. La taverne était silencieuse, mais pas pour Lydie. Elle entendait la respiration des dormeurs, les craquements de la maison sous son propre poids. La Chasseresse retourna dans sa chambre attribuait et d’une petite armoire, sortit une bouteille. Elle s’assit à son bureau et se servit un verre. La boisson sentait l’alcool plus qu’elle ne devrait. Elle vida le verre avant de s’en resservir un et de décidait que l’étape du verre n’était pas nécessaire. Elle s’endormit à son bureau, ivre, en attendant un oubli et une inconscience qui ne venaient jamais.

[HRP]Je te propose d'en rester là.